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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 24 juin 2022, n° 22/07356

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Scopelec (Sté)

Défendeur :

Orange (SA), SCP BTSG (ès qual.) , Selarl AJ UP (ès qual.), Selarl MJ Synergie (ès qual.), Comité Social et Economique de la Société Setelen, Comité Social et Economique de la Société Scopelec

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

M. Le Cotty, Mme Dolbeau

Avocats :

Me de Maria, Me Farges, Me Cheviller, Me Cotret, Me Danis, Me Hardouin, Me Rivals, Me Santoni, Me Rodrigue, Me Blindauer

T. com. Paris, prés., du 15 avr. 2022, n…

15 avril 2022

La société coopérative de production Scopelec (Scopelec) est la société faîtière du groupe Scopelec, groupe coopératif français créé en 1973 et spécialisé dans la conception, l'installation, l'exploitation et la maintenance des réseaux d'infrastructures de télécommunications ainsi que dans la fourniture de services techniques et numériques aux opérateurs télécom, équipementiers, collectivités locales et fournisseurs d'énergie.

Son actionnariat est majoritairement composé de salariés.

La société Orange (Orange) est une société spécialisée dans l'établissement et l'exploitation de services de télécommunication.

Le groupe Scopelec, qui emploie 3.800 salariés, est partenaire de la société Orange depuis 1973 pour le développement de ses infrastructures réseaux sur l'ensemble du territoire national.

Le 18 mai 2015, Scopelec a conclu avec Orange un contrat dit « interventions clients et travaux réseaux '' (ICTR), portant sur des travaux et prestations de construction de réseaux cuivre et fibre de très haut débit, maintien en service de ces réseaux et interventions sur site pour les clients.

Ce contrat, initialement conclu pour une durée déterminée de trois ans, a fait l'objet d'une prorogation par avenants successifs jusqu'au 31 mars 2022.

Par lettre du 28 avril 2020, Orange a notifié à Scopelec la fin du contrat ICTR à la date du 31 mars 2022 et la fin des relations commerciales au titre de ce contrat.

Le 25 janvier 2021, Orange a lancé un appel d'offres destiné à sélectionner des prestataires pour la fourniture des services d'intervention et d'entretien des réseaux cuivre et fibre sur toute la France pour les années 2022-2025 (marché dit « RC Centric 2022 »).

Le 26 juillet 2021, Orange a notifié à Scopelec qu'elle ne serait pas retenue sur les lots 1 et 2 sur les régions Occitanie et Normandie. Le 16 novembre 2021, elle a fait part à Scopelec de sa décision finale d'attribution des lots et de la clôture de l'appel d'offres. Au terme de cette procédure, Scopelec s'est vu attribuer sept lots du marché dans quatre zones géographiques distinctes sur les trente-deux lots et seize zones pour lesquels elle avait présenté son offre commerciale et technique.

Par deux jugements du 17 mars 2022, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de sauvegarde au bénéfice de Scopelec et de la société Setelen, une filiale du groupe Scopelec et le principal sous-traitant de Scolepec dans l'exécution du contrat ICTR, et a désigné l'Etude AJ UP, prise en la personne de Maître [F] ou Maître [C] ou Maître [U], et la SCP [D] & Rousselet, prise en la personne de Maître [D], en qualité d'administrateurs judiciaires avec une mission de surveillance (ci-après les « administrateurs judiciaires »), la Selarl MJ Synergie, prise en la personne de Maître [I] ou Maître [L], et la SCP BTSG, prise en la personne de Maître [S], en qualité de mandataires judiciaires (ci-après les « mandataires judiciaires »).

Par acte du 31 mars 2022, Scopelec a assigné Orange en référé à heure indiquée devant le président du tribunal de commerce de Paris afin qu'il lui soit ordonné sous astreinte de maintenir ses volumes de commandes au titre des prestations faisant l'objet du contrat lCTR à hauteur du volume moyen de commandes au titre des années 2020 et 2021, pendant une durée de 18 mois, et, subsidiairement, qu'il lui ordonné sous astreinte de mettre en oeuvre toutes mesures utiles afin de se conformer à son obligation contractuelle de désengagement progressif à son égard.

Les organes de la procédure de sauvegarde sont intervenus volontairement à titre accessoire à cette procédure au soutien des prétentions de Scopelec.

Le comité social et économique de Scopelec et celui de la société Setelen sont également intervenus volontairement à l'instance.

Par ordonnance du 15 avril 2022, le juge des référés a :

déclaré recevable l'intervention volontaire des organes de la procédure de sauvegarde de Scopelec ;

déclaré recevable l'intervention volontaire du comité social et économique de chacune des sociétés Scopelec et Setelen ;

dit n'y avoir lieu à référé au visa des articles 872 du code de procédure civile et L. 442-4, II, du code de commerce ;

dit n'y avoir lieu à référé au titre du trouble manifestement illicite, au sens de l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile ;

débouté Scopelec, le comité social et économique de Scopelec et le comité social et économique de Setelen de leurs demandes principales relatives au maintien par Orange de ses volumes de commandes auprès de Scopelec au titre des prestations faisant l'objet du contrat ICTR (hors prestations et travaux FttH en mode « clé en main ») sur l'ensemble des zones attribuées à Scopelec dans le cadre du contrat ICTR ;

débouté Scopelec, le comité social et économique de Scopelec et le comité social et économique de Setelen de leurs demandes subsidiaires relatives à la mise en oeuvre par Orange de toutes mesures utiles afin de se conformer à son obligation contractuelle de désengagement progressif vis-à-vis de Scopelec ;

débouté Orange de sa demande reconventionnelle à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

condamné Scopelec à payer à Orange la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

condamné Scopelec aux dépens.

Par ordonnance du 22 avril 2022, Scopelec a été autorisée à assigner les intimés pour l'audience du 19 mai 2022.

Par déclaration du 26 avril 2022, elle a relevé appel de cette décision en critiquant l'ensemble de ses chefs de dispositif à l'exception de ceux relatifs à la recevabilité de l'intervention volontaire des organes de la procédure de sauvegarde et du comité social et économique de chacune des sociétés Scopelec et Setelen ainsi que de celui relatif au rejet de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par Orange.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 18 mai 2022, Scopelec demande à la cour de :

infirmer l'ordonnance entreprise des chefs dont il a été fait appel ;

En conséquence,

Statuant à nouveau,

A titre principal,

ordonner à la société Orange, sous astreinte de 713.221 euros par jour à compter du prononcé de la décision à intervenir, de maintenir ses volumes de commandes auprès d'elle au titre des prestations faisant l'objet du contrat ICTR (hors prestations et travaux FttH en mode « clé en main ») sur l'ensemble des zones lui étant attribuées dans le cadre de ce contrat, à hauteur du volume moyen de commandes sur lesdites zones au titre des années 2020 et 2021, pendant une durée de 18 mois à compter de la décision d'attribution des lots, soit une durée de 405 jours à compter du 1er avril 2022, jusqu'à la décision devant intervenir au fond et sauf accord amiable intervenu entre les parties dans le délai, aux conditions de prix applicables en exécution du contrat ICTR à la date du 31 mars 2022 ;

se réserver expressément le pouvoir de statuer sur la liquidation de l'astreinte provisoire ;

A titre subsidiaire,

ordonner à la société Orange, sous astreinte de 713.221 euros par jour à compter du prononcé de la décision à intervenir, de mettre en oeuvre toutes mesures utiles afin de se conformer à son obligation contractuelle de désengagement progressif à son égard ;

ordonner la communication de la décision à intervenir au médiateur des entreprises et au conseil national des achats en leur qualité d'organismes tiers agréés chargés de la supervision du label et de la charte « relations fournisseurs responsables » ;

se réserver expressément le pouvoir de statuer sur la liquidation de l'astreinte provisoire ;

en tout état de cause, condamner Orange à lui verser la somme 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 18 mai 2022, Orange demande à la cour de :

confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

dit n'y avoir lieu à référé au visa des articles L .442-4, II, du code de commerce, 872 et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile ;

débouté Scopelec, le comité social et économique de Setelen et le comité social et économique de Scopelec de l'ensemble de leurs demandes ;

condamné Scopelec à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamné Scopelec aux dépens de l'instance ;

Y ajoutant,

condamner Scopelec à lui verser la somme de 100.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner Scopelec aux dépens de l'instance.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 12 mai 2022, l'Etude AJ UP, la SCP [D] & Rousselet, la SCP BTSG et la Selarl MJ Synergie demandent à la cour de :

infirmer l'ordonnance entreprise ;

Statuant à nouveau,

A titre principal,

ordonner sous astreinte de 713.221 euros par jour le maintien par Orange de ses volumes de commandes auprès de Scopelec au titre des prestations faisant l'objet du contrat ICTR (hors prestations et travaux FttH en mode « clé en main ») sur l'ensemble des zones attribuées à Scopelec dans le cadre de ce contrat, à hauteur du volume moyen de commandes sur lesdites zones au titre des années 2020 et 2021, pendant une durée de 18 mois à compter de la décision d'attribution des lots, soit une durée de 405 jours à compter du 1er avril 2022, jusqu'à la décision devant intervenir au fond et sauf accord amiable intervenu entre les parties dans le délai, aux conditions de prix applicables en exécution du contrat ICTR à la date du 31 mars 2022 ;

se réserver expressément le pouvoir de statuer sur la liquidation de l'astreinte provisoire;

A titre subsidiaire,

ordonner la mise en œuvre par Orange de toutes mesures utiles afin de se conformer à son obligation contractuelle de désengagement progressif vis-à-vis de Scopelec, sous astreinte de 713.221 euros par jour ;

se réserver expressément le pouvoir de statuer sur la liquidation de l'astreinte provisoire;

En toutes hypothèses,

débouter la société Orange de ses demandes ;

condamner la société Orange aux dépens ainsi qu'au paiement à l'Étude AJ UP ès qualités, à la société [D] & Rousselet ès qualités, à la SCP BTSG ès qualités et à la société MJ Synergie ès qualités, de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions remises et notifiées le 18 mai 2022, le comité social et économique de Scopelec et le comité social et économique de Setelen demandent à la cour de :

infirmer l'ordonnance entreprise ;

En conséquence, statuant à nouveau,

A titre principal,

ordonner, sous astreinte de 713.221 euros par jour, le maintien par Orange de ses volumes de commandes auprès de Scopelec au titre des prestations faisant l'objet du contrat ICTR (hors prestations et travaux FttH en mode « clé en main ») sur l'ensemble des zones attribuées à Scopelec dans le cadre de ce contrat, à hauteur du volume moyen de commandes sur lesdites zones au titre des années 2020 et 2021, pendant une durée de 18 mois à compter de la décision d'attribution des lots, soit une durée de 405 jours à compter du 1er avril 2022, jusqu'à la décision devant intervenir au fond et sauf accord amiable intervenu entre les parties dans le délai, aux conditions de prix applicables en exécution du contrat ICTR à la date du 31 mars 2022 ;

se réserver expressément le pouvoir de statuer sur la liquidation de l'astreinte provisoire;

A titre subsidiaire,

ordonner la mise en oeuvre par Orange de toutes mesures utiles afin de se conformer à son obligation contractuelle de désengagement progressif vis-à-vis de Scopelec, sous astreinte de 713.221 euros par jour ;

ordonner la communication de la décision à intervenir au médiateur des entreprises et au conseil national des achats en leur qualité d'organismes tiers agréés chargés de la supervision du label et de la charte « relations fournisseurs responsables » ;

se réserver expressément le pouvoir de statuer sur la liquidation de l'astreinte provisoire;

condamner Orange à verser à Scopelec la somme 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

En tout état de cause,

condamner la société Orange à leur verser la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties visées ci-dessus pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande principale de maintien des volumes de commandes d'[Localité 9] auprès de Scopelec

La demande principale de l'appelante est fondée sur les articles L. 442-4, II, du code de commerce, 872 et 873 du code de procédure civile.

Scopelec, soutenue dans son argumentation par ses administrateurs et mandataires judiciaires, son comité social et économique et celui de la société Setelen, fait valoir que la rupture des relations commerciales a été brutale, Orange ayant mis un terme au contrat ICTR le 31 mars 2022 en organisant une procédure d'appel d'offres à l'issue de laquelle elle n'a été retenue que pour quelques lots limités.

Elle expose, d'une part, que la lettre de notification du 28 avril 2020 ne constitue pas un préavis, étant ambiguë et ne visant que le contrat ICTR alors que les parties étaient liées par d'autres contrats, d'autre part, qu'Orange n'a pas adopté un comportement lui laissant penser que la rupture était effective puisqu'elle a augmenté les volumes des commandes au cours des dernières années, la privant ainsi de toute possibilité de se réorganiser.

Elle précise que la relation commerciale a duré 49 ans et qu'elle se trouvait dans un état de dépendance totale vis-à-vis d'Orange en réalisant plus de 75% de son chiffre d'affaires avec elle, toutes activités confondues.

Elle estime en conséquence que tant le trouble manifestement illicite et le dommage imminent que l'urgence et le différend sont caractérisés, de sorte que le juge des référés pouvait prendre les mesures sollicitées, que ce soit sur le fondement de l'article 872 du code de procédure civile ou sur celui de l'article 873.

Elle invoque l'impact économique et social très important qu'emporte la rupture de la relation commerciale, qui risque de se traduire par une liquidation judiciaire et le licenciement de 700 salariés.

Orange estime pour sa part que la lettre de rupture du 28 avril 2020 était très claire et dépourvue d'ambiguïté et qu'elle notifiait la fin de la relation contractuelle avec un préavis de 23 mois, suffisant au regard des exigences légales et jurisprudentielles.

En l'absence de toute rupture brutale de la relation commerciale, aucun différend, aucun trouble manifestement illicite ou aucun dommage imminent n'est selon elle établi, justifiant l'intervention du juge des référés.

Aux termes de l'article L. 442-1, II, du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause, issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 - eu égard à la date de la rupture, postérieure à l'entrée en vigueur de ce texte -, « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ».

Depuis l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, ce texte précise qu’« en cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois ».

Il résulte de l'article L. 442-4, II, du même code que, pour l'application de l'article L. 442-1, le juge des référés peut ordonner, au besoin sous astreinte, la cessation des pratiques abusives ou toute autre mesure provisoire.

L'article 872 du code de procédure civile dispose par ailleurs que, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.

Et l'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile prévoit que le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En application de ces dispositions combinées, il entre dans les pouvoirs du juge des référés de prendre des mesures provisoires en cas de rupture brutale d'une relation commerciale établie.

Le caractère brutal de la rupture doit toutefois être caractérisé, à savoir l'absence de préavis ou l'existence d'un préavis manifestement insuffisant, que ce soit sur le fondement de l'urgence et du différend (article 872 du code de procédure civile) ou sur celui du trouble manifestement illicite et du dommage imminent (article 873).

Sur le trouble manifestement illicite

Il est constant qu'il existait entre les parties une relation commerciale établie, qui a été rompue par Orange le 31 mars 2022, date à laquelle le contrat ICTR arrivait à son terme.

Cependant, celle-ci a adressé à Scopelec, le 28 avril 2020, une lettre dont la réception n'est pas contestée et qui était intitulée « notification de fin de relations commerciales - contrat ICTR n° LC028370 » dans les termes suivants :

« Aussi, nous vous notifions par la présente notre décision de mettre fin aux relations commerciales entre nos sociétés au titre du contrat ICTR pour l'ensemble des travaux et prestations du contrat ICTR (hors prestations et travaux FttH en mode « clé en main »).

Le contrat ICTR n°LC028370 prendra fin le 31 mars 2022 conformément à son article « Durée » pour l'ensemble des travaux et prestations du contrat ICTR (hors prestations et travaux FttH en mode « clé en main »).

Notre relation contractuelle telle qu'elle existe ce jour est dénoncée pour les travaux et prestations du contrat ICTR (hors prestations et travaux FttH en mode (clé en main ») et l'envoi du présent courrier constitue le point de départ du préavis de fin de nos relations commerciales au sens de l'article L. 442-1 du code de commerce.

Nous vous rappelons qu'il est de votre responsabilité de notifier à vos éventuels sous-traitants tout préavis de fin de relation commerciale qu'il conviendra de respecter selon les dispositions de l'article L. 442-1 du code de commerce ».

Contrairement à ce que soutient l'appelante, les termes de cette lettre sont clairs et dépourvus de toute ambiguïté sur son objet, à savoir la notification de la fin des relations commerciales et le point de départ du délai de préavis en application de l'article L. 442-1 du code de commerce.

En outre, les parties ont conclu le 25 juin 2021 un avenant au contrat ICTR et ont, à cette occasion, rappelé la fin des relations commerciales fixée au 31 mars 2022 dans les termes suivants :

« Il est expressément convenu entre les parties que le présent avenant ne modifie pas l'échéance du contrat du 31 mars 2022 pour les travaux et prestations du contrat (hors travaux et prestations FttH en mode « clé en main ») qui a fait l'objet d'un préavis écrit de fin de relation commerciale notifié par Orange conformément à l'article L. 442-1 (II) du code de commerce, ce que l'entrepreneur reconnaît ».

Scopelec expose que seule la fin des activités dans le cadre du contrat ICTR est notifiée dans cette lettre, alors que les relations entre les parties portaient sur d'autres activités, notamment celles régies par le contrat ICR, signé en juin 2016 et relatif à des travaux et prestations de maintenance, dont le terme était fixé au 31 mai 2022. Elle fait valoir que les activités du contrat ICR constituaient le lot 3 de l'appel d'offres « RC Centric », qui lui ont également été en grande partie retirées. Ainsi, selon elle, la notification du 28 avril 2020 n'avait pas vocation à annoncer une rupture des relations commerciales mais seulement à rappeler le terme d'un contrat déterminé.

Ainsi que l'expose en réplique la société Orange, le contrat ICR n'est toutefois pas en litige puisque les demandes de Scopelec ne portent que sur le maintien des volumes de commandes « au titre des prestations qui font actuellement l'objet du contrat ICTR ». Aucune demande ne vise le contrat ICR, de sorte que la circonstance qu'il n'ait pas été mentionné dans la lettre de notification est indifférente.

L'appelante fait également valoir qu'Orange a adopté un comportement qui ne pouvait laisser croire à une rupture importante des relations puisqu'elle a augmenté les volumes des commandes de 25% environ en 2020 et 2021. Cette attitude, en contradiction avec la survenance d'une rupture proche, l'aurait empêchée de se réorganiser et d'anticiper la rupture radicale d'avril 2022.

Elle explique également qu'ayant été « shortlistée » dans le processus d'appel d'offres et concourant jusqu'à l'issue finale sur vingt lots représentant un chiffre d'affaires de l'ordre de 324 millions d'euros, elle ne pouvait anticiper le désengagement brutal d'[Localité 9].

Les administrateurs et mandataires judiciaires de Scopelec et son comité social et économique font également état de l'impossibilité pour elle d'anticiper la rupture de la relation et de l'obligation dans laquelle elle s'est au contraire trouvée d'investir et de recruter pour répondre à l'augmentation des volumes. Par ses agissements contradictoires à l'égard de son prestataire, sous dépendance économique, Orange aurait privé le préavis d'effectivité.

Le comité social et économique fait en particulier état de l'impossibilité, pour l'appelante, d'organiser un PSE puisqu'elle devait faire face à un travail plus important. Selon lui, le point de départ du préavis ne peut se situer qu'au jour de la notification définitive à Scopelec de la perte de la quasi-totalité de ses marchés, soit à l'expiration de la procédure d'appel d'offres.

L'appelante ajoute qu'elle n'a jamais reçu de lettre d'Orange mettant en cause la qualité globale de ses prestations.

Mais, ainsi que l'expose Orange, les années 2020 et 2021 représentaient deux années charnières avec un pic de croissance conjoncturel, lié à l'évolution du déploiement des réseaux de fibre en France, pic amplifié par la crise sanitaire, qui a démultiplié les demandes d'abonnements à la fibre, mais qui était provisoire. Sa pièce n° 13 intitulée « rapport de l'observatoire du très haut débit 2021 » décrit ainsi l'année 2021 comme « l'année du pic ». Scopelec, qui avait connaissance de ces informations, ne pouvait tirer aucune conséquence de l'augmentation ponctuelle des commandes sur le maintien des relations contractuelles à l'avenir.

En outre, il résulte de la pièce n° 4 de l'appelante (support Scopelec « projet Centric » - 27 septembre 2019) que son taux de sous-traitance se situait autour de 40% sur le contrat ICTR, de sorte qu'elle n'était pas tenue d'embaucher de nouveaux salariés pour faire face à l'augmentation des commandes.

La circonstance qu'elle ait été « shortlistée » dans le cadre de l'appel d'offres ne lui donnait aucune garantie quant à l'issue de la procédure, l'appel d'offres comportant par définition un aléa et rendant la relation précaire, de sorte qu'elle ne peut s'en prévaloir pour invoquer l'existence d'une rupture brutale.

S'agissant de la qualité de ses prestations, elle n'est pas directement en cause puisque la rupture de la relation commerciale n'a pas été notifiée en raison de manquements dans l'exécution de ses obligations contractuelles mais au motif de l'arrivée à son terme du contrat ICTR.

En tout état de cause, Scopelec reconnaît avoir été défaillante sur certaines des régions qui lui étaient attribuées puisqu'elle expose que, n'étant pas retenue en juillet 2021 sur les régions Occitanie et Normandie, elle n'a pas été surprise « à tout le moins s'agissant de l'Occitanie, région dans laquelle [elle] avait connu des difficultés d'exécution du contrat ICTR ».

Elle indique également elle-même avoir reçu une soixantaine de recommandés de 2015 à 2021 mais soutient qu'ils portaient sur des problèmes ponctuels, à rapporter aux treize millions d'interventions réalisées. L'envoi de lettres recommandées notifiant des difficultés n'est toutefois pas anodin dans une relation commerciale et révèle des défaillances dans l'exécution du contrat.

S'agissant du trouble manifestement illicite qui résulterait également, selon Scopelec, de la violation de la Charte « Relations Fournisseurs Responsables » par Orange, faute de lui avoir permis un « désengagement progressif afin de tenir compte de l'ancienneté des relations avec l'organisation le cas échéant du degré de dépendance, de ses possibilités de se diversifier ou de s'adapter » (article 3), l'article L. 442-1, II, du code de commerce précité, d'ordre public, exclut toute réduction du volume des relations pendant la période du préavis, de sorte qu'Orange ne pouvait, quels que soient les engagements pris par ailleurs, réduire progressivement ses commandes auprès de Scopelec.

En conséquence, en présence d'un préavis de 23 mois, durée qui n'est pas manifestement insuffisante au regard de l'ancienneté des relations et des exigences légales, le caractère brutal de la rupture de la relation ne peut qu'être écarté, de sorte qu'aucun trouble manifestement illicite n'est caractérisé.

Sur le dommage imminent

Scopelec, ses administrateurs et mandataires judiciaires et son comité social et économique soutiennent que les décisions d'Orange à la suite de l'appel d'offres imposent à la société de licencier 700 salariés et qu'eu égard aux délais légaux applicables, une telle réorganisation exige de lancer très rapidement un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), mesure qu'elle ne pourra pas supporter et qui la conduira au redressement judiciaire, voire à la liquidation.

Ils précisent que la réduction du périmètre des activités qui lui sont confiées représente une diminution de plus de 65% du volume d'activité, soit une perte de chiffre d'affaires de l'ordre de 235 millions d'euros (54%) par rapport à l'exercice 2020 et de l'ordre de 285 millions d'euros (64,5%) par rapport à l'exercice 2021.

L'arrêt brutal des volumes d'activité aurait donc des conséquences immédiates et irréversibles et seule une mesure conservatoire visant à maintenir l'activité pendant les prochains mois permettrait d'éviter ce dommage imminent.

Ils ajoutent que ces difficultés impacteront gravement également les partenaires commerciaux et les sous-traitants de Scopelec.

Ils affirment que, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il ne peut être reproché à Scopelec d'avoir tardé à prendre la mesure du risque auquel elle était exposée puisqu'elle ne pouvait se réorganiser en présence d'une augmentation des volumes et que tout licenciement de salariés était impossible dans l'attente des résultats de la procédure d'appel d'offres.

Enfin, ils soutiennent que, contrairement à ce qu'a également retenu le premier juge, la conclusion de contrats avec d'autres prestataires en avril 2022, à l'issue de la procédure d'appel d'offres, n'empêche pas Orange de lui allouer un volume d'affaires équivalent à celui précédemment octroyé, les contrats l'autorisant à réattribuer de façon temporaire des volumes de commandes entre les différents attributaires du marché.

Cependant, le dommage imminent susceptible d'être prévenu en référé s'entend d'un dommage résultant de la méconnaissance d'un droit ou, à tout le moins, d'un dommage dont l'illicéité est possible et pourrait être reconnue par le juge du fond. La prévention d'un dommage légal ou légitime ne relève pas des pouvoirs du juge des référés.

Or en l'espèce, ainsi qu'il a été précédemment exposé, en l'absence de rupture brutale de la relation commerciale, le dommage imminent n'est pas caractérisé, de sorte que les mesures sollicitées ne peuvent être ordonnées.

Il sera ajouté qu'en tout état de cause, et comme l'a relevé le premier juge, les mesures sollicitées, qui ont pour objet de contraindre Orange à maintenir les volumes de commandes des deux années passées, alors que les marchés ont été attribués à d'autres prestataires à l'issue de l'appel d'offres, auraient pour conséquence de priver ces sociétés de ces marchés et du chiffre d'affaires y afférent, ce qui excède à l'évidence les pouvoirs du juge des référés et ce, quand bien même Orange aurait la possibilité contractuelle de procéder à ces réattributions.

La demande de mesure conservatoire sur le fondement du dommage imminent ne peut donc qu'être rejetée.

Sur l'urgence et l'existence d'un différend

La société Scopelec invoque également l'article 872 du code de procédure civile en soutenant, d'une part, que l'urgence est caractérisée car elle est sur le point de devoir mettre en oeuvre un plan social d'environ 700 personnes et se trouve dans une situation de trésorerie extrêmement difficile, d'autre part, que l'existence d'un différend avec Orange est incontestable.

Mais le juge des référés ne peut prendre que les mesures que « justifie » l'existence d'un différend.

Or en l'espèce, en l'absence de toute rupture brutale de la relation commerciale et pour les raisons précédemment exposées, le différend liant les parties ne justifie pas l'adoption, en référé, des mesures sollicitées par la société Scopelec.

Seule une rupture brutale pourrait, le cas échéant, autoriser le juge des référés à imposer le maintien provisoire de la relation commerciale.

La demande ne peut donc qu'être rejetée en ce qu'elle est fondée sur l'article 872 du code de procédure civile.

Sur la demande subsidiaire de respect de l'engagement de « désengagement progressif » au titre de la Charte « Relations Fournisseurs Responsables ».

Scopelec demande, à titre subsidiaire, qu'il soit ordonné à Orange de mettre en oeuvre toutes mesures utiles afin de se conformer à son obligation de désengagement progressif, se fondant sur la Charte « Relations Fournisseurs Responsables » précitée, sur l'article 1103 du code civil ainsi que sur l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, aux termes duquel dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution d'une obligation de faire.

Elle fait valoir, ainsi que ses administrateurs et mandataires judiciaires, que le juge des référés n'a pas répondu à cette demande, en violation des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, mais ne sollicite pas l'annulation de la décision pour défaut de motivation.

Sur le fond, elle prétend que la Charte est entrée dans le champ contractuel de la relation entre les parties au titre du contrat ICTR, par le renvoi fait dans l'avenant n° 6, et que l'obligation d'Orange n'est donc pas sérieusement contestable.

Elle estime, de même que les administrateurs et mandataires judiciaires, que cette obligation de désengagement progressif se distingue de l'obligation de préavis et que les deux obligations - caractère anticipé et caractère progressif de la rupture - s'additionnent, de sorte qu’Orange devait non seulement lui octroyer un préavis effectif mais qu'elle devait en outre lui octroyer, à l'expiration du préavis, un nouveau délai lui permettant de s'organiser par un désengagement progressif.

Le contrat ICTR stipule, dans sa version issue de l'avenant n° 6 du 8 avril 2020, à son article 14 (« responsabilité sociale d'entreprise ») qu’« Orange agit conformément à ses engagements en matière d'achats responsables disponibles sur le lien suivant [...] », ce lien renvoyant à la signature par Orange de la Charte « Relations Fournisseurs et Achats Responsables » précitée.

L'article 3 de cette Charte, intitulé « Identifier et gérer les situations de dépendances réciproques avec les fournisseurs », stipule que :

« Le poids trop élevé d'un client dans l'activité d'une entreprise peut être un facteur de risque en cas d'évolution brutale des volumes de commandes. De ce fait, l'acheteur encourage ses fournisseurs à s'engager sur des actions et des initiatives positives pour son organisation (diversification, internationalisation, digitalisation, amélioration des savoir-faire').

S'il s'avère nécessaire, le désengagement éventuel d'un acheteur est anticipé et progressif afin de tenir compte de l'ancienneté des relations avec l'organisation, le cas échéant du degré de dépendance, de ses possibilités de se diversifier ou de s'adapter ».

Cependant, la Charte stipule en préambule que ses signataires s'engagent à « mettre en place une démarche de progrès dans leurs relations avec leurs fournisseurs » et précise que « l'ensemble des engagements pris dans cette Charte ainsi que leur mise en oeuvre s'inscrivent dans le cadre de la législation en vigueur [...], du respect des dispositions européennes et nationales régissant les relations interentreprises (code civil et code de commerce notamment) [...] ».

A supposer que ces engagements revêtent un caractère contraignant, ce qui n'est pas démontré par Scopelec, l'article L. 442-1, II, du code de commerce précité, d'ordre public, impose le maintien d'un niveau de relation constant, sans diminution du volume d'affaires, pendant toute la durée du préavis et jusqu'à la fin de la relation contractuelle.

L'obligation de désengagement progressif d'Orange pendant le préavis est donc, contrairement à ce que soutient Scopelec, sérieusement contestable et, pour l'avenir, l'obligation pour Orange de poursuivre une relation contractuelle à laquelle elle a régulièrement mis fin ou, en tout cas, sans illicéité manifeste, est également sérieusement contestable, de sorte qu'une telle injonction ne relève pas des pouvoirs du juge des référés.

La demande subsidiaire sera donc également rejetée et, par suite, celle tendant à la communication de la décision au médiateur des entreprises et au conseil national des achats en leur qualité d'organismes tiers agréés chargés de la supervision du label et de la Charte « Relations Fournisseurs Responsables ».

Au regard de l'ensemble de ces éléments, l'ordonnance entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions frappées d'appel.

Sur les frais et dépens

Scopelec, partie perdante, sera tenue aux dépens de première instance et d'appel, sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile étant par suite rejetée, de même que celle des organes de la procédure de sauvegarde et des comités sociaux et économiques.

Elle sera toutefois, en équité, dispensée de toute condamnation sur le fondement de ces dispositions au titre des frais engagés à hauteur d'appel par la société Orange.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise des chefs dont il a été fait appel ;

Y ajoutant,

Condamne la société Scopelec aux dépens d'appel ;

Rejette les demandes formées par les parties en application de l'article 700 du code de procédure civile.