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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 26 novembre 2021, n° 20/05827

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Brigitte CHOKRON

Conseillers :

Laurence LEHMANN, Agnès MARCADE

TJ Paris, 3ème chambre 3ème section, 7 f…

7 février 2020

Vu le jugement contradictoire rendu le 7 février 2020 par le tribunal judiciaire de Paris qui a :

- débouté les sociétés Puma SE et Puma France SAS de leurs demandes en contrefaçon de marques par imitation et sur le fondement de l'atteinte à la renommée des marques dont la société Puma SE est titulaire,

- débouté les sociétés Puma SE et Puma France SAS de leurs demandes au titre de la concurrence déloyale et du parasitisme,

- dit que les sociétés Puma SE et Puma France SAS ont engagé leur responsabilité en présentant de manière déloyale leur requête en saisie contrefaçon et en introduisant ensuite une action en contrefaçon dans des conditions se révélant abusives au préjudice de la société Carrefour Hypermarchés,

- condamné in solidum les sociétés Puma SE et Puma France SAS à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 50 000 (cinquante mille) euros en réparation du préjudice subi,

- condamné in solidum les sociétés Puma SE et Puma France SAS à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 15 000 (quinze mille) euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné in solidum les sociétés Puma SE et Puma France SAS aux entiers dépens,

- ordonné l'exécution provisoire.

Vu l'appel de ce jugement interjeté le 31 mars 2020 par les sociétés Puma SE (société de droit européen) et Puma France (SAS), ci après les sociétés Puma.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 21 mai 2021 par les sociétés Puma, appelantes, qui demandent à la cour, au fondement des articles L.713-1, L.713-5, L.713-3b, L.716-1, L.716-14, L.716-15, L.717-4 du code de la propriété intellectuelle, 19 du règlement (UE) n°2017/1001 sur la marque de l'Union européenne, 4 du protocole relatif à l'arrangement de Madrid, 1240 et 1241 du code civil, d'infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de :

A titre principal,

- dire et juger que la société Carrefour Hypermarchés a porté atteinte à la renommée des marques de la famille X A de la société Puma SE et notamment les marques n°426 712, n°439 162 et n°12697066 et a ainsi engagé sa responsabilité civile délictuelle sur le fondement de l'article L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle,

A titre subsidiaire,

- dire et juger que la société Carrefour Hypermarchés a commis des actes de contrefaçon des marques de la famille X A de la société Puma SE et notamment les marques PUMA n°426 712, n°439 162 et n°12697066,

En tout état de cause,

- dire et juger que la société Carrefour Hypermarchés a commis des actes distincts de concurrence déloyale à l'égard des sociétés Puma,

En conséquence,

A titre principal,

- ordonner à la société Carrefour Hypermarchés la cessation de l'atteinte portée à la renommée des marques PUMA sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction à compter de la signification de la décision à intervenir,

- ordonner à la société Carrefour Hypermarchés la communication des documents suivants certifiés sincères et conformes par un expert comptable ou un commissaire aux comptes pour la période débutant le 1er janvier 2015 jusqu'au jour de l'exécution de la décision à intervenir :

- les factures et relevés de vente à tout acheteur des produits revêtus de l'élément Form Strip PUMA et les comptes clients, pour les années 2015, 2016 et 2017,

- les factures et relevés d'achat desdits produits, les bons de commandes, les bons de livraison et les comptes fournisseurs, pour les années 2015, 2016 et 2017,

- l'état des stocks au 5 juillet 2017, au 1er septembre 2017 et au jour de l'assignation,

- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à chacune des sociétés Puma une provision de 400.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice matériel résultant de l'atteinte à la renommée des marques de l'Union européenne n°12697066 et internationales n°426 712 et n°439 162 dont la société PUMA SE est titulaire, augmentée des intérêts au taux légal du jour de l'assignation au jour du paiement, à titre de dommages et intérêts complémentaires, subsidiairement à compter du jour de la décision à intervenir,

- réserver aux sociétés Puma le droit de parfaire leurs demandes en réparation après communication des documents comptables requis,

- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à chaque société Puma la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral résultant de l'atteinte à la renommée de ses marques,

- ordonner la publication aux frais de la société Carrefour Hypermarchés sur son site internet https://www. carrefour.fr pendant une durée de trois mois de la décision à intervenir sous astreinte de 500 euros par jour de retard 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

A titre subsidiaire,

- ordonner à la société Carrefour Hypermarchés la cessation des actes de contrefaçon sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction à compter de la signification de la décision à intervenir,

- ordonner à la société Carrefour Hypermarchés la cessation des actes distincts de concurrence déloyale sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction à compter de la signification de la décision à intervenir,

- ordonner à la société Carrefour Hypermarchés la communication des documents suivants certifiés sincères et conformes par un expert comptable ou un commissaire aux comptes pour la période débutant le 1er janvier 2015 jusqu'au jour de l'exécution de la décision à intervenir :

- les factures et relevés de vente à tout acheteur des produits revêtus de l'élément

X A Z et les comptes clients, pour les années 2015, 2016 et 2017,

- les factures et relevés d'achat desdits produits, les bons de commandes, les bons de livraison et les comptes fournisseurs, pour les années 2015, 2016 et 2017,

- l'état des stocks au 5 juillet 2017, au 1er septembre 2017 et au jour de l'assignation,

- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à chacune des sociétés Puma une provision de 400.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice matériel résultant de la contrefaçon des marques n° 12697066, n° 426 712 et n° 439 162 augmentée des intérêts au taux légal du jour de l'assignation au jour du paiement, à titre de dommages et intérêts complémentaires, subsidiairement à compter du jour de la décision à intervenir,

- réserver aux sociétés Puma le droit de parfaire leur demande en réparation après la communication des documents comptables requis,

- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à chacune des sociétés Puma la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral résultant de la contrefaçon,

- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir aux frais de la société Carrefour Hypermarchés pendant une durée d'un mois sur la page d'accueil de son site internet http://www. carrefour. fr sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui commencera à courir 15 jours après la signification de la décision à intervenir,

- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à chacune des sociétés Puma la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice résultant des actes distincts de concurrence déloyale,

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser à chacune des sociétés Puma la provision de 400.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel résultant des actes déloyaux, augmentée des intérêts au taux légal du jour de l'assignation au jour du paiement, à titre de dommages et intérêts complémentaires, subsidiairement à compter du jour de la décision à intervenir,

- réserver aux sociétés Puma le droit de parfaire leurs demandes en réparation après communication des documents comptables requis,

- condamner la société Carrefour Hypermarchés à verser aux sociétés Puma la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral résultant des actes déloyaux,

- ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir aux frais de la société Carrefour Hypermarchés pendant une durée d'un mois sur la page d'accueil de son site internet http://www. carrefour. fr sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui commencera à courir 15 jours après la signification de la décision à intervenir,

En tout état de cause,

- condamner la société Carrefour Hypermarchés à payer aux sociétés Puma la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel y compris aux frais de la procédure de saisie contrefaçon, dont les frais d'huissier et d'expert en informatique,

Sur l'appel incident de la société Carrefour Hypermarchés,

- la débouter et la condamner aux entiers dépens y compris à payer à chacune des sociétés Puma une indemnité de procédure de 50.000 euros.

Vu les dernières conclusions de la société Carrefour Hypermarchés (SAS), ci après la société Carrefour, intimée, remises au greffe et notifiées par la voie électronique le 13 avril 2021, qui demande à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf, y ajoutant, sur les opérations de saisie contrefaçon :

- annuler les opérations de saisie contrefaçon, le procès verbal de saisie contrefaçon des 1er et 4 septembre 2017 et le procès verbal de saisie contrefaçon complémentaire,

- A titre subsidiaire, écarter des débats le procès verbal de saisie contrefaçon des 1er et 4 septembre 2017 et le procès verbal de saisie contrefaçon complémentaire ainsi que les chaussures saisies,

En tout état de cause,

- débouter les sociétés Puma de l'ensemble de leurs demandes,

- les condamner solidairement à verser, chacune, à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre de la procédure d'appel et aux entiers dépens.

Vu l'ordonnance de clôture du 17 juin 2021.

Motifs

SUR CE, LA COUR :

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, à la décision entreprise et aux écritures, précédemment visées, des parties.

Il suffit de rappeler que la société Puma SE, venant aux droits de la société de droit allemand Puma AG créée en 1948, est spécialisée dans la conception, la confection et la commercialisation d'articles de sport et de sportswear et indique occuper, sur ce marché, le troisième rang mondial.

Elle est titulaire des marques figuratives suivantes, constituées d'une bande courbe dont la base évasée se prolonge en se rétrécissant, qu'elle désigne comme appartenant à une même famille de marques dite X A, destinées à distinguer, en classe 25, les vêtements et les chaussures et dotées, selon elle, d'une renommée internationale :

Marque internationale n°426 712, enregistrée le 19 novembre 1976, dûment renouvelée Marque internationale n°439 162, enregistrée le 11 juillet 1978, dûment renouvelée

Marque de l'Union européenne n° 12 697 066, enregistrée le 12 mars 2014, dûment renouvelée

La société Puma France, distributeur en France des produits 'PUMA' bénéficie d'une licence d'exploitation sur la marque n° 426 712 sus visée.

Les sociétés Puma, exposant avoir découvert en juillet 2017 la commercialisation par la société Carrefour, qui exploite en France les magasins à l'enseigne Carrefour, d'une chaussure de tennis reproduisant, sur sa partie latérale, un élément figuratif constituant, selon elles, l'imitation des trois marques figuratives précitées, ont obtenu par ordonnance présidentielle du 25 août 2017 l'autorisation de faire pratiquer une saisie contrefaçon. Les opérations se sont déroulées les 1er et 4 septembre 2017 dans les locaux du magasin

Carrefour de Massy (91).

Puis, suivant acte d'huissier de justice du 20 septembre 2017, les sociétés Puma ont fait assigner la société Carrefour devant le tribunal de grande instance de Paris, lui faisant grief d'avoir porté atteinte à la renommée de ses marques, d'avoir commis des actes de contrefaçon de ces mêmes marques outre des actes distincts de concurrence déloyale. La société Carrefour a soulevé la nullité des opérations de saisie contrefaçon des 1er et 4 septembre 2017, avec pour conséquence que la preuve matérielle des actes incriminés ne serait pas rapportée, et a contesté en toute hypothèse les demandes comme mal fondées.

Le tribunal, selon le jugement dont appel, a débouté les sociétés Puma de leurs prétentions, a retenu leur responsabilité délictuelle pour avoir présenté de manière déloyale leur requête en saisie contrefaçon et introduit ensuite une action en contrefaçon dans des conditions se révélant abusives au préjudice de la société Carrefour et les a condamnées de ce chef à payer à cette dernière la somme de 50.000 euros de dommages intérêts.

Le débat devant la cour se présente dans les mêmes termes qu'en première instance, chaque partie réitérant ses demandes telles que soutenues devant le tribunal.

Sur les opérations de saisie contrefaçon,

La société Carrefour maintient sa demande en nullité des opérations de saisie- contrefaçon, faisant valoir que c'est au moyen de procédés déloyaux que les sociétés Puma ont obtenu du juge des requêtes l'autorisation de faire pratiquer une saisie contrefaçon dans l'un de ses magasins. Elle soutient que le tribunal, contrairement à ce qu'il a retenu, était compétent pour annuler les procès verbaux de saisie contrefaçon pour des motifs tirés des conditions dans lesquelles l'ordonnance ayant autorisé la saisie contrefaçon a été délivrée. Subsidiairement, elle demande à voir écarter des débats les procès verbaux de saisie contrefaçon ainsi qu'il a été fait par le tribunal . Les sociétés Puma contestent pour leur part avoir fait preuve de déloyauté dans la présentation de leur requête en saisie contrefaçon et s'opposent tant à voir annuler qu'à voir écarter des débats les procès verbaux de saisie contrefaçon. Elles soutiennent que la matérialité des actes illicites est en toute hypothèse établie, notamment avec des factures d'achat de la chaussure litigieuse du 5 juillet 2017.

Selon les motifs du jugement entrepris, les contestations portant sur la requête et sur l'ordonnance de saisie contrefaçon relèvent exclusivement, par application des dispositions des articles 496 et 497 du code de procédure civile, de la procédure de référé rétractation laquelle est exercée devant le juge ayant rendu l'ordonnance autorisant la mesure, même si le tribunal est saisi de l'affaire au fond. Cependant ces dispositions ne s'opposent pas, ajoutent les premiers juges, à ce que le tribunal saisi de l'affaire au fond puisse écarter un procès verbal de saisie contrefaçon pour des motifs tirés des conditions de délivrance de l'ordonnance ayant autorisé la saisie contrefaçon.

Or, si en vertu des dispositions des articles 496 et 497 du code de procédure civile gouvernant la matière gracieuse, les contestations formées à l'encontre des requêtes et des ordonnances y faisant droit relèvent exclusivement du recours en rétractation, en conséquence de quoi, les demandes en nullité de ces requêtes et ordonnances ne peuvent qu'être déclarées irrecevables lorsqu'elles sont présentées devant le juge du fond, ces dispositions ne font pas obstacle, en revanche, à ce que le juge du fond, appréciant la régularité des éléments de preuve qui lui sont soumis, puisse annuler un procès verbal de saisie contrefaçon pour des motifs tirés des conditions de délivrance de l'ordonnance sur requête ayant autorisé la saisie contrefaçon.

En l'espèce, il est établi que les sociétés Puma se sont abstenues, lors de la présentation au juge, le 25 août 2017, de leur requête en saisie contrefaçon, de faire connaître d'une part, que la société Carrefour SA, société holding du groupe Carrefour, est titulaire des marques française n°4 210 863 et de l'Union européenne n°14 572 697, déposées le 18 septembre 2015 en classe 25 pour désigner des 'vêtements, chaussures et chapellerie' et portant sur le signe figuratif incriminé dans le présent litige, d'autre part, qu'elles se sont opposées à l'enregistrement de ces marques auprès, respectivement, de l'INPI et de l'EUIPO, sur la base des marques n°4 39 162 et n°12 697 066 invoquées dans le présent litige, enfin, qu'elles ont succombé à ces procédures d'opposition, deux arrêts de la cour d'appel de Paris du 21 avril 2017 ayant rejeté leurs recours formés à l'encontre des décisions du directeur général de l'INPI rejetant les oppositions à l'enregistrement de la marque française n°4 210 863 et une décision de la division d'opposition du 26 avril 2017 ayant rejeté l'opposition à l'enregistrement de la marque de l'Union européenne n°14 572 697.

Il est exact que la décision rendue par l'instance administrative statuant en matière d'opposition à l'enregistrement d'une marque ne lie pas le juge saisi d'une demande en contrefaçon qui pourra prendre au fond une position différente de celle retenue sur l'opposition et il est encore exact que, concernant l'opposition à l'enregistrement de la marque de l'Union européenne n°14 572 697, aucune décision définitive n'était rendue au jour de la requête, un recours ayant été formé contre la décision de la division d'opposition du 26 avril 2017 devant la chambre de recours de l'EUIPO qui a, au demeurant, par une décision du 14 mai 201, confirmé le rejet de l'opposition.

C'est cependant en vain que les sociétés Puma prétendent que la mention, au soutien de la requête en saisie contrefaçon, des procédures d'opposition précédemment évoquées, aurait été sans conséquence quant à la décision du juge qui, dans l'attente qu'il soit définitivement statué sur les oppositions, se devait de permettre aux requérantes de se constituer la preuve d'atteintes à leurs droits.

Les premiers juges ont à cet égard pertinemment rappelé que les éléments de preuve destinés à être produits dans une procédure judiciaire doivent être recueillis dans des conditions exemptes de déloyauté ce qui conduit à exiger de la partie qui sollicite auprès du juge des requêtes, dans le cadre d'une procédure non contradictoire, l'autorisation de faire pratiquer une saisie contrefaçon, mesure coercitive exorbitante du droit commun, de présenter au soutien de sa requête l'ensemble des faits objectifs de nature à permettre au juge d'exercer pleinement son pouvoir d'appréciation des circonstances de la cause.

En l'espèce, le juge des requêtes a été privé par les requérantes d'informations, dont elles disposaient, sur des procédures d'opposition à enregistrement de marque mettant en cause les mêmes signes que ceux faisant l'objet du litige en contrefaçon, au terme desquelles il a été décidé, par les instances administratives compétentes, que le signe qu'elles contestaient ne constitue pas l'imitation des marques opposées et ne crée pas, avec ces marques, un risque de confusion.

Il est dès lors patent que le juge des requêtes n'a pas été mis en situation d'appréhender complètement les enjeux du procès en vue duquel lui était demandée l'autorisation de faire procéder à une saisie contrefaçon ni de porter une appréciation éclairée sur l'intérêt légitime des requérantes à recourir à une telle mesure.

Ainsi, et sans qu'il y ait lieu de préjuger de la décision qu'il aurait rendue s'il avait été en possession des informations qui lui ont été dissimulées, force est de constater que les conditions dans lesquelles le juge des requêtes a délivré l'ordonnance autorisant la saisie contrefaçon ont été affectées d'un manquement au devoir de loyauté qui préside à l'administration de la preuve en justice et s'impose aux parties au procès.

Sauf à se contredire, les sociétés Puma sont mal fondées à soutenir que le signe figuratif des marques contestées de la société Carrefour serait distinct de celui apposé sur la chaussure de tennis litigieuse et, dans le même temps, à exciper du fait qu'au jour de la requête en saisie contrefaçon aucune décision définitive n'avait été rendue sur la validité de l'enregistrement de la marque européenne n°14 572 697 de la société Carrefour de sorte qu'elles devaient pouvoir 'se constituer la preuve d'éventuels actes de contrefaçon en l'attente d'une décision définitive'.

Il découle des développements qui précèdent que la société Carrefour est fondée à voir annuler et non pas seulement écarter des débats ainsi qu'il a été retenu par le tribunal, les procès verbaux, ainsi que le procès verbal complémentaire, de saisie contrefaçon, des 1er et 4 septembre 2017. Il sera ajouté au jugement sur ce point ainsi qu'il est demandé par la société Carrefour.

Le tribunal a toutefois relevé dans les pièces de la procédure d'autres éléments de preuve justifiant de la matérialité des faits argués de contrefaçon. Ces motifs du jugement ne sont pas contestés par la société Carrefour qui, par application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, est réputée y acquiescer dès lors qu'elle poursuit la confirmation du jugement.

Sur l'atteinte aux marques des sociétés Puma

Les sociétés Puma font grief au jugement déféré d'avoir retenu l'absence de toute similitude et partant, de tout risque de confusion, entre le signe reproduit sur le côté latéral extérieur de la chaussure de tennis commercialisée par la société Carrefour et les marques de la famille X A et d'avoir en conséquence exclu la contrefaçon mais également l'atteinte à la renommée de leurs marques.

Elles décrivent les trois marques opposées comme constituées d'une courbe ascendante oblique de bas en haut, évasée à la base de la courbe et remontant vers l'arrière du talon. Elles ajoutent que ces marques sont apposées sur la face latérale des chaussures 'PUMA', la base se situant au niveau de la moitié avant de la tige et la partie oblique rétrécie positionnée jusqu'au haut du talon de la tige de la chaussure.

Invoquant la jurisprudence de la CJUE qui retient dans l'arrêt Bainbridge (13 septembre 2007 aff. C234/06) que 'dans l'hypothèse où l'opposition est fondée sur l'existence de plusieurs marques qui présentent des caractéristiques communes permettant de les considérer comme faisant partie d'une même famille ou série, il convient , afin d'apprécier l'existence d'un risque de confusion, de tenir compte du fait que, en présence d'une famille ou série de marques, un tel risque résulte du fait que le consommateur peut se méprendre sur la provenance ou l'origine des produits ou des services couverts par la marque dont l'enregistrement est demandé et estimer, à tort, que celle ci fait partie de cette famille ou série', les sociétés Puma soutiennent que la contrefaçon est constituée dès lors que le signe contesté est de nature à évoquer dans l'esprit du consommateur les marques de la famille X A.

Elles rappellent, en outre, que la société Carrefour a reconnu dans un protocole d'accord de 2011 la notoriété des marques X A et soutiennent que la notoriété de ces marques, associée au fait qu'elles appartiennent à une même famille de marques, conduiront le consommateur à associer le signe contesté, quand bien même il ne serait pas parfaitement similaire, à cette famille de marques.

Ceci posé, le tribunal a exactement relevé, dans le cadre de l'appréciation globale du risque de confusion, que les produits concernés sont identiques, les marques opposées par les sociétés Puma ayant été déposées pour désigner en classe 25 des chaussures et chaussures de sport et le signe litigieux ayant été utilisé par la société Carrefour pour la commercialisation d'une chaussure de tennis.

Sur la comparaison des signes, le tribunal a encore exactement constaté que le signe exploité par la société Carrefour est constitué d'une bande principale, qui part de la base de la chaussure puis se courbe pour former un coude et tracer ensuite une ligne, plutôt horizontale, en direction de l'arrière de la chaussure où elle se courbe à nouveau, légèrement, pour descendre sur le talon, et d'une bande transversale, qui coupe la bande principale en son milieu. Les deux bandes sont de même largeur et, ainsi qu'il a été justement observé par le tribunal, la bande principale conserve sa largeur de bout en bout.

Un tel signe présente, au regard des marques opposées qui, selon les sociétés Puma, ont pour caractéristiques communes de 'former une courbe ascendante oblique de bas en haut, évasée à la base de la courbe et remontant vers l'arrière du talon', des différences immédiatement perceptibles. La bande en forme de courbe constituant les marques opposées est en effet dotée d'une base très large qui se rétrécit rapidement et nettement en s'étirant vers le haut . Les largeurs sont différentes aux extrémités de la bande qui est évasée sur sa base et finit en pointe effilée. Au regard de la marque internationale opposée n°426 712, le signe contesté se distingue encore davantage. En effet, ainsi qu'il a été constaté par le tribunal, cette marque présente à l'intérieur de la bande des lignes pointillées, telles des surpiqûres, qui suivent le même tracé que la bande qui les renferme, donnant ainsi l'impression que cette bande est elle même composée de trois bandes parallèles.

Les différences flagrantes ainsi relevées entre les signes, qui produisent des impressions d'ensemble radicalement distinctes, sont exclusives de tout risque de confusion, en ce compris le risque d'association, pour le consommateur d'attention moyenne, normalement avisé et informé de la catégorie de produits concernés qui ne pourra se méprendre sur la provenance ou l'origine des produits commercialisés sous le signe contesté en estimant à tort que ce signe appartiendrait à la famille des marques X A. Si la notoriété, invoquée, de ces marques, est susceptible de renforcer leur caractère distinctif et d'aggraver le risque de confusion entre les signes, faut il encore qu'un tel risque soit établi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce compte tenu de l'absence de similitude entre ces signes, qui se distinguent d'emblée l'un de l'autre et que le consommateur ne sera pas enclin à associer dans une évocation commune.

Le jugement déféré est en conséquence confirmé en ce qu'il a, par de justes motifs, que la cour fait siens, débouté les sociétés Puma de leurs demandes formées au fondement de l'atteinte à leurs droits sur les marques X A.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire,

Les sociétés Puma font grief à la société Carrefour d'avoir commis des actes fautifs de concurrence déloyale et parasitaire en exploitant, pour des produits qui font leur notoriété, à savoir les chaussures de sport, un signe qui constitue l'imitation de l'élément figuratif des marques X A et, à leur instar, en apposant ce signe, sur la face latérale de la chaussure. Elles ajoutent que la société Carrefour ternit leur réputation et leur cause à ce titre un préjudice en pratiquant, pour des copies de moindre qualité, des prix plus bas.

Force est toutefois de constater que les sociétés Puma invoquent essentiellement au soutien de l'action en concurrence déloyale et parasitaire l'imitation par la société Carrefour des marques figuratives X A opposées dans le cadre de l'action en contrefaçon.

Or, il ressort des développements qui précèdent que le signe utilisé par la société Carrefour pour sa chaussure de tennis ne constitue pas l'imitation des marques des sociétés Puma et ne génère dans l'esprit du consommateur moyen de la catégorie de produits concernés aucun risque de confusion.

Il en résulte, dès lors que le risque de confusion n'est pas caractérisé, que les sociétés Puma ne sont pas fondées à l'imputer à faute à la société Carrefour et que l'action en concurrence déloyale, qui requiert de celui qui l'intente de rapporter la preuve de l'existence d'un risque de confusion attentatoire à un exercice paisible de la liberté du commerce, ne saurait prospérer.

Les sociétés Puma observent en outre que le signe incriminé est apposé, comme le sont les marques X A, sur la face latérale de la chaussure. Elles ne sauraient toutefois prétendre s'arroger un monopole sur l'apposition d'un élément figuratif sur la face latérale d'une chaussure de sport et se gardent de démontrer que la société Carrefour aurait apposé le signe litigieux à cet endroit précis de sa chaussure pour imiter les sociétés Puma et créer un risque de confusion avec leurs produits et / ou tirer profit indûment de la réputation de leurs produits.

Il découle de ce qui précède que les sociétés Puma ne sont pas fondées à invoquer un préjudice de réputation ou d'image à raison de la vente par la société Carrefour de produits de moindre qualité à des prix plus bas dès lors qu'il n'est pas établi que la chaussure de tennis de la société Carrefour constitue la copie ou l'imitation des chaussures de sport des sociétés Puma et que le consommateur moyen de cette catégorie de produits effectuera un quelconque lien d'association entre les produits provenant respectivement des parties en présence.

Le jugement entrepris est en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté les sociétés Puma de leurs demandes formées au fondement de la concurrence déloyale et parasitaire.

Sur la demande reconventionnelle de la société Carrefour pour procédure abusive,

Les sociétés Puma demandent l'infirmation du jugement déféré qui a retenu leur responsabilité délictuelle pour avoir présenté leur requête en saisie contrefaçon de manière déloyale et introduit ensuite une action en contrefaçon dont elles pouvaient raisonnablement penser qu'elle était vouée à l'échec, n'ignorant pas que le risque de confusion entre les signes en cause avait été écarté dans le cadre des procédures administratives, tant nationale qu'européenne, d'opposition à enregistrement de marque.

La société Carrefour demande la confirmation du jugement et fait valoir, ainsi qu'il a été retenu par le tribunal, qu'elle a subi un préjudice à raison de cette procédure abusive qui l'a contrainte, 'pour se défendre, à faire le tri dans les marques opposées initialement dans l'assignation, mais également dans le nombre non négligeable ( près de 130) de décisions étrangères versées en pièce n°44, dont aucune n'était traduite (..) ni même commentée et dont certaines ne concernaient pas les marques invoquées, révélant une indéniable volonté d'intimider et de noyer la défenderesse'.

Force est toutefois de rappeler que les procédures d'opposition à enregistrement de marque et de contrefaçon de marque n'ont pas le même objet et que les décisions des instances administratives compétentes pour statuer sur les oppositions à l'enregistrement de marque ne lient pas la juridiction judiciaire qui connaît des actions en contrefaçon de marque.

Dès lors, les sociétés Puma n'ont pas fait preuve d'une légèreté blâmable équipollente au dol, caractérisant un abus du droit d'ester en justice, en saisissant le juge judiciaire, dont l'appréciation peut être différente de celle des instances administratives, d'une action en contrefaçon jointe, en l'espèce, à une action en concurrence déloyale et parasitaire.

Il demeure que les sociétés Puma ont fait preuve de déloyauté dans la présentation faite au juge des requêtes de leur demande aux fins de se voir autorisées à diligenter une saisie contrefaçon justifiant, ainsi qu'il a été précédemment retenu, l'annulation du procès verbal de saisie contrefaçon mais caractérisant en outre, une faute au sens des dispositions de l'article 1240 du code civil qui engage leur responsabilité délictuelle et ouvre droit, pour la société Carrefour, à la réparation du préjudice certain qu'elle a eu à subir à raison de la saisie contrefaçon opérée les 1er et 4 septembre 2017 dans l'un de ses magasins.

Ce préjudice doit être raisonnablement estimé, en considération de l'ensemble des circonstances de la cause, à la somme de 10.000 euros. Le jugement entrepris est en conséquence infirmé en ce qu'il a fixé le montant des dommages intérêts à la somme de 50.000 euros qui est excessive au regard du préjudice en lien causal avec la faute retenue.

Sur les autres demandes,

L'équité commande de condamner les sociétés Puma, in solidum, à payer à la société Carrefour une indemnité complémentaire de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et de débouter les sociétés Puma de leur demande formée à ce même titre.

Succombant à l'appel, les sociétés Puma en supporteront les dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dispositif

PAR CES MOTIFS :

Infirme le jugement déféré en ce qu'il :

- dit que les sociétés Puma SE et Puma France SAS ont engagé leur responsabilité en présentant de manière déloyale leur requête en saisie contrefaçon et en introduisant ensuite une action en contrefaçon dans des conditions se révélant abusives au préjudice de la société Carrefour Hypermarchés,

- condamne in solidum les sociétés Puma SE et Puma France SAS à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 50000 (cinquante mille) euros en réparation du préjudice subi,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que les sociétés Puma SE et Puma France SAS ont engagé leur responsabilité en présentant de manière déloyale leur requête en saisie contrefaçon,

Condamne in solidum les sociétés Puma SE et Puma France SAS à verser à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 10.000 euros (dix mille euros) en réparation du préjudice subi,

Confirmant pour le surplus et ajoutant,

Annule les procès verbaux, ainsi que le procès verbal complémentaire, de saisie contrefaçon, des 1er et 4 septembre 2017,

Condamne les sociétés Puma SE et Puma France SAS , in solidum, à payer à la société Carrefour Hypermarchés une indemnité complémentaire de 30.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et les déboute de leur demande formée à ce même titre,

Condamne les sociétés Puma SE et Puma France SAS aux dépens de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.