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Décisions

CA Bordeaux, 4e ch. com., 13 juin 2022, n° 21/06624

BORDEAUX

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Monsieur [N] [S]

Défendeur :

Monsieur [Z], [H] [T], Madame [U], [P] [R] [L] épouse [T]

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Nathalie PIGNON

Conseillers :

Elisabeth FABRY, Marie GOUMILLOUX

Avocats :

Me. Edwige HARDOUIN, Me. Houssam OTHMAN-FARAH

TJ Bordeaux, du 26 oct. 2021, n° 20/0551…

26 octobre 2021

Par acte du 20 août 2014, M. [N] [S] a signé un contrat de bail mixte professionnel et habitation portant sur des locaux appartenant à M [Z] [H] [T] et à Mme [U] [P] [R] [L] épouse [T] (époux [T]). Le contrat était prévu pour une durée initiale de 3 ans.

Par courrier recommandé du 16 mars 2020, les époux [T] ont donné congé à M. [S] pour reprise des lieux en faisant valoir les dispositions de la loi du 6 juillet 1989. En retour, M. [S] a contesté le congé délivré et a indiqué que les dispositions régissant le bail n'étaient pas celles applicables aux baux d'habitation et professionnels mais celles applicables aux baux commerciaux.

Par acte d'huissier du 17 juillet 2020, M. [N] [S] a assigné les époux [T] devant le tribunal judiciaire de Bordeaux pour demander que soit prononcé la nullité du congé pour reprise délivrée par les époux [T].

Les époux [T] ont fait notifier des conclusions d'incident par lesquelles ils ont demandé au tribunal de déclarer irrecevable la demande de M. [S] au motif de la prescription de l'action en requalification du bail exercé par ce dernier. En réponse, M. [S] a fait valoir que son action a pour objet de constater la nullité du congé délivré et non de requalifier le contrat de bail.

Par ordonnance contradictoire du 26 octobre 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux a :

- déclaré irrecevable la demande de Monsieur [N] [S],

- condamné Monsieur [S] aux dépens ainsi qu'à payer aux époux [T] une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 3 décembre 2021, M. [N] [S] a interjeté appel de cette décision à l'encontre de l'ensemble des chefs qu'elle a expressément énumérés, intimant les époux [T].

PRETENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 18 mars 2022, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, M. [N] [S] demande à la cour de:

- à titre principal et sur la décision attaquée,

- déclarer son appel recevable et bien fondé,

- dire et juger que son action en nullité du congé n'est pas prescrite,

- dire et juger son action recevable et non entachée de prescription,

- renvoyer l'affaire devant le juge du fond du premier degré pour qu'elle reçoive un calendrier de procédure,

- débouter les époux [T] de leurs demandes, fins et prétentions,

- à titre subsidiaire et sur le fond de l'affaire,

- prononcer la nullité du congé pour reprise qui lui a été délivré le 16 mars 2020,

- l'autoriser à se maintenir dans les lieux,

- à défaut,

- condamner les bailleurs, les époux [T], à lui payer la somme de 600 000 euros à titre d'indemnité d'éviction,

- en tout état de cause,

- condamner les bailleurs, les époux [T] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 de code de procédure civile, outre les entiers dépens.

L'appelant fait valoir que sa demande ne visait aucunement à requalifier le bail initial dans la mesure où celui-ci était de droit commercial, mais avait pour seul objet la nullité du congé délivré par les époux [T].

Par dernières conclusions transmises par RPVA le 23 février 2022, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, les époux [T] demandent à la cour de :

- à titre principal,

- vu l'article 122 du code de procédure civile,

- vu l'article L. 145-60 du code de commerce,

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance attaquée rendue le 26 octobre 2021 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Bordeaux,

- à titre subsidiaire,

- vu l'article 568 du code de procédure civile,

- vus les articles 2 et 15 de la loi du 6 juillet 1989,

- évoquer l'affaire sur le fond,

- débouter M. [N] [S] de sa demande de renvoi de l'affaire devant le tribunal,

- débouter M. [N] [S] de sa demande d'annulation du congé du 16 mars 2020,

- débouter M. [N] [S] de sa demande de condamnation des concluants à lui payer une somme de 600 000 euros à titre d'indemnité d'éviction,

- valider le congé du 16 mars 2020,

- condamner M. [N] [S] à quitter la maison sise [Adresse 2] sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé un délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt à intervenir,

- ordonner l'expulsion de Monsieur [N] [S] de la maison sise [Adresse 2], à défaut de libération volontaire, avec le concours de la force publique et d'un serrurier si besoin,

- condamner Monsieur [N] [S] à leur payer une indemnité d'occupation égale au montant du loyer et des charges, à compter du 14 octobre 2020, date de prise d'effet du congé du 16 mars 2020, jusqu'à la libération effective des lieux, en subissant les augmentations selon la clause d'indexation,

- en tout hypothèse,

- débouter Monsieur [N] [S] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens,

- condamner Monsieur [N] [S] à leur payer une indemnité de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Les intimés font valoir que l'action en requalification d'une convention en bail commercial est soumise à la prescription biennale de l'article L. 145-60 du code de commerce, et que le point de départ de la prescription biennale applicable à la demande tendant à la requalification d'une convention en bail commercial court à compter de la date de la conclusion du contrat .

Par ordonnance et avis de fixation de l'affaire à bref délai du 17 janvier 2022, le dossier a été fixée à l'audience du 2 mai 2022. L'ordonnance de clôture est intervenue le 11 avril 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, il y a lieu de se référer au jugement entrepris et aux conclusions déposées.

MOTIFS DE LA DECISION

M. [S] soutient qu'il est titulaire d'un bail commercial, et que son action tendant à voir constater la nullité du congé qui lui a été délivré par les époux [T], elle n'est pas atteinte par la prescription.

Les intimés répliquent que la demande a pour objet la nullité d'un congé après avoir constaté que le bail initial est un bail commercial, et que la qualification du bail est un préalable nécessaire à l'examen de l'éventuelle nullité dudit congé.

Le seul intitulé d'un contrat ne suffit pas à lui conférer définitivement sa véritable nature, que le juge doit restituer en analysant son objet, la destination du bail se caractérisant par l'affectation conventionnelle décidée par les parties.

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 145-60 du Code de commerce, toutes les actions exercées en vertu du chapitre du code intitulé 'Du bail commercial' se prescrivent par deux ans. La prescription court à compter du jour où le locataire pouvait connaître la possibilité d'une qualification commerciale des baux.

Enfin, le seul intitulé d'un contrat ne suffit pas à lui conférer définitivement sa véritable nature, que le juge doit restituer en analysant son objet, la destination du bail se caractérisant par l'affectation conventionnelle décidée par les parties.

En l'espèce, le bail litigieux est intitulé 'Contrat de location loi n°89-642 du 6 juillet 1989 Locaux non meublés (usage mixte)', et donc clairement soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989 régissant les baux d'habitation et les baux mixtes, à usage professionnel et d'habitation, de sorte que, contrairement à ce que soutient l'appelant, sa qualification n'est pas celle de bail commercial et qu'il convient, avant même de pouvoir statuer sur la validité du congé, de déterminer si la qualification donnée par les parties au contrat de location qui les lie est celle qui doit être retenue.

Or, ainsi que le soutiennent à juste titre les intimés, et comme l'a exactement jugé le juge de la mise en état, la prescription applicable à l'action en requalification est la prescription biennale prévue à l'article L. 145-60 du Code de commerce, dont le point de départ est le jour où le locataire pouvait connaître la possibilité d'une qualification commerciale des baux, soit en l'espèce, à la date de conclusion du contrat.

Le bail litigeux ayant été signé le 20 août 2014, et l'action de M. [S] ayant été intentée le 17 juillet 2020, c'est par une exacte application du droit aux éléments de la cause que le premier juge a jugé irrecevable sa demande.

La décision déférée sera en conséquence confirmée.

Compte tenu de la décision intervenue, les dépens de première instance et d'appel seront laissés à la charge de M. [N] [S].

Il est équitable d'allouer à M. et Mme [T] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, que M. [N] [S] sera condamné à leur payer.

 

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [N] [S] à payer à M. [Z] [T] et Mme [U] [T], ensemble, la somme de 2.500 euros en application, en cause d'appel, des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [N] [S] aux entiers dépens.