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Décisions

CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 23 juin 2022, n° 18/20261

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Depil Tech (SAS), Selarl BG & Associés (ès qual.), SCP Taddei – Funel (ès qual.)

Défendeur :

L & A (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Calloch

Conseillers :

Mme Berquet, Mme Combrie

Avocats :

Me Magnan, Me Didon, Me Sider, Me Bellet, Me Perrier

T. com. Nice, du 13 déc. 2018, n° 2018F0…

13 décembre 2018

FAITS ET PROCÉDURE

Suivant acte en date du 28 novembre 2014, madame [K] a signé avec la société DEPIL TECH un contrat de franchise afin de pouvoir exploiter un centre de dépilation à la lumière pulsée et de photo-rajeunissement dans la ville d'[Localité 6]. Madame [K] a versé une somme de 26 400 € au titre du droit d'entrée et a créé la société L&A aux fins d'exploiter le centre créé.

Par lettre en date du 22 décembre 2016, madame [K] a demandé à la société DEPIL TECH de résilier à l'amiable le contrat.

Par acte en date du 4 décembre 2017, la société DEPIL TECH a fait assigner madame [K] devant le tribunal de commerce de NICE afin de faire constater que celle-ci avait résilié à ses torts le contrat de franchise et obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 21 850 € 70 au titre des redevances non payées, outre 139 652 € 57 au titre de dommages intérêts, 10 000 € pour violation de la clause de non concurrence et 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et à la restitution de matériel.

Suivant jugement du tribunal de commerce de NICE en date du 24 mai 2018, la société DEPIL TECH a été placée sous sauvegarde. Le plan de sauvegarde a été adopté par jugement en date du 27 décembre 2019, lequel a désigné la SELARL BG ET ASSOCIES en qualité de commissaire à l'exécution au plan.

Suivant jugement en date du 13 décembre 2018, le tribunal a prononcé la nullité du contrat pour dol et a fixé à son passif au bénéfice de madame [K] et de la société L&A les sommes de 26 400 € en remboursement du droit d'entrée, 15 525 € en remboursement des redevances, 23 650 € au titre de remboursement d'une machine et 48 189 € au titre de la perte d'exploitation.

La société DEPIL TECH, la société civile professionnelle TADEI FUNEL et la SELARL BG ET ASSOCIES ont interjeté appel de la décision du 13 décembre 2018 par déclaration enregistrée au greffe le 21 décembre 2018.

Par ordonnance en date du 4 avril 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 9 mai 2022.

Par conclusions par conclusions déposées par voie électronique le 31 mars 2022, la société DEPIL TECH, la société civile professionnelle TADDEI FUNEL en qualité de mandataire judiciaire et la SELARL BG ET ASSOCIES concluent à l'infirmation de la décision en ce qui concerne l'annulation du contrat, en soutenant que l'activité d'épilation à la lumière pulsée par personnes n'ayant pas la qualité de médecin est parfaitement licite et ils se réfèrent pour cela à un arrêt en date du 8 novembre 2019 du Conseil d'Etat, à la jurisprudence de la présente cour et à deux arrêts qualifiés d'arrêts de principe de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 19 mai 2021. Elles affirment que madame [K] a été parfaitement informée du débat juridique existant au moment de la conclusion du contrat sur la licéité de l'activité par le document d'information précontractuelle (DIP) et sur l'application de la jurisprudence aux contrats en cours, elles se réfèrent à la motivation adoptée sur ce point par la Cour de cassation. Selon elles, le cocontractant aurait été parfaitement informé de la rentabilité de l'entreprise et des conditions de son exploitation dans le DIP. Sur l'absence de production d'un état local du marché, elles font observer que l'article R 330-1, 4° du code de commerce ne prescrit pas la production de ce document à peine de nullité et que leur intention de tromper n'est nullement démontrée. Elles concluent en conséquence à la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande de nullité du contrat pour objet illicite, et l'infirmation pour le surplus et demandent à la cour de débouter madame [K] de l'intégralité de ses demandes.

Reconventionnellement, la société DEPIL TECH, la société civile professionnelle TADDEI FUNEL en qualité de mandataire judiciaire et la SELARL BG ET ASSOCIES s'estiment fondées à demander le paiement des redevances à hauteur de la somme de 16 353 €, et au titre de dommages intérêts pour rupture abusive du contrat, la somme de 85 491 €, somme à fixer au passif de la société L&A, rappel étant fait que le contrat aurait du se poursuivre jusqu'au 28 novembre 2021. Elles concluent enfin à la condamnation des deux intimées au paiement de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame [K] et la société L&A, par conclusions déposées par voie électronique le 28 mars 2022, demande à la cour de confirmer la décision ayant prononcé la nullité du contrat de franchise en soulevant le manquement à l'obligation par le franchiseur de remettre une description fiable du marché local et de ses perspectives de développement sut toute la durée du contrat. Ils soulèvent en outre l'existence d'un dol, la société DEPIL'TECH ayant commis des manoeuvres destinées à tromper le cocontractant sur la rentabilité de l'activité, et d'une erreur sur ce point, soulignant notamment le caractère fantaisiste des chiffres prévisionnels fournis sur ce point par le franchiseur et en excipant des mauvais résultats de grand nombre de centres du réseau franchisé.

Madame [K] et la société L&A invoquent ensuite la nullité du contrat en raison de l'illécéité de son objet au jour de la conclusion du contrat. Elles font observer en particulier que les décisions du conseil d'Etat et de la Cour de cassation en 2019 et 2020 sont sans incidence sur ce point, la nullité devant s'apprécier au jour de la signature du contrat. Subsidiairement, elles demandent à la cour de prononcer la résiliation aux torts de la société DEPIL TECH et en conséquence de la débouter de ses demandes en paiement.

Au terme de leurs conclusions, madame [K] et la société L&A demandent à la cour d'infirmer partiellement la décision déférée et de :

- prononcer la nullité du contrat de franchise pour objet illicite.

- fixer au passif de la société DEPIL TECH la créance de la société L&A à hauteur de la somme de 140 332 € au titre de remboursement du droit d'entrée, des frais de constitution de société et d'aménagement des locaux

- fixer au passif de la société DEPIL TECH la créance de la société L&A à hauteur de la somme de 48 189 € au titre de la perte d'exploitation.

- fixer au passif de la société DEPIL TECH la créance de la société L&A à hauteur de la somme de 20 000 € au titre de la perte de chance de faire une meilleure exploitation du fonds.

- donner acte de la restitution du matériel

- fixer au passif de la société DEPIL TECH la créance de madame [K] à hauteur de la somme de 131 322 € au titre de la perte de dommages intérêts correspondant au remboursement du compte courant d'associé.

- fixer au passif de la société DEPIL TECH la créance de madame [K] à hauteur de la somme de 30 000 € au titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice moral.

- Condamner la société DEPIL TECH à verser à madame [K] la somme de 8 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité du contrat de franchise

Madame [K] invoque l'illicéité de l'objet de la cause des contrats de franchise en excipant des dispositions de l'article 5 2° de l'arrêté du 6 janvier 1962 et de différentes décisions judiciaires pour affirmer que la technique de l'épilation par lumière pulsée doit être considérée comme un acte médical ; force est de constater que par arrêt en date du 8 novembre 2019, le Conseil d'Etat a annulé la décision du ministre des solidarités et de la santé refusant d'abroger les dispositions de l'article 5 2° de l'arrête du 6 janvier 1962, se référant pour cela à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services garantis par le droit de l'Union Européenne ; au vu de cette décision, et en l'absence de tout texte réglementaire régissant actuellement la matière, il convient de constater que l'activité d'épilation par lumière pulsée ne peut être en l'état considérée comme illicite ; ce caractère licite de l'activité existait au moment de la conclusion du contrat, et ce quand bien même des décisions judiciaires du juge du fond ont par la suite un moment contesté ce point ; la jurisprudence contradictoire constatée concernant la licéité de l'activité proposée par le franchiseur à des personnelles non titulaires d'un doctorat de médecine a été unifiée par la première chambre civile de Cour de cassation dans un arrêt du 19 mai 2021 versé aux débats ; cet arrêt indique expressément que la pratique par un professionnel non médecin d'épilation à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure aux seuls motifs qu'ils concernent une telle pratique ; il ajoute que cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge ; il découle de cette dernière précision que le caractère licite du contrat doit être apprécié au moment de la signature du contrat, mais au vu des principes dégagés au jour où statue la juridiction, et ce que ce soit pour les contrats en cours d'exécution, ou pour ceux résiliés par l'une ou l'autre des parties ; il y a lieu en conséquence de rejeter le moyen tiré du caractère illicte de l'objet du contrat de franchise.

Les documents d'Informations Précontractuelles versés aux débats indiquent de manière claire les aléas juridiques liés à la pratique de l'épilation par lumière pulsée, et leur analyse selon laquelle cette pratique doit être considérée comme licite même sans recours à un docteur en médecine ; ces documents ne peuvent être qualifiés de trompeurs au vu des éléments rappelés au paragraphe précédent ; madame [K] ne peut en conséquence soutenir avoir été induite en erreur sur la licéité de l'activité, observation étant faite que les documents pré-contractuels n'éludaient pas l'incertitude juridique régnant alors sur la question.

Ce même Document d'Information Précontractuelle doit, en application de l'article L 330-3 du Code de commerce, fournir au franchisé des informations sincères qui lui permette de s'engager en connaissance de cause ; outre les informations listées à l'article R 330-1 du même code, il doit en conséquence fournir des éléments fiables et vérifiés concernant le marché local ainsi que des éléments comptables relatifs aux résultats concernant l'ensemble du réseau et aux investissements prévisibles à la charge du franchisé ; en l'espèce, le document remis à madame [K] indique en sa page 9 le chiffre d'affaire d'un pilote référent, le centre de [Localité 8], ainsi que les bénéfices brut annuels et mensuels, la rémunération du dirigeant et le seuil de rentabilité moyen mensuel ; il rapporte par ailleurs en page 19 les résultats du centre de [Localité 7] ; aucun élément versé aux débats ne permet d'affirmer le caractère erroné, voir mensonger ce des données chiffrées, la pièce 31 versée par la société DEPIL TECH confirmant la moyenne du chiffre d'affaire du centre de [Localité 8] pour les années 2011 à 2013 ; en outre, la société DEPIL TECH produit une attestation de son expert-comptable faisant état d'un chiffre d'affaire moyen mensuel d'un centre DEPIL TECH pour l'exercice 2014-2015 de 25 000 €, soit la moyenne annuelle indiquée en page 9 du DIP pour l'ensemble des centres, soit 300 000 € ; aucun élément ne permet de mettre en cause la régularité formelle de ce document signé par un expert-comptable ni même sa sincérité, l'attestant ne pouvant ignorer en sa qualité de professionnel du chiffre et du droit engager sa responsabilité en cas d'allégation mensongère ; s'il est avéré que comme le soutiennent les intimées certains franchisés ont connu des moyennes bien inférieures et que certains ont même été placés en redressement judiciaire, ces événements ne permettent pas d'affirmer que les chiffres moyens avancés par la société DEPIL TECH dans son document d'information et les exemples cités sont erronés et encore moins mensongers ; il apparaît ainsi que si le bilan prévisionnel présenté en page 9 du Document d'Information Précontractuelle apparaît optimiste, il ne peut être considéré comme mensonger, ni comme fondé sur des centres sans rapport aucun avec le centre proposé à madame [K] ; il appartenait à cette dernière d'affiner ces recherches si elle estimait que des simples calculs projectifs fondés sur des moyennes n'étaient pas suffisants pour asseoir son choix. Il ne peut en conséquence au vu de ces éléments être fait droit à la demande en nullité de la convention et le jugement déféré sera infirmé.

La société DEPIL TECH a perçu la somme totale de 26 400 € au titre de droit d'entrée et de maîtrise d'oeuvre  ; cette somme lui reste acquise dès lors que le contrat est jugé régulier en application de la clause de dédit stipulé au contrat ; la société L&A a exploité le centre et le matériel fourni jusqu'en mars 2017 sans régler l'intégralité des factures de redevances dues ; il convient en conséquence de faire droit à la demande en paiement faite à ce titre par la société DEPIL TECH dans le corps de ses conclusions à hauteur de la somme de 16 353 € ; en l'absence de tout élément permettant de connaître le chiffre d'affaire généré si le contrat avait été poursuivi, et la société DEPIL TECH n'ayant fourni aucune prestation à compter du mois de mars 2017, il convient de constater que celle-ci ne justifie pas avoir subi un préjudice certain du fait de la résiliation du contrat ; il convient en conséquence de la débouter de sa demande en dommages intérêts.

Les circonstances de l'espèce imposent en équité de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de madame [K] et de la société L&A.

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

- INFIRME le jugement du tribunal de commerce de NICE en date du 13 décembre 2018 dans l'intégralité de ses dispositions,

Statuant à nouveau,

- DÉBOUTE madame [K] et la société L&A de leurs demandes en annulation du contrat de franchise et en paiement de dommages intérêts.

- CONDAMNE madame [K] solidairement avec la société L&A à verser à la société DEPIL TECH la somme de 16 353 € au titre des redevances impayées et FIXE la créance de la société DEPIL TECH au passif de la société L&A à ce montant.

- DÉBOUTE la société DEPIL TECH, la société civile professionnelle TADDEI FUNEL et la SELARL BG & ASSOCIES de leur demande reconventionnelle en dommages intérêts.

- DÉBOUTE les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.

- MET l'intégralité des dépens solidairement à la charge de madame [K] et de la société L&A.