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Décisions

CA Paris, 16e ch. A, 21 mai 2008, n° 07/09087

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Innovation Development (SARL)

Défendeur :

Martin (époux), Mme Mormesse

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gaboriau

Conseillers :

Mme Imbaud-Content, M. Peyron

Avoués :

Hardouin (SCP), Monin - D'Auriac de Brons (SCP)

Avocats :

Me Demidoff, Me Valade

TGI Paris, du 3 avr. 2007, n° 06/08375

3 avril 2007

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Vu le jugement en date du 3 AVRIL 2007, rendu par le tribunal de grande instance de Paris qui a statué en ces termes :

dit que la société Innovation Development n'a pas droit au renouvellement du bail ni au paiement d'une indemnité d'éviction,

dit qu'en conséquence la société Innovation Development et tous occupants de son chef devront quitter les lieux dans le délai de 3 mois à compter de la signification du présent jugement, faute de quoi ils pourront être expulsés, avec au besoin l'aide de la force publique et les meubles et objets mobiliers qui seraient trouvés dans les lieux seront remis ou entreposés dans les formes légales,

dit que la société Innovation Development devra payer une indemnité d'occupation mensuelle de 21 550,87€ du 1er mai 2005 au 1er avril 2007, en deniers ou quittances, ladite somme étant majorée de 30% à compter du 1er mai 2007 et jusqu'à la libération effective des lieux, les charges et taxes prévues au bail étant dues chaque mois en sus de ladite indemnité,

rejette le surplus de la demande

condamne la société Innovation Development aux dépens ;

' Vu l'appel relevé par la société Innovation Development à l'encontre de ce jugement

' Vu les dernières conclusions :

' ' de l'appelante, déposées au greffe de la Cour, le 29 janvier 2008, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, au terme desquelles la société Innovation Development poursuivant la réformation de la décision entreprise prie la cour de :

au visa des articles L.145-1 et suivants du Code de commerce et 1134 alinéa 3 du Code civil,

constater que les consorts MARTIN ne justifient d'aucun motif pour avoir fait délivrer un congé trois ans avant le fin du bail, autre que leur volonté de pénaliser leur locataire et qu'ils n'ont pas exécuté le bail de bonne foi,

constater que la société Innovation Development a effectué ou régularisé les formalités nécessaires en vue de son immatriculation, en temps utile et que ce n'est que par la suite de circonstances indépendantes de sa volonté que cette immatriculation n'a pu être réalisée avant la date du congé, la société Innovation Development ayant été de bonne foi,

dire et juger irrecevable et à tout le moins mal fondée la demande des consorts MARTIN tendant à voir juger que le congé du 13 mars 2002 aurait été délivré pour motif grave en raison d'un paiement irrégulier des loyers,

dire et juger que la société Innovation Development doit bénéficier du statut des baux commerciaux,

débouter les consorts MARTIN de leurs demandes,

dire et juger que le bail entre les parties s'est trouvé renouvelé à son échéance du 30 avril 2005, aux mêmes charges et conditions, le loyer annuel devant être fixé à la somme de 21 550,87€ par an,

subsidiairement, dans l'hypothèse où le renouvellement du bail serait refusé,

dire et juger que la société Innovation Development a droit au paiement d'une l'indemnité d'éviction,

nommer tel expert qu'il plaira à la cour de désigner avec pour mission de réunir tous les éléments permettant d'en fixer le montant

sollicitant, en outre, l'allocation d'une somme de 3000€ en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

' ' des intimés, déposées au greffe de la Cour, le 9 janvier 2008 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé, au terme desquelles les consorts MARTIN, concluant au rejet de toutes les prétentions adverses, poursuivant la confirmation de la décision entreprise, en ce qu'elle a considéré que la société Innovation Development n'avait pas droit au renouvellement du bail ni à indemnité d'éviction et formant appel incident, prient la Cour de :

au visa des articles L.145-1 et L.145-7 du Code de commerce

en faisant, par ailleurs, diverses demandes relatives à l'organisation de l'expulsion, ordonner l'expulsion de la société Innovation Development ainsi que de tous occupants de son chef dans le mois de la décision à intervenir,

condamner la société Innovation Development à leur payer une indemnité d'occupation de droit commun d'un montant mensuel de 4050€ -charges et taxes en sus- depuis le 1er mai 2005 jusqu'à la restitution des lieux,

subsidiairement, dire que le congé du 13 mars 2002 a été délivré pour motifs graves et légitimes justifiant le refus du renouvellement sans indemnité, les consorts MARTIN formulant les mêmes demandes que ci-dessus relatives à l'expulsion et à l'indemnité d'occupation,

encore plus subsidiairement, condamner la société Innovation Development au paiement d'une indemnité d'occupation statutaire égale à 46 800€ par an depuis le 1er mai 2005 jusqu'à complète et définitive restitution des locaux,

dire que la société Innovation Development est déchue de son droit au maintien dans les lieux compte tenu du défaut de paiement des indemnités d'occupation,

ordonner son expulsion ainsi que de tous occupants de son chef avec, si besoin, le concours de la force publique,

sollicitant, en outre, l'allocation d'une somme de 6000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Le cadre juridique

Article L145-1 du commerce

I. - Les dispositions du présent chapitre s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce, (...)

Article L145-9 du commerce

Par dérogation aux articles 1736 et 1737 du code civil, les baux de locaux soumis aux dispositions du présent chapitre ne cessent que par l'effet d'un congé donné suivant les usages locaux et au moins six mois à l'avance.

A défaut de congé, le bail fait par écrit se poursuit par tacite reconduction au-delà du terme fixé par le contrat, conformément à l'article 1738 du code civil et sous les réserves prévues à l'alinéa précédent.

(...)

Le congé doit être donné par acte extrajudiciaire. Il doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné et indiquer que le locataire qui entend, soit contester le congé, soit demander le paiement d'une indemnité d'éviction, doit, à peine de forclusion, saisir le tribunal avant l'expiration d'un délai de deux ans à compter de la date pour laquelle le congé a été donné.

Article L145-17 du Code de commerce

I. - Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu au paiement d'aucune indemnité : 1º S'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant. Toutefois, s'il s'agit soit de l'inexécution d'une obligation, soit de la cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, compte tenu des dispositions de l'article L. 145-8, l'infraction commise par le preneur ne peut être invoquée que si elle s'est poursuivie ou renouvelée plus d'un mois après mise en demeure du bailleur d'avoir à la faire cesser. Cette mise en demeure doit, à peine de nullité, être effectuée par acte extrajudiciaire, préciser le motif invoqué et reproduire les termes du présent alinéa ;

Discussion

Depuis le 1er mai 1996, les parties sont liés par un bail soumis au statut des baux commerciaux expirant le 30 avril 2005 relatif à des locaux situés [...]. .

Le 13 mars 2002, les consorts MARTIN ont fait délivrer un congé à la société Innovation Development, pour le 30 avril 2005, 'à cette date, les requérants n'entendant pas le renouveler' 'qu'en outre la société Innovation Development n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés à l'adresse des lieux loués et qu'en conséquence, elle n'a droit à aucune l'indemnité d'éviction car elle ne peut se prévaloir des dispositions du décret du 30 septembre 1953 et se trouve exclue du statut des baux commerciaux.'

Le 9 juillet suivant, la société Innovation Development faisait délivrer une 'protestation à congé avec refus de renouvellement, demande de renouvellement de bail' dans laquelle elle indiquait notamment : 'par décision en date du 8 décembre 2001, les associés ont décidé de transférer le siège social de la [...] à la [...] ; ce transfert a été publié dans la gazette du palais du 24 au 26 février 2002 ; l'ensemble des documents afférents à ce transfert de siège a été adressé au centre de formalités des entreprises qui en a délivré un récépissé avec la mention 'complet' le 28 février 2002, avec indication qu'il était transmis au Tribunal de commerce de Paris soit 13 jours avant la date de signification du congé ; qu'en conséquence et compte tenu des délais impartis la société Innovation Development aurait dû être immatriculée au registre du commerce et des sociétés à la dite date du 13 mars 2002 ; si ce n'est que ce n'est que le 25 mars 2002 qu'il lui a été délivré un nouvel extrait Kbis mentionnant l'adresse du siège à la [...]'.

Il est constant qu'à la date de délivrance du congé, la société Innovation Development n'était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés à l'adresse des lieux loués, des démarches étant en cours pour procéder à cette inscription du fait du changement de son siège social qui, désormais, était situé dans le local donné à bail.

Il est constant qu'à cette date, et ce depuis le 28 février 2002, la société Innovation Development avait déposé une demande de modification liée à ce transfert de siège social.

Il n'est pas nécessaire de rechercher si le bref retard apporté à cette immatriculation est imputable à faute à la société Innovation Development qui n'avait pas pris en compte, dans le calcul des frais de greffe, ceux imposés par la nécessité d'une notification de cette nouvelle mention en raison de l'existence d'un établissement secondaire à Saint-Tropez (en dehors du ressort du greffe du tribunal de commerce de Paris). Il convient, en revanche, de rechercher si en délivrant plus de trois ans avant l'expiration du bail un congé, le bailleur s'est situé dans le cadre des rapports régis par la bonne foi tels que prévus par l'article 1134 du Code civil.

La nécessité de l'immatriculation n'est pas une obligation contractuelle mais une obligation objective conditionnant, en principe, le droit au renouvellement. En effet, en l'absence d'une telle immatriculation, exigée par l'article L. 145-1 du Code de commerce, le bail sort du régime des baux commerciaux pour être soumis au régime de droit commun du Code civil, dépourvu de droit au renouvellement.

Cette finalité de la condition de l'immatriculation tend à limiter le bénéfice du statut des baux commerciaux aux seuls commerçants officiellement déclarés comme tels aux yeux des tiers. En effet, l'enjeu principal de la publicité légale réside dans la sécurité juridique et la nécessité d'instaurer une transparence. Sécurité du commerce et des transactions ainsi qu'information des partenaires économiques tels sont les objectifs de cette publicité qui répondent à la nécessaire identification des agents économiques dans le but de protéger tant les intérêts des tiers que l'ordre public économique, tel que le respect des obligations fiscales liées à une telle activité.

L'immatriculation antérieure existait mais non avec la mention relative au local en cause ; de la sorte les objectifs généraux venant d'être définis étaient sauvegardés.

Par ailleurs, la gestion d'un fonds de commerce ne peut se faire que dans la prévisibilité laquelle inclut celle du maintien du bail des locaux où est exercée l'activité commerciale. La délivrance d'un congé plus de trois ans avant la fin du bail ne fait pas partie des pratiques usuelles et, partant, n'est pas normalement prévisible. Par ailleurs, au cours du déroulement d'un bail, une personne morale subit, fréquemment, des mutations qui l'exposent à affronter des périodes de vide d'immatriculation, la rendant vulnérable à tout congé prématuré sans qu'elle puisse, efficacement, parer la survenance de cette fragilité.

Certes le texte précité impose un délai de préavis minimum pour délivrer congé mais n'impose pas un délai maximum. Cependant, il se déduit des considérations supra, que les consorts MARTIN, qui au reste n'invoquent aucune raison particulière justifiant cette inhabituelle précocité, ont, agi, hors toutes prévisions contractuelles, dans le seul but de faire échec au droit au renouvellement du bail ou au paiement d'une indemnité d'éviction. De la sorte ils ont abusé de leur droit à délivrer un congé.

Les consorts MARTIN ne peuvent, par ailleurs, invoquer aujourd'hui des questions de non-paiement de sommes alors que, ce manquement n'a jamais été évoqué dans le congé litigieux.

Dès lors ce commandement est privé de toute efficacité et n'a pas produit effet.

Cette situation mérite de faire l'objet d'une réouverture des débats dans la mesure où aucune des parties, même la société Innovation Development qui n'envisageait nulle suite au congé contesté par elle dans les termes rappelés, ne s'est située dans la perspective d'une absence de congé conduisant à l'absence de fin du bail.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant en dernier ressort :

I. Réformant la décision entreprise, et statuant à nouveau,

' dit que le congé délivré le 13 mars 2002 pour le 30 avril 2005 à la société Innovation Development par les consorts MARTIN n'a pas produit effet comme ayant été délivré dans des circonstances caractérisant un abus de droit,

' ordonne, sur les conséquences de cette situation, la réouverture des débats à l'audience du mardi 17 juin 2008 à 14 heures afin que chaque partie précise sa position sur ces conséquences au vu des questionnements ci-dessus de la cour,

II. Réserve les dépens et les demandes en application de l'article 700 du code de procédure civile.