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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 1, 25 novembre 2009, n° 09/02848

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Aubert France (SA), Sicatec (SA)

Défendeur :

Red Castle France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pimoulle

Conseillers :

Mme Chokron, Mme Gaber

Avoués :

SCP Petit Lesenechal, SCP Aranudy-Baechlin

Avocats :

Me Guerrini, SCP Gilbey de Haas, Me Ruffin

TGI Paris, du 21 janv. 2009

21 janvier 2009

Vu l'appel interjeté le 10 février 2009 par les sociétés AUBERT FRANCE et SICATEC, d'un jugement rendu le 21 janvier 2009 par le tribunal de grande instance de Paris dans l'instance les opposant à la société RED CASTLE FRANCE et à Jill MERLET ;

Vu les dernières conclusions, signifiées le 6 octobre 2009, dans l'intérêt des sociétés appelantes ;

Vu les dernières écritures, signifiées le 15 septembre 2009, pour le compte de la société RED CASTLE FRANCE et de Jill MERLET, intimées ;

Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 6 octobre 2009 ;

SUR CE, LA COUR

Considérant que, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure, il est expressément référé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :

- Jill MERLET , styliste, crée des modèles de vêtements pour enfants et d'articles de puériculture diffusés et commercialisés par la société RED CASTLE FRANCE (SAS), à laquelle elle a cédé ses droits d'exploitation,

- elle revendique des droits d'auteur sur un modèle de chancelière modulable dénommé COMBIZIP qu'elle aurait créé en 1998,

- ayant constaté l'offre en vente sur le site internet de la société AUBERT FRANCE (SA) d'un modèle référencé 'chancelière évolutive' constituant selon elle une reproduction servile de la COMBIZIP, la société RED CASTLE a fait dresser procès-verbal de constat par Me ALBOU, huissier de justice à Paris, le 22 janvier 2008 puis le 4 février 2008 et fait procéder le 15 février 2008 dans les locaux de la société AUBERT FRANCE à CERNAY (68700), dûment autorisée par ordonnance présidentielle, à une saisie-contrefaçon qui a permis d'établir que l'article incriminé avait été fourni par la société SICATEC,

- c'est dans ces circonstances que les 10 et 12 mars 2008, Jill MERLET et la société RED CASTLE FRANCE ont assigné devant le tribunal de grande instance de Paris les sociétés AUBERT FRANCE ET SICATEC aux griefs de contrefaçon de droits d'auteur et de concurrence déloyale ;

Sur l'action en contrefaçon

Considérant que les sociétés appelantes maintiennent devant la Cour leur contestation, telle que soutenue devant les premiers juges, de la validité des procès-verbaux de constat des 22 janvier et 4 février 2008 et du procès-verbal de saisie-contrefaçon du 15 février 2008 ;

Considérant qu'elle font à juste titre observer, s'agissant des constats, que l'huissier instrumentaire ne s'est pas contenté, aux termes du procès-verbal du 22 janvier 2008, de procéder à la description du site de vente en ligne exploité par la société AUBERT FRANCE et du produit argué de contrefaçon, mais s'est livré, sans avoir au préalable décliné sa qualité, à l'ouverture d'un compte client et à l'acquisition de deux modèles de chancelière qu'il a ensuite, à réception, placés sous scellés suivant procès-verbal du 4 février 2008 ;

Considérant qu'il s'évince de ces éléments que l'huissier instrumentaire a outrepassé les limites d'un constat d'achat pour opérer, sans y avoir été autorisé selon les voies de droit, une saisie-contrefaçon ; qu'en conséquence, c'est à raison que les premiers juges ont annulé les procès-verbaux de constat querellés ;

Considérant que les sociétés appelantes font valoir en ce qui concerne les opérations de saisie-contrefaçon, encore à juste titre, que c'est au mépris de l'ordonnance présidentielle du 14 août 2008 l'autorisant, au visa de l'article L 332-1 du Code de la propriété intellectuelle, à effectuer la saisie réelle en deux exemplaires du modèle référencé 'chancelière évolutive' contre paiement ou offre de paiement du prix au tarif normal que, selon les énonciations du procès-verbal, l'huissier instrumentaire s'est saisi des articles concernés sans en acquitter ou offrir d'en acquitter le prix ; que dans ces circonstances, c'est toujours à bon droit au regard du principe d'une stricte interprétation de l'autorisation de procéder à une saisie-contrefaçon, que les premiers juges ont annulé le procès-verbal du 15 février 2008 ;

Considérant, sur le fond, que pour combattre le grief de contrefaçon, les sociétés appelantes font valoir que Jill MERLET n'établit pas avoir créé, à date certaine, le modèle de chancelière modulable opposé, lequel ne saurait, à défaut de présenter l'originalité requise, accéder à la protection par le droit d'auteur ;

Considérant, en droit, qu'en vertu de l'article L 111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial ; que ce droit est conféré, selon l'article L 112-1 du même Code, à l'auteur de toute oeuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination ; qu'il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une oeuvre, sans formalité, du seul fait de la création d'une forme originale ; qu'il incombe toutefois à celui qui entend bénéficier des droits conférés à l'auteur, d'apporter la preuve d'une création déterminée à date certaine, condition de sa recevabilité à agir ;

Considérant, en l'espèce, que Jill MERLET produit une attestation en date du 28 août 2008 de Fathi AISSAOUI qui déclare fabriquer en Tunisie depuis 1998 le modèle de chancelière COMBIZIP au vu des dessins et croquis réalisés par Jill MERLET, les catalogues des années 1999 à 2007 de la société RED CASTLE qui portent mention du nom de Jill MERLET en qualité de styliste au service de cette société, le modèle de chancelière revendiqué lequel présente, cousue sur la doublure intérieure, une étiquette énonçant 'style Jill MERLET' ;

Considérant que les sociétés appelantes ne sont pas fondées à voir écarter l'attestation précise et circonstanciée de Fathi AISSAOUI dont il n'y pas lieu de douter de la sincérité à raison de la seule circonstance qu'il entretient des relations commerciales avec la société RED CASTLE, qu'elles ne sauraient par ailleurs sérieusement soutenir qu'il est loisible à Jill MERLET, dès lors qu'elle est l'épouse du dirigeant de la société, de s'attribuer au sein de cette société tout titre, toute qualité ou encore toute fonction à sa convenance ; qu'en l'état des éléments complémentaires et concordants précédemment évoqués, la création par Jill MERLET en 1998 du modèle de chancelière litigieux est vainement querellée par les sociétés appelantes ;

Considérant qu'il ressort, outre des catalogues précités, des multiples factures et bons de commandes versés au débat, que la société RED CASTLE diffuse et commercialise sans discontinuité depuis 1998 le modèle de chancelière COMBIZIP ; que dans ces circonstances, les sociétés appelantes ne sont pas pertinentes à discuter la cession par Jill MERLET de ses droits d'exploitation au bénéfice de la société RED CASTLE, cession qu'il n'y a pas lieu de mettre en cause puisqu'elle est alléguée de concert par la partie cédante et par la partie cessionnaire ce qui suffit à la tenir pour constante ; qu'il s'infère de ces développements que Jill MERLET est recevable à agir au titre des droits moraux institués au bénéfice de l'auteur, dont elle demeure investie nonobstant la cession de ses droits d'exploitation à la société RED CASTLE, laquelle est recevable à agir pour la défense de ses intérêts patrimoniaux ;

Mais considérant, dès lors que les sociétés appelantes dénient au modèle en cause, constitué selon elles d'une banale combinaison d'éléments fonctionnels, toute prétention à accéder à la protection par le droit d'auteur, qu'il importe encore de se livrer à la recherche nécessaire de l'originalité de ce modèle, l'action en contrefaçon étant subordonnée à la condition que la création, objet de cette action, soit une oeuvre de l'esprit au sens de la loi, c'est-à-dire originale ;

Considérant que les intimées caractérisent le modèle revendiqué de chancelière modulable, par la combinaison des éléments suivants :

- des lignes épurées et droites,

- une forme générale géométrique dont les terminaisons du bas sont angulaires,

- une base rectangulaire surmontée d'une finition en forme de vague ondulée qui forme une capuche de forme ronde,

- un tissu matelassé,

- la présence de 6 encoches positionnées de manière oblique au-dessous desquelles figurent 2 encoches horizontales,

- une fermeture à glissière centrale de couleur contrastée,

- 2 fermetures à glissière dans la partie inférieure du modèle permettant de former soit des jambes, soit un nid d'ange,

- la présence de 12 boutons pression,

- la présence d'une poche rectangulaire au dos fermée par une bande auto-aggripante ,

toutes caractéristiques qui ne sont pas, selon elles, simplement dictées par des impératifs techniques ou fonctionnels mais procèdent d'un parti-pris esthétique et confèrent à l'ensemble un caractère original ;

Et considérant à cet égard que s'il résulte en effet du modèle déposé en 1991 par la société JEAN CACHAREL, que la mise en oeuvre dans la confection d'une combinaison à l'usage des nourrissons, d'éléments associant une matière matelassée, une fermeture centrale à glissière et une capuche de forme ronde n'est pas nouvelle, du modèle de la société VERTBAUDET en date de 1996, de la demande de brevet français n° 2 779 036 déposée le 26 mai 1998 et du brevet US n° 2 598 462 déposé le 7 juillet 1950 et enregistré le 27 mai 1952 que la possibilité de transformer le vêtement, en sa partie inférieure, en nid d'ange ou en pantalon au choix est non moins connue, force est de constater qu'aucune des pièces de comparaison versées aux débats par les sociétés appelantes ne présente l'ensemble des caractéristiques, telles que revendiquées par les intimées, du modèle de chancelière modulable opposé de sorte que la prétendue banalité de ce modèle n'est aucunement justifiée ;

Considérant par ailleurs que si le modèle invoqué répond à l'évidence, pour la raison même qu'il est à l'usage des touts-petits, à des exigences de confort et de maniabilité qui mettent en oeuvre un savoir-faire technique, il procède cependant d'une recherche esthétique que révèlent les choix, nullement imposés par un impératif fonctionnel, qui président à la forme géométrique de l'ensemble dont les terminaisons du bas sont angulaires, à la réalisation en partie supérieure d'une finition en forme de vague ondulée, au contraste des couleurs entre la matière matelassée et la fermeture à glissière centrale, à la mise en place d'une poche rectangulaire au dos fermée par une bande auto-aggripante, à la présence de 12 boutons pression en partie inférieure du vêtement ;

Considérant qu'il s'infère de ces observations que si certains des éléments qui composent le modèle de chancelière modulable en cause sont effectivement connus et que, pris séparément, ils appartiennent au fonds commun de l'univers des articles de puériculture, en revanche, leur combinaison confère à ce modèle une physionomie propre qui le distingue des autres modèles du même genre et qui traduit un parti-pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur ; qu'il s'ensuit, par confirmation du jugement entrepris, que Jill MERLET et la société RED CASTLE sont fondées à prétendre à la protection du modèle COMBIZIP par le droit d'auteur ;

Considérant qu'il est constant que la contrefaçon s'apprécie au regard des ressemblances et non des différences ;

Et considérant qu'il appert de l'examen comparatif des modèles en cause, auquel la Cour a procédé, que le modèle dit de 'chancelière évolutive' commercialisé par la société AUBERT FRANCE reproduit la combinaison des éléments caractéristiques de la création originale de Jill MERLET et en constitue la copie servile ; que la contrefaçon, définie en droit par la reproduction de l'oeuvre faite sans le consentement de l'auteur est en l'espèce caractérisée, ainsi que l'a relevé avec raison le tribunal, à la charge de la société AUBERT FRANCE qui ne conteste pas offrir à la vente le produit contrefaisant ;

Sur l'action en concurrence déloyale

Considérant que la société RED CASTLE fait grief aux sociétés appelantes d'avoir commis à son encontre des actes de concurrence déloyale et parasitaires en distribuant massivement des copies serviles de son modèle, en reprenant en outre la même gamme de coloris, en pratiquant des prix inférieurs, en profitant sans bourse déliée de ses investissements ;

Et considérant en effet que si les sociétés appelantes ont reproduit servilement le modèle de chancelière commercialisé par la société RED CASTLE, aggravant ainsi l'acte de contrefaçon précédemment retenu à leur charge, elles ont en outre copié sur le modèle original tant le principe de l'association de deux couleurs, l'une pour la partie intérieure du vêtement l'autre pour la partie extérieure, que la déclinaison des coloris (rouge, noir, gris) ;

Considérant que cette circonstance, qui ne saurait être fortuite, caractérise la création d'un effet de gamme de nature à induire un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine des produits concernés et à la détourner ;

Considérant que ces faits, distincts de la contrefaçon, sont répréhensibles au sens des dispositions de l'article 1382 du Code civil en ce qu'ils sont contraires à un exercice paisible de la liberté du commerce et par là-même constitutifs de concurrence déloyale ; qu'il s'ensuit, par confirmation du jugement entrepris, que le grief de concurrence déloyale est caractérisé à la charge de la société AUBERT FRANCE ; que ce grief est pareillement caractérisé à la charge de la société SICATEC qui ne conteste pas avoir fourni à la société AUBERT FRANCE le modèle incriminé de sorte que, sur ce point, le jugement déféré encourt une réformation ;

Sur les mesures réparatrices

Considérant que Jill MERLET se prévaut à bon droit de la violation de ses droits moraux d'auteur à raison des manquements respectifs des sociétés AUBERT FRANCE et SICATEC à leur obligation de respecter la paternité de l'auteur sur son oeuvre ; que le tribunal lui a justement alloué de ce chef une indemnité réparatrice de 30.000 euros ;

Considérant que la société RED CASTLE fait grief aux sociétés AUBERT FRANCE et SICATEC d'avoir porté atteinte à ses droits patrimoniaux d'auteur et de lui avoir causé un préjudice commercial résultant notamment des ventes manquées ;

Considérant en effet que l'offre en vente d'articles de contrefaçon banalise le modèle original et porte ainsi atteinte à sa valeur patrimoniale, que de surcroît, le caractère servile des copies réalisées contribue nécessairement à avilir le modèle original et à le déprécier aux yeux de la clientèle ;

Considérant que le tribunal a en outre pertinemment relevé en l'espèce que la société AUBERT FRANCE a cessé en 2007 de s'approvisionner auprès de la société RED CASTLE, à laquelle elle avait passé commande de plus de 5000 pièces du modèle COMBIZIP par an entre 2003 et 2006 au prix de 25 euros à l'unité, pour s'adresser à la société SICATEC qui lui proposait de lui fournir le modèle contrefaisant ;

Considérant enfin que les faits de concurrence déloyale commis par les sociétés AUBERT FRANCE et SICATEC ont provoqué un détournement de clientèle et par là-même un manque à gagner au préjudice de la société RED CASTLE ;

Considérant qu' au regard de l'ensemble de ces éléments, le tribunal a procédé à une exacte appréciation des préjudices subis par la société RED CASTLE en lui allouant à titre de dommages-intérêts la somme de 125.000 euros en réparation des actes de contrefaçon ainsi que la somme de 50.000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale, au paiement desquelles il convient de condamner in solidum les sociétés AUBERT FRANCE et SICATEC ;

Considérant que les mesures d'interdiction et de publication ordonnées par les premiers juges sont justifiées dans leur principe et pertinentes dans leurs modalités au regard de la nécessité de faire cesser les actes illicites et de prévenir leur renouvellement ; qu'elles seront purement et simplement confirmées sauf à préciser en ce qui concerne la mesure de publication qu'elle fera mention du présent arrêt ;

Considérant que le sens de l'arrêt commande de rejeter les demandes des sociétés appelantes respectivement formées au grief de procédure abusive et au fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que ces dispositions doivent par contre, en équité, bénéficier aux intimées auxquelles sera allouée une indemnité complémentaire globale de 20. 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris sauf à condamner la société SICATEC à payer à la société RED CASTLE, in solidum avec la société AUBERT FRANCE, la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice de concurrence déloyale et à préciser que la mesure de publication fera mention du présent arrêt,

Y ajoutant,

Déboute les sociétés AUBERT FRANCE et SICATEC de leur demande du chef de procédure abusive,

Les condamne in solidum à verser aux intimées une indemnité complémentaire globale de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel et à supporter les dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.