CA Aix-en-Provence, ch. 3-1, 23 juin 2022, n° 18/19268
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Depil Tech (SAS), Selarl BG & Associès (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Calloch
Conseillers :
Mme Berquet, Mme Combrie
Avocats :
Me Magnan, Me Didon, Me Guisiano
FAITS ET PROCÉDURE
Suivant acte en date du 27 avril 2016, madame [T] a signé avec la société DEPIL TECH un contrat de franchise afin de pouvoir exploiter un centre de dépilation à la lumière pulsée et de photorajeunissement dans la ville de [Localité 5]. Elle a versé une somme de 20.400 € au titre du droit d'entrée.
Par courrier en date du 4 octobre 2016, madame [T] a mis en demeure la société DEPIL TECH de lui rembourser les sommes versées au titre du droit d'entrée et lui a notifié sa volonté de résilier le contrat.
Cette mise en demeure restant infructueuse, madame [T] a fait assigner la société DEPIL TECH devant le Tribunal de Commerce de NICE en nullité du contrat et restitution des sommes versées par acte en date du 27 avril 2017.
Suivant jugement en date du 22 octobre 2018, le Tribunal a prononcé la nullité du contrat et a condamné la société DEPIL TECH à verser à madame [T] la somme de 26.400 € en remboursement des sommes versées, outre 2.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La société DEPIL TECH a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée au greffe le 6 décembre 2018.
Suivant jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 24 mai 2018, la société DEPIL TECH a été placée sous sauvegarde. Le plan de sauvegarde a été adopté par jugement en date du 27 décembre 2019, lequel a désigné la SELARL BG ET ASSOCIES en qualité de commissaire à l'exécution au plan. La SELARL BG ET ASSOCIES a été attraite à la procédure introduite devant la Cour d'Appel.
Par ordonnance en date du 4 avril 2022, le conseiller de la mise en état a prononcé la clôture de l'instruction et a renvoyé l'examen de l'affaire à l'audience du 9 mai 2022.
Par conclusions déposées par voie électronique le 28 mars 2022, la société DEPIL TECH, la société civile professionnelle [H] [F] en qualité de mandataire judiciaire et la SELARL BG ET ASSOCIES concluent à l'irrecevabilité de l'action en application des articles L. 622-21 et L. 622-2 du Code de commerce. Sur le fond, ils concluent à l'infirmation de la décision en soutenant que l'activité d'épilation à la lumière pulsée par personnes n'ayant pas la qualité de médecin est parfaitement licite et ils se réfèrent pour cela à un arrêt en date du 8 novembre 2019 du Conseil d'Etat, à la jurisprudence de la présente Cour et à deux arrêts qualifiés d'arrêts de principe de la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation en date du 19 mai 2021. Ils affirment que madame [T] a été parfaitement informée du débat juridique existant au moment de la conclusion du contrat sur la licéité de l'activité par le document d'information précontractuelle (DIP). Sur la non-obtention d'un crédit bancaire invoqué par madame [T], ils rappellent que cet événement ne peut constituer une cause de nullité d'un contrat de franchise et qu'en outre aucune condition suspensive n'a été stipulée à l'acte. Ils concluent en conséquence à l'infirmation de la décision déférée, madame [T] étant déboutée de l'intégralité de ses demandes et condamnée à lui verser une somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Madame [T], par conclusions déposées par voie électronique le 29 mars 2021, soutient que ses demandes sont recevables, sa créance étant une créance en restitution et n'étant toujours pas exigible. Elle demande à la Cour de confirmer la décision ayant prononcé la nullité du contrat de franchise en soulevant le caractère illicite de son objet, l'activité d'épilation par lumière pulsée étant réservée au moment de la conclusion du contrat aux médecins. Elle soutient que son consentement a été vicié du fait de la dissimulation par le franchiseur de ce caractère illicite, et donc de l'insécurité juridique pesant sur l'activité, et ce quelle que soit l'évolution de la jurisprudence par la suite. Elle fait observer que sa volonté de résilier le contrat a été exprimée avant ladite évolution, et qu'il convient en conséquence de ne pas tenir compte de celle-ci pour évaluer la validité de son consentement. Elle invoque en conséquence la nullité pour dol, et subsidiairement pour erreur.
Madame [T] soutient que l'exécution du contrat était impossible, elle-même s'étant heurtée au refus des établissements de crédit au vu des caractéristiques du contrat. Elle excipe en outre des disposions de l'article L 442-6 du Code de commerce, soutenant que la clause de dédit cause un déséquilibre significatif entre les parties. Elle demande en conséquence à la Cour de confirmer la décision en ce qu'elle a prononcé la nullité du contrat de franchise et a ordonné la restitution de la somme de 26.400 € et l'infirmant pour le surplus, de fixer sa créance au titre des dommages intérêts à la somme de 38.466 € 70, dont 10.000 € en réparation de son préjudice outre la restitution des sommes versées, au passif de la société DEPIL TECH, celle-ci étant condamnée en outre à lui verser la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La demande en annulation du contrat et en restitution de somme versée a été introduite judiciairement avant le jugement plaçant la société DEPIL TECH sous sauvegarde ; si la sauvegarde a eu pour effet d'interrompre l'action en application de l'article L 622-22 du Code de commerce, force est de constater que postérieurement à la déclaration d'appel, madame [T] a déclaré régulièrement le 2 décembre 2019 et que les représentants de la société DEPIL TECH à la procédure collective étaient partie à la procédure d'appel ; en outre, il convient de rappeler que l'action introduite par madame [T] était une action en annulation du contrat, et non en paiement d'une somme d'argent ; il convient en conséquence de rejeter le moyen tiré par la société DEPIL TECH des dispositions des articles L 622-21 et L 622-22 du Code de commerce, moyen non repris au demeurant dans le dispositif des conclusions.
Madame [T] invoque l'illicéité de l'objet de la cause des contrats de franchise en excipant des dispositions de l'article 5 2° de l'arrêté du 6 janvier 1962 et de différentes décisions judiciaires pour affirmer que la technique de l'épilation par lumière pulsée doit être considérée comme un acte médical ; Force est de constater que par arrêt en date du 8 novembre 2019, le Conseil d'Etat a annulé la décision du ministre des solidarités et de la santé refusant d'abroger les dispositions de l'article 5 2° de l'arrête du 6 janvier 1962, se référant pour cela à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services garantis par le droit de l'Union Européenne ; au vu de cette décision, et en l'absence de tout texte réglementaire régissant actuellement la matière, il convient de constater que l'activité d'épilation par lumière pulsée ne peut être en l'état considérée comme illicite ; la jurisprudence contradictoire constatée concernant la licéité de l'activité proposée par le franchiseur à des personnelles non titulaires d'un doctorat de médecine a été unifiée par la première chambre civile de Cour de Cassation dans un arrêt du 19 mai 2021 versé aux débats ; cet arrêt indique expressément que la pratique par un professionnel non médecin d'épilation à la lumière pulsée n'est plus illicite et que, si elle peut être soumise à des restrictions pour des motifs d'intérêt général, elle ne justifie pas l'annulation des contrats que ce professionnel a pu conclure aux seuls motifs qu'ils concernent une telle pratique ; il ajoute que cette évolution de jurisprudence s'applique immédiatement aux contrats en cours, en l'absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d'un droit d'accès au juge ; il découle de cette dernière précision que le caractère licite du contrat doit être apprécié au moment de la signature du contrat, mais au vu des principes dégagés au jour où statue la juridiction, et ce que ce soit pour les contrats en cours d'exécution, ou pour ceux résiliés par l'une ou l'autre des parties.
Les documents d'Informations Précontractuelles versés aux débats indiquent de manière claire les aléas juridiques liés à la pratique de l'épilation par lumière pulsée, et leur analyse selon laquelle cette pratique doit être considérée comme licite même sans recours à un docteur en médecine ; ces documents ne peuvent être qualifiés de trompeurs au vu des éléments rappelés au paragraphe précédent ; madame [T] ne peut en conséquence soutenir avoir été induite en erreur sur la licéité de l'activité, observation étant faite que les documents précontractuels n'éludaient pas l'incertitude juridique régnant alors sur la question ; il ne peut en conséquence être fait droit à la demande en nullité de la convention pour dol ou plus subsidiairement pour erreur, et le jugement déféré sera en conséquence infirmé.
Les documents versés aux débats établissent que des établissements bancaires ont refusé de financer le projet de madame [T], mais aucun ne mentionne que ce refus est motivé par la nature même du contrat, ou par les conditions financières telles que stipulées par celui-ci ; par ailleurs, aucune stipulation du contrat ne prévoit une obligation d'assistance de la société DEPIL TECH dans l'obtention d'un financement, ni l'obligation de modifier les termes de la convention pour s'adapter aux refus de financement par les établissements sollicités ; par ailleurs l'article X bis du contrat prévoyant une indemnité de dédit d'un montant de 22.000 € ne créé nullement un déséquilibre dans les obligations et droits des parties, une telle clause ayant pour objet de prévoir les conséquences financières liées à la résiliation du contrat par le franchisé ; cette clause ne peut en conséquence être réputée non écrite, ni être considérée comme engageant la responsabilité de la société DEPIL TECH prévue à l'article L 442-6 du Code de commerce ; elle n'apparaît en outre ne pas avoir de caractère comminatoire et indemnitaire et s'analyser en conséquence comme constituant une clause pénale, observation étant faite que madame [T] ne conclut au demeurant pas à une réduction du montant ; la société DEPIL TECH apparaît dès lors fondée en application de cette clause de dédit à conserver la somme totale de 26.400 € TTC perçue au titre de droit d'entrée, le contrat ayant été résilié unilatéralement par madame [T].
Les circonstances de l'espèce imposent en équité de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de madame [T].
PAR CES MOTIFS, LA COUR
- INFIRME le jugement du Tribunal de Commerce de NICE en date du 22 octobre 2018 dans l'intégralité de ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- DÉBOUTE madame [T] de l'intégralité de ses demandes.
- DÉBOUTE les parties de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- MET l'intégralité des dépens à la charge de madame [T].