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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 14 mai 2013, n° 11/07445

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Lauriou (Epoux)

Défendeur :

M. Soukad

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vencent

Conseillers :

M. Defrasne, Mme Clément

Avocats :

SCP Tudela et Associés, Jurisophia Savoie, Me de Fourcroy, Selarl Perret Christian

TI Belley, du 26 août 2011, n° 11-11-000…

26 août 2011

Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Pascal VENCENT, président, et par Aurore JACQUET, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire .

* * * * *

Selon acte notarié du 2 juin 2004, monsieur Adil SOUKAD a acquis des époux PERSOUD une maison sise [...] comprenant :

- au rez-de-chaussée : un local commercial et un appartement de type T3,

- au premier étage : un appartement de type T4,

- trois caves,

- des combles aménageables.

Le local commercial est loué à monsieur Fabrice LAURIOU depuis qu'il a acquis, le 25 mars 1997, le fonds de commerce de salon de coiffure au sein duquel il était précédemment employé ; les lieux donnés à bail sont désignés dans les termes suivants : « un local commercial situé au rez-de-chaussée dudit immeuble d'une surface d'environ 16 m², avec entrée, coin lave-mains et cave au sous-sol, soit celle située sous le salon ».

L'appartement T3, mitoyen de ce local, est occupé par le bailleur, monsieur SOUKAD lui-même, et sa famille.

L'appartement T4 situé à l'étage est occupé depuis 1992 par monsieur Fabrice LAURIOU et son épouse Valérie MERCIER, un bail d'habitation ayant été régularisé entre les parti es le 18 décembre2004, à effet du 1er janvier 2005 pour une durée de trois ans, bail reconduit pour une nouvelle période triennale à échéance du 31 décembre 2010.

Par acte d'huissier du 25 février 2010, monsieur Adil SOUKAD a donné congé à ses locataires du local d'habitation pour le 31 décembre 2010 à 24 heures, au motif qu'il entendait reprendre le bien loué pour lui-même.

Les époux LAURIOU sont demeurés dans les lieux après l'expiration du bail de sorte que monsieur SOUKAD leur a fait délivrer assignation devant le tribunal d'instance de BELLEY qui par jugement du 26 août 2011 a :

- constaté que le bail d'habitation des époux LAURIOU n'est pas un accessoire du bail commercial de monsieur Fabrice LAURIOU,

- rejeté en conséquence leur exception d'incompétence,

- constaté que les époux LAURIOU sont occupants sans droit ni titre de l'appartement T4 depuis le 1er janvier 2011,

- condamné les époux LAURIOU au paiement d'une indemnité d'occupation d'un montant égal au montant du loyer outre les charges à compter du 1er janvier 2011 et jusqu'à libération effective des lieux outre indexation,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- ordonné la libération des lieux et l'expulsion immédiate des locataires,

- ordonné le transport des meubles laissés dans les lieux aux frais des époux LAURIOU,

- condamné monsieur SOUKAD Adil à payer aux époux LAURIOU la somme de 4.500 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice lié à la dangerosité des lieux,

- condamné chacune des parties à assumer la moitié des dépens,

- autorisé l'exécution provisoire,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Vu les dernières conclusions signifiées par les époux LAURIOU, appelants selon déclaration du 3novembre 2011, lesquels concluent à la réformation du jugement susvisé et demandent à la cour :

- d'enjoindre à monsieur Adil SOUKAD d'effectuer les travaux d'entretien à sa charge sous astreinte de 100 € par jour à compter du jugement,

- condamner monsieur Adil SOUKAD à verser à monsieur et madame LAURIOU la somme de15.000 € au titre du préjudice subi en raison du non-respect des obligations mises à sa charge par la loi du 6 juillet 1989 et des risques graves encourus jusqu'à ce jour,

- condamner monsieur Adil SOUKAD à verser à monsieur LAURIOU la somme de 20.000 € au titre du préjudice pour la perte d'une partie du local commercial,

- condamner monsieur Adil SOUKAD aux dépens et à payer la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions signifiées par monsieur Adil SOUKAD qui conclut à :

- l'incompétence de la juridiction pour statuer sur la demande indemnitaire formulée par monsieur LAURIOU au titre de la perte d'une partie du local commercial et renvoyer les appelants à mieux se- pourvoir,

- la confirmation du jugement en ce qu'il a :

* constaté que le bail d'habitation des époux LAURIOU n'est pas un accessoire du bail commercial de monsieur Fabrice LAURlOU,

* rejeté en conséquence leur exception d'incompétence,

* constaté que les époux LAURIOU sont occupants sans droit ni titre de l'appartement T4 depuis le 1er janvier 2011,

* condamné les époux LAURIOU au paiement d'une indemnité d'occupation outre les charges à compter 1er janvier 2011 et jusqu'à libération effective des lieux outre indexation,

* ordonné la capitalisation des intérêts,

* ordonné la libération des lieux et l'expulsion immédiate des locataires,

* ordonné le transport des meubles laissés sur place aux frais des époux LAURIOU,

* débouté monsieur LAURIOU de sa demande au titre de la perte d'une partie du local professionnel, de sa demande de condamnation à exécuter des travaux sous astreinte et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la réformation du jugement pour le surplus et demandent à la cour de :

* fixer à 675 € l'indemnité d'occupation qui sera due par les époux LAURIOU depuis le 1er janvier 2011 et jusqu'à la libération effective des lieux, outre les charges,

* débouter les époux LAURIOU de leur demande de dommages et intérêts pour manquement du bailleur à son obligation,

* condamner in solidum les époux LAURIOU aux dépens et au paiement d'une somme de 3.000 €au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS ET DECISION

I) Sur l'exception d'incompétence et la demande d'expulsion :

Aux termes de l'article L. 145-1 I° du code de commerce, les dispositions du code de commerce relative aux baux commerciaux s'appliquent aux baux de locaux ou immeubles accessoires à l'exploitation d'un fonds de commerce quand leur privation est de nature à compromettre l'exploitation du fonds et qu'ils appartiennent au propriétaire du local ou de l'immeuble où est situé l'établissement principal.

Les locaux dans lesquels le fonds n'est pas directement exploité peuvent être protégés au même titre que le local principal, lorsqu'ils appartiennent à un propriétaire unique, qu'ils présentent une utilité telle que leur privation compromettrait gravement l'exploitation du fonds et que le propriétaire ne pouvait ignorer l'utilisation qui devait en être faite.

Il s'en suit alors, que le bailleur ne peut faire valoir son droit de reprise tel que prévu à l'article 15-1 de la loi du 6 juillet 1989, le bail d'habitation n'étant que l'accessoire du bail commercial.

En l'espèce, il ressort des explications concordantes des parties et des documents produits au dossier que :

- l'accès à l'appartement T4 situé au premier étage de l'immeuble se fait par le local commercial ainsi qu'il ressort des constatations faites par maître Maréchal, huissier de justice, le 20 janvier 2012 : « l'entrée (et le coin lave mains) donne d'un côté sur le salon de coiffure et de l'autre sur l'extérieur, par une porte d'entrée donnant sur le passage du Petit Violet. Cet espace comprend un escalier menant au premier étage (partie à usage d'habitation) de telle sorte que pour accéder à ce premier étage, il est nécessaire d'emprunter cette entrée »,

- la partie commerciale ne comprend pas de sanitaires, les toilettes se trouvant situées au premier étage dans l'appartement T4,

- un seul compteur électrique et une seule arrivée d'eau desservent à la fois le local commercial et l'appartement dont le chauffage est assuré par une chaudière commune.

L'occupation du local d'habitation par le couple LAURIOU dès 1992, alors même que monsieur LAURIOU était alors salarié de la société exploitant le salon de coiffure, avant même qu'il ne se porte acquéreur du fonds de commerce et avant même qu'un bail d'habitation ne soit régularisé entre monsieur SOUKAD, nouvel acquéreur de l'immeuble et les époux LAURIOU, justifie l'existence pendant toute cette période d'une possibilité de passage à travers le local commercial pour se rendre à l'appartement du premier étage et l'utilisation des sanitaires du local d'habitation par les utilisateurs du local commercial.

Depuis 1992, il résulte de la commune intention des parties que les lieux sont loués pour être utilisés ensemble, les uns étant l'accessoire des autres en formant un tout indivisible.

Aucune possibilité d'accès à l'appartement n'est possible sans utiliser les locaux commerciaux et aucune exploitation de ces derniers n'est envisageable sans l'accès aux sanitaires situés au sein de l'appartement d'habitation.

Le caractère accessoire au bail commercial du bail d'habitation est donc établi et il convient de réformer la décision entreprise dans la mesure où le tribunal d'instance ne pouvait se déclarer réformer la décision entreprise dans la mesure où le tribunal d’instance ne pouvait se déclarer compétent, seul le tribunal de grande instance étant compétent de ce chef.

En application de l'article 79 du code de procédure civile, lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins au fond du litige si la décision attaquée est susceptible d'appel dans l'ensemble de ses dispositions et si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente.

En l'espèce la cour d'appel de LYON est juridiction d'appel du tribunal de grande instance de BOURG-EN-BRESSE qui aurait dû avoir à connaître du présent litige et il lui appartient en conséquence de statuer au fond.

Le caractère indivisible des locaux commerciaux et d'habitation donnés à bail rend impossible l'expulsion parti elle des preneurs au titre du seul bail d'habitation ; la demande de monsieur SOUKAD à ce titre devra donc être rejetée, comme celle des époux LAURIOU tendant à voir indemniser la privation d'une partie du local commercial qui ne peut qu'être subsidiaire.

II) Sur la demande en dommages-intérêts pour manquement du bailleur à ses obligations :

Pour les mêmes motifs que ceux exposés précédemment, la cour d'appel de LYON est compétente pour statuer sur la demande relative aux manquements du bailleur à ses obligations.

Le bailleur d'un local commercial est tenu de livrer au preneur le local et ses accessoires en bon état, sans qu'il ne puisse présenter de risques pouvant porter atteinte à la santé et la sécurité physique de ce dernier.

Le constat d'huissier versé au dossier par les époux LAURIOU n'est toujours pas produit en original mais seulement en copie par ces derniers et les photographies qu'il présente sont en cela inexploitables et ne peuvent donc servir à démontrer l'état déplorable du logement tel qu'allégué par les preneurs.

Aucun élément du dossier ou des constatations de l'huissier ne permet à la cour de constater que la chaudière est dans un état dégradé, la simple absence de raccordement au tout à l'égout imposant de vider le surplus d'eau tombé dans un seau ne suffisant pas à démontrer un tel état en l'absence de connaissance notamment, de la fréquence de cette manipulation, alors même que la chaudière fait l'objet d'un contrat d'entretien annuel conclu par les preneurs et dont ils justifient pour les années 2006 à 2011.

Il ressort par ailleurs d'un courrier de la société CLIMATECK, entreprise d'électricité, que suite à leur visite du 21 avril 2009, il a été constaté que l'installation électrique est dangereuse pour la sécurité des personnes, vétuste et non conforme et qu'elle doit en cela être intégralement reprise.

Monsieur SOUKAD reconnaît d'ailleurs lui-même dans ses conclusions le caractère vétuste de cette installation qu'il envisage de refaire entièrement lorsqu'il pourra lui-même emménager après reprise des lieux.

Le préjudice des époux LAURIOU est donc certain et alors même que l'état de l'installation électrique a été dénoncé par les preneurs dès 2009, aucune réparation ne ressort avoir encore été entreprise à ce jour.

Une juste indemnité de 6.000 € doit être allouée aux époux LAURIOU de ce chef, sans que la cour ne puisse ordonner la réalisation par le bailleur, de travaux d'entretien dont la teneur n'est pas précisée aux termes de la demande formulée en la matière par les intéressés.

III) Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité et la situation économique des parties commandent l'octroi au bénéfice des époux LAURIOU et à la charge de monsieur SOUKAD Adil, d'une indemnité de 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ce dernier qui succombe dans ses prétentions ne pouvant qu'être débouté en sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Réforme le jugement rendu par le tribunal d'instance de BELLEY en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate que le bail d'habitation convenu entre monsieur Adil SOUKAD et les époux LAURIOU est accessoire au bail commercial convenu entre monsieur Adil SOUKAD et monsieur Fabrice LAURIOU.

Dit que le tribunal d'instance de BELLEY était incompétent pour connaître du présent litige relevant de la compétence du tribunal de grande instance de BOURG-EN-BRESSE.

Déclare la cour d'appel deLYON, juridiction d'appel des juridictions susvisées, compétente pour connaître du présent litige.

Déboute monsieur Adil SOUKAD de l'intégralité de ses prétentions.

Condamne monsieur Adil SOUKAD à payer à monsieur Fabrice LAURIOU et madame Valérie MERCIER épouse LAURIOU, les sommes de :

* 6.000 € à titre de dommages-intérêts pour trouble de jouissance, lié à l'état dangereux de l'installation électrique,

* 2.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes.

Condamne monsieur Adil SOUKAD aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, par ceux des mandataires des parti es qui en ont fait la demande.