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Décisions

CA Paris, 1re ch. D, 13 décembre 1995

PARIS

Arrêt

CA Paris

12 décembre 1995

 

La société Lu fabrique, sous la marque "L'Alsacienne", les biscuits "Palmito" qui sont ensuite distribués par la société L'alsacienne, aux droits de laquelle se trouve la société Belin.

Dans le cadre de ses relations commerciales avec la société de droit italien Isea, remontant à vingt ans, la société Lu a passé commande le 26 mars 1991 auprès de cette dernière de 300 000 m2 d'habillages Palmito Alsacienne, destinés à l'emballage externe des biscuits.

Au verso du bon de commande figurent les conditions générales d'achat de Lu, lesquelles comportent une clause attributive de compétence au profit du tribunal de commerce de Paris.

Ce bon de commande a été retourné par la société Isea avec la signature de son représentant sous la mention : "le fournisseur pour accord," ; il a été reçu le 5 avril 1991.

Le 23 avril 1991, la société Isea a adressé à Lu un bon de confirmation de commande, comportant au recto la mention : "nous vous remercions de votre commande que nous avons acceptée conformément à nos conditions de vente".

Ces conditions, qui figurent au verso, comprennent une clause attributive de juridiction au profit du tribunal de Tortona.

La marchandise a été livrée en mai 1991 dans les locaux de la société Lu, à Lorient.

Soutenant qu'un nombre anormalement élevé de consommateurs s'étaient plaints du goût et de l'odeur des biscuits, les sociétés Lu et L'alsacienne ont assigné le 29 mars 1994 devant le tribunal de commerce de Paris la société Isea et l'assureur de cette dernière, la compagnie Generali (siège : Trieste) en déclaration de responsabilité et paiement de dommages-intérêts.

La société Isea et la compagnie Generali ont soulevé une exception d'incompétence au profit respectivement de la juridiction de Tortona et de celle de Trieste.

Par jugement du 8 juin 1995, le tribunal de commerce de Paris a retenu sa compétence en considérant que, par sa signature sans réserve sur la commande de Lu, la société Isea avait implicitement accepté les conditions générales d'achat de cette dernière et, en ce qui concerne la compagnie Generali, en faisant application de l'article 10-1 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.

La société Isea et la compagnie Generali ont formé contredit.

La société Isea soutient qu'elle n'a pas accepté les conditions d'achat de Lu et invoque la clause attributive de compétence figurant dans ses conditions générales de vente, sous lesquelles étaient selon elle placées l'ensemble des ventes intervenues entre les parties depuis vingt années ; elle se fonde à cet égard sur les dispositions des articles 18 et 19-2 de la Convention de Vienne du 11 avril 1980.

Subsidiairement, elle soutient que l'obligation qui sert de base à la demande, au sens de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles, est celle de conformité, laquelle, distincte de l'obligation de livraison en vertu des articles 35 et 36 de la Convention de Vienne, a été exécutée au lieu de fabrication des emballages, en Italie.

En ce qui concerne l'action de Belin, la société Isea développe les mêmes motifs en reconnaissant l'applicabilité de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles.

La compagnie Generali s'associe à l'argumentation d'Isea et fait valoir en outre que l'action directe à l'encontre de l'assureur n'existe pas en droit italien.

Les sociétés Lu et Belin concluent au rejet du contredit, pour les motifs retenus par les premiers juges ; elles soutiennent en outre que les conditions générales de vente d'Isea n'ont jamais été acceptées.

Subsidiairement, elles considèrent que l'obligation de conformité, prévue par les articles 35 et 36 de la Convention de Vienne, n'est pas distincte de l'obligation de livraison et qu'elle s'est exécutée au lieu de la livraison, dans les locaux de Lu, en France.

En ce qui concerne les demandes formées à l'encontre de la compagnie Generali, les sociétés Lu et Belin se fondent sur les dispositions des articles 9 et 10 de la Convention de Bruxelles.

Chacune des parties sollicite l'application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Motivation

Les parties étant domiciliées respectivement en France et en Italie, la compétence doit être déterminée au regard des dispositions de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968.

Sur l'action de la société Lu à l'encontre de la société Isea

I Sur l'applicabilité de l'article 17 de la Convention de Bruxelles

Chacune des parties invoquant une clause attributive de juridiction différente, il convient en premier lieu de rechercher si l'une de ces clauses est applicable au regard des dispositions de l'article 17 de la Convention de Bruxelles.

Aux termes de ce texte, tel qu'il résulte de la Convention de Saint-Sébastien du 26 mai 1989, la convention attributive de juridiction doit être conclue par écrit, soit verbalement avec confirmation écrite, soit sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, soit dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats de même type dans la branche commerciale considérée.

La France et l'Italie étant parties à la Convention de Vienne du 11 avril 1980, relative à la vente internationale de marchandises, à la date de conclusion du contrat passé entre la société Lu et la société Isea, lesquelles ont leur siège respectif dans ces deux Etats, cette Convention est applicable à ce contrat, en vertu de l'article ler 1a de ce texte.

En vertu de l'article 18-2 de la Convention de Vienne, l'acceptation d'une offre prend effet au moment où l'indication d'acquiescement parvient à l'auteur de l'offre.

L'article 19 de cette Convention prévoit en ses points 1 et 2

"Une réponse qui tend à être l'acceptation d'une offre, mais qui contient des additions, des limitations ou autres modifications, est un rejet de l'offre et constitue une contre-offre.

Cependant, une réponse qui tend à être l'acceptation d'une offre, mais qui contient des éléments complémentaires ou différents n'altérant pas substantiellement les termes de l'offre, constitue une acceptation, à moins que l'auteur de l'offre, sans retard injustifié, n'en relève les différences verbalement ou n'adresse un avis à cet effet. S'il ne le fait pas, les termes du contrat sont ceux de l'offre, avec les modifications comprises dans l'acceptation".

Le contrat litigieux se situe dans le cadre de rapports commerciaux courants.

Il résulte des pièces versées aux débats que la société Lu adressait à la société Isea des bons de commande portant au verso ses conditions générales d'achat, lesquelles comprennent une clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de Paris, mais sans qu'aucune référence ne soit faite, sur le recto du document, à ces conditions générales.

De son côté, la société Isea confirmait systématiquement son acceptation de commande par un document se référant à ses conditions générales de vente comportant une clause attributive de compétence au profit de la juridiction de Tortona.

La vente litigieuse a été formée, en application de l'article 18-2 de la Convention de Vienne, au moment où la société Lu a reçu le bon de commande retourné par la société Isea avec la signature de son représentant, soit le 5 avril 1991.

Compte tenu de l'absence, sur le recto de ce bon, d'un renvoi exprès aux conditions générales d'achat figurant au verso, la société Isea ne peut être considérée comme ayant accepté celles-ci.

La confirmation de commande du 23 avril 1991, qui contient les conditions générales de vente, étant postérieure à la date de formation du contrat, ne peut s'analyser comme une contre-offre au sens de l'article 19-1 de la Convention de Vienne ; par suite, le silence de la société Lu est dénué de toute portée.

Il apparaît ainsi qu'aucune des clauses attributives de juridiction ne répond aux exigences de l'article 17 de la Convention de Bruxelles.

II Sur l'application de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles.

Selon l'article 5-1 de la Convention, le défendeur peut, en matière contractuelle, être attrait devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée.

Ce lieu se détermine conformément à la loi qui régit l'obligation litigieuse selon les règles de conflit de la juridiction saisie, soit en l'espèce, pour les motifs ci-dessus exposés, la loi italienne.

En l'espèce, l'obligation litigieuse est une obligation de conformité.

En vertu des articles 35-1 et 35-2a de la Convention de Vienne, le vendeur doit livrer des marchandises dont la quantité, la qualité et le type répondent à ceux qui sont prévus au contrat, et dont l'emballage ou le conditionnement correspond à celui qui est prévu au contrat.

A moins que les parties n'en soient convenues autrement, les marchandises ne sont conformes au contrat que si elles sont propres aux usages auxquels serviraient habituellement des marchandises du même type.

Il résulte de ces dispositions, qui associent la livraison et la conformité des marchandises à leur usage, que les obligations correspondantes s'exécutent ou doivent s'exécuter au même lieu.

En l'espèce, la livraison s'est exécutée, conformément à ce qui avait été convenu par les parties, dans les locaux de la société Lu, à Lorient.

L'obligation de conformité litigieuse devait donc s'exécuter en ce lieu, de sorte que le litige relève de la compétence du tribunal de commerce de Lorient.

Sur l'action de la société Belin à l'encontre de la société Isea

La société Isea ne conteste pas l'applicabilité de l'article 5-1 de la Convention de Bruxelles à l'action formée à son encontre par la société Belin, sous-acquéreur de la société Lu.

Pour les motifs ci-dessus exposés, le litige ressortit à la compétence du tribunal de commerce de Lorient.

Sur l'action des sociétés Lu et Belin à l'encontre de la compagnie Generali

En vertu de l'article 10 al. ler de la Convention de Bruxelles, en matière d'assurance de responsabilité, l'assureur peut également être appelé devant le tribunal saisi de l'action de la personne lésée contre l'assuré si la loi de ce tribunal le permet.

La loi française autorisant l'action directe de la victime contre l'assureur du responsable, le tribunal de commerce de Lorient est compétent pour connaître du litige opposant les sociétés Lu et Belin à la compagnie Generali.

Sur l'article 700 du nouveau Code de procédure civile

Il n'y a pas lieu en la cause à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

Par ces motifs :

Dit que le présent litige relève de la compétence du tribunal de commerce de Lorient,

Renvoie en conséquence la cause et les parties devant cette juridiction,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

Dit que chaque partie supportera les frais du présent contredit.