Cass. com., 3 mars 2021, n° 18-15.207
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à la Selas JFAJ, prise en la personne de Mme R..., et à M. S... de la reprise d'instance en leur qualité, respectivement, d'administrateur et de mandataire judiciaires de la société Technofirst.
Faits et procédure
2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 novembre 2017, n° RG : 15/23654), la société Technofirst, qui conçoit et fabrique, notamment, des casques, gaines de ventilation et sièges antibruit, est titulaire, en copropriété avec le CNRS, du brevet français n° [...], ayant pour objet des « procédé et dispositif personnels d'atténuation acoustique active, siège équipé du dispositif correspondant, et espace à atténuation acoustique active obtenu » et, en copropriété avec la société Aldes aéraulique, d'un brevet européen n° [...], désignant la France, ayant pour objet un « dispositif d'atténuation acoustique active destiné à être disposé à l'intérieur d'un conduit, en particulier pour l'insonorisation de réseau de ventilation et/ou de climatisation ». Elle est également bénéficiaire d'une licence exclusive d'exploitation du brevet européen n° [...], désignant la France, ayant pour objet un « amortisseur de bruit réactif. »
3. Après avoir fait dresser un constat et procéder à une saisie-contrefaçon par huissier de justice dans un salon professionnel, selon autorisations données par des ordonnances d'un président de tribunal de grande instance, la société Technofirst a assigné les sociétés Quietys et Technipôles en contrefaçon des revendications de ces brevets et en concurrence déloyale et parasitisme devant le tribunal de grande instance de Paris. Elle a dénoncé cette assignation aux co-titulaires des brevets.
4. Puis, autorisée par une ordonnance du président de ce tribunal, elle a fait procéder à la saisie réelle des trois produits dont la présence avait été constatée sur le salon, ainsi que de divers documents. La demande en rétractation de cette ordonnance, formée par la société Quietys, a été rejetée, sous réserve, pour l'huissier de justice, de garder les prototypes saisis et de ne pas s'en dessaisir au profit de la société Technofirst ou d'un expert qui serait désigné.
5. Les sociétés Quietys et Technipôles, ainsi que M. R... et Mme K..., intervenus volontairement à l'instance en leur qualité, respectivement, d'administrateur et de mandataire judiciaires au redressement judiciaire de la société Quietys, ont reconventionnellement demandé l'annulation de l'ensemble des revendications des brevets.
6. Par un premier jugement, confirmé par un arrêt de la cour d'appel du même jour (n° RG : 13/11327), devenu irrévocable, le tribunal a annulé la revendication 1 du brevet n° [...], rejeté la demande d'annulation des revendications 2, 3, 4 à 15 de ce brevet, des revendications 1 à 19 du brevet n° [...] et des revendications 1 à 6 du brevet n° [...] et, avant-dire droit sur la demande de contrefaçon, a ordonné une expertise technique et comptable.
7. La société Quietys a été mise en liquidation judiciaire le 13 mai 2013, Mme K... ayant été désignée liquidateur, et le 18 juin 2013, la société Technofirst a procédé à la consignation de la provision de 15 000 euros à valoir sur la rémunération de l'expert.
8. Après changement de l'expert chargé de la partie technique, pour conflit d'intérêts, l'expert désigné en remplacement a cherché à faire déplacer les prototypes saisis au siège social de la société Technipôles pour y réaliser ses opérations mais le juge de la mise en état a rappelé que celles-ci devaient être exécutées en l'étude de l'huissier de justice instrumentaire. Cet expert a en outre demandé et obtenu, seize mois après le jugement, le versement d'une provision complémentaire d'un montant de 15 533 euros, sans avoir encore commencé ses opérations techniques ni répondu aux dires successifs du conseil de la société Technofirst à ce sujet. De son côté, l'huissier de justice instrumentaire a facturé à la société Technofirst les frais de gardiennage des produits saisis pour un montant de 6 675 euros. C'est dans ces circonstances que cette société n'a pas réglé la provision complémentaire sur frais d'expertise mise à sa charge et que le rapport d'expertise a été déposé en l'état. La société Technofirst s'est acquittée du paiement des frais d'expertise taxés par le tribunal.
9. La société Technofirst a maintenu l'intégralité de ses demandes, auxquelles la société Quietys et Mme K..., ès qualités, ainsi que la société Alfacoustic, venant aux droits de la société Technipôles par l'effet d'une transmission universelle de patrimoine, se sont opposées, demandant reconventionnellement sa condamnation au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, ci-après annexés
10. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
11. La société Technofirst, la Selas JFAJ et M. S..., ès qualités, font grief à l'arrêt de condamner la société Technofirst à payer à Mme K..., mandataire judiciaire, en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Quietys, la somme de 400 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de la procédure, alors « que celui qui triomphe, même partiellement, dans son action, ne peut être condamné à des dommages-intérêts pour abus de son droit d'agir en justice ; qu'au cas présent, la société Technofirst a obtenu en première instance et en appel le débouté des demandes reconventionnelles en annulation des revendications de ses brevets formées par les sociétés Quietys et Alfacoustic pour résister à son action en contrefaçon et leur condamnation en première instance au titre de l'article 700 du code de procédure civile, d'où il s'évinçait qu'elle avait partiellement triomphé en son action ; qu'en statuant en sens contraire, aux motifs que la société Technofirst devait voir ses demandes principales consacrées, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :
12. Il résulte de ce texte que celui qui triomphe, même partiellement, en son action ne peut être condamné à des dommages-intérêts pour abus du droit d'agir en justice, sauf circonstances particulières qu'il appartient au juge de spécifier.
13. Pour condamner la société Technofirst à payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts à Mme K..., ès qualités, l'arrêt, après avoir, par motifs propres et adoptés, énoncé que si la société Technofirst était en droit de faire respecter le monopole qu'elle détenait du fait de ses brevets, il n'en demeurait pas moins qu'elle ne pouvait, par le biais de la procédure en contrefaçon, éliminer les nouveaux concurrents qui arrivaient sur le marché très étroit et pointu des appareils antibruit, retient que cette société, en faisant procéder à des saisies-contrefaçons et à des procès-verbaux de constat dans les salons où la société Quietys exposait ses produits ainsi qu'à son siège social, et en saisissant le tribunal de grande instance d'une demande en contrefaçon, qu'elle a abandonnée en ne versant pas la consignation complémentaire dès qu'elle avait compris que la société Quietys avait été mise en liquidation judiciaire, a commis un abus de son droit d'ester en justice.
14. En statuant ainsi, par des motifs contraires aux éléments de fait et de droit qu'elle avait relevés et alors qu'elle avait confirmé le jugement qui, à l'exception de la revendication 1 du brevet n° [...], avait rejeté l'ensemble des demandes de la société Quietys et de Mme K..., ès qualités, en annulation des revendications des brevets invoqués par la société Technofirst, ce dont il ressortait que cette société était en droit d'agir en contrefaçon pour assurer la protection de ses brevets contre toute atteinte présumée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. La société Technofirst ayant partiellement triomphé dans son action, et aucune circonstance particulière ne démontrant de sa part un abus dans le fait d'agir, selon la procédure habituelle, en contrefaçon contre les atteintes présumées portées à ses droits de brevet, la demande en paiement de dommages-intérêts formée contre elle par la société Quietys et Mme K..., ès qualités, doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Technofirst à payer à Mme K..., en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Quietys, la somme de 400 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du caractère abusif de la procédure, l'arrêt n° RG : 15/23654 rendu le 28 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Rejette la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la société Quietys et Mme K..., en qualité de liquidateur judiciaire de cette société, contre la société Technofirst ;
Condamne Mme K..., en qualité de liquidateur judiciaire de la société Quietys, aux dépens du pourvoi ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Technofirst et la Selas JFAJ, prise en la personne de Mme R..., et M. S..., en leur qualité, respectivement, d'administrateur et de mandataire judiciaires de ladite société ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois mars deux mille vingt et un.