CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 juin 2022, n° 19/19522
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Tolartois (SAS)
Défendeur :
Schneider Electric Industries (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Renard, Mme Soudry
Avocats :
Me Gourdault Montagne, Me Verrecchina, Me Fischer, Me Dupré de Puget
EXPOSE DU LITIGE
La société Schneider Electric Industries (la société Schneider) confiait à la société Tolartois la fabrication de pièces métalliques.
La société Schneider a informé la société Tolartois de son intention de mettre fin à leur relation commerciale, au cours d'une réunion du 22 juin 2016, puis par lettre du 6 septembre 2016.
Des discussions se sont engagées entre la société Schneider et la société Tolartois sur un 'planning de désengagement'.
Par jugement du 4 octobre 2017, le tribunal de commerce d'Arras a ouvert une procédure de sauvegarde concernant la société Tolartois, puis, par jugement du 11 juillet 2018, a arrêté un plan de sauvegarde.
Par acte du 16 février 2018, la société Tolartois et les organes de la procédure collective ont assigné la société Schneider en réparation de préjudices résultant d'une rupture brutale de la relation commerciale.
Par jugement du 18 octobre 2019, le tribunal de commerce d'Arras a prononcé la résolution du plan et a ouvert une procédure de redressement judiciaire concernant la société Tolartois.
Par jugement du 30 septembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a :
- rejeté les demandes de la société Tolartois et de ses mandataires judiciaires en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce ;
- rejeté la demande reconventionnelle de la société Schneider en paiement de dommages et intérêts ;
- condamné la société Tolartois et ses mandataires judiciaires à payer à la société Schneider la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- rejeté les autres demandes ;
- condamné la société Tolartois et ses mandataires judiciaires aux dépens.
Par déclaration du 18 octobre 2019, la société Tolartois, le commissaire à l'exécution du plan, et le mandataire judiciaire, ont interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a rejeté leurs demandes en paiement de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6-I-5° du code de commerce et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les a condamnés à payer à la société Schneider la somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Par jugement du 5 février 2020, le tribunal de commerce d'Arras a prononcé la liquidation judiciaire de la société Tolartois et a désigné la société [T] en qualité de mandataire judiciaire.
Par ses dernières conclusions notifiées le 13 février 2020, la société [T], en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Tolartois, demande, au visa des articles L. 442-6, I, 5° du code de commerce, D. 442-3 et de l'annexe 4-2-1 du code de commerce, d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 30 septembre 2019 en ce qu'il a rejeté leurs demande en paiement et, statuant à nouveau, de condamner la société Schneider à payer à la société [T], en sa qualité de mandataire judiciaire, les sommes de :
* 976 590 euros au titre de la perte de marge brute pour une période de préavis de 2,5 ans,
* 75 000 euros pour l'aménagement à Annezin de la ligne pliage-transfert,
* 48 000 euros correspondant au coût du démantèlement complet de la ligne pliage-transfert Schneider Electric sur le site de Béthune,
* 57 939 euros au titre des loyers, charges et taxes correspondant à la location du site de Béthune pour la continuité de la fabrication des pièces sur la période de mars à septembre 2017, en vertu de la convention d'occupation précaire,
* 50 000 euros à titre de réparation du trouble commercial,
* 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Me Pascal Gourdault-Montagne en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Par ses dernières conclusions notifiées le 14 avril 2020, la société Schneider demande de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes de la société Tolartois et des organes de la procédure et les a condamnés à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeter les demandes de la société [T], mandataire judiciaire de la société Tolartois,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle,
- l'admettre au passif de la liquidation judiciaire de la société Tolartois à hauteur de la somme de 150 000 euros,
- condamner la société [T], mandataire judiciaire de la société Tolartois, à lui payer la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens recouvrés directement par FTMS Avocats conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 3 février 2022.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
* * *
MOTIFS
Sur la rupture de la relation commerciale
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Sur la relation commerciale établie
L'existence d'une relation commerciale établie entre la société Schneider et la société Tolartois n'est pas contestée, les parties s'opposant sur sa durée.
La pièce n° 38 produite par le mandataire de la société Tolartois, constituée de deux plans de pièces datant de 1967 et de 1975, est insuffisante pour démontrer une relation commerciale suivie et continue depuis plus de 50 ans entre la société Tolartois et la société Schneider.
L'affirmation d'une durée de 50 ans est en contradiction avec les termes de la lettre du 4 juillet 2016 de la société Tolartois qui mentionne que « la société Schneider Electric est le premier client de la société Tolartois, depuis plus de 30 ans sans interruption », et ceux de sa lettre du 15 septembre 2016 qui invoque une durée de 40 ans.
La société Tolartois a été immatriculée le 29 septembre 2005 et a commencé son activité le 1er janvier 2006, ainsi qu'il ressort de l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés. Les mentions d'un « apport » et d'une société Tolmega ne sont accompagnées d'aucun élément justifiant une relation commerciale antérieure avec la société Schneider.
Il sera dès lors retenu l'existence d'une relation commerciale établie depuis le 1er janvier 2006.
Sur la brutalité de la rupture
La brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de la durée de ce préavis au regard des relations commerciales antérieures.
Le préavis écrit doit résulter d'un acte manifestant clairement l'intention du partenaire de ne pas poursuivre la relation commerciale dans les conditions antérieures et faisant ainsi courir un délai de préavis.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
En l'espèce, la rupture de la relation commerciale a été notifiée à la société Tolartois par la société Schneider par lettre du 6 septembre 2016.
Il résulte de la lettre du 4 juillet 2016 de la société Tolartois adressée à la société Schneider, que celle-ci avait informé de son intention 'de cesser toute relation commerciale avec la société Tolartois à la fin de l'année 2017", lors d'une réunion du 22 juin 2016 suivi d'une conversation téléphonique du 1er juillet 2016.
Si la lettre de rupture du 6 septembre 2016 ne fait état d'aucun préavis, la société Schneider a, par courriel du 14 septembre 2016, transmis un « planning de commandes » avec des quotas progressivement en baisse pour certaines références de janvier 2017 à juillet 2017 inclus, et un arrêt total des commandes de fin septembre 2017 à fin octobre 2017, constitutif d'un préavis écrit.
Des discussions s'en sont suivies entre les parties pour établir un « planning de désengagement progressif » mettant fin à la relation commerciale, la société Schneider soumettant diverses propositions contestées par la société Tolartois.
La dernière proposition de la société Schneider du 1er décembre 2016 prévoyait, selon plusieurs références de pièces, des échéances différentes s'étalant du 28 février 2017 au 28 février 2019, soit des délais de 5 à 29 mois depuis le courriel du 14 septembre 2016 constituant le point de départ du préavis.
La société Tolartois a refusé cette dernière proposition en souhaitant adopter la première issue du courriel du 14 septembre 2016, ce qui n'a pas été accepté par la société Schneider.
La société Tolartois a cessé toute production à compter de fin septembre 2017, après l'avoir annoncé par courrier du 8 septembre 2017, invoquant un bouleversement de l'économie de contrat.
La société Tolartois ne justifie pas de la proportion de son chiffre d'affaires réalisé avec la société Schneider avant septembre 2016, puis pendant la période de baisse des commandes jusqu'à sa décision de cesser toute production avant le terme du préavis.
La société Schneider justifie du montant des règlements suivants émis au bénéfice de la société Tolartois :
- année 2014 : 1'075'113,69 euros
- année 2015 : 1'049'534,28 euros
- année 2016 : 1'032'414,82 euros
- du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2017, soit neuf mois : 786'897,80 euros,
ce dont il résulte l'absence de baisse de chiffre d'affaires pour la société Tolartois au cours de l'année 2017.
Elle n'établit dès lors pas avoir subi un préjudice résultant d'une baisse des commandes, affectant certaines références de production, entre mars 2017 et septembre 2017.
Il résulte de ces éléments qu'au regard de la durée de la relation commerciale, du secteur industriel concerné, du préavis écrit résultant du courriel de la société Schneider du 14 septembre 2016 prévoyant une baisse des commandes à compter de janvier 2017 jusqu'à la fin de la relation à la fin du mois d'octobre 2017, préavis ensuite modifié avec une baisse des commandes à compter du 28 février 2017 jusqu'au 28 février 2019, la société Schneider a respecté un délai de préavis écrit suffisant et n'a pas rompu brutalement la relation commerciale établie.
En conséquence, la demande du mandataire judiciaire de la société Tolartois en paiement de dommages-intérêts au titre d'une perte de marge brute doit être rejetée.
Les demandes en réparation de préjudices annexes invoqués, aménagement d'une ligne à Annezin, coût de démantèlement de la ligne à Béthune, location du site de Béthune, les troubles commerciales, seront également rejetées, en l'absence d'une rupture brutale de la relation commerciale.
Le jugement, qui a rejeté ces demandes, sera confirmé.
Sur la demande reconventionnelle de la société Schneider
Il résulte des pièces communiquées par la société Schneider qu'elle a trouvé un autre fournisseur de pièces métalliques, la société Minifaber.
Elle ne justifie pas, par les pièces versées au dossier, avoir subi un préjudice résultant de la décision de la société Tolartois de cesser toute production à compter de fin septembre 2017.
Le jugement, qui a rejeté cette demande, sera confirmé.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
La société [T], en sa qualité de mandataire judiciaire de la société Tolartois, succombant, les dépens de la procédure d'appel seront fixés au passif de la procédure collective de la société Tolartois.
Il apparaît équitable d'allouer à la société Schneider la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel. Cette somme sera fixée au passif de la procédure collective de la société Tolartois.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement du 30 septembre 2019 du tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
FIXE la créance de la société Schneider Electric Industries au passif de la procédure collective de la société Tolartois à la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
FIXE les dépens d'appel au passif de la procédure collective de la société Tolartois.