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Décisions

CJUE, 10e ch., 7 juillet 2022, n° C-264/21

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Keskinäinen Vakuutusyhtiö Fennia

Défendeur :

Koninklijke Philips NV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Jarukaitis

Juges :

M. Ilešič, M. Csehi (rapporteur)

Avocat général :

Mme Ćapeta

Avocats :

Me Seikkula, Me Welin

CJUE n° C-264/21

6 juillet 2022

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29), telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999 (JO 1999, L 141, p. 20).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Keskinäinen Vakuutusyhtiö Fennia (ci-après « Fennia »), une compagnie d’assurances, à Koninklijke Philips NV au sujet de l’indemnisation de dommages causés par la survenance d’un incendie provoqué par une machine à café.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3 Les quatrième et cinquième considérants de la directive 85/374 sont libellés comme suit :

« [C]onsidérant que la protection du consommateur exige que la responsabilité de tous les participants au processus de production soit engagée si le produit fini ou la partie composante ou la matière première fournie par eux présentait un défaut ; que, pour la même raison, il convient que soit engagée la responsabilité de l’importateur de produits dans la Communauté ainsi que celle de toute personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif ou de toute personne qui fournit un produit dont le producteur ne peut être identifié ;

considérant que, lorsque plusieurs personnes sont responsables du même dommage, la protection du consommateur exige que la victime puisse réclamer la réparation intégrale du dommage à chacune d’elles indifféremment ».

4 L’article 1er de cette directive énonce :

« Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit. »

5 Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive :

« Le terme “producteur” désigne le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première ou le fabricant d’une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif. »

6 L’article 5 de la même directive prévoit :

« Si, en application de la présente directive, plusieurs personnes sont responsables du même dommage, leur responsabilité est solidaire, sans préjudice des dispositions du droit national relatives au droit de recours. »

 Le droit finlandais

7 L’article 5 de la tuotevastuulaki (694/1990) [loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux (694/1990)], dans sa version applicable aux faits du litige au principal, qui met en œuvre l’article 3 de la directive 85/374 dans l’ordre juridique finlandais, prévoit, à son paragraphe 1, que l’obligation de réparation incombe, en premier lieu, à celui qui a produit ou fabriqué le produit défectueux et, en second lieu, à celui qui a commercialisé comme étant son propre produit le produit ayant causé le dommage, si son nom, sa marque ou un autre signe distinctif a été apposé sur le produit.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8 Fennia a indemnisé un consommateur pour les dommages causés par un incendie pour un montant de 58 879,10 euros au titre de la police d’assurance habitation. La veille de l’incendie, le consommateur avait acheté auprès d’un distributeur une machine à café de la marque Philips Saeco Xsmall HD 8743/11. Un constat d’accident établi par les pompiers a estimé que la machine à café en question était à l’origine du feu qui s’est déclaré.

9 Cette machine à café a été fabriquée en Roumanie par Saeco International Group SpA, filiale de Koninklijke Philips. Les signes Philips et Saeco, qui sont des marques enregistrées par Koninklijke Philips, étaient apposés sur ladite machine à café et sur son emballage. En outre, la même machine à café était revêtue du marquage CE, sur lequel figurait le signe Saeco, une adresse en Italie et la mention « fabriqué en Roumanie ». Koninklijke Philips possède une filiale en Finlande, Philips Oy, qui y commercialise des appareils électroménagers portant la marque Philips, dont la machine à café en question.

10 Fennia, qui est subrogée dans les droits du consommateur après avoir indemnisé celui-ci, a intenté un recours contre Koninklijke Philips pour obtenir une indemnisation au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux. Koninklijke Philips a conclu au rejet de ce recours, soutenant qu’elle n’était pas le producteur de la machine à café en cause.

11 Le käräjäoikeus (tribunal de première instance, Finlande) a considéré que Koninklijke Philips avait commercialisé en Finlande la machine à café en cause portant sa marque et qu’elle était responsable du dommage causé par un défaut de ce produit.

12 Le hovioikeus (cour d’appel, Finlande), devant lequel Koninklijke Philips a interjeté appel du jugement de première instance, a jugé qu’il n’a pas été démontré que Koninklijke Philips avait commercialisé cette machine à café en Finlande comme étant son propre produit. Cette juridiction a considéré que Koninklijke Philips n’était pas responsable des dommages causés par le produit en cause et a rejeté le recours.

13 Saisie d’un recours formé par Fennia contre la décision du hovioikeus (cour d’appel), la juridiction de renvoi, le Korkein oikeus (Cour suprême, Finlande) a autorisé ce recours en ce qui concerne la question de savoir si Koninklijke Philips est responsable, en vertu de la loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux, des dommages causés par une machine à café portant sa marque et fabriquée par sa filiale.

14 La juridiction de renvoi s’interroge sur la manière dont il convient de comprendre l’expression « toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif », figurant à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374. En particulier, elle se demande si, outre l’apposition de la marque, des critères supplémentaires sont requis pour que le titulaire de la marque soit considéré comme s’étant présenté comme le producteur du produit en cause, ou si certains éléments d’exclusion de la responsabilité pourraient être pris en compte, comme le fait que les mentions apposées sur ce produit font apparaître que le fabricant est une entreprise autre que le titulaire de la marque. Elle estime que le producteur est « la personne la mieux placée » pour éviter la survenance de dommages semblables causés par un produit.

15 C’est dans ces conditions que le Korkein oikeus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La définition du producteur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la [directive 85/374], exige-t-elle que la personne qui a apposé son nom, sa marque ou un autre signe distinctif sur le produit, ou qui a autorisé cette apposition, se présente également comme le producteur du produit d’une quelconque autre manière ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, à l’égard de quels éléments convient-il d’apprécier le fait pour une personne de se présenter comme le producteur du produit ? La circonstance que le produit a été fabriqué par la filiale du titulaire de la marque et commercialisé par une autre filiale du titulaire a-t-elle une incidence sur cette appréciation ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité

16 Koninklijke Philips estime, en substance, que les questions préjudicielles sont irrecevables au motif qu’elles ne sont pas pertinentes aux fins de la résolution du litige au principal, étant donné que l’indemnisation au titre de la responsabilité du fait des produits défectueux exige, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la loi sur la responsabilité du fait des produits défectueux, la commercialisation du produit par le titulaire de la marque ou de tout autre signe distinctif. Or, cette commercialisation n’aurait aucunement été démontrée dans le cadre du litige au principal.

17 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi que pour interpréter et appliquer le droit national. Il appartient de même au seul juge national, qui est saisi du litige et doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a., C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348, point 47 ainsi que jurisprudence citée).

18 La juridiction de renvoi étant seule compétente pour constater et apprécier les faits du litige dont elle est saisie, la Cour doit en principe limiter son examen aux éléments d’appréciation que la juridiction de renvoi a décidé de lui soumettre et s’en tenir ainsi à la situation que cette juridiction considère comme établie et ne peut être liée par des hypothèses émises par l’une des parties au principal (arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C‑567/18, EU:C:2020:267, point 22 et jurisprudence citée).

19 La Cour n’est pas tenue de statuer, notamment, lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, ou encore lorsque le problème est de nature hypothétique (arrêt du 26 mai 2011, Stichting Natuur en Milieu e.a., C‑165/09 à C‑167/09, EU:C:2011:348, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

20 Or, tel n’est pas le cas en l’occurrence.

21 En effet, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi et tel que cela a été rappelé aux points 11 et 12 du présent arrêt, le käräjäoikeus (tribunal de première instance) a considéré que Koninklijke Philips avait commercialisé en Finlande la machine à café portant sa marque tandis que le hovioikeus (cour d’appel) a jugé qu’il n’a pas été démontré que Koninklijke Philips avait commercialisé cette machine à café en Finlande comme étant son propre produit. Or, l’appréciation des faits selon le droit national ne faisant pas consensus entre les instances judiciaires compétentes et la juridiction de renvoi étant d’avis que la responsabilité de Koninklijke Philips pour le produit défectueux en cause n’est pas exclue, il n’apparaît pas, à tout le moins de manière manifeste, que les questions posées présentent un caractère hypothétique au regard de l’appréciation que le juge national est amené à effectuer dans le cadre du litige au principal.

22 Par conséquent, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme étant recevable.

 Sur le fond

 Sur la première question

23 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens que la notion de « producteur », visée à cette disposition, exige que la personne qui a apposé son nom, sa marque ou un autre signe distinctif sur le produit, ou qui a autorisé cette apposition, se présente également comme le producteur du produit d’une quelconque autre manière.

24 Selon une jurisprudence constante, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêt du 17 décembre 2020, CLCV e.a. (Dispositif d’invalidation sur moteur diesel), C‑693/18, EU:C:2020:1040, point 94 ainsi que jurisprudence citée].

25 En premier lieu, il convient de relever que, selon le libellé même de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374, « [l]e terme “producteur” désigne le fabricant d’un produit fini, le producteur d’une matière première ou le fabricant d’une partie composante, et toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif ».

26 Ainsi, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 renferme, en substance, une alternative, dont seule la première branche concerne la personne qui est au moins partiellement impliquée dans le processus de la fabrication du produit. En revanche, la seconde branche de l’alternative désigne une personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.

27 Il ressort donc des termes clairs et non équivoques de cette disposition qu’une participation de la personne se présentant comme producteur dans le processus de fabrication du produit n’est pas nécessaire pour que celle-ci soit qualifiée de « producteur », au sens de ladite disposition.

28 En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le cercle des responsables contre lesquels la victime est en droit d’intenter une action au titre du régime de responsabilité prévu par la directive 85/374 est défini aux articles 1er et 3 de celle-ci et que, compte tenu du fait que cette directive poursuit une harmonisation totale sur les points qu’elle réglemente, la détermination du cercle des responsables opérée auxdits articles doit être considérée comme exhaustive (arrêt du 10 janvier 2006, Skov et Bilka, C‑402/03, EU:C:2006:6, points 32 et 33).

29 Partant, cette détermination du cercle des responsables ne saurait être subordonnée à la fixation de critères supplémentaires ne découlant pas du libellé des articles 1er et 3 de la directive 85/374.

30 Or, la définition retenue à l’article 3, paragraphe 1, seconde branche de l’alternative, de la directive 85/374 ne comportant aucun critère supplémentaire, il ressort du libellé de cette disposition que c’est l’apposition de signes distinctifs par la personne désignée par ceux-ci ou par une personne autorisée qui fonde la qualité de « producteur », au sens de ladite disposition.

31 En second lieu, en ce qui concerne le contexte de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 et l’objectif poursuivi par celle-ci, il ressort des quatrième et cinquième considérants de cette directive ainsi que de l’article 5 de celle-ci que le législateur de l’Union a voulu adopter une acception large de la notion de « producteur » afin de protéger le consommateur.

32 En effet, selon le quatrième considérant de la directive 85/374, la protection du consommateur exige que la responsabilité de toute personne qui se présente comme producteur en apposant son nom, sa marque ou tout autre signe distinctif sur le produit soit engagée au même titre que la responsabilité du véritable producteur. En outre, il résulte tant de l’article 5 de cette directive que du cinquième considérant de celle-ci que la responsabilité de la personne se présentant comme producteur se trouve au même niveau que celle du véritable producteur et que le consommateur peut choisir librement de réclamer la réparation intégrale du dommage à chacun d’entre eux indifféremment, leur responsabilité étant solidaire.

33 Il apparaît ainsi que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 a pour objectif de faciliter la charge d’avoir à déterminer le véritable producteur du produit défectueux en cause. À cet égard, il ressort de l’exposé des motifs portant sur l’article 2 de la proposition de directive de la Commission du 9 septembre 1976, à l’origine de la directive 85/374, lequel article est devenu, sans modification de fond, l’article 3 de cette directive, que le législateur de l’Union a considéré que la protection du consommateur ne serait pas suffisante si le distributeur pouvait « renvoyer » le consommateur au producteur, lequel peut ne pas être connu du consommateur.

34 En outre, il convient de relever que, en apposant sur le produit en cause son nom, sa marque ou un autre signe distinctif, la personne qui se présente comme producteur donne l’impression d’être impliquée dans le processus de production ou d’en assumer la responsabilité. Partant, l’utilisation de ces mentions revient, pour cette personne, à utiliser sa notoriété aux fins de rendre ce produit plus attractif aux yeux des consommateurs, ce qui justifie que, en contrepartie, sa responsabilité puisse être engagée au titre de cette utilisation.

35 Par ailleurs, ainsi que le relève à juste titre le gouvernement tchèque, dans la mesure où, d’une part, plusieurs personnes peuvent être considérées comme des producteurs et, d’autre part, le consommateur peut introduire sa demande contre n’importe laquelle d’entre elles, la recherche d’une seule personne responsable, « la plus appropriée », contre laquelle le consommateur devrait faire valoir ses droits, n’est pas, contrairement à ce que suggère la juridiction de renvoi, pertinente.

36 Il s’ensuit qu’il ne saurait être exigé que la personne qui a apposé son nom, sa marque ou un autre signe distinctif sur le produit, ou qui a autorisé cette apposition, se présente également comme le producteur du produit d’une quelconque autre manière pour être considérée comme un « producteur », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374.

37 Partant, contrairement à ce que soutient Koninklijke Philips, force est de constater que, dans l’affaire au principal, une répartition des responsabilités entre elle et Saeco International Group ne produit pas d’effets envers le consommateur qui doit précisément être libéré de la charge d’avoir à déterminer le véritable producteur aux fins de diriger sa demande en dommages et intérêts.

38 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens que la notion de « producteur », visée à cette disposition, n’exige pas que la personne qui a apposé son nom, sa marque ou un autre signe distinctif sur le produit, ou qui a autorisé cette apposition, se présente également comme le producteur du produit d’une quelconque autre manière.

 Sur la seconde question

39 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

 Sur les dépens

40 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, telle que modifiée par la directive 1999/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 10 mai 1999, doit être interprété en ce sens que la notion de « producteur », visée à cette disposition, n’exige pas que la personne qui a apposé son nom, sa marque ou un autre signe distinctif sur le produit, ou qui a autorisé cette apposition, se présente également comme le producteur du produit d’une quelconque autre manière.