Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 6 juin 2012, n° 10/21371

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Mondadori Magazines France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chokron

Conseillers :

Mme Gaber, Mme Nerot

Avocats :

Me Melun, Me Tarquiny Charpentier, SCP Ribaut, Me Goulesque-Monaux, SCP Taylor Wessing

TGI Paris, du 8 oct. 2010, n° 09/09059

8 octobre 2010

Exposé des faits

Vu l'appel interjeté le 3 novembre 2010 par Jean-Claude E. du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre, 2ème section, RG 09/09059), le 8 octobre 2010 ;

Vu les dernières conclusions du 21 juin 2011 de l'appelant,

Vu les dernières conclusions du 7 décembre 2011 de la société MONDADORI MAGAZINES FRANCE (ci-après dite MONDADORI), intimée,

Vu l'ordonnance de clôture du 24 janvier 2012,

Motifs

SUR CE, LA COUR,

Considérant que Jean-Claude E., photographe-reporter a réalisé le 19 février 2009, un vidéogramme (la vidéo) montrant un cheval scellé sans cavalier galopant dans les rues de Paris, finalement récupéré par les forces de l'ordre ;

Qu'il a vendu cette vidéo, en particulier, au journal LE PARISIEN qui l'a diffusée sur son site internet ; qu'ayant constaté la publication, sans son autorisation, de cette vidéo, le même jour, sur un site internet édité par la société MONDADORI il a fait dresser un procès-verbal d'huissier de justice le 27 février 2009, puis a vainement mis en demeure cette société, le < 10 > mars 2009, de réparer la violation de son droit patrimonial ;

Qu'il a, dans ces circonstances, fait assigner la société MONDADORI, le 7 mai 2009, devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur pour obtenir cette réparation ;

#1 Considérant que, suivant jugement dont appel, les premiers juges l'ont débouté de ses demandes relevant que la vidéo, non produite aux débats, n'était pas originale et ne pouvait en conséquence bénéficier de la protection du Livre I du Code de la propriété intellectuelle ;

#2 Considérant qu'en cause d'appel Jean-Claude E. réitère ses demandes sur le fondement du droit d'auteur, maintenant que la vidéo, qu'il produit, présente un caractère original, tandis que l'intimée demande la confirmation de la décision entreprise ;

#3 Considérant qu'il n'est pas contesté que l'appelant a réalisé la vidéo en cause et le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale n'est pas discuté ;

Qu'il incombe toutefois, à celui qui entend se prévaloir de droits d'auteur de caractériser l'originalité de cette création, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une oeuvre de l'esprit protégeable au sens de la loi, c'est à dire originale ;

#4 Considérant, à cet égard, que l'appelant soutient essentiellement que le choix d'ajustement du cadrage, de plans (rapprochés et larges pour filmer la scène de manière à filmer sous un certain angle le cheval, par l'arrière, en parallèle, montrant l'environnement et les tentatives de la police pour stopper l'équidé et fermer la circulation aux automobilistes), et d'un rythme constant (pour ménager le suspense de la poursuite qui a perduré 20 minutes) traduisent son effort créatif dans ce reportage ;

Que pour contester l'originalité prétendue de cette vidéo, la société MONDADORI fait valoir que l'appelant s'est contenté de filmer un événement se déroulant sous ses yeux et qu'il a simplement cherché à ne pas perdre de vue le cheval sans démontrer en quoi les images prises différeraient de celles qu'un autre témoin aurait pu filmer ;

Considérant qu'il ressort de l'examen de la vidéo produite (intitulée Un cheval de la Garde républicaine en cavale à Paris ), auquel la Cour s’est livrée, que cette vidéo montre au travers du pare-brise avant d'un véhicule, qui suit un véhicule de police essayant de se maintenir à hauteur du cheval, l'équidé galopant sur la droite de la chaussée (quais de Seine) ; que le zoom est actionné lorsqu'un policier essaye de maîtriser le cheval en se penchant hors du véhicule, et le bruit de la circulation ainsi que de la cavalcade constitue le fond sonore de la course du cheval ; que le film s'achève par les vues des forces de police, et du cheval placé dans un van dont un gendarme ferme la porte après avoir manifestement rendu compte téléphoniquement de l'issue de l'incident ;

#5 Que force est de constater, au terme de cet examen, que si, à l'évidence, Jean-Claude E. a su saisir l'occasion de filmer un événement fortuit, inédit, se présentant à lui, dans des conditions difficiles, puisqu'il conduisait un véhicule, et s'il a pu exploiter financièrement les images ainsi saisies relatant un sujet extraordinaire qui s'est imposé à lui, il ne l'a manifestement pas réellement mis en scène ;

Que les images montrent, au contraire, qu'il s'est contenté de se mettre dans le sillage d'un véhicule d'intervention (sauf lors du franchissement d'une des intersections où ce véhicule s'est brièvement déporté sur la gauche), en filmant le cheval en cavale, puis de filmer celui-ci une fois qu'il a été rattrapé ;

#6 Considérant que le seul fait que son expérience professionnelle et/ou son matériel lui ait techniquement permis de suivre une voiture de police tout en filmant la course du cheval (pendant un peu plus d'1 30 sur la vidéo produite, d’une durée totale de 1 50), sans le perdre de vue (à une distance plus ou moins importante), ne saurait suffire à caractériser un apport créatif au sens du droit d'auteur, même si un amateur n'aurait pas nécessairement pris le même risque ;

Que sa marge de manoeuvre était en réalité extrêmement étroite (conditionnée en particulier, durant la cavalcade, par la trajectoire du cheval, le véhicule de police ou la circulation et, ensuite, par le positionnement des forces de l'ordre) et si la prise de vue n'a pas été purement automatique, mais a mis en oeuvre des choix tels que des plans plus ou moins rapprochés de l'équidé dans son environnement (y compris une fois secouru), manifestement ceux-ci étaient dictés par les circonstances, et ne permettent pas de révéler la personnalité, au sens du droit d'auteur, du professionnel ayant réalisé la vidéo ; qu'en particulier le suspens invoqué naît du déroulement même de l'événement filmé avec les aléas d'une prise d'images en direct ;

Que l'appréciation de la Cour devant s'effectuer de manière globale, en fonction de l'aspect d'ensemble produit par la vidéo, il sera observé que si celle-ci présente incontestablement un caractère unique, à raison de la nature du sujet saisi sur le vif, dont un reporter photographe ne pouvait ignorer l'intérêt, la valeur économique d'une telle vidéo ne saurait se confondre avec l'originalité requise au titre de la protection du droit d'auteur ;

#7 Considérant, en réalité, que le seul fait de s'attacher à filmer, à la manière d'un reportage, une situation réelle anecdotique, insolite, en train de se dérouler, en centrant l'image sur les protagonistes de cette scène peu banale, ne saurait suffire à traduire un réel parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ; que certes globalement la vidéo revendiquée est susceptible de relever d'une prouesse technique, nonobstant ses défauts inhérents à ses conditions de réalisation, en particulier en circulation, mais elle ne procède pas, pour autant, d'un processus créatif protégeable au titre du droit d'auteur ;

Qu'en conséquence, la décision entreprise ne peut qu'être approuvée en ce qu'elle a décidé que la vidéo litigieuse ne peut bénéficier d'une telle protection et rejeté toutes les demandes de Jean-Claude E. de ce chef ;

Dispositif

PAR CES MOTIFS,

Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions ;

Condamne Jean-Claude E. aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et dit n'y avoir lieu à nouvelle application de l'article 700 dudit Code au titre des frais irrépétibles d'appel.