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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 juin 2022, n° 21/09701

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Inhesion Industrial (Sté.)

Défendeur :

Bernardaud (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Lignieres

Avocats :

Me Ingold, Me Fernandes, Me Havet, Me Chatel

T. com. Bordeaux, du 20 mai 2016, n° 201…

20 mai 2016

ARRÊT :

-  contradictoire

-  par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-  signé par Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente de chambre, et par Me Mianta ANDRIANASOLONIARY présente lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCEDURE

La société Inhesion Industrial (M) Sdn (ci-après « la société Inhesion »), Bhd , de droit malaisien, fabrique des produits en porcelaine.

La société Bernardaud a pour activité la fabrication, le négoce et la commercialisation de porcelaine de [Localité 5]. La société Limousine de fabrication de porcelaine (ci-après « la société SLFP »), est une filiale de la société Bernardaud et est spécialisée dans la fabrique d'articles céramique à usage domestique et ornemental.

Les sociétés SLFP et Inhesion ont entretenu des relations commerciales à compter de décembre 2001 sans pour autant avoir formalisé leur relation par un contrat écrit. Dans ce contexte, la société Inhesion a agi en tant que sous-traitant pour la fabrication de produits en porcelaine.

La fabrication des pièces de porcelaine haut de gamme de premier choix génère l'existence d'un certain nombre de pièces de deuxième choix et de rebuts. Aussi, quelques années après le début de leur relation, la société Inhesion a fait état aux sociétés Bernardaud et SLFP de l'accumulation des pièces de deuxième choix au titre des commandes passées par cette dernière en indiquant que leur stockage lui causait des désagréments tant en termes d'espace que de coûts.

Le sort de ces articles et leur rachat a entraîné des discussions entre les parties jusqu'à la rupture de leur relation commerciale courant 2012, la société Inhesion n'ayant plus reçu de commande du groupe Bernardaud en avril 2012.

La société Inhésion a sollicité la société SLFP afin qu'elle procède au règlement de factures impayées concernant des pièces de deuxième choix livrées à la société SLFP.

Par courriel en réponse du 27 avril 2012, les sociétés SLFP et Bernardaud ont indiqué à la société Inhesion qu'elles n'entendaient pas procéder au règlement des factures impayées dans la mesure où les pièces de deuxième choix expédiées ne correspondaient pas aux produits fabriqués pour la marque Bernardaud.

Par lettre du 21 août 2013, la société Inhesion a mis en demeure la société Bernardaud de lui régler la somme de 87 770 euros correspondant au montant de marchandises de deuxième choix visées dans les factures EXP 3706 EXP 3710, EXP 3715, EXP 3719, EXP 3736, EXP 3755.

Par acte du 27 août 2015, la société Inhesion a assigné les sociétés Bernardaud et SLFP devant le tribunal de commerce de Bordeaux pour rupture brutale des relations commerciales établies et en paiement des factures impayées.

Par jugement du 20 mai 2016, le tribunal de commerce de Bordeaux a':

Débouté la société Limousine de Fabrication de Porcelaine et la société Bernardaud de leur demande de nullité de l'assignation,

Mis hors de cause la société Bernardaud,

Débouté la société Inhesion Industrial SDN BHD de l'intégralité de ses demandes,

Ordonné à la société Limousine de Fabrication de Porcelaine de mettre à disposition de la société Inhesion Industrial SDN BHD le surplus des marchandises livrées qu'il appartiendra à la société Inhesion Industrial SDN BHD de retirer à ses frais sous 15 jours après signification du jugement faute de quoi société Limousine de Fabrication de Porcelaine est autorisée à procéder à sa destruction,

Débouté la société Limousine de Fabrication de Porcelaine du surplus de ses demandes,

Condamne la société Inhesion Industrial SDN BHD à verser à la société Bernardaud la somme de 2.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société Inhesion Industrial SDN BHD à verser à la société Limousine de Fabrication de Porcelaine la somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne la société Limousine de Fabrication de Porcelaine aux dépens d'instance.

Le 29 juillet 2016, la société Inhesion a interjeté appel du jugement.

Par arrêt du 20 mars 2019, la Cour d'appel de Paris a':

Annulé l'assignation délivrée le 27 août 2015 par la société Inhesion aux sociétés Bernardaud et Limousine de Fabrication de Porcelaine saisissant le tribunal de commerce de Bordeaux, le jugement rendu par le tribunal de commerce de Bordeaux le 20 mai 2016 et la procédure subséquente';

Condamné la société Inhesion aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, ainsi qu'à payer aux sociétés Bernardaud et Limousine de Fabrication de Porcelaine la somme de 15.000 euros à chacune d'elles par application de l'article 700 du Code de procédure civile';

Rejeté toute autre demande.

Sur pourvoi de la société Inhesion, par arrêt du 4 mars 2021, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt dans toutes ses dispositions et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Le 18 mai 2021, la Cour a été saisie.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 20 avril 2022, la société Inhesion demande à la Cour de':

Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 20 mai 2016 en ce qu'il a :

-  débouté la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE et la société BERNARDAUD de leur demande de nullité de l'assignation

-  débouté la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE et la société BERNARDAUD du surplus de leurs demandes ;

Infirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en date du 20 mai 2016 en ce qu'il a :

-  mis hors de cause la société BERNARDAUD ;

-  débouté la société INHESION de l'intégralité de ses demandes ;

-  condamné la société INHESION à verser à la société BERNARDAUD la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-  condamné la société INHESION à verser à la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau :

Sur la responsabilité solidaire des sociétés BERNARDAUD et SLFP :

- Juger n'y avoir lieu à la mise hors de cause de la société BERNARDAUD ;

- Reternir la responsabilité solidaire des sociétés BERNARDAUD et LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE ;

A défaut, dans l'hypothèse où la Cour confirmerait le jugement en ce qu'il a mis hors de cause la société BERNARDAUD :

Relever que la société SLFP n'invoque pas d'exception d'inexécution à l'encontre de la société INHESION ;

Par conséquent, faire droit à l'ensemble des demandes de la société INHESION relatives à la rupture brutale des relations commerciales établies ;

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

- Juger qu'au cours du mois d'avril 2012 la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE ont rompu abusivement et sans respecter de préavis les relations commerciales suivies les liant à la société INHESION depuis 2001 ;

- Juger que la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE ont gravement manqué à leur obligation de loyauté et ont engagé leur responsabilité solidaire vis-à-vis de la société INHESION ;

- Rejeter l'exception d'inexécution invoquée ;

- Condamner solidairement la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE à verser à la société INHESION la somme de 507.140 Euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et déloyale des relations commerciales ;

Sur le solde des factures litigieuses impayées

A titre principal,

Condamner solidairement la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE à verser à la société INHESION la somme de 87.770 euros TTC, sur le solde restant dû des factures EXP 3706, EXP 3710, EXP 3715, EXP 3719, EXP 3736, EXP 3755 ;

- Condamner solidairement la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE au paiement des intérêts au taux légal à compter du 21 août 2013, date de la lettre de mise en demeure jusqu'au complet paiement à intervenir ;

- Ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de l'Ordonnance du 10 février 2016 ;

A titre subsidiaire,

- Prononcer la résolution des commandes des produits de second choix correspondant aux factures EXP 3706, EXP 3710, EXP 3715, EXP 3719, EXP 3736, EXP 3755 ;

- Ordonner à la société BERNARDAUD et à la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE de restituer à la société INHESION, les produits de second choix correspondant aux factures EXP 3706, EXP 3710, EXP 3715, EXP 3719, EXP 3736, EXP 3755, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, passé un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- Ordonner que l'ensemble des frais liés à la restitution des produits, notamment de transport et de douanes, seront à la charge de la société BERNARDAUD et de la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE qui y seront tenues solidairement ;

En toutes hypothèses,

- Condamner solidairement la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE à verser à la société INHESION la somme de 20.000 Euros de dommages et intérêts pour inexécution de ses obligations contractuelles ;

En tout état de cause

- Débouter la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

- Condamner solidairement la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE à verser à la société INHESION la somme de 50.000 Euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- Condamner solidairement la société BERNARDAUD et la société SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE aux entiers dépens.'

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 19 avril 2022, les sociétés Bernardaud et SLFP demandent à la Cour de':

Vu les articles 117 et 119 du Code de procédure civile,

Vu les articles 1134, 1147 du Code civil, désormais articles 1103, 1104,1217, 1221et s. du Code civil

Vu l'article L.442-6 du Code de commerce,

Vu les articles 699 et 700 du Code de procédure civile,

- Recevoir les sociétés SA BERNARDAUD et SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE en leur appel et les y déclarer bien-fondées.

- Débouter la société INHESION de toutes ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes demandes des concluantes ;

A titre principal :

- Infirmer le jugement du 20 mai 2016 rendu par le Tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a déclaré la société INHESION recevable à agir en justice.

En conséquence et statuant à nouveau :

Prononcer la nullité de l'assignation et de la procédure subséquente.

A titre subsidiaire :

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- Mis hors de cause la société BERNARDAUD ;

- Débouté la société INHESION de l'intégralité de ses demandes ;

- Autorisé la destruction des marchandises de deuxième choix décrites dans le procès-verbal d'huissier du 4 mai 2015.

Pour le surplus :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté les sociétés SA BERNARDAUD et SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE de l'intégralité de leurs demandes reconventionnelles.

En conséquence et statuant à nouveau :

- Ordonner la destruction immédiate des marchandises de deuxième choix décrites dans le procès-verbal d'huissier du 4 mai 2015 aux frais exclusifs de la société INHESION ;

- Pour ce faire, condamner la société INHESION à payer la somme de 15.042,57 euros aux sociétés SA BERNARDAUD et SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE au titre de ladite destruction ;

- Condamner la société INHESION à payer à la SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE la somme de 64.232,30 euros en réparation des préjudices matériels subis ;

En tout état de cause :

- Donner acte aux sociétés BERNARDAUD SA et SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE de ce qu'elles réservent leurs droits et moyens au titre de la commercialisation de leurs pièces par la société INHESION ;

- Condamner la société INHESION à payer aux sociétés SA BERNARDAUD et SOCIETE LIMOUSINE DE FABRICATION DE PORCELAINE la somme de 37.000 euros chacune au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner la société INHESION aux entiers dépens.

***

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la validité de l'assignation

Les sociétés Bernardaud et SLFP soulèvent la nullité de l'assignation devant le tribunal de commerce, sur le fondement des dispositions des articles 114 et 117 du code de procédure civile, aux motifs que la société Inhesion ne justifie ni de l'existence de sa personnalité juridique, et donc de sa capacité à ester en justice, ni des pouvoirs de ses représentants.

La société Inhesion réplique qu'elle possède, en vertu du droit malaisien et de ses statuts, la capacité juridique d'ester en justice et que pour se faire elle doit déléguer à tout administrateur désigné par le conseil d'administration de la capacité juridique de représenter la société Inhesion devant les juridictions françaises. Elle soulève que non seulement l'assignation indique toute les mentions obligatoires prévues à l'article 648 et qu'il résulte de la jurisprudence tirée de l'article 114 du même code que le défaut de désignation de l'organe représentant légalement une personne morale dans un acte de procédure, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité, ne constitue qu'un vice de forme au sens de cet article, dont la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver l'existence d'un grief.

Réponse de la Cour :

L'assignation devant un tribunal de commerce doit contenir les mentions prévues par l'article 855 du code procédure civile, lequel renvoie à l'article 56, qui fait lui-même référence aux mentions prescrites pour les actes d'huissier de justice dans sa version applicable au litige, c'est à dire à l'article 648 du même code. Ce dernier texte précise que l'acte doit indiquer, à peine de nullité, 2 b) si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement.

Selon l'article 117 du même code, constitue des irrégularités de fond affectant la validité de l'acte:

-  le défaut de capacité d'ester en justice ;

-  le défaut de pouvoir d'une partie ou d'une personne figurant au procès comme représentant soit d'une personne morale, soit d'une personne atteinte d'une incapacité d'exercice ;

-  le défaut de capacité ou de pouvoir d'une personne assurant la représentation d'une partie en justice

Le défaut de désignation de l'organe représentant légalement une personne morale, lorsque cette mention est prévue à peine de nullité, ne constitue qu'un vice de forme (Ch Mixte, 22 février 2002, Bull n°1, pourvoi n°00-19.742). En application de l'article 114 du code de procédure civile, la nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause cette irrégularité.

En l'espèce, il n'est pas contesté que l'assignation des sociétés Bernardaud et SLFP devant le tribunal de commerce de Bordeaux, délivrée par acte d'huissier du 27 août 2015, par la société Inhesion indiquait les mentions suivantes :

-  Sa dénomination sociale : « INHESION INDUSTRIAL (M) Sdn, Bhd » ;

-  Sa forme sociale : « Sdn, Bhd », qui est l'abréviation de [J] [R] en malais, qui

signifie « société privée à responsabilité limitée »

-  Son siège social : à l'époque [Adresse 1]

[Localité 4], MALAISIE », qui est aujourd'hui son adresse

commerciale ;

-  son numéro d'immatriculation : 242794 K

-  L'organe qui la représente avec la mention « prise en la personne de son représentant légal».

Selon le certificat d'immatriculation du 24 décembre 2021 issu de la Commission des Sociétés de Malaisie (pièce Inhesion n°74), la société Inhesion Industrial (M) SDN. BHD. est immatriculée depuis le 22 juin 1992 sous la forme d'une société privée à responsabilité limitée avec un capital social de 5.600.000 RM dont 1.960.000 de parts détenues par [P] [D] et 3.640.000 de parts détenues par Global Elite International Group LTD et sous le numéro d'immatriculation 199201011291 (242794-K). Le registre mentionne que les administrateurs sont [V] [T] [D] depuis le 28 octobre 2020, [M] [D] depuis le 6 octobre 2015, [P] [D] depuis le 7 juillet 1992, [L] [D] depuis le 27 avril 2016 et [Y] [F] depuis le 28 mars 2013. Le registre mentionne [Z] [O] [B] comme secrétaire depuis le 30/06/2016.

Il ressort de la consultation produite par la société Inhesion (pièce n° 77) faite par un avocat malaisien sur le droit malaisien en vigueur que la société Inhesion est une société légalement constituée selon le droit malaisien. Il s'avère, selon la section 21(1)(a) de la CA16 du droit malaisien, que les sociétés ont la capacité de poursuivre et d'être poursuivies et ce sans avoir à obtenir une autorisation préalable par un tribunal tant que la société n'est pas en liquidation judiciaire. Il est en outré précisé que selon le droit malaisien une société malaisienne ne peut agir que par l'intermédiaire de ses agents ou de ses préposés, sachant qu'un administrateur est considéré comme un agent et que la société est gérée par son conseil d'administration dans le cadre des pouvoirs ou des dispositions expressément prévus dans l'acte constitutifs et les statuts. L'article 216 de la CA16 du droit malaisien prévoit, sauf disposition contraire des statuts ou d'une résolution du conseil, que les administrateurs peuvent déléguer le pouvoir qu'ils ont à " tout comité du conseil, administrateur, dirigeant, employé, expert ou toute autre personne ".

Selon §.91 des statuts de la société Inhesion (pièce n°75), " Les Administrateurs peuvent, le cas échéant, confier à un administrateur délégué les pouvoirs qu'ils jugent opportuns d'exercer en vertu des présents statuts et lui conférer ces pouvoirs pour une durée déterminée et pour qu'ils soient exercés aux fins, selon les modalités et avec les restrictions qu'ils jugent opportunes ". Il ressort du procès-verbal de réunion du conseil d'administration d'Inhesion du 15 juin 2015 (pièce n°76) que " Le président et le conseil d'administration ont habilité M. [L] [D], M. [M] [D] et M. [V] [D] à agir en tant que représentants du groupe de sociétés Inhesion pour être pleinement en charge de cette affaire judiciaire contre Bernardaud, y compris l'intervention ou la défense dans l'action ou la procédure au nom de la société. "

De plus, il ressort des différentes procédures de référés et requêtes entre les parties que les sociétés Bernardaud et SLFP n'ont à aucun moment contesté la capacité et la qualité à agir d'Inhesion que ce soit dans les conclusions ou dans les assignations et significations réalisées par un huissier de justice (Pièces n° 29, 40, 42, 44, 45, 49 Inhesion et Pièces 23, 25, 29 Bernardaud).

Il résulte de l'ensemble de ces constatations que l'assignation introduisant l'instance devant le tribunal de commerce comportait les mentions obligatoires prévues à peine de nullité par les dispositions de l'article 648 du code de procédure civile.

Les pièces produites par la société Inhesion sont suffisantes pour établir son existence juridique et sa capacité à ester en justice.

La mention 'prise en la personne de son représentant légal' est suffisante pour la validité de l'acte d'huissier, les sociétés Bernardaud et SLFP ne justifiant pas d'un grief pour le défaut de la désignation de l'organe représentant légalement la société Inhesion dans l'assignation.

Les pièces produites par cette dernière justifient par ailleurs qu'à partir du moment où une résolution de la société délègue le pouvoir à un administrateur, dirigeant, préposé ou agent, ces derniers ont le pouvoir de représenter, témoigner et d'agir au nom d'Inhesion dans toute procédure judiciaire. Ainsi en est-il de MM. [L] [D], [M] [D] et [V] [D] dûment habilités peu important la date à laquelle ils ont été désignés administrateur de la société.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il déboute les sociétés Bernardaud et SLFP de leur demande de nullité de l'assignation.

Sur la rupture de la relation commerciale

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

*Sur le caractère établi de la relation

Les parties ne s'opposent pas quant au caractère établi de la relation commerciale en cause, si ce n'est sur le rôle de la société Bernardaud dont il est demandé la mise hors de cause.

La société Inhesion rappelle que la société SLFP est une filiale détenue à 100 % par la société Bernardaud, qu'elles partagent le même dirigeant, le même bénéficiaire effectif, les mêmes dénominatifs des mails, @bernardaud.fr, la même adresse de livraison et la même adresse de siège social. La société Inhesion reconnait que les factures sont payées par la société SLFP, mais précise que ces factures étaient envoyées à « SLFP P/C Bernardaud ». De plus, la société ayant été créée le 31 décembre 2001, c'est avec la société Bernardaud directement que la relation commerciale a commençé lors de l'envoi le 14 décembre 2001 du mail contenant la première commande. Enfin, la société Inhesion fait valoir que l'intégralité des manquements ou exception d'inexécution invoqués à son encontre dans le cadre de la rupture brutale des relations commerciales établies l'ont tous été de la part de Bernardaud et aucun de la part de la SLFP.

Les sociétés Bernardaud et SLFP soutiennent qu'elles ne forment pas un groupe et que Bernardaud et SLFP sont deux sociétés distinctes ayant chacune la personnalité juridique et devant être tenue responsable chacune de leurs propres actes et faits. Elles estiment que la société Inhesion a eu une relation commerciale uniquement avec SLFP et que les manquements contractuels invoqués à l'égard de la société Inhesion l'ont été par SLFP qui, chargée par la société Bernardaud de fabriquer les produits, ne saurait tolérer que la sous-traitance d'une partie de son activité à la société Inhesion donne lieu à la commission d'actes illicites, notamment par violation des prérogatives de la société Bernardaud.

Réponse de la Cour :

Il n'est pas contesté que la relation commerciale, non formalisée par des contrats, a pris la forme d'échanges de mails entre les parties, de Production Progressive Plan (PPP) , de factures tout au long de la relation afin de passer les commandes, de suivre les commandes, la production des pièces, les livraisons et les paiements. Les PPP, établis par semestre, prévoyaient le détail mensuel du nombre de pièces et des références commandées par la société Bernardaud.

Il ressort des premières correspondances échangées entre M. [C] pour Bernardaud et M. [P] [D] pour Inhesion que les parties ont débuté leur relation commerciale le 14 décembre 2001 par un mail portant sur la préparation du travail à venir suite à la visite de M. [C] chez Inhesion, notamment sur la préparation des différents moules et d'un vernis spécifique. Ce n'est que par un mail du 21 février 2002 que la société Bernardaud a passé sa première commande à Inhesion d'un total de 45.000 pièces et de 15.000 pièces.

Par la suite, la société Inhesion justifie avoir régulièrement été en contact avec M. Bernardaud, dirigeant des sociétés Bernardaud et SLFP, ainsi qu'avec les salariés de la société Bernardaud, notamment avec Mme [A], membre du directoire de la société Bernardaud. Il n'est pas sérieusement contesté que tout le temps de la relation commerciale, les commandes ont été passées par la société Bernardaud suivant des PPP semestriels (exemple pièce Inhesion n°16), que les factures ont été payées par la société SLFP et que les adresses de livraison et de factures étaient libellées au nom des deux sociétés 'SLFP P/C Bernardaud' (pièces n°1 à 17, 31 et suivantes). Les correspondances adressées à la société Inhesion étaient à l'entête de la société Bernardaud et les adresses mails des interlocuteurs de la société Inhesion étaient domiciliées ' @bernardaud.fr'.

Dans un courriel du 12 juillet 2011 (pièce n° 23 Inhesion) ayant pour objet " Inhesion - Bernardaud cooperation ", Mme [A] demandait à la société Inhesion d'arrêter d'utiliser le modèle Ecume et de s'inspirer des pièces de Bernardaud pour faire sa collection, tout en acceptant d'acheter les pièces de second choix découlant de la production de premier choix commandé et prévoyant des conditions de livraison. Dans un courriel du 27 avril 2012, portant sur la contestation du nombre de pièces de second choix livrées entre février 2012 et avril 2012, ainsi que la volonté de ne pas payer ces marchandises, Mme [A] n'évoque pas la société SLFP mais indique « Bernardaud n'a été informée de ces expéditions que quand les containers étaient déjà à bord » et que « Bernardaud ne paiera pas ces marchandises » (pièce n°13).

Enfin, il ressort du tableau renseignant le chiffre d'affaires de la société Inhesion avec 'Bernardaud' 2002 à 2013 (pièce n°20 Inhesion) que le courant d'affaires a duré 11 ans et qu'il a été en constante augmentation :

-  2002/2003 (194.545 USD) à 2008/2009 (1.499.209 USD)

-  un pic en 2007/2008 (1.914.466 USD),

-  2009/2010 (476.771 USD) marquant un net recul des ventes,

-  puis une hausse les années 2010/2011 (1.030.115 USD) et 2011/2012 (1.149.970

-  USD)

-  2012/2013 (42.253 USD) dernière année du courant d'affaires.

Au regard de l'ensemble de ces constatations, la Cour considère qu'une relation commerciale établie au sens des dispositions précitées s'est nouée depuis début 2012, entre d'une part la société Inhesion et d'autre part les sociétés Bernardaud et SLFP.

* sur l'imputabilité de la rupture

La société Inhesion fait valoir que les sociétés Bernardaud et SLFP, malgré 11 années de relation commerciale, ne l'ont pas informée de son intention de rompre cette relation ni notifié un quelconque préavis, lors de la cessation de toute commande pour 2012.

Les sociétés Bernardaud et SLFP répliquent que la rupture n'est pas soudaine ni imprévisible dès lors que :

- dès 2009 il y a eu des doutes sur la loyauté et la bonne exécution des accords convenus,

-  en 2010, elles ont proposé un accord sur le deuxième choix qui aurait dû aplanir les difficultés, mais la société Inhesion a persisté dans ses comportements déloyaux,

-  en juillet 2011, eu égard aux revendications itératives de la société Inhesion, elles ont renforcé leur proposition en offrant de racheter à la fois le stock de pièces de deuxième choix tel qu'inventorié à la date du 2 juillet 2011 et les pièces de second choix générées par les commandes futures, cette proposition n'ayant finalement pas été acceptée par Inhesion préférant privilégier sa propre commercialisation plutôt que de renoncer expressément à utiliser les formes et modèles des produits Bernardaud,

-  la rupture étant ainsi consommée à l'initiative de la société Inhesion, la SFLP n'a pas pour autant cessé immédiatement toute relation commerciale, et a au contraire honoré sa commande de premier choix au titre du second semestre 2011 (commande du 11 juillet 2011) et exécuté sa part de l'accord relative au second choix jusqu'à constater que des quantités excessives et injustifiées avaient été expédiées in extremis par la société Inhesion,

Réponse de la Cour :

Certes, il ressort des différents échanges de mails entre les sociétés Bernardaud, SLFP et Inhesion que des différends ont commencé à apparaître dès 2009 sur les pièces de second choix (pièces Bernardaud n° 10 et suivantes), puis ont fait l'objet en 2010, d'une négociation entre les parties. Suite à plusieurs estimations des stocks entreposés dans l'usine d'Inhesion, à partir de juillet 2011, les parties ont été en désaccord sur la quantité de pièces de 2e choix qui aurait dû être expédiées par Inhesion et récupérées par la société Bernardaud et la SLFP. Cela a conduit à une contestation du paiement des factures par la société Bernardaud et SLFP, puisque seulement 52.271,70 USD ont été payés à Inhesion sur un solde de plus de 170.000 USD pour des factures allant du 20 février 2012 au 21 avril 2012. Il résulte également des nombreux échanges entre les parties, l'existence d'un différend à propos de l'utilisation du modèle Ecume de Bernardaud par Inhesion pour d'autres fabricants et de l'utilisation de modèles de Bernardaud comme inspiration de la collection d'Inhesion.

Néanmoins, malgré ces difficultés relationnelles depuis 2009, les sociétés Bernardaud et SFLP ont maintenu un flux de commandes en constante augmentation sur les deux exercices précédant la rupture, pour atteindre les chiffres d'affaires de (pièce Inhesion n°20) :

-  476 771 USD sur l'exercice 2009/2010, soit 18 % du chiffre d'affaires total

-  1 030 115 USD sur exercice 2010/2011, soit 27 % du chiffre d'affaires total

-  1 149 970 USD sur l'exercice 2011/ 2012, soit 34% du chiffre d'affaires total

Il n'est pas contesté que dans le PPP pour le 1er semestre 2012 les commandes ont été très fortement réduite faisant passer le chiffre d'affaires d'Inhesion avec Bernardaud de 34% à 1%, puis plus aucune commande pour le second semestre 2012 matérialisant la rupture de la relation commerciale.

Contrairement à ce qui est avancé par les sociétés Bernardaud et SLFP, le courriel de '[P]' de Inhesion du 13 juillet 2011, en ce qu'il relate une incompréhension mutuelle des parties à la relation commerciale sur la notion de modèle 'inspiré' et qu'il se termine par ' j'apprécie la commande que vous m'avez passée et nous devons examiner notre démarche commerciale pour

notre sécurité. Je vais analyser les articles lorsque je serai de retour, pour le moment, faites-moi savoir le champ de votre terme « Inspiré ». Tant que ceci n'est pas éclairci, merci de ne m'envoyer ni forme nouvelle ni nouvelle idée comme vous l'avez dit.' (Pièce 18 -traduction libre Bernardaud), ne peut s'analyser en une volonté de rompre la relation de la part de la société Inhesion.

Il s'ensuit, qu'en dehors des échanges de courriels sur les différends évoqués, la chute des commandes n'a été précédée d'aucune notification claire de la part des sociétés Bernardaud et SLFP d'une intention de rompre la relation commerciale avec un délai de préavis, en sorte que la rupture de la relation commerciale leur est imputable à compter de la chute des commandes dès le début de l'année 2012.

* sur la brutalité de la rupture

Les sociétés Bernardaud et SLFP font valoir sur le fondement de l'article L. 442-6, 5° précité qu'en toute hypothèse, la rupture des relations commerciales établies, aurait-elle été brutale, n'est pas en elle-même constitutive d'une faute lorsqu'elle est la résultante directe de l'inexécution par l'autre partie de ses propres obligations contractuelles. Elles considèrent ainsi, qu'en imposant à la SLFP le rachat de pièces de deuxième choix dans des quantités disproportionnées et inexpliquées, la société Inhesion a méconnu son obligation essentielle de loyauté dans l'exécution du contrat et a altéré le rapport de confiance indispensable à la poursuite de toute relation commerciale entre les parties. Elles ajoutent que la commercialisation du produit Ecume par la société Legle s'est faite en violation du titre du droit d'auteur qu'avait la société Bernardaud et que le tribunal de grande instance de Paris avait reconnu dans un jugement du 16 janvier 2015. De plus, le groupe Bernardaud considère que les pièces présentées dans le catalogue LEGLE ASIA 2011 sont similaires aux pièces figurant dans les catalogues Bernardaud 2010 et 2011 et que la société Legle avait conclu un contrat de licence en 2009 avec la société Inhesion afin qu'elle exploite la marque Legle en Asie. Il est soutenu que la société Inhesion a manqué à son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat ce qui a altéré le rapport de confiance indispensable à la poursuite des relations commerciales entre les parties. Elles en déduisent que de tels manquements constituent un manquement grave justifiant la rupture immédiate de la relation commerciale sans délai de préavis.

La société Inhesion réplique avoir non seulement rempli ses obligations contractuelles, mais encore qu'elle n'a nullement repris les modèles commercialisés par la société Bernardaud pour autrui. Elle soutient qu'elle n'a rien à voir avec le catalogue LEGLE ASIA 2011 qui est produit par un autre producteur de porcelaine, Legle avec qui la société Inhesion fait affaire. Enfin, elle estime que les similitudes sont sans originalité et liées à la l'usage du produit fabriqué. Pour tout cela, la société Inhesion soutient qu'il n'existe pas de manquement grave permettant la rupture immédiate de la relation commerciale sans délai de préavis.

Réponse de la Cour :

En ce qui concerne l'inexécution contractuelle alléguée relative aux pièces de 2ème choix, il ressort des échanges de courriels produits par chacune des parties, que s'il existait une incompréhension mutuelle patente sur la gestion des pièces de second choix, il n'est pas démontré de manquement caractérisé de la part de la société Inhesion à des obligations qui n'étaient pas formalisées dans un contrat.

En ce qui concerne l'allégation de l'utilisation du motif Ecume dans les produits de la marque Legle ayant le motif Moon, un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 1er avril 2016 entre Bernardaud et Legle a confirmé en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 16 janvier 2015 déclarant nul le modèle communautaire tel que revendiqué par la société Bernardaud sur le produit Ecume, mais le reconnaissant titulaire des droits d'auteur sur le motif Ecume. Le tribunal a débouté Bernardaud de ses demandes en contrefaçon et en concurrence déloyale puisque le motif Moon de Legle "comporte un ensemble d'hémisphères de divers diamètres gravés en creux, ils ne sont pas très serrés et rapprochés, à la différence du motif Ecume, mais au contraire espacés, et ponctuent seulement la surface de la porcelaine, qu'ils n'occupent pas en son entier. Ce motif, qui n'évoque pas du tout l'écume, mais la surface régulière de la Lune, est différent par son aspect du motif Ecume dont il ne reproduit pas l'agencement particulier, qui seul lui confère son originalité " et " le motif reproduit sur les objets commercialisés par la société Legle ne constitue pas l'imitation de celui créé par la société Bernardaud ".

En ce qui concerne les allégations d'inspiration par les modèles de Bernardaud afin de créer la collection présentée dans le catalogue Legle 2011, la comparaison entre les différents produits montre une similitude pour certains produits notamment dans leurs formes. Toutefois, nombre de ces formes sont liées à l'usage des différents produits et sont banales tels que des assiettes rondes ou carrés, des mugs, des bols ou des tasses blanches. Bon nombre de ses formes sont produites par des concurrents de Bernardaud et de Inhesion au point qu'aucune de ces sociétés ne possèdent des droits de propriété intellectuelle sur ces formes liées à l'usage des produits. Cela est d'ailleurs accentué par le fait que la société Bernardaud ne justifie pas s'être prémunie de tout risque contre l'utilisation de ces formes en faisant signer à Inhesion une clause l'empêchant de produire des formes similaires sans véritable originalité pour des concurrents ou pour elle-même.

Il ressort de l'ensemble de ces constatations, que si le lien de confiance entre les parties s'est altéré au fil des années et pouvait conduire les sociétés Bernardaud et SLFP à cesser leurs relations commerciales avec la société Inhesion, il n'est cependant pas établi de manquement grave pour justifier une rupture sans préavis.

Dès lors, les sociétés Bernardaud et SLFP, en ce qu'elles ont cessé brutalement sans préavis toute commande auprès de la société Inhesion au début de l'année 2012 ont engagé leur responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a mis hors de cause la société Bernardaud et débouté la société Inhesion de l'intégralité de ses demandes.

* Sur l'évaluation du préjudice

La société Inhesion fait valoir, qu'en vertu de la durée de la relation commerciale établie , du fait que le courant d'affaire avec la société Bernardaud et SLFP représentait jusqu'à 50% de son chiffre d'affaires annuel, et des investissements spécifiques pour les commandes passées par le groupe Bernardaud, et de ses difficultés de reconversion sur un marché particulier où Bernardaud dispose d'une réelle notoriété, un délai de préavis de 12 mois aurait été d'une durée raisonnable pour se réorganiser et réorienter son activité commerciale vers d'autres producteurs de porcelaine. En faisant valoir un taux de marge brut moyen de 11,67%, la société Inhésion réclame la somme de 90 730 euros de perte de bénéfice sur la période d'absence de préavis de 12 mois. Elle réclame en outre le remboursement des investissements non amortis en machine pour satisfaire les commandes du groupe Bernardaud, soit la somme de 416 410 euros.

Les sociétés Bernardaud et SLFP répliquent que la société Inhesion ne justifie d'aucun préjudice lié à une baisse de chiffre d'affaires ou de l'impossibilité de trouver des solutions alternatives. Elles insistent sur le fait qu'aucun des investissements en cause n'a été effectué pour la seule spécificité de leurs commandes.

Réponse de la Cour :

Seul est indemnisable le préjudice résultant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même. Il est constant que le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

S'il n'est pas contestable que la relation commerciale établie entre les parties était ancienne (11 années), que la part du chiffre d'affaires avec Bernardaud a été en moyenne sur les trois derniers exercices de 26% (pièce Inhesion n° 20) sur le chiffre d'affaires global de Inhesion et que Bernardaud était un client de notoriété, la société Inhesion ne justifie ni n'explicite ses contraintes pour trouver un nouveau partenaire et se réorganiser, sachant que la relation commerciale s'était détériorée depuis quelques années.

Par ailleurs, concernant les investissements, le groupe Bernardaud justifie (pièce n° 30, 48 et 38) sans être utilement contredit que les machines acquises sont des machines classiques servant à l'ensemble du processus de fabrication des produits blancs et décorés et répondant aux besoins de l'ensemble des activités de la société Inhesion et que l'investissement le plus important remonte à 2003. Autrement dit, la société Inhesion ne justifie pas d'investissement spécifique et non encore amorti pour la fabrication des produits Bernardaud.

Dès lors, la Cour considère qu'un préavis de 6 mois, concordant avec le rythme habituel des PPP, était nécessaire mais suffisant.

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pouvait escompter bénéficier pendant la durée du préavis qui aurait dû lui être accordé.

La référence à retenir est la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture.

La société Inhesion fait état d'une marge brute moyenne de 11,67%, non critiquée dans son principe par les sociétés Bernardaud et SLFP, qui appliquée au chiffre d'affaires annuel sur les trois derniers exercices comptables, donne une perte de marge annuelle moyenne de 90 730 euros, soit une perte de marge de 45 365 euros sur 6 mois de préavis manquant.

Dès lors, les sociétés Bernardaud et SLPF, en ce qu'elles ont brutalement rompu la relation commerciale nouée avec la société Inhesion, seront condamnées in solidum à payer à la société Inhesion la somme de 45 365 euros à titre de dommages-intérêts.

La société Inhesion ne justifiant pas d'investissement spécifique, sera déboutée de sa demande de ce chef.

Sur la demande en paiement des factures EXP3706, EXP 3710, EXP3715, EXP 3719, EXP 3736, EXP 3755

La société Inhesion fait valoir qu'elle a informé les sociétés Bernardaud et SLFP de son rendement de production de 50 % de premier choix, 25 % de second choix et 25 % de rebus. Elle prétend avoir livré 175.706 pièces de premier choix entre juillet 2011 et décembre 2011 et 23.348 entre janvier 2012 et avril 2012. Elle considère qu'en application de son taux de rendement à ces chiffres, elle a produit 99.527 pièces de second choix qui additionnées au stock existant donne 232.931 pièces de second choix, soit plus que les 225.661 qu'elle a expédiées et qui représentaient plus de 170.000 USD. Elle ajoute que la société Bernardaud et SLFP ont accepté la marchandise livrée lors de six livraisons entre février 2012 et avril 2012 sans réserve à partir du moment où ces dernières ne se sont pas manifestées en réponse des mails de la société Inhesion, n'ont pas refusé les marchandises, ou n'ont pas donné suite aux propositions de la société Inhesion de rapatrier les marchandises à ses frais en cas de renvoi des documents de transports. La société Inhesion en déduit que la société Bernardaud et SLFP ne sont pas recevables à contester le montant des factures restant à payer étant donné que les marchandises ont été acceptées et sont actuellement stockées dans les locaux du groupe Bernardaud. La société Inhesion chiffre le solde restant à payer de 117.742,13 USD, soit 87.770 euros, pour les pièces de second choix issus des six factures impayées de février 2012 à avril 2012.

Les sociétés Bernardaud et SLFP répliquent que le rendement d'Inhesion n'est pas de 25 % de pièces de second choix, mais doit être de 18 % selon les usages. Elles prétendent que la société Inhesion n'a expédié que 157.706 pièces de premier choix entre juillet 2011 et décembre 2011 et 23.348 entre janvier 2012 et avril 2012. Elles considèrent qu'en application de son taux de rendement à ces chiffres, la société Inhesion aurait dû produire 33.428 pièces, qui additionnées au stock existant donne un total de 166.862 pièces de second choix. Or elles rappellent que la société Inhesion a expédié 225.661 pièces de second choix, soit 58.799 pièces de second choix de plus que ce qui aurait été prévu. Elles soutiennent avoir contesté la quantité de pièces de second choix envoyées par Inhesion entre février 2012 et avril 2012 au moment où elles se sont rendu compte que la quantité était bien supérieure à celle attendue. Elles ajoutent que la société Inhesion les informait des futures livraisons et du contenu de ces livraisons une fois que le container était déjà en mer. Enfin, selon les dires de leur transporteur, elles ne pouvaient pas refuser les livraisons sans engendrer des frais et des pièces de premier choix se trouvaient dans les mêmes containers que les pièces de second choix.

Aussi, elles estiment ne pas devoir payer le surplus des pièces de second choix et rappellent que la somme de 52.271,70 USD a déjà été payée pour les pièces de premier choix et réclament reconventionnellement le paiement des frais administratifs, d'entreposage (65 418,30 euros) et de destruction (15 042, 57 euros) des pièces de second choix expédiées en surnombre.

Réponse de la Cour :

A la suite du stockage depuis plusieurs années des pièces de second choix, il n'est pas contesté que la société Bernardaud et la SLFP ont fait, en juillet 2011, une commande ferme pour tous les 133.434 produits de second choix stockés selon l'inventaire envoyé par Inhesion aux sociétés Bernardaud et SLFP, ainsi que les seconds choix produits pour la réalisation des commandes de premier choix passées. Notamment, la société Bernardaud par courriels de Mme [A] des 27 avril 2010 et 12 juillet 2011 a confirmé à la société Inhesion l'achat et l'expédition des produits de 2ème choix de toutes les productions faites pour Bernardaud. A la demande de Mme [A] par couriel du 4 juillet 2011 : ' veuillez m'envoyer par e-mail dès que vous pouvez le tarif du 2ème choix pour chaque article que nous commandons à Inhesion pour que nous sachions combien de pièces seront jointes en plus des expéditions normales de 1er choix', la société Inhesion a répondu par couriel du 6 juillet 2011 (pièce n°11 -traduction libre) : 'Le taux de rendement des articles cuits montre de grands écarts positifs et négatifs de temps en temps. Cela semble être une norme dans la porcelaine. Compte tenu de vos normes de qualité, le taux de rendement moyen s'étend généralement comme suit pour les catégories suivantes :

Catégorie A : 50%

Catégorie A2 : 25%

Rejets : 25%

(...)'

Par la suite la société Inhesion a expédié régulièrement les produits de 2ème choix, dans un premier temps séparément des produits de 1er choix, puis dans un second temps en même temps que les produits de 1er choix conformément aux instructions de Bernardaud (couriel du 12 juillet 2011 de Mme [A]).

Si les parties sont d'accord sur le fait que 23.348 pièces de premier choix ont été livrées du 1er janvier 2012 au 21 avril 2012, il existe un désaccord de 20.000 pièces sur la quantité de pièces de premier choix produites et expédiées pendant le second semestre 2011. Cependant la société Inhesion justifie (pièces n°1, 15 et 26) avoir produit et expédié 175.706 pièces de premier choix pour la période de juillet 2011 à décembre 2011, ce qui fait 199.054 pièces de premier choix pour la période juillet 2011 à avril 2012. En application du taux de 2ème choix (25%) envoyé par la société Inhesion avant la date de la commande des pièces et non discuté à cette période par Bernardaud, la société Inhesion a dû produire 99.527 (199.054 x 2 x 25%) pièces de second choix pour la réalisation des commandes de premier choix faites par la société Bernardaud et la SLFP. En additionnant les pièces de second choix produites avec les pièces de second choix dans le stock (133 434) la société Bernardaud et la SLFP devaient s'attendre à recevoir 232.931 pièces de second choix sur la période juillet 2011 à avril 2012. Dès lors, en expédiant et facturant 225 661 pièces de second choix, la société Inhesion a envoyé une quantité inférieure de pièces par rapport à la quantité de pièces de second choix produites et pouvait demander le paiement des factures correspondant à ces pièces. Il est en outre justifié par la société Inhesion que la société Bernardaud a été informée des articles expédiés (pièces n°24, 25, 35, 36, 37), que si Mme [A] de la société Bernardaud a envoyé un mail de contestation le 27 avril 2012 notamment sur la quantité qualifiée de disproportionnée de 2ème choix, en réponse à une demande de règlement de facture de la part de la société Inhesion ( pièce n°14), les marchandises ont néanmoins été réceptionnées sans réserve et enlevées du port pour être transportées à l'usine d'[Localité 6] (pièce n°18) et ce même pour la dernière livraison annoncée le 25 mai 2012 (pièce Inhesion n°3) et pour laquelle il a été proposé à la société Bernardaud avant que les marchandises soient arrivées à destination, une possibilité de refuser les containers arrivés au port en lui renvoyant les documents afin de permettre à la société Inhesion de faire rapatrier le container à ses frais.

Au regard de l'ensemble de ces constatations, l'obligation au paiement du solde des factures litigieuses est justifiée par la société Inhesion et les sociétés Bernardaud et SLFP seront condamnées in solidum au paiement de la somme de 87 770 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2013, date de la lettre de mise en demeure, outre capitalisation desdits intérêts. Le jugement sera infirmé de ce chef.

En conséquence, les sociétés Bernardaud et SLFP seront déboutées de leurs demandes en paiement de frais d'administration, de stockage et de destruction des marchandises litigieuses.

La société Inhesion ne justifie pas d'un préjudice autre que le retard dans le paiement des factures indemnisé suivant les intérêts au taux légal, et sera débouté de sa demande de dommages-intérêts pour inexécution contractuelle.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Inhesion aux dépens de première instance et à payer la somme de 2500 euros à la société Bernardaud et la somme de 3000 euros à la société SLFP.

Les sociétés Bernardaud et SLFP, parties perdantes, seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, les sociétés Bernardaud et SLFP seront déboutées de leurs demandes et condamnées in solidum à payer à la société Inhesion la somme de 30 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Vu l'arrêt de la chambre économique, commerciale et financière de la Cour de cassation du 4 mars 2021 pourvoi n°19-21.324 ;

INFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il déboute la société Limousine de fabrication de porcelaine et la société Bernardaud de leur demande de nullité de l'assignation,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et Y ajoutant,

DIT que la société Bernardaud et la Société Limousine de fabrication de porcelaine (SLFP) ont noué une relation commerciale établie avec la société Inhesion Industrial depuis début 2002 ;

DIT que la société Bernardaud et la Société Limousine de fabrication de porcelaine (SLFP) ont brutalement rompu la relation commerciale établie et ont engagé leur responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige ;

CONDAMNE in solidum la société Bernardaud et la Société Limousine de fabrication de porcelaine (SLFP) à payer à la société Inhesion Industrial la somme de 45 365 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de marge subie à la suite de la rupture brutale de la relation commerciale et déboute la société Inhesion Industrial du surplus de ses demandes au titre de la rupture brutale ;

CONDAMNE in solidum la société Bernardaud et la Société Limousine de fabrication de porcelaine (SLFP) à payer à la société Inhesion Industrial la somme de 87 770 euros avec intérêts au taux légal à compter du 21 août 2013, date de la lettre de mise en demeure, outre capitalisation desdits intérêts, au titre du solde des factures EXP3706, EXP 3710, EXP3715, EXP 3719, EXP 3736, EXP 3755 ;

DÉBOUTE la société Inhesion Industrial de sa demande de dommages-intérêts au titre d'une inexécution contractuelle ;

DÉBOUTE la société Bernardaud et la Société Limousine de fabrication de porcelaine (SLFP) de leurs demandes au titre des préjudices matériels subis et de destruction de marchandises ;

CONDAMNE in solidum la société Bernardaud et la Société Limousine de fabrication de porcelaine (SLFP) aux dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE in solidum la société Bernardaud et la Société Limousine de fabrication de porcelaine (SLFP) à payer à la société Inhesion Industrial la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

REJETTE toute autre demande.