Cass. com., 19 décembre 1995, n° 93-20.766
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Grimaldi
Avocat général :
Mme Piniot
Avocats :
Me Vuitton, SCP Boré et Xavier, Me Devolvé, Me Ricard
Joint le pourvoi n° T 93-20.766 formé par le trésorier général du département de l'Indre et le pourvoi n° P 93-20.854 formé par l'Office national des forêts, qui attaquent le même arrêt ;
Attendu, selon l'arrêt confirmatif déféré (Bourges, 14 septembre 1993), que, le 5 octobre 1989, l'Office national des forêts (l'Office) a vendu diverses coupes de bois à la société X..., avec le cautionnement solidaire de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel de l'Indre (la banque), elle-même garantie par M. X... ; que la société X... ayant été mise en redressement judiciaire le 7 décembre 1989 et les billets à ordre émis en paiement du solde du prix des coupes restant impayés, le trésorier général du département de l'Indre (le trésorier général) a assigné la banque en exécution de son engagement de caution, laquelle a appelé en garantie M. X... ; que le Tribunal a retenu que l'Office disposait d'un double privilège lui permettant d'exercer un droit de rétention sur la marchandise dont le paiement était cautionné et également de déclarer sa créance à titre privilégié au redressement judiciaire de la société X..., mais que l'Office, par son immobilisme, avait laissé dépérir ces privilèges dans lesquels la banque ne pouvait plus être subrogée, de telle sorte que cette dernière était bien fondée à invoquer la décharge prévue par l'article 2037 du Code civil ; que le trésorier général a interjeté appel de ce jugement et que l'Office est intervenu en cause d'appel ;
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches, du pourvoi formé par le trésorier général :
Attendu que le trésorier général reproche à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement, alors, selon le pourvoi, d'une part, que l'arrêt devait rechercher, ainsi qu'il lui était demandé, si l'Office pouvait exercer son droit de rétention, bien qu'il eût perdu la possession des lots de bois ; qu'à défaut, l'arrêt a privé sa décision de base légale, au regard de l'article 1612 du Code civil et des articles 6, 14 et 17 du cahier des clauses générales des ventes ; et alors, d'autre part, que l'arrêt a omis de répondre au chef des conclusions du trésorier général soutenant que le privilège du vendeur ne pouvait plus être exercé après l'ouverture du redressement judiciaire, ce qui avait empêché l'Office de produire au passif de la société X... à titre de privilégié ; que, ce faisant, l'arrêt a privé sa décision de motifs et violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, dès lors que l'article 17-1 du cahier des clauses générales des ventes de coupes en bloc et sur pied (le cahier) dispose que "le parterre des coupes ainsi que les places de dépôt désignées dans la forêt n'étant pas considérés comme le chantier ou le magasin des acheteurs, les bois qui s'y trouvent, sur pied ou abattus, pourront être retenus soit au titre du privilège du vendeur, soit en application de l'article 119 de la loi n 85-98 du 25 janvier 1985 relative au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises", ce dont il résulte que, postérieurement à la vente, l'Office conserve la détention des lots, c'est à juste titre que l'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'Office disposait sur les marchandises vendues d'un droit de rétention ; qu'il retient en outre que l'immobilisme non contesté de l'Office a entraîné la perte de ce droit dans lequel la banque ne peut plus être subrogée ; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses deux branches ;
Et sur le pourvoi formé par l'Office :
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par M. X... :
Attendu que M. X... conteste la recevabilité du pourvoi formé par l'Office, au motif que celui-ci n'est intervenu volontairement dans la procédure d'appel qu'à titre accessoire et que, par suite, il n'a pas qualité à se pourvoir en cassation contre l'arrêt ;
Mais attendu que l'arrêt retient une faute à l'encontre de l'Office et que celui-ci a donc intérêt à se pourvoir en cassation ; que le pourvoi est recevable ;
Et sur le pourvoi :
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches :
Attendu que l'Office reproche à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande tendant à l'infirmation du jugement qui avait débouté le trésorier général de son action, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans ses conclusions d'intervention du 29 juin 1992, l'Office avait soutenu que le litige portant, non sur la régularité du recouvrement de créances civiles par les comptables publics au profit de collectivités publiques, mais sur le fond, la banque se fondant, pour refuser de payer, sur une faute commise par le créancier, le Tribunal aurait dû ordonner la mise en cause de l'Office ; qu'ainsi, ces conclusions apportaient des éléments et des moyens nouveaux sérieux et qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'à tout le moins, en ne répondant pas à ce moyen, elle a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, enfin, qu'en confirmant le jugement qui avait statué sans qu'ait été ordonnée la mise en cause du créancier, la cour d'appel a violé l'article 14 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt admet l'intervention de l'Office dont il examine les prétentions au fond ; que les irrégularités alléguées par le moyen ne font donc pas grief à l'Office ; d'où il suit que le moyen est irrecevable ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches (que le trésorier général fait sien) :
Attendu que l'Office fait encore le même reproche à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans ses conclusions d'intervention, l'Office avait exposé que le transfert de propriété des bois avait eu lieu le 5 octobre 1989 lors de l'adjudication, que la livraison et l'entrée en possession étaient survenues le 16 novembre 1989 lors de la délivrance du permis d'exploiter, donc avant le jugement d'ouverture du redressement judiciaire en date du 5 décembre 1989, qu'à cette dernière date, il ne disposait donc plus du droit de rétention prévu par l'article 1612 du Code civil ; qu'il ne disposait pas davantage du privilège du vendeur, ni des droits de rétention et de revendication prévus par l'article 2102, 4 , du Code civil et les articles 116 et suivants de la loi du 25 janvier 1985 ; qu'en affirmant néanmoins que les parties n'avaient apporté en appel aucun élément nouveau, ni moyen sérieux, la cour d'appel a dénaturé ces conclusions en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; alors, d'autre part, qu'à tout le moins en ne répondant pas à ces conclusions, elle a violé l'article 455 du même Code ; alors, en outre, que la livraison de bois ayant eu lieu le 16 novembre 1989, avant le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire, l'Office ne pouvait plus exercer le droit de rétention prévu par ce texte et que la cour d'appel a donc violé l'article 1612 du Code civil ; alors, en surplus, qu'elle a violé les articles 2102, 4 , du Code civil, ainsi que 116, 118 et 119 de la loi du 25 janvier 1985 : qu'en effet ces textes ne permettent pas au vendeur de meubles de produire à titre de créancier privilégié dans le cadre de la procédure collective ; et alors, enfin, que les droits de rétention et de revendication prévus par les articles 118 et119 de la loi du 25 janvier 1985 ne peuvent s'exercer lorsque, comme en l'espèce, l'acheteur a été déjà mis en possession de ses biens avant le jugement d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ; que la cour d'appel a donc violé de nouveau ces textes ;
Mais attendu que, par motifs adoptés, l'arrêt retient à juste titre, par application de l'article 17.1 du cahier, que l'Office disposait sur les marchandises vendues d'un droit de rétention ; qu'il retient en outre que l'immobilisme non contesté de l'Office a entraîné la perte de ce droit dans lequel la banque ne peut plus être subrogée ; que, par ces seuls motifs, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen ne peut être accueilli en aucune de ses cinq branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses deux branches, (que le trésorier général fait sien) :
Attendu que l'Office fait enfin le même grief à l'arrêt, alors, selon le pourvoi, d'une part, que, dans ses conclusions d'intervention, l'Office avait soutenu que l'une des trois coupes de bois, concernant la forêt communale de Maron, avait été totalement exploitée et vidangée le 15 décembre 1989, soit à peine huit jours après le jugement d'ouverture, en date du 7 décembre 1989, et quasiment à la date où la caution avait réclamé pour la première fois à l'Office l'exercice de son droit de rétention ; que, contrairement à ce qu'a affirmé la cour d'appel, il s'agissait là d'élément et de moyens nouveaux et sérieux ; que la cour d'appel a donc dénaturé ces conclusions en violation des articles 4 et 5 du nouveau Code de procédure civile ; et alors, d'autre part, qu'en ne répondant pas à ces conclusions, elle a violé à tout le moins l'article 455 du même Code ;
Mais attendu qu'en relevant que la société X... avait été mise en redressement judiciaire le 7 décembre 1989, la cour d'appel a, hors toute dénaturation, répondu en les écartant aux conclusions invoquées, dès lors qu'il est constant qu'à cette date les bois n'avaient pas encore été enlevés ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Et sur les demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Attendu que, sur le fondement de ce texte, le trésorier général demande la somme de 10 000 francs ; que, de son côté, M. X..., demande deux sommes de 10 000 francs ;
Mais attendu qu'il n'y a pas lieu d'accueillir ces demandes ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois.