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Décisions

Cass. 3e civ., 26 mai 2016, n° 14-28.082

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Avocats :

Me Le Prado, SCP Didier et Pinet

Rennes, du 2 oct. 2014

2 octobre 2014

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 2 octobre 2014), que l'EARL X... (société X...) a sollicité, en février 2010, une autorisation préfectorale d'exploiter des terres, avec l'accord de M. Y..., copropriétaire indivis avec Mme Y... ; qu'elle les a mises en culture en mai 2010 et a obtenu l'autorisation en juin ; qu'elle a adressé un chèque, en novembre 2010, à M. Y... que celui-ci a refusé ; que, par acte du 24 novembre 2010, M. Y... lui a fait sommation de libérer les lieux aussitôt, au motif qu'il n'avait pas consenti de bail ; qu'une procédure d'expropriation des parcelles a été parallèlement mise en oeuvre ; que la société X... a saisi le tribunal paritaire en reconnaissance d'un bail rural et indemnisation ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société X... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de qualification de la mise à disposition en bail rural, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en énonçant, par motifs adoptés, que le fait que M. Y... avait signé, en qualité de propriétaire, l'imprimé par lequel M. X... sollicitait une autorisation d'exploiter les parcelles litigieuses ne pouvait être considéré comme un consentement clair et non équivoque à conclure un bail rural, cependant que cette demande d'autorisation mentionnait que les terres objet de la demande étaient « transférées » à l'exploitant sous la forme d'un bail, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document et a violé l'article 1134 du code civil ;

2°/ qu'en énonçant, par motifs adoptés, que le fait que M. Y... avait signé, en qualité de propriétaire, l'imprimé par lequel M. X... sollicitait une autorisation d'exploiter les parcelles litigieuses ne pouvait être considéré comme un consentement clair et non équivoque à conclure un bail rural, sans rechercher si, dès lors que la demande d'autorisation précisait que l'exploitation objet de la demande se faisait dans le cadre d'un bail, la signature de M. Y... apposée sur ce même document n'établissait pas la préexistence d'un bail ou, à tout le moins, le consentement de celui-ci à la conclusion d'un bail, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime ;

3°/ qu'en énonçant, par motifs adoptés, que le fait que M. Y... avait signé, en qualité de propriétaire, l'imprimé par lequel M. X... sollicitait une autorisation d'exploiter les parcelles litigieuses ne pouvait être considéré comme un consentement à conclure un bail rural, par la considération que l'autorisation d'exploiter avait été accordée sous la condition d'obtention par la société X... d'un titre légal, cependant que cette mention signifiait uniquement que l'autorisation ne constituait pas un titre d'exploitation, sans prendre parti sur l'absence ou l'existence, en l'état, d'un tel titre ; qu'en considérant pourtant que cette mention démontrait qu'à la date de l'autorisation aucun titre légal d'exploitation n'existait, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de l'autorisation administrative et, partant, a violé l'article 1134 du code civil ;

4°/ qu'en énonçant, par motifs adoptés, que le fait que M. Y... avait signé, en qualité de propriétaire, l'imprimé par lequel M. X... sollicitait une autorisation d'exploiter les parcelles litigieuses ne pouvait être considéré comme un consentement à conclure un bail rural, par la considération que l'autorisation d'exploiter avait été accordée sous la condition d'obtention par la société X... d'un titre légal, cependant que cette circonstance, postérieure à la signature de M. Y..., n'était pas susceptible d'éclairer sur l'intention de celui-ci au moment d'apposer sa signature, la cour d'appel a statué par un motif inopérant et a violé l'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime ;

5°/ que l'adage « nul ne peut se constituer de preuve à lui-même » n'est pas applicable à la preuve des faits juridiques ; que, dès lors, en jugeant que la société X... ne pouvait se faire une preuve à elle-même pour établir qu'elle avait effectué d'importants investissements afin d'améliorer les terres mises à sa disposition, cependant qu'il s'agissait de prouver un fait juridique, la cour d'appel a violé l'article 1315 du code civil ;

Mais attendu qu'ayant exactement énoncé qu'il appartenait à la société exploitante des parcelles de rapporter la preuve du caractère onéreux de la mise à disposition et souverainement retenu, par motifs adoptés, d'une part que la signature par M. Y... d'un formulaire administratif de demande d'autorisation d'exploiter ne pouvait, à elle seule, constituer un consentement à la conclusion d'un bail rural, d'autre part que M. Y... avait refusé d'encaisser un chèque qui lui avait été adressé, la cour d'appel a pu en déduire, sans dénaturation, peu important le motif surabondant relatif à la preuve des dépenses engendrées par la mise en culture, que la volonté des propriétaires de consentir une location soumise au statut des baux ruraux n'était pas établie ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1888 du code civil ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que, lorsqu'aucun terme n'a été convenu pour le prêt d'une chose d'un usage permanent, sans qu'aucun terme naturel soit prévisible, le prêteur est en droit d'y mettre fin à tout moment, en respectant un délai de préavis raisonnable ;

Attendu que, pour rejeter la demande d'indemnisation, l'arrêt retient que M. Y... était fondé à solliciter la restitution immédiate des terres à l'issue de l'année culturale en cours ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle n'avait pas caractérisé l'existence d'un terme convenu entre les parties et qu'elle avait constaté que la société X... avait été sommée de quitter les lieux sans délai, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la société X... et l'a condamnée à payer les dépens et une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
l'arrêt rendu le 2 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée.