Cass. com., 9 mars 2022, n° 20-14.773
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Mollard
Avocats :
Me Haas, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° W 20-14.773 et n° A 20-16.410 sont joints.
Reprise d'instance
2. Il est donné acte à Mme [K] [C], épouse [M], Mme [E] [M] et Mme [U] [M] de la reprise d'instance en leur qualité d'héritières de [V] [M], décédé le 21 juin 2020.
Faits et procédure
3. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2019), [V] [M], Mme [K] [M], Mme [E] [M] et Mme [U] [M] (les consorts [M]) et la société France matériels détenaient la totalité du capital de la société Franmat.
4. Le 1er juin 2011, ils ont confié à la société Financière de Courcelles une mission, dénommée « mission n° 2 », ayant pour objet la recherche d'un acquéreur pour la totalité des actions formant le capital de la société Franmat.
5. Le même jour, les consorts [M] lui ont confié une autre mission, dite « mission n° 3 », ayant pour objet la recherche d'un acquéreur pour la totalité des actions formant le capital de la société France matériels et pour les actions qu'ils détenaient dans le capital de la société Franmat. La société Courcelles Real Estate s'est substituée à la société Financière de Courcelles pour l'exécution de cette mission.
6. Le 14 mai 2013, les consorts [M] et la société France matériels ont signé avec la société Holgat un protocole portant sur les actions qu'ils détenaient dans la société Franmat.
7. Estimant que ces missions n'avaient pas été exécutées, la société France matériels et les consorts [M] ont refusé de payer les honoraires stipulés, pour partie forfaitaires et pour partie liés au succès des opérations objet des missions. Les sociétés Financière de Courcelles et Financière de Courcelles Real Estate les ont assignés en paiement. Reconventionnellement, la société France matériels et les consorts [M] ont demandé la condamnation de ces sociétés à leur payer des dommages-intérêts sur le fondement de la responsabilité contractuelle.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° A 20-16.410 et sur le troisième moyen du pourvoi n° W 20-14.773, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande de la société France matériels tendant à voir condamner la société Financière de Courcelles à lui payer la somme de 1 741 261 euros, ci-après annexés
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen, pris en ses première et quatrième branches, du pourvoi n° W 20-14.773
Enoncé du moyen
9. Les consorts [M] et la société France matériels font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à verser à la société Financière de Courcelles une certaine somme au titre des honoraires afférents à la mission n° 2, alors :
« 1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'aux termes du protocole de conciliation du 14 mai 2013, la société Holgat et les actionnaires de la société Franmat, à savoir les consorts [M] et la société France matériels, ont déclaré et reconnu que les actionnaires de la société Franmat s'étaient engagés à apporter la totalité de leur participation à la société Holgat, celle-ci s'engageant en conséquence à recevoir l'apport de 100 % du capital de la société Franmat selon les modalités prévues au traité d'apport, soit une rémunération par l'attribution aux apporteurs de 195 869 actions à bons de souscription d'action et de 391 697 obligations convertibles en actions, pour une valeur nominale totale de 1 762 698 euros ; qu'en retenant que, dans ce protocole de conciliation, la société Holgat s'était engagée à acheter la totalité des actions formant le capital social de la société Franmat pour 1 762 698 euros, cette somme étant perçue par les vendeurs, la cour d'appel a dénaturé ce protocole de conciliation, en violation du principe susvisé ;
4°/ que l'apport en société, qui se définit comme la mise en commun d'un bien moyennant l'attribution de droits sociaux soumis aux aléas de la société, n'est pas une vente, laquelle suppose le paiement d'un prix ; qu'en qualifiant les droits sociaux attribués aux consorts [M] et la société France matériels en rémunération de l'apport qu'ils avaient effectué à la société Holgat de prix de vente, la cour d'appel a violé les articles 1582 et 1832 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 1582, alinéa 1er, et 1832, alinéa 1er, du code civil ainsi que l'interdiction pour le juge de dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
10. Selon le premier de ces textes, la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer. Selon le second, la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. Il en résulte que l'apport en propriété fait à une société, en contrepartie duquel sont attribués des droits sociaux, n'est pas une vente.
11. Pour condamner solidairement les consorts [M] et la société France matériels à verser à la société Financière de Courcelles une certaine somme au titre des honoraires afférents à la mission n° 2, l'arrêt retient que l'attribution de droits sociaux aux consorts [M] et à la société France matériels en rémunération de leur apport constitue un prix de vente et en déduit que le protocole qu'ils ont signé le 14 mai 2013 avec la société Holgat prévoit l'achat par cette dernière de la totalité des actions composant le capital de la société Franmat, en contrepartie de la somme de 1 762 698 euros, perçue par les vendeurs.
12. En statuant ainsi, alors que ce protocole stipulait que les consorts [M] et la société France matériels s'engageaient à apporter à la société Holgat leur participation dans la société Franmat, la cour d'appel a dénaturé ce contrat et violé les textes et le principe susvisés.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° W 20-14.773, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de rejeter la demande des consorts [M] et de la société France matériels tendant à voir condamner la société Financière de Courcelles à leur payer la somme de 14 365 000 euros sous déduction de la somme de 1 762 698 euros
Enoncé du moyen
13. Les consorts [M] et la société France matériels font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à voir condamner la société Financière de Courcelles à leur payer la somme de 14 365 000 euros sous déduction de la somme de 1 762 698 euros, alors « que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que pour rejeter la demande de dommages-intérêts formée par les consorts [M] et la société France matériels, la cour d'appel a relevé "qu'au titre de la mission n° 2 la solution du litige conduit à débouter les appelants de leur demande" ; que, toutefois, il ressort des deux premiers moyens que l'arrêt doit être cassé en ce chef de dispositif relatif à la mission n° 2, de sorte que la cassation à intervenir sur ces premiers moyens entraînera par voie de conséquence la cassation du chef de dispositif attaqué par le présent moyen, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
14. Selon ce texte, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire.
15. Pour rejeter les demandes de condamnation de la société Financière de Courcelles à verser aux consorts [M] et à la société France matériels la somme de 14 365 000 euros sous déduction de la somme de 1 762 698 euros, l'arrêt retient qu'au titre de la mission n° 2, la solution du litige conduit à débouter les appelants de leur demande.
16. La cassation prononcée sur le premier moyen entraîne donc la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif rejetant la demande de condamnation de la société Financière de Courcelles à verser aux consorts [M] et à la société France matériels la somme de 14 365 000 euros sous déduction de la somme de 1 762 698 euros, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi n° W 20-14.773, la Cour :
REJETTE le pourvoi n° A 20-16.410 ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, infirmant le jugement, il condamne solidairement les consorts [M] et la société France matériels à verser à la société Financière de Courcelles la somme de 904 468,43 euros au titre des honoraires afférents à la mission n° 2, en ce qu'il rejette la demande de condamnation de la société Financière de Courcelles à payer aux consorts [M] et à la société France matériels, à titre de dommages-intérêts, la somme de 14 365 000 euros sous déduction de la somme de 1 762 698 euros, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 2 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.