Cass. 1re civ., 3 juin 2015, n° 14-14.144
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Batut
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Yves et Blaise Capron
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les sociétés Mondo TV, Doro TV Merchandising et Sidonis productions NC (les sociétés Mondo, Doro et Sidonis) se déclarant investies des droits patrimoniaux sur le film « Théorème » réalisé par Pier Paolo X..., ont assigné en contrefaçon les sociétés Films sans frontières et Films sans frontières 2 (les sociétés FSF et FSF2) ainsi que leur dirigeant commun, M. Y..., pour avoir exploité ce film sous forme de DVD et en avoir cédé les droits de diffusion télévisuelle à la société Arte ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal :
Attendu que les sociétés Mondo et Sidonis font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes, alors, selon le moyen, qu'en l'absence de toute revendication émanant des coauteurs de l'oeuvre audiovisuelle ou de leurs ayants droit, l'exploitation publique, paisible et non équivoque de l'oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom, fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, qu'elle est titulaire des droits exclusifs d'exploitation ; qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que la société Doro TV Merchandising était titulaire des droits du producteur d'origine du film « Théorème » pour le monde entier, à l'exclusion de l'Italie, et que sa société mère, la société Mondo TV, avait, sans opposition de sa part, cédé les droits d'exploitation pour la France à la société Marble Arch films Limited, qui avait elle-même concédé une licence d'exploitation à la société Sidonis productions NC ; qu'il s'en déduisait que les sociétés Mondo TV et Sidonis productions NC, qui exploitaient publiquement et paisiblement le film « Théorème », devaient être présumées titulaires des droits d'exploitation à l'égard des sociétés Films sans frontières, Films sans frontières 2 et de M. Y... ; qu'en affirmant, au contraire, que les sociétés Mondo TV et Sidonis productions NC étaient dépourvues de qualité à agir, la cour d'appel a violé les articles L. 111-1, L. 132-23, L. 132-24 et L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu que les sociétés Mondo et Sidonis n'ayant pas fait valoir devant la cour d'appel qu'elles exploitaient le film publiquement et sans équivoque, de sorte qu'elles étaient présumées en être titulaires des droits à l'égard des défendeurs à l'action en contrefaçon, le moyen est nouveau mélangé de fait et de droit, partant irrecevable ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal :
Attendu que la société Doro fait grief à l'arrêt de condamner, in solidum, les sociétés Films sans frontières et Films sans frontières 2, ainsi que M. Y..., à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial, alors, selon le moyen :
1°/ que la violation du monopole d'exploitation d'une oeuvre cause nécessairement à son titulaire un manque à gagner qui correspond au bénéfice qu'il aurait retiré de l'exploitation autorisée de l'oeuvre ; qu'en retenant, pour limiter l'indemnisation de la société Doro TV Merchandising à la réparation d'un trouble commercial évalué à la somme de 10 000 euros, qu'elle n'exploitait pas elle-même le film « Théorème », puisque sa société-mère, la société Mondo TV, avait, sans droit, consenti un mandat de commercialisation à la société Adriana Chiesa Enterprises le 22 avril 2002 pour une durée de sept ans, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé les articles L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil ;
2°/ que la victime n'est pas tenue de limiter son préjudice dans l'intérêt du responsable ; que son droit à réparation ne peut être limité que si elle a, par sa faute, contribué à la réalisation de son dommage ; qu'en retenant, pour limiter l'indemnisation de la société Doro TV Merchandising à la réparation d'un trouble commercial évalué à la somme de 10 000 euros, qu'en dépit de la publication des contrats litigieux au RPCA en 1999, elle avait attendu 2007 pour agir en justice, bien que ce comportement ne fût pas fautif, la cour d'appel a violé les articles L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil, ensemble le principe de réparation intégrale ;
Mais attendu que sous le couvert du grief de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en cause l'appréciation souveraine par la cour d'appel du préjudice de la société Doro, dont elle a justifié l'importance par l'évaluation qu'elle en a fait, après avoir retenu que celle-ci n'exploitait pas le film mais avait seulement subi un trouble commercial ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident :
Attendu que les sociétés FSF et FSF 2 ainsi que M. Y... font grief à l'arrêt de dire qu'en commercialisant des vidéogrammes du film « Théorème », ils ont commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Doro, de les condamner in solidum à payer à la société Doro la somme de 10 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice moral et celle de 10 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial, et de prononcer les mesures d'interdiction et de restitution d'usage, alors, selon le moyen, qu'il incombe au juge français, lorsqu'est invoquée devant lui l'application d'un droit étranger, de rechercher la loi compétente selon la règle de conflit de lois, puis de déterminer son contenu, au besoin avec l'aide des parties, et de l'appliquer ; qu'en se fondant, dès lors, pour retenir que la société Doro TV Merchandising avait intérêt et qualité à agir en contrefaçon à l'encontre de la société Films sans frontières, de la société Films sans frontières 2 et de M. Y... et pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de ces derniers, sur les stipulations du contrat conclu, le 18 janvier 1984, entre la société de droit italien Spring films Srl et la société de droit italien Nife film Srl, sans déterminer, quand la société Films sans frontières, la société Films sans frontières 2 et M. Y... invoquaient devant elle les dispositions de l'article 46 de la loi italienne sur la protection du droit d'auteur et des droits connexes à son exercice, quelle loi était applicable à ce contrat selon la règle de conflit de lois, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 3 du code civil ;
Mais attendu que les sociétés FSF et FSF2, ayant soutenu, sans revendiquer l'application de la loi italienne, que la société Doro ne pouvait être investie que du droit de représentation dès lors que l'article L. 122-3 du code de la propriété intellectuelle ne prévoit pas de « droit d'utilisation » tel que mentionné au contrat de cession du 18 janvier 1984, la cour d'appel qui a apprécié l'intention des parties en a déduit que le terme « utilisation » n'excluait pas celui de « reproduction » et que la société Doro était recevable à agir en contrefaçon au titre de l'exploitation vidéographique du film ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi incident :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt de dire qu'en commercialisant des vidéogrammes du film « Théorème » de Pier Paolo X..., il a commis des actes de contrefaçon au préjudice de la société Doro TV Merchandising, de le condamner en conséquence in solidum avec les sociétés FSR et FSR2 à payer à la société Doro TV Merchandising la somme de 10 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice moral et la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice patrimonial, et de prononcer les mesures d'interdiction et de restitution d'usage, alors, selon le moyen, que le gérant d'une société à responsabilité limitée n'engage sa responsabilité personnelle à l'égard des tiers que s'il a commis une faute séparable de ses fonctions, c'est-à-dire une faute intentionnelle d'une particulière gravité et incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales ; qu'en se bornant à relever, pour retenir que M. Y... avait engagé sa responsabilité personnelle à l'égard de la société Doro TV Merchandising, que M. Y... avait pu laisser croire au grand public acquérant les DVD litigieux qu'il était le producteur du film « Théorème » en faisant porter la mention « Y... présente », quand ces circonstances ne caractérisaient pas la commission par M. Y... d'une faute intentionnelle d'une particulière gravité et incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales de gérant de la société Films sans frontières et de la société Films sans frontières 2 et, donc, d'une faute séparable de ces fonctions, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 223-22 du code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir relevé que M. Y... avait fait porter sur la jaquette des vidéogrammes la mention, « Y... présente... » en laissant ainsi croire au public qu'il était le producteur du film, la cour d'appel a pu retenir que celui-ci avait commis des actes de contrefaçon de manière délibérée, d'une particulière gravité et incompatibles avec l'exercice normal de ses fonctions sociales, comme tels détachables de celles-ci et engageant sa responsabilité personnelle ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu les articles 1324 du code civil, ensemble les articles 287 et 288 du code de procédure civile ;
Attendu que si l'une des parties dénie l'écriture qui lui est attribuée ou déclare ne pas reconnaître celle qui est attribuée à son auteur, le juge vérifie l'écrit contesté à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte ;
Attendu que pour déclarer irrecevable la demande de la société Doro en réparation de l'atteinte portée aux droits d'exploitation télévisuelle dont elle déclarait être investie, l'arrêt retient que, sans avoir à se prononcer sur la sincérité des signatures contestées portées sur les contrats de cession des 19 mars 1998 et 15 septembre 1999, la cour dispose d'éléments suffisants pour affirmer que ceux-ci ne sont pas apocryphes ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait, avant de trancher le litige, de vérifier les actes contestés dont elle a tenu compte pour statuer, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du deuxième moyen du pourvoi principal :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la société Doro était irrecevable à agir en réparation de l'atteinte portée à ses droits d'exploitation télévisuelle, l'arrêt rendu le 6 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.