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Décisions

CA Montpellier, 3eme ch. corr., 5 juin 2014, n° 13/01414

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Madame DE TALANCE

Conseillers :

Madame CHAPON , Madame BRESDIN

Tribunal de grande instance de Narbonne,…

6 juin 2013

A l'appel de la cause à l'audience publique du 03 AVRIL 2014, Madame la Présidente a donné lecture de l'identité des prévenus et constaté leur absence.
Madame CHAPON, Conseillère, a fait le rapport prescrit par l'article 513 du code de procédure pénale.
La partie civile assistée de Maître BONIFASSI est présente.

Maître BONIFASSI pour la partie civile est entendu en sa plaidoirie. Il dépose des conclusions, lesquelles ont été visées par la présidente et la greffière, mentionnées par cette dernière aux notes d'audience et jointes au dossier
Maître PECH DE LACLAUSE pour les prévenus est entendu en sa plaidoirie. Il dépose des conclusions, lesquelles ont été visées par la présidente et la greffière, mentionnées par cette dernière aux notes d'audience et jointes au dossier
Puis l'affaire a été mise en délibéré pour l'arrêt être rendu à l'audience du CINQ JUIN DEUX MILLE QUATORZE, les parties dûment avisées de la date de cette remise par Madame la Présidente à l'audience, conformément aux dispositions de l'article 462 alinéa 2 du code de procédure pénale.

A cette date, l'audience publique ouverte, la cause appelée ;
LA COUR,
Après en avoir délibéré, conformément à la loi, et composée des magistrats devant lesquels l'affaire a été plaidée, a statué en ces termes :


RAPPEL DES FAITS
Le 12-10-212, Jean-Louis E...a fait citer directement devant le tribunal correctionnel de Narbonne :
? Stephan X..., directeur de la Mutuelle, ? Caroline Y...épouse Z..., directrice adjointe et assistante juridique de la Mutuelle, ? Jacques A..., président de la Mutuelle, ? La Mutuelle Société Mutualiste Le Travail.

Il était reproché aux prévenus, sur le fondement des articles 8 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 226-15, 226-31 et 311-1 du code pénal, d'avoir violé le secret des correspondances reçues ou émises par lui sur les boites courriel, à l'adresse, ...et ... et d'en avoir volé le contenu informationnel, par ouverture, prise de connaissance, utilisation, divulgation ou détournement et ce du 20-09-2010 au 02-02-2011.
Jean-Louis E...sollicitait leur condamnation sur l'action publique et, sur l'action civile, sollicitait la somme de 1 ¿, à titre de dommages et intérêts et 10 000 ¿ au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Les prévenus soutenaient, sans nier la matérialité des faits, qu'il s'agissait de boites courriels professionnelles, Jean-Louis E...ayant été administrateur de la Mutuelle et non salarié, ajoutant qu'il avait démissionné de la Mutuelle, à la date de la consultation des courriels ; que ces boites courriels jouissaient, à défaut de preuve de leur caractère privé d'une présomption de professionnalité ; qu'après, son départ, elles ont continué à recevoir des messages en lien avec l'activité de la Mutuelle.
Le tribunal a retenu, pour relaxer l'ensemble des prévenus, que, certes, la matérialité des faits était reconnue, à savoir l'ouverture et la consultation de courriels dont certains ont été utilisés dans une procédure de licenciement de l'épouse de la partie civile, mais qu'à défaut de preuve de leur affectation à des correspondances privées, la Mutuelle était autorisée à les consulter et ce d'autant plus que Jean-Louis E...avait quitté la Mutuelle ; que, concrètement, au vu du constat d'huissier produit aux débats par les prévenus, le seul dossier ouvert, intitulé " SMT ", ne contenait que des correspondances, en lien exclusif avec l'activité de la Mutuelle, alors qu'il n'était pas établi que des sous-dossiers, identifiés comme privés ou personnels, aient été ouverts et consultés.

PRÉTENTIONS DES PARTIES
Jean-Louis E..., aux termes des écritures déposées par son conseil, conclut à l'infirmation du jugement et à la condamnation de Stephan X..., Caroline Y...épouse Z...et Jacques A...sur l'action publique, réclamant, en outre, le prononcé de peines complémentaires. Il ne maintient sa procédure que contre les personnes physiques, en raison de la fusion absorption de la SMT par la Mutuelles Harmonie Mutuelle, la SMT ayant perdu sa personnalité juridique.
Sur l'action civile, il conclut à la condamnation solidaire des prévenus, à lui payer la somme de 1 ¿ à titre de dommages et intérêts outre 15 000 ¿ en application de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Il conclut au débouté de Stephan X..., Caroline Y...épouse Z...et Jacques A..., s'agissant de leurs demandes reconventionnelles.
Il expose qu'il était, depuis 1990, administrateur et président de la Mutuelle Générale des Services Publics (MGSP) sous le statut de fonctionnaire, puis qu'à la suite de la fusion le 30-12-2008 de la MGSP avec la SMT, il a été élu administrateur bénévole de la nouvelle entité et vice-président ; qu'il n'a donc jamais été salarié mais dirigeant bénévole ; que ses boites électroniques n'ont pas disparu mais ont été hébergées sur le serveur de la SMT ; qu'il a continué à les utiliser ; qu'il a démissionné de ses fonctions, le 24-04-2010 en raison de son désaccord sur certaines pratiques ; que, dans le cadre d'une procédure de licenciement de trois salariées, il a appris que sa boite mail avait été ouverte et consultée ; que le constat de l'huissier de justice, dûment autorisé, établit que sa messagerie a été ouverte et consultée.
Il soutient, d'une part, que le tribunal ne pouvait appliquer le raisonnement qui concerne les relations employeur/ salarié à un administrateur, celui-ci n'étant pas inscrit dans un lien de subordination, statut qui eut pu, sous certaines conditions, autoriser la consultation dans le cadre du pouvoir disciplinaire, d'autre part, que les correspondances sont protégées par la CEDH ainsi que par les articles visés à la prévention ; que les prévenus ont, de mauvaise foi, ouvert et pris connaissance des correspondances et les ont utilisées, divulguées, détournées ; enfin que les deux boites électroniques visées lui appartenaient, étant observé qu'après la fusion absorption de 2008, il en a gardé la propriété et que la surveillance de sa messagerie n'avait aucune justification.

Stephan X..., Caroline Y...épouse Z..., Jacques A...et la Mutuelle Harmonie Mutuelle venant aux droits de la Mutuelle Société Mutuelle Le Travail, aux termes des écritures déposées par leur conseil, concluent au rejet de la constitution de partie civile de Jean-Louis E..., en raison de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement ayant prononcé leur relaxe et à sa condamnation au paiement d'une amende civile ainsi que de la somme de 6. 250, à chacun, au titre de leur préjudice matériel et moral, sur le fondement des articles 392-1 et 472 du code de procédure pénale et 1382 du code civil.
Ils soutiennent que, suite à la fusion absorption intervenue le 30-12-2008, les messageries professionnelles sont devenues la propriété de la SMT, désormais propriétaire des actifs immobiliers et mobiliers de la MGSP (dont le nom de domaine, le site internet et les messageries électroniques finissant par @ mgsp. fr) ; qu'à la suite de sa démission, le 24-04-2010, Jean-Louis E...ne devait plus les utiliser ce qui lui était rappelé le 18-05-2010 ; qu'il continuait néanmoins à utiliser les adresses mail stockées sur le serveur de SMT ; que, s'agissant de courriels reçus et adressés à partir d'un ordinateur professionnel, mis à disposition du « salarié » pour les besoins de son travail, la présomption de « professionnalité » s'applique ; que l'entreprise doit pouvoir continuer, après le départ de son " salarié " ou de toute autre personne ayant une activité en son sein, à traiter les dossiers qui lui ont été confiés ; que les courriels ayant fait l'objet du constat d'huissier n'ont pas été identifiés comme personnels.



SUR CE

Sur la recevabilité des appels
L'appel de la partie civile, Jean-Louis E...et les appels des prévenus, interjetés dans les formes et les délais de la loi, sont recevables.
Sur l'action civile
En l'état de la relaxe prononcée en première instance et de l'absence d'appel du ministère public, la décision pénale a acquis force de chose jugée de telle sorte que les demandes aux fins de condamnation pénale présentées par la partie civile appelante sont irrecevables, en vertu de l'autorité de la chose jugée sur l'action publique, le ministère public n'ayant pas interjeté appel.
En revanche, il appartient à la cour d'appel de rechercher si les faits qui lui sont déférés présentent les éléments constitutifs d'une infraction pénale, engageant ainsi la responsabilité civile du ou des mis en cause et de se prononcer, en conséquence, sur la demande de réparation de la partie civile de telle sorte que le moyen soulevé par la défense selon lequel la partie civile serait irrecevable à voir examiner ses demandes civiles est inopérant.
Dans ces conditions, la cour recherchera en quoi le fait pour les prévenus, (à l'exception de la personne morale, issue de la dernière opération de fusion absorption, la Mutuelle Harmonie Mutuelle, venant aux droits de la SMT contre laquelle il n'est, par ailleurs, pas conclu), d'avoir ouvert et pris connaissance des correspondances de Jean-Louis E..., via les boites électroniques restées ouvertes sous les adresses mails suivantes : ...et ... est ou non constitutif des infractions pénales reprochées. Il est constant que Jean-Louis E...était, à compter de l'année 1990, administrateur et président de la Mutuelle Générale des Services Publics (MGSP), puis qu'à la suite de la fusion absorption, le 30-12-2008, de la MGSP avec la SMT, il a été élu administrateur de la nouvelle entité et vice-président. Il n'a donc jamais été salarié mais uniquement dirigeant.

Les messageries professionnelles mises à sa disposition, pour les besoins de son activité, sont néanmoins restées actives, hébergées à compter de la fusion par le serveur de la SMT. En effet, malgré sa démission, le 24-04-2010, Jean-Louis E...a continué à utiliser ses messageries. Il s'est vu mettre en demeure le 18-05-2010 de ne plus utiliser les bases de données, fichiers, de la SMT. Il est tout aussi constant et les mis en cause ne le nient pas, que les messageries ont été ouvertes et consultées.
La question qui se pose est de savoir si la jurisprudence établie dans les relations employeur/ salarié selon laquelle tous les courriels adressés et reçus par le salarié, à l'aide de l'outil informatique, mis à sa disposition par l'employeur, pour les besoins de son travail, sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels, est applicable dans l'hypothèse où la messagerie ouverte et consultée par la direction est celle d'un administrateur, celui-ci étant considéré comme un dirigeant.
Le tribunal a retenu, à bon droit, que Jean-Louis E...s'était vu mettre à disposition deux boites courriels, destinées à l'exercice de ses fonctions et activités au sein de la Mutuelle MGSP puis SMT et que ces messageries et leur contenu jouissaient d'une présomption de « professionnalité ». La cour ajoute qu'aux termes de ses conclusions d'appel, Jean-Louis E...se fonde uniquement sur son ancienne qualité d'administrateur pour voir qualifier de délictueuse l'ouverture des boites et la prise de connaissance des contenus, sans s'attacher à la question du caractère personnel ou privé des correspondances qui exclurait toute consultation. La présomption de caractère professionnel affectant tout courrier entrant ou sortant d'un ordinateur mis à disposition pour les besoins du travail, est une présomption simple qui peut être renversée.
Or, en l'espèce, l'appelant ne démontre pas, comme le retient à bon droit le tribunal, que des dossiers identifiés comme personnels ou privés ont été ouverts.
La lecture des pièces établit que les courriels ouverts sont en lien avec l'activité professionnelle de l'intéressé (notes, comptes-rendus etc). Le moyen de fond énoncé par Jean-Louis E...tenant à sa qualité d'administrateur qui le ferait échapper à tout contrôle de sa messagerie n'est pas opérant. Dans la réalité, un outil de travail, à savoir un ordinateur et une boite de messagerie est nécessairement mis à la disposition de l'administrateur pour l'exercice de ses fonctions.
En cela rien ne distingue l'administrateur du salarié. Même s'il n'est pas inscrit dans un lien de subordination, il n'existe au sein de l'entité qu'à travers ses activités professionnelles.
Aucune disposition légale ou conventionnelle et en l'espèce, il n'a pas été produit un règlement intérieur qui poserait des règles particulières pour la consultation des messageries des dirigeants, ne vient dire que, quel que soit la nature du courriel, (privé, personnel et même en rapport avec l'activité de la Mutuelle, ils ne pourraient être consultés dès lorsqu'ils sont émis ou reçus par un administrateur. En l'espèce, il y a lieu de rappeler que les boites ont été ouvertes, après démission et mise en demeure de cesser de les utiliser.
Dans ces conditions, les faits reprochés ne peuvent être considérés comme constitutifs des infractions reprochées par Jean-Louis E.... Le jugement sera confirmé en ce qu'il a reçu la constitution de partie civile de Jean-Louis E...et a rejeté sa demande de dommages et intérêts. Compte tenu du contexte de mésentente entre les personnes concernées et alors que la part de responsabilité de chacun dans le conflit ne ressort pas des débats, la mauvaise foi de Jean-Louis E...n'est pas établie dans la mise en mouvement de l'action publique. La cour rejettera la demande de dommages et intérêts présentée à titre reconventionnel. En effet, la partie civile était en droit de saisir la justice d'une question tenant au statut de l'administrateur, au regard de faits dont elle pouvait, sans se voir accuser de témérité, s'estimer victime.

Le tribunal a motivé le rejet de la demande de dommages et intérêts des prévenus mais a omis de mentionner ce rejet dans le dispositif. La cour réparera cette omission.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement à l'égard des prévenus et de la partie civile, sur intérêts civils, et après en avoir délibéré conformément à la loi,
EN LA FORME :
Déclare l'appel des prévenus et de la partie civile recevable. AU FOND :
Sur l'action publique
Constate que les dispositions du jugement sur l'action publique sont définitives.
Déclare irrecevables les demandes de la partie civile tendant à voir prononcer des condamnations pénales.
Sur l'action civile

Confirme le jugement en ce qu'il a reçu la constitution de partie civile de Jean-Louis E...et rejeté sa demande de dommages et intérêts. Y ajoutant,
Déboute Stephan X..., Caroline Y...épouse Z..., Jacques A...et la Mutuelle Harmonie Mutuelle de leurs demandes de dommages et intérêts.
Le tout par application des textes visés au jugement et à l'arrêt, des articles 512 et suivants du Code de Procédure Pénale et de l'article 1382 du Code Civil.
Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique les jours, mois et an susdits ; le présent arrêt a été signé par la Présidente et le greffier présents lors de son prononcé.