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Décisions

CA Paris, 4e ch., 14 décembre 1994, n° D19940083

PARIS

Arrêt

Confirmation

CA Paris n° D19940083

13 décembre 1994

FAITS ET PROCEDURE

Vu le précédent arrêt de cette chambre, du 17 février 1993, auquel il est renvoyé pour l'exposé des faits, moyens et prétentions antérieurs.

Considérant que par cet arrêt la Cour a invité les parties à s'expliquer :

- sur le moyen qui pourrait être tiré du fait que les saisies-contrefaçon ont été pratiquées antérieurement à la publication des modèles déposés par Melle W,

- sur les moyens par lesquels, indépendamment du dépôt, Melle W entend justifier de sa qualité d'auteur ;

Que l'ordonnance de clôture a, en conséquence été révoquée, la cause étant renvoyée devant Monsieur le Conseiller chargé de la mise en état ;

Considérant que Melle W a conclu en demandant qu'il soit jugé qu'elle est bien propriétaire des modèles de chaussettes et du modèle de décoration déposés à l'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE les 6 février 1989 et 11 janvier 1990, qu'il soit constaté que la publicité requise lors des dépôts, a été effectuée et que lesdits dépôts étaient opposables aux intimées lorsqu'elles ont été assignées, le 6 février 1990 ;

Qu'à titre subsidiaire Melle W déclare fonder sa demande sur l'article L.111.1 du Code de la Propriété Intellectuelle et sollicite l'adjudication du bénéfice de ses écritures antérieures ;

Considérant que les intimées ont conclu à l'irrecevabilité de la demande basée sur la loi du 14 juillet 1909 et introduite avant la publicité du dépôt, à l'irrecevabilité et au mal fondé sur le fondement de la loi du 11 mars 1957, et à l'adjudication du bénéfice de leurs écritures antérieures ;

Que Melle W a répliqué par des conclusions tendant au débouté ;

Considérant que Melle W fait essentiellement valoir que les conséquences de l'introduction d'une assignation avant la publicité du modèle ne concerne que le demandeur qui se serait uniquement fondé sur la loi du 14 juillet 1909, sauf à observer que l'action serait recevable si la publicité est réalisée à la date à laquelle la juridiction statue ;

Qu'elle ajoute qu'elle s'est fondée aussi sur la loi du 11 mars 1957 qui ne comporte aucune exigence autre que la preuve de la création, qui peut se faire par tous moyens ;

Que par les dépôts elle prouve que les modèles étaient au moins créés à cette date et qu'elle en est propriétaire ;

Que le dépôt est réputé être rendu public lorsque l'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE a procédé à l'ouverture de la boîte même si la mise à disposition effective du public est ultérieure ;

Qu'elle est en mesure grâce à ses factures, à des attestations et à des articles de presse de faire remonter sa création à une date antérieure aux dépôts ;

Que les défenderesses ne peuvent donc soutenir qu'elles n'avaient pas connaissance de l'exploitation de ce "nouveau concept" ;

Considérant que les intimées font valoir sur l'application de la loi du 14 JUILLET 1909 que l'action, introduite avant la publicité demeure irrecevable même si la publicité a eu lieu après l'assignation ;

Que l'action en concurrence déloyale n'est pas basée sur des faits distincts ;

Que la loi de 1952 est abrogée et que les clous sont passés de mode ;

Que les publications de presse sont postérieures aux faits incriminés ;

Que les factures ne sont pas probantes ;

Que des "chaussettes à clous" ont été réalisées, depuis 1983, 1985 et 1986 notamment par la GADGETERIE DU SENTIER.

DECISION

I - SUR L'APPLICATION DE LA LOI DU 14 JUILLET 1909

Considérant que selon l'article 11 alinéa 2 et 3 de la loi, codifié dans l'article L.521.2 du Code de la Propriété Intellectuelle, les faits postérieurs au dépôt, mais antérieurs à sa publicité, ne peuvent donner lieu, à une action en contrefaçon, même devant la juridiction civile, qu'à la charge, par le déposant d'établir la mauvaise foi du défendeur ;

Que d'autre part aucune action civile ne peut être intentée au titre de la loi, avant que le dépôt n'ait été rendu public ;

Considérant qu'il résulte de ces dispositions d'une part qu'une action intentée "avant que le dépôt ait été rendu public" est irrecevable ;

Que d'autre part, sauf mauvaise foi avérée du contrefacteur, les faits antérieurs à cette publicité ne peuvent entraîner, sur la base de cette loi une condamnation, même civile ;

Considérant que le dépôt ne peut être "rendu public", au sens de la loi que par la mise à la disposition du public des reproductions sur les registres spéciaux prévus à l'article 20 du décret du 26 juin 1911, seul applicable eu égard à la date des faits ;

Que l'ouverture de l'enveloppe (ou de la boîte) par le directeur de l'INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE ou son délégué assisté de deux fonctionnaires de l'Institut ne peut constituer une publicité, toutes ces personnes étant tenues d'une obligation de discrétion ;

Considérant que le dépôt N° 890 826 du 6 février 1989 n'a été rendu public que le 8 juin 1990 et le dépôt N° 900 165 du 11 janvier 1990, le 6 août 1990 ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'assignation des trois demanderesses, en date du 6 février 1990, était, en tant qu'elle se fondait sur la loi du 14 juillet 1909, irrecevable comme antérieure à la publicité ;

Mais considérant que la publicité était intervenue, l'irrecevabilité doit être écartée par application de l'article 126 du nouveau Code de Procédure Civile, sa cause ayant disparu ;

Considérant qu'en revanche la demande en contrefaçon ne saurait être accueillie, en tant qu'elle se fonde sur la loi du 14 juillet 1909, dès lors que les saisies-contrefaçon du 23 janvier 1990 sont antérieures à la publicité et qu'il n'est pas prouvé que les contrefaçons alléguées se soient poursuivies après l'une ou l'autre des dates de publication ou que les défenderesses, à la date des saisies-contrefaçon aient, de mauvaise foi, mis sur le marché des articles identiques ;

Considérant que par le simple effet des dépôts Melle W, est toutefois, en tant que premier déposant, présumée, jusqu'à preuve contraire, être la créatrice des modèles par application de l'article 3 alinéa 2 de la loi ;

Que d'autre part ces dépôts présentent l'avantage de donner une date incontestable aux modèles (6 février 1989 et 11 janvier 1990) ;

II - SUR L'APPLICATION DE LA LOI DU 11 MARS 1957

Considérant qu'il appartient à Melle W de prouver, sur la base de la loi du 11 mars 1957 (articles L.111.1 et suivants CPI) que sa création remonte à une date antérieure à celle des dépôts ;

Considérant qu'à cette fin Melle W produit des attestations de clients (SIGL, Oblique, Georgina B, Passin'thru, Rennes St Germain, Moisson et Cie) qui affirment avoir acheté "depuis plus d'un an" à Melle W (Matières Grises) des "chaussettes à clous" ;

Que ces attestations, lorsqu'elles sont datées, sont de janvier ou février 1990 ;

Que toutefois leurs auteurs ne décrivent pas les motifs cloutés ;

Qu'une dame T, directrice d'une SA T atteste avoir fourni - depuis 1988 - à MATIERES GRISES (enseigne de Melle W selon l'extrait K fourni par les intimées) des clous à 7, 10 F les cents et la pose de ces clous sur les revers des chaussettes ;

Qu'en revanche les extraits de magazine produits sont dépourvus d'intérêt quant à la datation des créations dès lors qu'ils sont des années 1991, 1992, 1993 ;

Qu'il en est de même des registres de factures qui ne comportent que des copies de factures sans qu'aucun bon de commande ou de livraison, aucune preuve de paiement vienne confirmer les indications données, étant ajouté que ces pièces ne fournissent aucun renseignement sur la structure des cloutages décorant les chaussettes ;

Considérant qu'à ces pièces les intimées et notamment la GADGETERIE DU SENTIER opposent une attestation du gérant de la Société MARODANE qui affirme lui avoir fourni, "depuis avant 1986" des ceintures, chaussettes, chapeaux, cravates avec des clous et une facture de ce fournisseur, du 29 mars 1986 portant sur des "cloutés sur chaussettes" deux factures des 2 et 17 janvier 1986 des Etablissements LEON WEIL portent sur des "ornements métal" référencés, des bons de commandes à la même entreprise du 31 juillet 1985 et 2 janvier 1986, trois factures pour notamment des "ornements métal" des 10 et 31 mai 1985 et 11 juin 1985 ;

Qu'une planche émanant de LEON WEIL, mise aux débats portant des "clous" (en fait des rivets à quatre points) avec leurs références permet de constater que les "ornements métal" sont des "clous" tels que ceux figurant sur les dépôts de modèles ;

Que la GADGETERIE DU SENTIER produit encore quatre factures des 6, 12 et 27 mai 1986 portant sur la vente de chaussettes cloutées aux entreprises Samaka, Falz'Balo, Joguy Boutique ;

Considérant qu'on remarquera que ni les pièces de Melle W, ni celles des intimées ne permettent de déterminer quelle était la disposition des cloutages sur les chaussettes ;

Qu'il apparaît donc, les pièces apparaissant sincères, que la GADGETERIE DU SENTIER a vendu des chaussettes (et d'autres articles) cloutés depuis 1985 et Mademoiselle W depuis avant 1989 mais qu'il n'est pas possible d'affirmer que la disposition particulière figurant sur les dépôts de modèles (un rang de clous placé horizontalement sur le revers, ou trois rangs et plus en quinconces) soit antériorisée par les productions de la GADGETERIE DU SENTIER ;

Mais considérant que la protection de la loi du 11 mars 1957 ne s'attache qu'à une création originale ;

Que dès lors qu'il est acquis aux débats que le cloutage des vêtements et accessoires et des chaussettes était usuel à la date de l'un comme de l'autre des dépôts de modèles, Melle WAJNBERG, en plaçant sur le revers d'une chaussette un rang de clous, ou trois rangs et plus en quinconce n'a pas marqué ces modèles de l'empreinte de sa personnalité ;

Que la demande en contrefaçon ne peut donc aboutir ;

III - SUR LA CONCURRENCE DELOYALE

Considérant que selon les procès-verbaux de saisie-contrefaçon effectués au préjudice des trois intimées celles-ci commercialisaient toutes des chaussettes portant soit une rangée unique de clous sur le revers soit deux rangées décalées ;

Que la plupart des chaussettes étaient de marque TIBERGHIEN ;

Qu'elles étaient toutes vendues 45 F TTC la paire ;

Considérant toutefois qu'il n'est pas démontré que Melle W ait, la première, commercialisé des chaussettes cloutées et en particulier qu'elle ait, la première, mis dans le commerce des articles correspondant à ses modèles déposés ;

Qu'elle ne peut donc utilement reprocher aux intimés, d'avoir provoqué un risque de confusion ou de s'être placées dans le sillage de MATIERES GRISES ;

Qu'il n'est pas prouvé que le prix de vente adopté par les intimées soit un prix de braderie nettement inférieur au prix normal ;

Qu'en l'absence de toute faute, imprudence ou négligence démontrée Melle W dont les modèles invoqués ne sont pas susceptibles d'être protégés et qui ne peut prétendre à aucun monopole sur le cloutage des chaussettes sera déboutée de toutes ses demandes ;

IV - SUR LES PRETENTIONS RECONVENTIONNELLES

Considérant qu'eu égard aux circonstances ci-dessus rappelées les intimées ne démontrent pas que Melle W, qui a pu de bonne foi se méprendre sur l'étendue de ses droits, ait commis un abus de procédure ;

Considérant qu'en équité il convient d'allouer à chacune des intimées la somme de 5.000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile devant la Cour ;

PAR CES MOTIFS :

et ceux non contraires des premiers juges,

Confirme le jugement du 24 septembre 1990,

Y ajoutant condamne Melle W à payer

- à la Société GADGETERIE DU SENTIER........... 5.000 F

- à la Société LA MANUFACTURE.................. 5.000 F

- à la Société LE COMPTOIR DES ACCESSOIRES..... 5.000 F

au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile devant la Cour et les dépens d'appel,

Admet Me B Avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile,

Déboute les parties de leurs autres demandes comme mal fondées.