Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 7, 30 juin 2022, n° 21/18276

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Adrexo (SAS)

Défendeur :

La Poste (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Barbier

Conseillers :

Mme Maitrepierre, Mme Schmidt

Avocats :

Me Boccon Gibod, Me Gautier, Me Teytaud, Me Bocket

Aut. conc., du 15 sept. 2021, n° 21-D-22

15 septembre 2021

Vu la déclaration de recours contre la décision de l'Autorité de la concurrence n° 21-D-22 du 15 septembre 2021 déposée au greffe par la société Adrexo le 21 octobre 2021 ;

Vu l'exposé des moyens déposé au greffe par la société Adrexo le 23 novembre 2021 ;

Vu la déclaration d'intervention volontaire déposée au greffe le 21 janvier 2022 par la société La Poste ;

Vu les conclusions d'incident déposées au greffe le 7 février 2022 par la société Adrexo ;

Vu les conclusions en réponse à l'incident déposées au greffe le 24 mars 2022 par la société La Poste ;

Vu les observations en réponse à l'incident déposées au greffe le 24 mars 2022 par l'Autorité de la concurrence ;

Vu le courriel du ministre chargé de l'économie du 24 mars 2022 informant la Cour qu'il ne produirait pas d'observations dans le cadre de cet incident de procédure ;

Vu les conclusions en réplique sur incident déposées au greffe le 21 avril 2022 par la société Adrexo ;

Vu l'avis du ministère public du 6 mai 2022 transmis le même jour aux parties ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 12 mai 2022 le conseil de la société Adrexo, celui de la société La Poste, le représentant de l'Autorité de la concurrence ainsi que le ministère public.

1.Le 21 novembre 2018, la société Adrexo (ci-après « Adrexo ») a saisi l'Autorité de la concurrence (ci-après « l'Autorité ») de pratiques commises par la société La Poste (ci-après « La Poste ») constitutives selon elle d'abus de position dominante sur le marché des courriers adressés, en application des articles 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et L.420-2 du code de commerce.

2.Par la décision n° 21-D-22 du 15 septembre, (ci-après « la décision attaquée »), l'Autorité s'est déclarée incompétente pour apprécier les faits dénoncés par Adrexo en ce qu'ils concernent le catalogue des offres de La Poste relevant du service universel postal et l'a rejetée, pour le surplus, pour défaut d'éléments suffisamment probants.

3.Cette décision, publiée sur le site internet de l'Autorité, a été notifiée à Adrexo, qui a formé un recours en annulation et/ou réformation et qui, aux termes de son exposé des moyens déposé le 23 novembre 2021, demande à la Cour :

« d'une part, de réformer la décision attaquée en ce que l'Autorité s'est déclarée incompétente au prix d'une interprétation erronée de l'arrêt préjudiciel dans l'affaire TNT Post Affaire (CJUE, 23 avril 2009, C-357/07) ;

et, à titre subsidiaire, de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de justice sur le champ d'application de l'exonération de TVA : inclut-il les services postaux, dont les conditions et tarifs n'ont pas été négociés individuellement avec les clients mais qui sont définis dans des contrats d'adhésion ou des conditions générales afin de répondre aux besoins particuliers d'opérateurs économiques »

' d'autre part, d'annuler la décision en ce qu'elle a rejeté sa saisine pour défaut d'éléments suffisamment probants.

4.Par une déclaration du 23 janvier 2022, notifiée à Adrexo et à l'Autorité, la société La Poste est intervenue volontairement à l'instance au soutien de l'Autorité aux fins de rejet du recours, d'ordonner en tant que de besoin à Adrexo de lui transmettre son recours, ses écritures et ses pièces et d'obtenir la communication du dossier de la procédure devant l'Autorité dans sa version non confidentielle.

5.Par des conclusions d'incident déposées le 7 février 2022, Adrexo a soulevé l'irrecevabilité de l'intervention volontaire de La Poste.

6.Aux termes de ses dernières écritures, elle demande à la Cour de déclarer La Poste irrecevable en son intervention volontaire accessoire, de rejeter toute demande de La Poste visant à accéder au dossier transmis à la Cour par l'Autorité, et de la condamner au paiement d'une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

7.Elle fait valoir qu'il résulte des dispositions des articles 328, 330 et 554 du code de procédure civile que l'intervention volontaire accessoire d'un tiers n'est recevable qu'à la condition que la décision à venir soit de nature à affecter ses droits et que tel n'est pas le cas dans les affaires où l'issue du recours devant la Cour ne peut déboucher que sur un renvoi à l'instruction devant l'Autorité pour qu'il soit statué au fond sur la saisine, et ce comme la Cour l'a à plusieurs reprises jugé. Elle souligne que la décision attaquée ' qui ne s'est pas prononcée sur l'existence des pratiques reprochées à La Poste, se limite à retenir l'incompétence de l'Autorité à connaître de certains aspects de la saisine et à la rejeter pour absence d'éléments probants pour le reste ' n'emporte aucune qualification juridique des comportements de La Poste, de sorte que sa réformation ou annulation éventuelle ne pourra donc, en aucune manière, affecter les droits de La Poste, et ne pourra conduire qu'à un renvoi devant les services d'instruction pour un examen au fond de la saisine.

8.La Poste fait valoir en réponse que les personnes n'ayant pas été parties à la procédure devant l'Autorité de la concurrence ' notamment les personnes visées par la saisine lorsqu'une décision est rendue sur le fondement de l'article L. 462-8 du code de commerce peuvent intervenir accessoirement en cause d'appel sur le fondement des règles de procédure civile, dès lors qu'elles y ont intérêt pour la conservation de leurs droits conformément aux articles 328 et 330 du code de procédure civile. La recevabilité de leur intervention découle du principe du contradictoire, consacré comme principe directeur du procès civil, des droits de la défense et, plus largement, des droits à un procès équitable et à un recours effectif (articles 6 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales), et a été largement admise par la cour d'appel de Paris.

9.Elle soutient qu'en l'espèce, elle a intérêt à intervenir au présent recours, pour la conservation de ses droits, en ce qu'elle est accusée par Adrexo d'avoir commis un abus de position dominante sur le marché du courrier adressé et que le recours formé par Adrexo pourrait affecter les règles qui lui sont applicables. Elle souligne que la solution retenue par la Cour dans les affaires invoquées par Adrexo n'est pas transposable au présent recours, car Adrexo formule des demandes allant bien au-delà du renvoi éventuel de l'affaire devant l'Autorité pour instruction complémentaire en demandant à la Cour de définir le champ de la compétence de l'Autorité à l'égard du catalogue des offres relevant du service universel postal et d'arrêter l'interprétation de la règle de droit à l'aune de laquelle les pratiques de La Poste devront être appréciées - notamment les articles 132 de la Directive TVA et 261 du CGI. Elle ajoute qu'un renvoi aux services d'instruction de l'Autorité en vue potentiellement de la mise en oeuvre d'une procédure de sanction lui ferait également grief en la contraignant à se soumettre à nouveau à des actes d'instruction, potentiellement nombreux, et ceci alors même que la procédure d'instruction initiale a été longue et que La Poste y a toujours coopéré.

10.L'Autorité s'en remet à l'appréciation de la Cour.

11.Le ministère public invite la Cour à déclarer irrecevable l'intervention volontaire de La Poste.

Sur ce, la Cour,

12.La Poste, entreprise visée dans la plainte déposée par Adrexo, n'est pas partie dans la procédure suivie devant l'Autorité, procédure qui, à ce jour, n'a donné lieu à aucune notification de griefs. En outre, conformément à l'article R. 464-8 du code de commerce, la décision rendue en application de l'article L. 462-8 du même code ne lui a pas été notifiée. Elle a donc bien la qualité de tiers à l'instance au sens des articles 330 et 554 du code de procédure civile.

13.Elle dispose, en cette qualité, de la faculté d'intervenir volontairement à une instance en recours contre une décision adoptée par l'Autorité en application de l'article L. 462-8 du code pour appuyer les prétentions de cette dernière, à la condition toutefois qu'elle justifie d'un intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie, et ce conformément aux exigences de l'article 330 du code de procédure civile.

14.En l'espèce, par la décision attaquée, l'Autorité ne s'est pas prononcée sur l'existence des pratiques reprochées à La Poste par Adrexo dans sa saisine. Elle s'est bornée à relever qu'une partie de la saisine, en ce qu'elle visait les offres de La Poste relevant du service universel postal, n'entrait pas dans son champ de compétence et, pour le surplus, l'a rejetée au motif que les faits invoqués n'étaient pas appuyés par des éléments suffisamment probants d'une pratique d'exonération de TVA à des prestations ne relevant pas du service universel postal.

15.La Cour, statuant sur le recours formé contre une telle décision, doit seulement rechercher si les éléments du dossier sont de nature à justifier la poursuite d'une instruction au fond. Si cette recherche implique d'apprécier au préalable la compétence de l'Autorité pour certains aspects de la saisine, c'est uniquement en vue d'une éventuelle poursuite de l'instruction au fond.

16.La réformation éventuelle de la décision attaquée n'est donc pas de nature à affecter les droits de La Poste. En effet, à supposer que la Cour accueille le recours et donc, par hypothèse, qu'elle considère qu'il existe des éléments suffisamment probants venant à l'appui des faits invoqués, ou relevant de la compétence de l'Autorité, en tout état de cause, l'examen desdits faits serait renvoyé à l'Autorité pour instruction.

17.Or, un tel renvoi ne saurait préjuger de ce que les faits invoqués seront qualifiés de pratique prohibée, ni qu'interviendra une notification de griefs, ni que sera rendue une décision sur le fond disant établies les pratiques anticoncurrentielles reprochées à La Poste.

18.Un tel renvoi est encore sans préjudice du droit de La Poste de contester la compétence de l'Autorité, notamment dans le cadre d'un recours contre la décision éventuellement adoptée sur le fond.

19.Enfin, la décision attaquée a été adoptée à l'issue d'une procédure qui, par hypothèse, n'a pas donné lieu à une instruction au fond ayant abouti à une notification des griefs. La phase contradictoire, qui permet aux parties en cause d'accéder au dossier, de discuter le bien fondé de griefs notifiés, et d'exercer ainsi leurs droits de la défense, n'a donc pas été ouverte. À ce stade, La Poste n'a pas de droit à l'accès au dossier de la procédure conduite par l'Autorité.

20.Admettre la recevabilité de l'intervention volontaire de La Poste à ce stade de la procédure impliquerait de lui permettre d'accéder au dossier, et compromettrait ce faisant, dans le cas où la Cour ferait droit au recours, l'accomplissement par les services de l'instruction de leur mission de détecter et d'établir des pratiques contraires aux règles de la concurrence, laquelle relève de la défense de l'ordre public économique.

21.Il s'en déduit qu'à ce stade de la procédure, où la seule question en débat est relative à la poursuite de l'instruction, laquelle ne fait pas grief, et où La Poste n'a pas de droits de la défense à invoquer, celle-ci ne peut se prévaloir que d'un intérêt hypothétique, insuffisant pour caractériser l'intérêt à la conservation de ses droits requis par l'article 330 du code de procédure civile.

22.L'intervention volontaire de La Poste est donc irrecevable.

23.L'équité commande que chaque partie conserve la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DÉCLARE irrecevable La Poste en son intervention volontaire accessoire ;

REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile :

CONDAMNE la société La Poste aux dépens de l'incident.