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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 16, 28 juin 2022, n° 21/06317

PARIS

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Haco (Sté), Catana Group (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ancel

Conseillers :

Mme Schaller, Mme Aldebert

Avocats :

Me Fanet, Me Anastasi, Me Boccon Gibod, Me Bernie

T. arb. Paris, du 2 mars 2021

2 mars 2021

I/ FAITS ET PROCÉDURE

1- Messieurs [M] [O], [K] [O], [J] [Y] et [P] [Y] (ci-après « les consorts [O] » ou « les recourants ») sont des personnes physiques de nationalité italienne. Ils sont propriétaires d'une société de droit tunisien, la société Magic Yachts, détenant un chantier naval de construction de yachts en Tunisie.

2- Messieurs [A] [X], [R] [X] sont des personnes physiques de nationalité française et propriétaires de chantiers navals en France, associés des sociétés Catana Group SA et Financière [X] SAS, sociétés de droit français et de la société HACO, société filiale de droit tunisien (ci-après « les défendeurs »).

3- En octobre 2019, suite à une offre formulée par la société CATANA GROUP, ses actionnaires majoritaires Messieurs [A] et [R] [X] et la société filiale HACO sont entrés dans une procédure d'acquisition de l'intégralité des parts sociales de la société MAGIC YACHTS.

4- Le 9 décembre 2019, une promesse de cession des parts sociales a été signée prévoyant une levée d'option pour le 31 mars 2020 et contenant une clause compromissoire.

5- Suite à l'échec des négociations, le 16 mai 2020, les sociétés Haco, financière [X], Catana Group, Monsieur [A] [X] et Monsieur [R] [X] ont engagé une procédure arbitrale et désigné M. [V] en qualité d'arbitre.

6- Le 12 juin 2020, ils ont saisi le juge d'appui du tribunal judiciaire de Montpellier pour nommer l'arbitre des consorts [O] qui n'avaient pas procédé à la désignation. Le juge d'appui a, le 23 septembre 2020, rendu une décision par laquelle il n'a pas retenu la désignation de Monsieur [V] et a désigné les professeurs [S] et [L] en qualité d'arbitres. Ces deux professeurs ont désigné le professeur [W] comme président du tribunal arbitral.

7- Le 16 octobre 2020, le professeur [W] a accepté le principe de sa désignation.

8- Parallèlement, les consorts [O] ont fait délivrer les 8 et 10 juillet 2020 une assignation devant le tribunal de commerce de Perpignan en paiement d'une indemnité forfaitaire de rupture du contrat et de dommages intérêts en application de l'article L. 442-1 du code de commerce.

9- La cour d'appel de Montpellier, saisie en appel, a le 23 novembre 2021, infirmé la décision du tribunal de commerce de Perpignan en date du 1er juin 2021 qui s'était déclaré compétent et dit que les tribunaux étatiques ne sont pas compétents pour statuer sur le litige opposant les consorts [O] aux consorts [X], et la cour a dit n'y avoir lieu de statuer sur l'irrecevabilité, tirée de la fin de non-recevoir, affectant les demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce.

10- Les parties ne s'étant pas mises d'accord sur un acte de mission, et les consorts [O] contestant leur consentement à l'arbitrage, le professeur [W] a adressé aux parties un projet de procès-verbal de constitution et de saisine du tribunal arbitral, qui n'a pas fait l'objet d'un accord.

11- Le 2 mars 2021, le tribunal arbitral a rendu une sentence partielle, se déclarant valablement constitué. Le 29 mars 2021, les consorts [O] ont formé un recours en annulation contre cette sentence.

12- Les parties ont accepté que la procédure soit conduite en application du protocole de procédure de la chambre commerciale internationale.

13- Par ordonnance rendue le 24 mai 2022, le conseiller de la mise en état, saisi sur conclusions d'incident des 5 avril et 11 mai 2022, et de conclusions en réponse du 6 mai 2022, a constaté que l'incident de communication de pièces était devenu sans objet, et a renvoyé la demande de rejet de conclusions devant la formation de jugement. Il a condamné les consorts [O] à payer aux défendeurs la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et réservé les dépens.

14- La clôture a été prononcée le 24 mai 2022.

II/ PRÉTENTIONS

15- Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 11 mai 2022, les recourants demandent à la cour, au visa de l'article 1520 alinéa 1 à 5 du code de procédure civile, de bien vouloir :

- CONSTATER que le tribunal arbitral s'est a tort déclare compétent a l'égard du litige qui lui a été' présente' par les Cessionnaires ;

- PRONONCER l'annulation de la Sentence rendue le 2 mars 2021 par le tribunal arbitral constitue' par Messieurs les Professeurs [E]. [W] (Président), [E]. [S] (Co-Arbitre) et, D. [L] (Co-Arbitre) dans l'affaire Société' Haco et autres c./ [M] [O] et autres;

- CONSTATER que le tribunal arbitral s'est irrégulièrement constitue' ;

- PRONONCER l'annulation de la Sentence rendue le 02 mars 2021 par le tribunal arbitral constitue' par Messieurs les Professeurs [E]. [W] (Président), [E]. [S] (Co-Arbitre) et, D. [L] (Co-Arbitre) dans l'affaire Société' Haco et autres c./ [M] [O] et autres;

- CONSTATER que le tribunal arbitral ne s'est pas conforme à sa mission ;

- PRONONCER l'annulation de la Sentence rendue le 02 mars 2021 par le tribunal arbitral constitue' par Messieurs les Professeurs [E]. [W] (Président), [E]. [S] (Co-Arbitre) et, D. [L] (Co-Arbitre) dans l'affaire Société' Haco et autres c./ [M] [O] et autres;

- CONSTATER que le tribunal arbitral n'a pas respecte' le principe du contradictoire ;

- PRONONCER l'annulation de la Sentence rendue le 02 mars 2021 par le tribunal arbitral constitue' par Messieurs les Professeurs [E]. [W] (Président), [E]. [S] (Co-Arbitre) et, D. [L] (Co-Arbitre) dans l'affaire Société' Haco et autres c./ [M] [O] et autres;

- CONSTATER que la reconnaissance et l'exécution de la Sentence rendue le 02 mars 2021 par le tribunal arbitral constitue' par Messieurs les Professeurs [E]. [W] (Président), [E]. [S] (Co-Arbitre) et, D. [L] (Co-Arbitre) dans l'affaire Société' Haco et autres c./ [M] [O] et autres viole l'ordre public international ;

- PRONONCER l'annulation de la Sentence rendue le 02 mars 2021 par le tribunal arbitral constitue' par Messieurs les Professeurs [E]. [W] (Président), [E]. [S] (Co-Arbitre) et, D. [L] (Co-Arbitre) dans l'affaire Société' Haco et autres c./ [M] [O] et autres;

-ORDONNER l'exécution provisoire de la décision a' intervenir.

En tout état de cause,

-DEBOUTER de leurs demandes Messieurs [A] [X] et [R] [X], les sociétés Financière [X] et Catana Group ;

-CONDAMNER Messieurs [A] [X] et [R] [X], les sociétés Financière [X] et Catana Group a' verser chacun a' Messieurs [M] [O], [K] [O], [J] [Y] et [P] [Y] la somme de € 15.000 au titre de l'article 700 du CPC ;

-CONDAMNER in solidum Messieurs [A] [X] et [R] [X], les sociétés Financière [X] et Catana Group aux entiers dépens ;

En tout état de cause,

-DEBOUTER de leurs demandes Messieurs [A] [X] et [R] [X], les sociétés Financière [X] et Catana Group ;

-CONDAMNER Messieurs [A] [X] et [R] [X], les socie'te's Financie're [X] et Catana Group a' verser chacun a' Messieurs [M] [O], [K] [O], [J] [Y] et [P] [Y] la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du CPC ;

-CONDAMNER in solidum Messieurs [A] [X] et [R] [X], les sociétés Financière [X] et Catana Group aux entiers dépens ;

16- Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique du 21 mai 2022, les défendeurs au recours demandent à la cour, au visa des articles 1520 et 32-1 du code de procédure civile, de bien vouloir :

-DECLARER Messieurs [M] [O], [K] [O], [J] [Y], et [P] [Y] irrecevables en leurs demandes

En tout état de cause :

-DEBOUTER Messieurs [M] [O], [K] [O], [J] [Y], et [P] [Y] de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions;

-REJETER le recours en annulation formée à l'encontre de la sentence arbitrale partielle sur incidents rendue à Paris le 2 mars 2021 par le tribunal arbitral composé Monsieur le Professeur Philippe [W], président, Monsieur le Professeur [E] [S], arbitre, Monsieur le Professeur [D] [L], arbitre;

-CONDAMNER solidairement Messieurs [M] [O], [K] [O], [J] [Y], et [P] [Y] à payer la somme de 100.000 € à [A] [X], [R] [X], HCO, Financière [X], et CATANA GROUP SA pour procédure abusive.

-CONDAMNER solidairement Messieurs [M] [O], [K] [O], [J] [Y], et [P] [Y] à payer la somme de 100.000 € au titre de l'article 700 CPC à [A] [X], [R] [X], HCO, Financière [X], et CATANA GROUP SA.

-CONDAMNER Messieurs [M] [O], [K] [O], [J] [Y], et [P] [Y] aux entiers dépens en ce compris le timbre fiscal.

-CONDAMNER [M] [O] à payer une amende de 10.000 € au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile

-CONDAMNER [K] [O] à payer une amende de 10.000 € au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

-CONDAMNER [J] [Y] à payer une amende de 10.000 € au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

-CONDAMNER [P] [Y] à payer une amende de 10.000 € au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile

Il sera fait référence aux conclusions susvisées en application de l'article 455 du code de procédure civile.

III/MOYENS DES PARTIES ET MOTIFS DE LA DECISION

Sur le rejet des conclusions d'incident

17- A titre liminaire, sur le rejet des conclusions d'incident des défendeurs du 6 mai 2022 dont la cour est saisie sur renvoi du conseiller de la mise en état, les consorts [O] demandent à la cour de « rejeter les conclusions signifiées par Monsieur [A] [X], Monsieur [R] [X] et les sociétés Haco, Catana Group et Financière [X] le 8 mai dernier (sic) en ce qu'elles se réfèrent à une plainte ordinale, alors qu'une telle plainte dont la réalité au demeurant n'est pas démontrée, porte atteinte au secret professionnel de l'Avocat. »

18- Les défendeurs ayant modifié leur bordereau de communication de pièce et notifié le nouveau bordereau par RPVA le 17 mai 2022, les demandeurs à l'incident ont, par conclusions du 11 mai 2022, indiqué que l'incident de communication de pièces était purgé.

19- Il y a lieu par conséquent de dire la demande de rejet des conclusions, contenue dans l'incident, devenue sans objet, les défendeurs retirant les mentions critiquées ainsi que la pièce litigieuse.

Sur la recevabilité des demandes

20- Les défendeurs au recours font valoir que la demande d'annulation de la sentence est irrecevable au visa des articles 1518 et 1520 du code de procédure civile.

21- Ils soutiennent que l'arbitrabilité du litige ne constitue pas un moyen visé à l'article 1520 du code de procédure civile, qu'il est dès lors irrecevable, le fait d'invoquer une loi de police étant inopérant sur ce point.

22- Ils soutiennent que l'incompétence des arbitres fondée sur la dénaturation de la clause d'arbitrage et de l'objet du litige consiste en réalité à demander la révision de la sentence et n'est dès lors pas recevable.

23- Ils soutiennent également que la demande relative à la constitution irrégulière du tribunal est irrecevable car non motivée, ni en fait ni en droit, et qu'elle a déjà été tranchée, la demande de récusation ayant été rejetée et ayant autorité de la chose jugée.

24- S'agissant de la violation de la mission, ils rappellent qu'un défaut de motivation de la sentence n'ouvre pas droit à une action en nullité, qu'en outre les arbitres ont statué en amiable composition, s'étant référés expressément à la mission d'amiable composition fixée.

25- Ils soutiennent que la demande d'annulation fondée sur la violation du contradictoire est également irrecevable, les demandeurs ayant saisi le tribunal arbitral de ce moyen, sur la base d'un incident de communication de pièces qui a été purgé en cours d'arbitrage, les demandeurs y ayant acquiescé, et ayant dès lors renoncé à ce moyen.

26- Ils soutiennent enfin, s'agissant de la violation de l'ordre public, que les demandeurs au recours confondent intérêt général et ordre public.

27- En réponse, les recourants contestent les fins de non-recevoir invoquées et rappellent qu'ils ont saisi la cour d'un recours en annulation sur le fondement de l'article 1520 du code de procédure civile, et non d'une demande de réformation.

28- Ils soutiennent tout d'abord, s'agissant de la recevabilité de la demande d'annulation fondée sur l'incompétence du tribunal arbitral, que la question de l'arbitrabilité du litige ne renvoie pas à l'appréciation de la recevabilité des demandes mais qu'elle se présente comme une condition de la compétence des arbitres et peut donc valablement être soumise au juge saisi du recours en annulation. Ils contestent que cette demande serait irrecevable car elle a déjà été tranchée, la cour devant réexaminer la question de la compétence tant en fait qu'en droit. Ils contestent que la théorie de l'imprévision alléguée ne puisse trouver application.

29- S'agissant de la recevabilité de la demande d'annulation fondée sur la constitution irrégulière du tribunal, ils indiquent que la décision du TJ de Perpignan du 6 octobre 2021, qui a rejeté leur demande de récusation, est soumise à un appel nullité, et qu'en tout état de cause, ce jugement n'a pas tranché la question de la constitution irrégulière du tribunal arbitral, qui est dès lors recevable.

30- Enfin, s'agissant de la recevabilité de la demande d'annulation au motif d'une absence de conformité à la mission, ils soutiennent que la mission du Tribunal est de vérifier que les arbitres ont réellement fait usage de leurs pouvoirs, et que, de ce fait, la Cour a bien le pouvoir d'examiner la motivation de la sentence afin de vérifier que les arbitres ont bien jugé comme ils le devaient.

Sur ce,

31- Il résulte de l'article 122 du code de procédure civile que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

32- Selon l'article 1466 du code de procédure civile « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ».

33- En l'espèce, s'agissant de l'irrecevabilité des griefs tirés de l'inarbitrabilité du litige, de l'incompétence du tribunal arbitral, de la constitution irrégulière du tribunal, de la non-conformité à la mission, de la violation du contradictoire et de la violation de l'ordre public, il n'est pas soutenu de défaut de droit d'agir et il n'est pas allégué que ces griefs n'auraient pas été soulevés devant les arbitres et que les parties y auraient renoncé.

34- Les irrecevabilités invoquées constituent en réalité des moyens tendant au rejet des moyens d'annulation, et non de fins de non-recevoir, et en l'absence de présomption de renonciation par application de l'article 1466 du code de procédure civile, il y a lieu de dire le recours en annulation recevable et de traiter lesdits moyens dans le cadre de la discussion au fond.

Sur le moyen tiré de l'incompétence du Tribunal arbitral (art. 1520 1° du code de procédure civile

35- Les recourants soutiennent que le tribunal arbitral s'est à tort déclaré compétent. Ils indiquent que le litige est inarbitrable et qu'il n'entre pas dans le champ de la clause compromissoire.

36- Ils font valoir tout d'abord que le litige relève au fond de la compétence exclusive des juridictions étatiques françaises, notamment pénales ou para-pénales et qu'il est dès lors inarbitrable.

37- Ils estiment à ce titre que le tribunal arbitral aurait dû se déclarer incompétent face à une contrariété à l'ordre public de la clause de prix insérée dans la promesse de cession de titres du 9 décembre 2019, constatant une ventilation inégalitaire du prix entre les acquéreurs et un risque d'abus de biens sociaux des dirigeants de Catana Group et de Haco qui relève de la compétence des juridictions pénales. De même, faisant référence à une violation des articles 223-1 et 223-7 du règlement général de l'AMF sur l'obligation d'information du public en matière d'information privilégiée, ils soutiennent que le Tribunal arbitral aurait dû se déclarer incompétent ou à tout le moins enjoindre aux cessionnaires de respecter les dispositions du règlement de l'AMF, ce qu'il n'a pas fait.

38- Ils exposent à ce titre que l'acquisition de l'intégralité des parts sociales de la société Magic Yachts a fait l'objet de différents communiqués de presse publiés par le Conseil d'administration de Catana Group qui a permis au cours en bourse de Catana Group de faire un bond de +5,26%, mais que Catana Group n'a pas publié que la vente n'était pas intervenue au 31 mars 2020, contrairement à ce qui avait été annoncé, ce qui aurait fait chuter ledit cours, et que ce n'est que le 3 juin 2020 qu'elle en a fait état, plusieurs informations contradictoires ayant été publiées. Ils soutiennent que de tels manquements sont susceptibles de sanctions de la part de l'AMF et constituent une violation flagrante, effective et concrète de règles impératives, rendant le litige inarbitrable.

39- Ils exposent enfin que la décision du tribunal arbitral se heurte à l'autorité de la chose jugée par le tribunal de commerce de Perpignan qui s'est, le 1er juin 2021, déclaré compétent, ayant jugé que la clause compromissoire était manifestement inapplicable.

40- Ils ajoutent ensuite que le litige n'entre pas dans le champ d'application de la clause compromissoire, que le Tribunal s'est à tort déclaré compétent pour l'ensemble du litige, alors que certaines des prétentions des défendeurs portaient sur des renégociations qui suivirent le refus de signature par eux de la seconde promesse, constituant une nouvelle relation contractuelle non couverte par la clause compromissoire.

41- En réponse, les défendeurs au recours font valoir que le tribunal arbitral est compétent.

42- A titre liminaire, ils rappellent que l'incompétence alléguée se heurte à l'autorité de la chose jugée, la cour d'appel de Montpellier ayant, par un arrêt du 23 novembre 2021, infirmé la décision du tribunal de commerce de Perpignan du 1er juin 2021 et retenu que la clause compromissoire n'était pas manifestement nulle ni manifestement inapplicable au litige, et que le litige n'était pas inarbitrable.

43- Ils indiquent que la notion d'inarbitrabilité n'est pas liée à l'application de lois de police, ces dernières n'excluant pas le recours à l'arbitrage, et qu'en tout état de cause, c'est aux arbitres exclusivement qu'il appartient de trancher l'arbitrabilité du litige.

44- S'agissant de l'application des articles 223-1 et 223-7 du Règlement général de l'AMF au regard de l'arbitrabilité du litige, ils exposent que les arbitres ont déjà répondu sur ce point, en estimant qu'il ne leur appartenait pas de se prononcer sur la qualité de l'information financière donnée aux marchés par la société Catana Group, seule l'AMF ayant un pouvoir de police. Ils estiment que cela ne prive pas les arbitres du pouvoir juridictionnel qui leur a été confié par l'effet de la clause compromissoire, les consorts [O] n'ayant pas estimé opportun de saisir l'AMF.

45- En outre, ils exposent que si la clause de prix prévue au contrat avait pu être viciée lors de la rédaction de la première promesse, elle a ensuite été corrigée, et qu'en tout état de cause, aucune infraction telle qu'un abus de biens sociaux n'a pu être commise, dans la mesure où les concluants ont résilié le contrat avant tout commencement d'exécution. Bien plus, la sentence arbitrale n'aurait pu être affectée que si son exécution avait été de nature à faire bénéficier une partie du produit d'un délit, ce qui n'était pas le cas en l'espèce dans la mesure où il était demandé aux arbitres de statuer sur les conséquences de la résiliation de la promesse et non sur la clause de ventilation du prix. Dès lors, le prétendu vice de rédaction affectant la clause de ventilation du prix ne constituait en aucune manière un obstacle à l'arbitrabilité du litige.

46- Ensuite, ils soutiennent que la compétence du tribunal arbitral s'impose à la lecture même de la clause compromissoire contenue dans la promesse litigieuse, la clause étant suffisamment large pour s'appliquer aux demandes des parties, et l'objet du litige étant défini par les demandes réciproques des parties, qui peuvent évoluer, ce qui a été le cas, ainsi que cela résulte des échanges de mémoires devant le tribunal arbitral, la demande portant sur la révision du prix ayant été abandonnée, mais les demandes sur les conditions de la résiliation de la promesse du 9 décembre 2019, et sur l'indemnité pour rupture fautive des pourparlers relevant à l'évidence du contentieux de l'exécution de la promesse entrant dans le champ d'application de la clause compromissoire, et les demandes relatives au périmètre de l'arbitrage sur l'arbitrabilité relevant de la seule compétence des arbitres qui sont compétents pour trancher cette question, et qu'en réalité, sous couvert d'une prétendue incompétence, les recourants tentent d'obtenir une révision au fond de la sentence.

Sur ce,

-Sur l'incompétence fondée sur l'autorité de chose jugée de la décision rendue par le tribunal de commerce de Perpignan

47- En application des articles 1448 et 1506 du code de procédure civile, lorsqu'un litige relevant d'une convention d'arbitrage est porté devant une juridiction de l'État, celle-ci se déclare incompétente sauf si le tribunal arbitral n'est pas encore saisi et si la convention d'arbitrage est manifestement nulle ou manifestement inapplicable.

48- Dès lors, en l'absence de constatation de la nullité ou de l'inapplicabilité manifeste de la clause d'arbitrage, il appartenait aux seuls arbitres de statuer sur leur propre compétence.

49- En l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats que la juridiction étatique saisie par les consorts [O] d'une demande en paiement d'une indemnité forfaitaire de 680.000 euros sur la base de l'article 5-1 de la promesse litigieuse contenant la clause compromissoire, ainsi que de dommages-intérêts sur le fondement de l'article L.442-1 du code de commerce, a estimé que la clause compromissoire n'était pas manifestement nulle ni manifestement inapplicable, a constaté que le tribunal arbitral était en cours de constitution et s'est déclarée incompétente.

50- Les arbitres ont dès lors régulièrement statué sur leur propre compétence le 2 mars 2021 sans se heurter à l'autorité de chose jugée de la décision du tribunal de commerce de Perpignan du 1er juin 2021 qui a été infirmée par la décision de la cour d'appel de Montpellier du 23 novembre 2021 et qui ne tranchait que la question de sa propre compétence et non celle des arbitres.

51- Le grief tiré de l'incompétence sera rejeté sur ce premier moyen.

- Sur l'incompétence tirée de l'arbitrabilité du litige

52- Selon l'article 1520, 1° du code de procédure civile, le recours en annulation est ouvert si le tribunal s'est déclaré à tort compétent ou incompétent.

53- Le juge de l'annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage, sans toutefois que cela lui donne le pouvoir de réviser le fond. Il contrôle notamment à ce titre l'existence de la clause compromissoire, l'applicabilité de la clause, et l'arbitrabilité du litige, qui est non seulement une condition de validité de la convention d'arbitrage mais aussi une condition de la compétence des arbitres et relève à ce titre du contrôle par le juge de l'annulation au titre de l'article 1520-1° susrappelé.

54- Tout d'abord, l'arbitrabilité d'un litige doit être tranchée en priorité par les arbitres en vertu du principe de compétence-compétence rappelé ci-dessus.

55- Ensuite, l''arbitrabilité d'un litige n'est pas exclue du seul fait qu'une réglementation d'ordre public, fusse-t-elle une loi de police, est applicable au rapport de droit litigieux.

56- L'arbitre a en effet compétence pour apprécier sa propre compétence quant à l'arbitrabilité du litige au regard de l'ordre public international et dispose du pouvoir d'appliquer les principes et règles relevant de cet ordre public, ainsi que de sanctionner leur méconnaissance éventuelle, sous le contrôle du juge de l'annulation.

57- Si le caractère de loi de police économique d'une règlementation est établi et qu'il interdit aux arbitres de prononcer des injonctions ou des amendes, les arbitres peuvent néanmoins tirer les conséquences civiles d'un comportement jugé illicite au regard desdites règles d'ordre public qui peuvent être directement appliquées.

58- Il appartient ainsi à l'arbitre, saisi d'un litige mettant en jeu des questions de conventions réglementées, comme invoqué en l'espèce, ou de sociétés dont les actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé, de statuer sur sa propre compétence, sans qu'il résulte desdites réglementations une inarbitrabilité de droit du litige en résultant.

59- Ainsi, sauf à ce qu'une illicéité affecte la convention d'arbitrage elle-même, le tribunal arbitral saisi d'un litige, est en mesure de statuer sur une éventuelle violation de l'ordre public applicable aux demandes dont il est saisi.

60- De même, le fait que des allégations de corruption ou des « red flags » soient soulevés devant les arbitres ne suffit pas à rendre le litige inarbitrable, contrairement à ce que soutiennent les consorts [O], la question des « red flags » n'étant en tout état de cause pas une question de compétence, mais une question de fond et d'ordre public international.

61- Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le grief d'incompétence tiré de l'inarbitrabilité du litige au regard de l'application de dispositions du règlement de l'AMF ou de dispositions impératives du code de commerce doit être rejeté, le fait que des manquements soient susceptibles de sanctions de la part de la Commission des Sanctions de l'AMF étant sans incidence sur la décision de compétence des arbitres, ces derniers n'étant pas saisis d'une demande de sanction ou d'amende.

62- C'est donc sans encourir le grief d'annulation prévu par l'article 1520 du code de procédure civile que les arbitres ont pu se déclarer compétent en retenant que « ni l'existence d'une ventilation inégalitaire du prix entre les différents acquéreurs ni une éventuelle violation des articles 223-1 et 223-7 du Règlement général de l'AMF constituent des « red flags » rendant inarbitrables les demandes des cessionnaires » (sentence p.19).

- Sur l'incompétence tirée du champ d'application de la clause compromissoire

63- Il n'appartient pas à la cour de se substituer aux arbitres, ni d'apprécier la pertinence de leur raisonnement dans l'appréciation de leur propre compétence, mais d'apprécier la portée de la convention d'arbitrage.

64- En l'espèce, la convention d'arbitrage résulte de la clause compromissoire contenue dans la Promesse du 9 décembre 2019 stipulant :

« En cas d'échec, toutes les contestations de toute nature qui peuvent ou pourront s'élever à l'occasion soit de l'exécution, soit de l'interprétation de la présente promesse ou de la mise en œuvre de ses contrats accessoires, seront soumises en premier et dernier ressort à un collège arbitral de trois arbitres ».

65- Rappelant que l'objet du litige dont le tribunal était saisi « est déterminé par le jeu des prétentions originaires de chaque partie qui peut évoluer tout au long de l'instance arbitrale » et que « les parties peuvent présenter des demandes nouvelles ou modifier [leurs] demandes initiales au cours de la procédure, à condition qu'elles se rattachent aux prétentions développées à l'origine de l'instance par un lien suffisant et qu'elles demeurent dans les prévisions de la clause compromissoire stipulée » (sentence p.11), le tribunal a retenu sa compétence « en ce qui concerne le périmètre de l'arbitrage », réservant toutefois aux arbitres de se prononcer dans la ou les sentences qu'ils rendront sur le bien-fondé des contestations telles que les parties les ont formulées à ce jour et « au besoin, y revenir sur le point de savoir si les demandes formées par les Cédants ou/et les Cessionnaires entrent ou non dans le champ de l'arbitrage prévu par la clause compromissoire » (id. p.11), au motif non contesté que les demandes ont effectivement évolué entre la saisine d'origine (16 mai 2020, demande de réfaction du prix) et les derniers mémoires échangés (abandon de la demande de réfaction du prix, conditions et indemnisation des conséquences de la résiliation de la promesse, refus de renégociation), et que les parties ont renoncé à certaines de leurs demandes originaires, pour les remplacer par d'autres, ce que les arbitres ont noté, tout en notant que les consorts [O] sollicitaient l'irrecevabilité des demandes nouvelles, sans examen au fond, à raison du périmètre de l'arbitrage, ce sur quoi les arbitres n'ont pas statué et se sont réservé de pouvoir faire lors de l'instance au fond.

66- L'irrecevabilité des demandes nouvelles n'étant pas un moyen d'annulation, et l'application ou non de la théorie de l'imprévision étant un moyen de fond, c'est dès lors sans encourir le grief de violation de l'article 1520-1° du code de procédure civile que le tribunal, au vu des demandes dont il avait été saisi lors de sa saisine, a pu se déclarer compétent au regard de l'état des demandes « à ce jour », c'est-à-dire en l'état des demandes telles qu'elles ont évolué depuis la saisine jusqu'aux derniers échanges par mémoires avant la sentence partielle, en se réservant d'apprécier lors de l'instance au fond si les demandes formées entrent toujours ou non dans le champ de l'arbitrage.

Sur le grief tiré de la constitution irrégulière du Tribunal arbitral (art.1520, 2° du CPC) :

67- Les recourants soutiennent que l'attitude des arbitres a provoqué dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur leur indépendance et impartialité, que cela résulte des propos déplacés que les arbitres ont eus et des déformations qui résultent de la sentence partielle, les arbitres s'étant livrés à une dénaturation inadmissible des circonstances factuelles, notamment au regard des conséquences de la crise du Covid. Ils soutiennent enfin que le tribunal n'a retenu que la version des faits telle que présentée par les défendeurs et rejeté l'ensemble des demandes des demandeurs, que ces éléments sont de nature à faire naître dans l'esprit d'une partie un doute raisonnable sur l'objectivité de l'arbitre.

68- En réponse, les défendeurs soutiennent que le moyen invoqué de la partialité du tribunal se heurte au principe de l'autorité de la chose jugée, le tribunal judiciaire de Perpignan ayant rejeté la demande de récusation par un jugement du 6 octobre 2021. S'agissant des éléments de fait invoqués sur la partialité du président, ils les contestent point par point, estimant que la preuve du défaut d'impartialité n'est pas rapportée.

Sur ce,

69- Il appartient à la cour d'apprécier l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre, en relevant toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur ces qualités, qui sont de l'essence même de la fonction arbitrale.

70- Si un tel doute peut le cas échéant résulter de la sentence elle-même, encore faut-il, dès lors que le contenu de la motivation de la sentence arbitrale échappe au contrôle du juge de l'annulation, que ce doute soit fondé sur des éléments précis quant à la structure de la sentence ou ses termes mêmes, qui laisseraient supposer que l'attitude de l'arbitre a été partiale ou à tout le moins serait de nature à donner le sentiment qu'elle l'a été.

71- A cet égard, le fait que le juge d'appui ait rejeté la demande de récusation d'un arbitre n'épuise pas le grief tiré de la partialité ou de sa dépendance dès lors que celui-ci résulte de circonstances survenues postérieurement.

72- En l'espèce, il résulte des éléments versés aux débats que les griefs de partialité invoqués concernant des remarques déplacées ne sont pas précisés, que le fait pour le président d'avoir été « ferme » et d'avoir adressé un « ultimatum » au conseil des Cédants pour signer le procès-verbal, qu'ils n'ont d'ailleurs pas signé, ne permet pas d'établir la réalité d'un parti-pris de l'arbitre, qu'aucun élément ne permet de justifier l' « atmosphère de méfiance, d'incertitude et de peur » alléguée, le président du tribunal arbitral ayant simplement indiqué aux consorts [O] « (') Il n'est pas possible que deux versions différentes du procès-verbal soient signées. J'ai déjà les signatures de votre contradicteur et de deux des arbitres. Au surplus, vous n'avez pas signé la dernière version qui avait intégré la plupart des suggestions de Maître [I]. Vous trouverez en pièce attachée la bonne version à parapher et à signer. ( ) ». Il a ensuite tiré les conséquences de l'absence de signature du procès-verbal en indiquant « Un acte de mission n'ayant pu être conclu, le présent arbitrage se déroulera en application de la clause compromissoire figurant sous l'article 7. 3 de l'avant-contrat », ce qui ne permet pas de justifier une quelconque pression ou crainte, la fermeté du président résultant de ces échanges étant la même à l'égard de tous et ne pouvant être qualifiée de « menace », même si face au refus des cédants, il leur a adressé un courriel le 18 décembre 2020 les mettant devant leur responsabilité : « ou vous acceptez de signer le PV dans la version qui vous a à nouveau été adressée hier et sur laquelle il nous a semblé que Me [I] était d'accord, après que nous avons intégré les principales modifications qu'il souhaitait. (') Ou, vous ne voulez pas signer. Dans cas, je vous remercie de me le faire savoir avant 16 heures, ce jour. »

73- Les Consorts [O] ont d'ailleurs cru devoir faire délivrer une sommation interpellative aux arbitres d'avoir à justifier pourquoi ils avaient refusé de soumettre la version du procès-verbal telle que rédigée par eux, ce qui est loin de démontrer une atmosphère de crainte ou de menaces.

74- Il ne saurait donc résulter de ces éléments les preuves d'une quelconque partialité du tribunal arbitral et d'un parti pris à l'encontre des consorts [O].

75- S'agissant des déformations alléguées des circonstances factuelles résultant de la sentence, les consorts [O] invoquent la mention du discours du Président [F] figurant dans la sentence partielle (p.2) dont la date indiquée aurait été délibérément erronée, les arbitres ayant indiqué le 19 mars 2020 selon la sentence alors qu'il n'y aurait eu aucun discours présidentiel sur le Covid ce jour-là mais que le discours était le 16 mars, sans démontrer en quoi cette erreur de date serait la preuve que la motivation de la sentence serait biaisée, que le rappel des faits serait dénaturé, ce d'autant que les arbitres avaient demandé aux parties de produire chacune leur version des faits.

76- S'agissant de l'absence de motivation de la sentence sur l'arbitrabilité, outre le fait que le juge de l'annulation n'est pas le juge de la motivation de la sentence, il résulte de la sentence elle-même que les arbitres ont développé leurs motifs sur cette question au paragraphe 4 intitulé « sur l'arbitrabilité des demandes des Cessionnaires du fait des 'red flags' » et du fait de la violation des articles 223-1 et 223-7 du Règlement général de l'AMF (p.11-13), le seul fait qu'elles soient pour partie défavorables aux consorts [O] ne suffisant pas à caractériser un parti pris à leur encontre et qu'il ne peut dès lors être déduit un quelconque défaut d'impartialité tiré de la sentence elle-même.

77- Il ressort de ces éléments que la dénaturation des faits n'est pas établie et que les circonstances alléguées ne sont pas de nature à créer un doute raisonnable quant à un défaut d'impartialité ou d'indépendance du tribunal arbitral de telle sorte que le moyen sera rejeté.

Sur le grief tiré du manquement du tribunal arbitral a' sa mission (art. 1520, 3° CPC)

78- Les recourants soutiennent que le tribunal arbitral n'a jamais statué en considération l'équité, alors qu'il y était tenu par son pouvoir d'amiable compositeur. Dès lors, ils estiment que le tribunal arbitral a statue' sans se conformer a' la mission qui lui avait été' confiée.

79- En réponse, les défendeurs estiment que le grief n'est étayé par aucune preuve ni aucun raisonnement.

Sur ce,

80- Selon l'article 1512 du code de procédure civile, le tribunal arbitral statue en amiable composition si les parties lui ont donné cette mission.

81- En l'espèce, l'article 7.3 de la Promesse prévoit expressément que le tribunal statuera en amiable compositeur, ce que les arbitres rappellent dans la sentence (p.8), en indiquant que « le Tribunal doit trancher le litige en amiable compositeur », et il en a déduit qu'il pouvait, sans se référer au code de procédure civile, statuer sur la recevabilité des exceptions de procédure ou sur les fins de non-recevoir, ainsi que sur les incidents soulevés au stade de la compétence, la sentence partielle ne statuant que sur la compétence.

82- Sous couvert d'un moyen tiré de la violation de la mission, les consorts [O] entendent en réalité réviser la décision des arbitres sans que ce moyen ne soit étayé par aucun élément concret.

83- Au regard de ces éléments, le grief n'est pas fondé

Sur le grief tiré de la violation du principe de la contradiction (art. 1520, 4° du CPC):

84- Les recourants soutiennent qu'en violant le principe de loyauté dans la conduite de la procédure le tribunal arbitral n'a pas respecté le principe du contradictoire. Ils font référence au courrier du 16 octobre 2020 par lequel le Professeur [W] a indiqué accepter sa nomination, sans formellement l'accepter et estiment que la partialité dont il a fait preuve a pesé sur la loyauté des débats et partant, violé le contradictoire.

85- Ils soutiennent encore que le professeur [W] a violé le principe du contradictoire lorsqu'il a demandé au Conseil des Cessionnaires de résumer seul les faits et lorsqu'il les a inclus dans son projet de procès-verbal, ainsi que lorsqu'il a inséré une clause relative à ses pouvoirs discrétionnaires et lancé la signature de ce procès-verbal, en l'absence du Conseil des Cédants. Dès lors, les demandeurs estiment qu'il y a atteinte au principe de la contradiction.

86- Ils soutiennent encore que le tribunal ne s'est pas assuré que les communications entre parties étaient contradictoires et spontanées.

87- En réponse, les défendeurs font valoir que le manque de loyauté allégué ne repose sur aucun élément et que les violations du contradictoire alléguées sont mensongères ou résultent du propre comportement des recourants, ces derniers multipliant les incidents de communication de pièces.

Sur ce,

88- Le principe de la contradiction permet d'assurer la loyauté des débats et le caractère équitable du procès. Il interdit qu'une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter. Il interdit également que des écritures ou des documents soient portés à la connaissance du tribunal arbitral sans être également communiqués à l'autre partie, et que des moyens de fait ou de droit soient soulevés d'office sans que les parties aient été appelées à les commenter.

89- S'agissant du manque de loyauté du président du tribunal arbitral allégué au regard de son courrier du 16 octobre 2019, il résulte de ce courrier que le président a écrit : « j'ai accepté le principe de cette désignation et la présidence du tribunal arbitral, ce qui sera confirmé lors de la signature de l'acte de mission », ne posant ainsi aucune condition ou incertitude à son acceptation, la signature de l'acte de mission n'étant pas imposée, aucune pression ni aucune déloyauté ne pouvant être déduites de ces termes, ce d'autant qu'en tout état de cause, les recourants n'ont pas accepté de signer l'acte de mission.

90- S'agissant du non-respect du contradictoire allégué au regard de l'établissement de la synthèse des faits, il résulte des pièces versées aux débats que de nombreux échanges ont eu lieu avant l'établissement de cette synthèse et que le président a dès l'acceptation de la mission, par ce même courrrier du 16 octobre, invité les deux parties à lui transmettre l'exposé sommaire du litige ainsi que les questions qu'elles entendaient soumettre au tribunal arbitral.

91- Le fait que les arbitres aient ensuite, dans la sentence, évoqué la pandémie et la crise économique en ayant résulté et d'avoir fait référence entre parenthèses au « (discours du Président de la République du 19 mars 2020) », dont la date serait erronée, et en aient déduit, dans le rappel des faits, que « C'est dans ces conditions que M. [A] [X] a adressé, le 20 mars 2020, un courriel aux Cédants indiquant que les Cessionnaires refusaient de signer la seconde promesse ainsi que les conventions annexes ; il proposait alors différentes solutions alternatives, parmi lesquelles une réduction de prix. (Pièce n°39) » ne permet pas d'établir une « dénaturation » des faits ni que les arbitres se soient basés sur la seule synthèse des faits fournie par les défendeurs au recours, une telle affirmation ne résultant ni des échanges et pièces versés aux débats, ni des mémoires, et les faits litigieux ayant dès le début de l'arbitrage été mis dans le débat, les recourants affirmant sans en justifier que les arbitres auraient repris sans le vérifier, le déroulement des circonstances tel que présenté par les Cessionnaires.

92- Le caractère prétendument erroné de ces éléments ayant fait l'objet d'un débat contradictoire au cours de l'instance arbitrale, la décision du tribunal n'a pas été surprise par un procédé déloyal ou non contradictoire, mais procède d'une appréciation éclairée de l'exactitude et de la portée des documents qui lui étaient soumis, appréciation qu'il n'appartient pas à la cour de réviser.

93- S'agissant des échanges entre les arbitres et les parties, les nombreux courriers versés aux débats suffisent à rapporter la preuve de ce que l'ensemble des éléments retenus par les arbitres a pu être débattu par les parties, de telle sorte que même si l'arbitre a décidé de ne pas retenir des modifications proposées, ce qui relève de son pouvoir d'appréciation, la sentence n'encourt, là encore, aucune critique.

94- S'agissant enfin d'un pouvoir discrétionnaire que l'arbitre se serait octroyé en indiquant : « En dehors des échanges de mémoires et pièces prévus par le calendrier, une partie ne pourra adresser au Tribunal arbitral, dans le respect du contradictoire, une communication ou/et de nouvelles pièces qu'avec l'autorisation du Président du Tribunal arbitral, le Tribunal leur réservant la considération qui leur est due » et en invitant les parties à « signer la page 18 en six exemplaires originaux [ ] au plus tard jeudi 17 décembre à 18 heures ( ) », il ne résulte pas de ces éléments que le président aurait outrepassé le pouvoir de gérer le calendrier de l'arbitrage, ni que sa gestion du temps soit inégale selon les parties, ce courrier ayant été adressé à l'ensemble des parties, aucune violation du contradictoire n'étant là encore établie.

95- Le moyen sera en conséquence rejeté.

Sur le grief tiré de la contrariété' a' l'ordre public international (article 1520, 5° du CPC):

96- Les recourants soutiennent, tout d'abord, que la sentence arbitrale participe à la dissimulation d'une atteinte à l'ordre public, rappelant que les demandes formées par les consorts [X] sont en contrariété avec des obligations légales et réglementaires impératives, la violation étant « flagrante, effective et concrète » qu'il s'agit d'un « red flag » rendant la demande inarbitrable et que le fait que le tribunal se soit malgré tout déclaré compétent est une violation de l'ordre public international. Ils considèrent que les défendeurs ont cherché à obtenir une décision qui porterait atteinte à l'intérêt général. Dès lors, en se déclarant compétent, le tribunal arbitral porterait atteinte à l'ordre public.

97- Ils soutiennent, ensuite, que la sentence partielle rendue le 2 mars 2021, en retenant la compétence du Tribunal arbitral et en rejetant les arguments des défendeurs quant a l'inarbitrabilite du litige, autorise une fourniture de moyen au sens de l'article 121-7 du code pénal. Ainsi, ils présument que cela constitue une raison pour considérer que les demandes des Cessionnaires devaient être déclarées inarbitrables, en ce qu'elles ont été' demandées en contrariété' avec des obligations légales.

98- En réponse, les défendeurs rappellent que les consorts [O] confondent ordre public et intérêt général, que la sentence ne dissimule pas d'atteinte à l'ordre public international, car celle-ci ne contient aucun motif de contrariété à l'ordre public international, les arbitres ayant statué sur la compétence uniquement et renvoyé au fond la question relative à la ventilation inégalitaire du prix qui serait pénalement répréhensible. Par ailleurs, ils estiment que la sentence ne viole pas le principe de d'autorité de la chose jugée, puisque la décision du tribunal de commerce de Perpignan du 1er juin 2021 qui s'était déclaré compétent a été infirmée par la cour d'appel de Montpellier le 23 novembre 2021.

Sur ce,

99- Aux termes de l'article 1520, 5° du code de procédure civile, une sentence ne peut être reconnue ou exécutée en France « si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence sont contraires à l'ordre public international ».

100- L'ordre public international s'entend de la conception française de l'ordre public, c'est-à-dire de l'ensemble des principes et des valeurs dont l'ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance, même dans des matières internationales.

101- Le contrôle exercé par le juge de l'annulation pour la défense de l'ordre public international s'attache seulement à examiner si l'exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral heurte les principes et valeurs compris dans l'ordre public international

102- Devant le juge de l'annulation, le débat portant au fond sur l'applicabilité des lois de police du for, à supposer que les violations de telles règles soient invoquées, ne remettent pas en cause la compétence du tribunal arbitral au regard de l'ordre public international.

103- En l'espèce, les recourants se fondent sur l'inarbitrabilité du litige, fondée sur l'applicabilité au fond de lois de police impératives, pour soutenir une violation de l'ordre public international.

104- Or, comme rappelé ci-dessus, le seul fait que des lois impératives, fussent-elles d'ordre public, soient applicables ou invoquées, ne rend pas le litige inarbitrable, et le fait que le tribunal se déclare compétent n'emporte pas violation de l'ordre public international, sans établir en quoi ladite sentence heurterait les principes et valeurs de l'ordre juridique français.

105- S'agissant de la violation invoquée en ce que la décision arbitrale sur la compétence autoriserait une fourniture de moyens au sens de l'article 121-7 du code pénal, il appartient à celui qui l'allègue de démontrer en quoi la sentence elle-même constituerait un élément matériel de l'infraction alléguée. Là encore, sous couvert d'un moyen tiré de la violation de l'ordre public international, les consorts [O] entendent en réalité critiquer les conditions dans lesquelles la résiliation de la Promesse est intervenue, en invoquant des dispositions légales impératives, ce qui revient à critiquer la motivation du tribunal arbitral qui a estimé qu'il était compétent pour statuer sur ces demandes, nonobstant l'invocation desdites dispositions.

106- De plus, à supposer que des irrégularités aient été commises au regard de la règlementation de l'AMF ou de la variation de prix, et que des enquêtes pénales pour des faits d'abus de biens sociaux puissent être envisagées, cette seule circonstance n'est pas de nature à caractériser une violation de l'ordre public international.

107- Dès lors, le grief de violation de l'ordre public international n'est pas caractérisé et sera par conséquent rejeté.

Sur la procédure abusive et l'amende civile

108- Les défendeurs au recours soutiennent que les recourants ont multiplié les recours et les maoeuvres abusives et procèdent à une instrumentalisation de la justice, notamment en multipliant les affronts à l'égard des arbitres, cherchant systématiquement l'incident, ainsi que dans le cadre de la présente procédure. Ils sollicitent une indemnité pour procédure abusive, ainsi que la condamnation des recourant à une amende civile.

109- Les recourants excipent de leur droit de s'opposer au comportement déloyal des cessionnaires, qui ont initié une procédure arbitrale en modifiant à maintes reprises leurs demandes dans le but de se défaire de leurs propres engagements contractuels. Ils estiment que chacune des procédures et des méthodes employées trouvent une justification légitime, au regard de leur droit d'accès à un juge indépendant et impartial.

Sur ce,

110- L'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à des dommages et intérêts qu'en cas de faute susceptible d'engager la responsabilité civile de son auteur.

111- En application de l'article 559 du code de procédure civile, en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés.

112- En l'espèce, la cour est saisie d'une demande d'annulation qui ne procède ni d'un abus ni d'une négligence, les fautes et manoeuvres invoquées étant relatives à la procédure arbitrale elle-même, dont seuls les arbitres sont saisis, le droit pour les recourants d'avoir utilisé les moyens procéduraux disponibles devant le conseiller de la mise en état n'étant pas en soi constitutif d'un abus.

113- Il y a lieu par conséquent de rejeter tant la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive que la demande d'amende civile.

Sur les frais et dépens

114- Il y a lieu de condamner les consorts [O], parties perdantes, aux dépens.

115- En outre, ils doivent être condamnés in solidum à verser aux défendeurs, qui ont dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir leurs droits, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme globale de 80 000 euros.

IV/ DISPOSITIF

La cour, par ces motifs,

1- Dit que la demande de rejet des conclusions d'incident est devenue sans objet, et en conséquence déboute les consorts [O] de cette demande,

2- Dit que le recours en annulation est recevable,

3- Rejette le recours en annulation contre la sentence sur la compétence rendue le 2 mars 2021;

4- Déboute [A] [X], [R] [X], la société Catana Group SA, la société HACO et la société Financière [X] SAS de leur demande d'indemnité pour procédure abusive,

5- Dit n'y avoir lieu au paiement d'une amende civile,

6- Condamne in solidum [M] [O], [K] [O], [J] [Y] et [P] [Y] à payer à [A] [X], [R] [X], la société Catana Group SA, la société HACO et la société Financière [X] SAS, une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme globale de 80 000 euros.

7- Condamne [M] [O], [K] [O], [J] [Y] et [P] [Y] aux dépens.

 

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