CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 30 juin 2022, n° 21/22520
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Igor Securite Protection (SAS)
Défendeur :
Mars Wrigley Confectionery (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
M. Rondeau, Mme Chopin
Avocats :
Me Hatet-Sauval, Me Relmy, Me Boccon Gibod, Me Crevieux
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.
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EXPOSE DU LITIGE
La société Igor Sécurité Protection assure depuis le 29 mai 2019 la surveillance de divers sites appartenant à la société Mars Wrigley Protection. Après avoir constaté plusieurs manquements au contrat de surveillance qui la liait à la société Igor Sécurité Protection, et après l'envoi de plusieurs courriers et mises en demeures de se conformer aux dispositions contractuelles, la société Mars Wrigley Confectionery a, par courrier du 18 mai 2020, résilié ledit contrat de surveillance, en application de son article 14.3.
Par exploit du 3 novembre 2021, la société Igor Securité Protection a fait assigner la société Mars Wrigley Confectionery devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris aux fins de voir :
- constater que la résiliation du contrat en date du 5 avril 2018 avec effet immédiat en date du 18 mai 2020 est abusive et correspond à une rupture brutale,
En conséquence,
- voir condamner la société Mars Wrigley Confectionery au paiement de la somme provisionnelle d'un million d'euros,
- voir désigner tel expert judiciaire avec la mission de décrire et d'évaluer l'ensemble des éléments du préjudice subi par la requérante notamment d'un point de vue comptable, économique et financier,
- voir condamner la société Mars Wrigley Confectionery à payer la somme de 50.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
Par ordonnance contradictoire du 2 décembre 2021, le juge des référés du tribunal de commerce de Paris a :
- dit n'y avoir lieu à référé,
- débouté la société Igor Sécurité Protection de sa demande d'expertise,
- condamné la société Igor Sécurité Protection à payer à la société Mars Wrigley Confectionery la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Igor Sécurité Protection aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 41,94 euros TTC, dont 6,78 euros de TVA.
Par déclaration du 21 décembre 2021, la société Igor sécurité protection a relevé appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 9 mai 2022, la société Igor sécurité protection demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,
- réformer la décision entreprise, en ce que le premier juge s'est déclaré incompétent pour connaître du présent litige ;
Statuant à nouveau,
- dire le juge des référés compétent pour connaître du litige ;
- dire que la résiliation « avec effet immédiat » de la convention procède d'un détournement de la procédure de résiliation conventionnelle instaurée par les dispositions de l'article 14-3 de la convention de prestations en date du 5 Avril 2018 régissant les rapports entre les parties et constitue une rupture brutale de ladite convention en application des dispositions de l'article 442-6-1-5 du code de commerce ;
- dire nul et de nul effet l'acte de rupture brutale de la convention litigieuse en application des dispositions de l'article 1104 du code civil ;
- condamner la société Mars Wrigley Confectionery à payer à titre provisionnel, la somme de deux millions d'euros ;
- désigner un expert judiciaire avec la mission de décrire et évaluer l'ensemble des éléments du préjudice subi par la requérante notamment d'un point de vue comptable, économique et financier ;
- condamner la société Mars Wrigley Confectionery à payer la somme de 50.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens d'instance.
La société Igor sécurité protection soutient que :
- la résiliation brutale du contrat qui l'unissait à la société Mars Wrigley Confectionery s'analyse en une résiliation sans préavis, causant un préjudice à la société Igor Sécurité Protection qui devra être réparé en vertu de l'article 442-6-1, 5° du code de commerce ;
- son indemnisation doit être proportionnelle à son manque à gagner, et également inclure le paiement des factures impayées dès 2020 ;
- une expertise judiciaire est nécessaire à l'évaluation de son préjudice.
Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 16 mai 2022, la société Mars Wrigley Confectionery demande à la cour de :
A titre principal :
- confirmer l'ordonnance rendue le 2 décembre 2021 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé ; débouté la société Igor Sécurité Protection de ses demandes et condamné la société Igor Sécurité Protection à lui régler la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire :
- déclarer la société Igor Sécurité Protection irrecevable en sa demande de provision,
- débouter la société Igor Sécurité Protection de l'ensemble de ses demandes,
En tout état de cause :
- débouter la société Igor Sécurité Protection de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la société Igor Sécurité Protection à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens ;
- dire que ceux d'appel seront recouvrés par Me Boccon Gibod de la société Lexavoué Paris Versailles conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Mars Wrigley Confectionery soutient notamment que :
- les demandes d'Igor Sécurité Protection sont dénuées de fondement juridique ;
- l'allégation d'une rupture brutale des relations commerciales ne peut à elle seule justifier l'existence d'un trouble manifestement illicite ;
- le maintien de la société Igor Sécurité Protection sur le site de la société Mars Wrigley Confectionery ne suffit pas à démontrer l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales ;
- l'existence même du trouble et de son caractère manifestement illicite sont largement contestés ;
- la demande de provision est irrecevable, d'une part parce qu'en présence d'un trouble manifestement illicite qu'il s'agit de faire cesser le juge des référés ne peut ordonner l'allocation d'une provision, d'autre part parce qu'aucun élément ne vient appuyer les demandes de la société Igor sécurité protection ;
- la carence d'Igor Sécurité Protection dans la détermination du préjudice qu'elle allègue ne peut être palliée par la désignation d'un expert judiciaire.
SUR CE, LA COUR
L'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui ne s'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date où le juge statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage. La constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.
Le trouble manifestement illicite résulte quant à lui de toute perturbation procédant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation de la règle de droit. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date où le juge statue et avec l'évidence qui s'impose en référé, la méconnaissance d'un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.
L'article L 442-1 II du code de commerce dispose pour sa part qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
La rupture brutale d'une relation commerciale établie est donc susceptible de constituer un trouble manifestement illicite à laquelle le juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, peut mettre fin, au provisoire, dans l'attente d'une décision au fond.
De même ce juge peut, pour prévenir un dommage imminent et même en présence de contestations sérieuses, prendre des mesures provisoires jusqu'à ce qu'il soit statué au fond.
Dans ce cadre précis, une telle appréciation relève bien des pouvoirs du juge des référés, le premier juge ayant estimé qu'en l'espèce, il n'y avait pas lieu à référé et non qu'il n'était pas compétent pour statuer.
Pour déterminer si une relation commerciale peut être qualifiée d'établie, la jurisprudence prend en compte plusieurs critères tels que la durée des relations entre les partenaires, la continuité de celles-ci ou encore l'importance ou l'évolution du chiffre d'affaires réalisé : l'ensemble des critères constitue des indices quant à l'existence et la qualité de la relation commerciale, le critère de la durée restant prépondérant.
Il n'est pas contesté en l'espèce que les relations commerciales entre les parties existent depuis l'année 2019.
Précisément, un contrat cadre de services a été signé le 4 avril 2018 entre la société Mars Wrigley Confectionnary et la société Cityeille, portant sur des prestations de sécurité et gardiennage des sites industriels à [Localité 6] et [Localité 7], puis, dans le cadre du redressement judiciaire puis de la liquidation judiciaire dont la société Cityveille a fait l'objet, un plan de cession totale de l'activité de la société Cityveille a été arrêté au profit de la société Igor Sécurité Protection le 29 mai 2019.
Les parties ne discutent pas du caractère établi de leurs relations commerciales qu'elles considèrent donc comme acquis.
Il n'est pas contesté que, par courriel du 18 mai 2020, la société Mars Wrigley Confectionnary a acté de la résiliation du contrat avec effet immédiat.
Il ressort toutefois des pièces produites que :
- l'article 14.3 du contrat qui lie les parties stipule que ledit contrat peut être résilié dans l'hypothèse suivante: "l'une ou l'autre des parties peut résilier le contrat à tout moment de plein droit et sans autres formalités si l'autre partie ne respecte ou n'accomplit pas ses principales obligations en vertu du présent contrat et, en cas de manquement pouvant être corrigé, si la partie défaillante n'y remédie pas de façon satisfaisante pour la partie lésée sous 15 jours après notification du manquement en question par la partie lésée à la partie défaillante",
- il s'avère que le courriel du 19 mai 2020 a été précédé de nombreuses correspondances,
- ainsi, dès le 28 janvier 2020, la société Mars Wrigley a adressé à la société Igor Sécurité Protection une lettre recommandée avec accusé de réception relevant des inexécutions et mettant en cause la qualité des services affectant "la sécurité du site",
- puis par courriel du 18 février 2020, la société Mars Wrigley a relevé des manquements liés au nombre d'agents de sécurité et à leurs qualifications professionnelles,
- ensuite, par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 février 2020, la société Mars Wrigley Confectionnary a indiqué à la société Igor Protection Sécurité son intention de faire usage des dispositions de l'article 14.3 du contrat et mis en demeure la société Igor Sécurité Protection de se conformer à ses obligations contractuelles sous 15 jours,
- par lettre recommandée avec accusé de réception du 12 mars 2020, la société Mars Wrigley Confestionnary indiquait qu'aucune mesure spécifique ni plan d'action concret ne permettait de s'assurer de la bonne exécution des prestations, impartissant un délai expirant au 31 mars 2020 à la société Igor Sécurité Protection pour se conformer à ses obligations,
- cette lettre comprenait la mention suivante : "A défaut nous vous rappelons que la résiliation du contrat sera acquise de plein droit et sans préavis",
- par courriel du 27 avril 2020, la société Mars Wrigley Confectionnary a entendu contester les réponses de la société Igor Sécurité Protection et rappelé la mise en oeuvre des dispositions de l'article 14.3 du contrat, impartissant un nouveau délai de 15 jours pour la mise en conformité des obligations,
- par courrier du 18 mai 2020, comme rappelé ci-dessus, la société la société Mars Wrigley Confectionnary a acté de la résiliation du contrat avec effet immédiat,
- il en ressort clairement que la notification de la rupture des relations, avec effet immédiat n'est pas survenue le 18 mai 2020, mais qu'elle a été précédée de nombreux courriers visant l'application des dispositions de l'article 14.3 du contrat.
La notification de l'intention de rompre est intervenue à tout le moins le 21 février 2020, de sorte que la rupture, avec l'évidence requise en référé, ne peut pas être considérée comme brutale et que le préavis qui a couru jusqu'au 18 mai 2020 est suffisant. Il est ainsi suffisamment établi que, dès cette date du 21 février 2020 la société Igor Sécurité Protection était informée de l'aléa qui pesait sur la pérennité des prestations qu'elle réalisait pour la société Mars Wrigley Confectionnary.
Il apparaît ainsi que :
- le point de départ du préavis doit être fixé, avec l'évidence requise en référé au 21 février 2020,
- il est incontestable et incontesté que la société Mars Wrigley Confectionnary a finalement prolongé le délai de préavis de nombreuses fois, laissant ainsi un délai de 3 mois, qui, toujours avec l'évidence requise en référé, apparaît comme raisonnable, étant précisé que les relations commerciales des parties étaient établies depuis moins d'une année.
Par conséquent, en l'espèce, la brutalité de la rupture d'une relation commerciale établie, susceptible de constituer un trouble manifestement illicite ou un dommage imminent n'est pas démontrée.
De la sorte, il n'y a pas lieu à référé sur ce point.
Dans ces conditions, la demande de provision de la société Igor Sécurité Protection sera rejetée ainsi que sa demande d'expertise destinée à pouvoir chiffrer son préjudice.
La décision du premier juge sera confirmée quant aux dépens et aux sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Une somme sera également mise à la charge de la société Igor Sécurité protection pour les frais irrépétibles en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance de référé rendue en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la société Igor Sécurité Protection aux dépens d'appel dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Condamne la société Igor Sécurité Protection à payer à la société Mars Wrigley Confectionnary une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.