Cass. com., 1 mars 1994, n° 92-11.633
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Gomez
Avocat général :
M. de Gouttes
Avocats :
SCP Lemaitre et Monod, Mme Thomas-Raquin
Attendu, selon les énonciations de l'arrêt attaqué (Paris, 12 novembre 1991), que la société Hollister incorporated (société Hollister), titulaire du brevet enregistré sous le numéro 78-09.466, a assigné pour contrefaçon la société danoise Coloplast et la société Coloplast SA (la société Coloplast), la première pour avoir introduit en France, la seconde pour avoir détenu, offert à la vente et vendu des produits reproduisant les caractéristiques des revendications 1, 2 et 10 à 13 du brevet ;
Attendu que la société Coloplast fait grief à l'arrêt d'avoir fixé à la somme de 9 500 000 francs le montant des dommages-intérêts dus par elle à la société Hollister en réparation des faits de contrefaçon, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'ayant relevé que les produits conformes au brevet d'Hollister INC. fabriqués sous licence par sa filiale Hollister Overseas, sont commercialisés en France par les Laboratoires Abbott société anonyme, la cour d'appel ne pouvait énoncer qu'Hollister INC ne commercialise pas, même indirectement, ses produits brevetés en France, et déduire de cette prétendue inexploitation la nécessité de calculer la redevance indemnitaire sur le chiffre d'affaires réalisé par les contrefacteurs ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations et violé l'article 1382 du Code civil ; alors, d'autre part, que l'indemnisation de la victime est égale au gain manqué, qui dépend de la position prise par le breveté dans l'exercice de son droit ; que lorsque, comme en l'espèce, le breveté fait exploiter son brevet par un licencié qui lui verse une redevance sur la base de son chiffre d'affaires, les gains manqués par le breveté du fait de la contrefaçon sont constitués par le produit de la redevance qu'il aurait perçue de son licencié si ce dernier avait vendu la masse contrefaisante ; qu'en prenant cependant pour assiette de la redevance le chiffre d'affaires réalisé par les contrefacteurs et non celui qu'aurait réalisé le licencié débiteur d'une redevance à l'égard du breveté, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, en outre, que la Société Coloplast faisait valoir que la base de la redevance indemnitaire doit être fixée au même niveau économique que celle sur laquelle le breveté perçoit sa redevance de licence, c'est-à-dire au stade de la fabrication ; qu'en asseyant la redevance sur le chiffre d'affaires réalisé par le distributeur Coloplast société anonyme, sans rechercher, comme elle y était invitée, si ce calcul n'aboutissait pas à accorder au breveté une réparation très supérieure à son préjudice, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; alors, au surplus, que l'indemnisation de la victime doit être égale aux gains manqués ; que dans l'hypothèse où le brevet est effectivement exploité par un licencié, les profits perdus par le breveté sont constitués de la redevance que lui aurait versée son licencié si ce dernier avait vendu la masse contrefaisante ; qu'en refusant d'appliquer le taux de la redevance qu'Hollister Overseas verse à Hollister INC, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; alors, enfin, que le principe même de la responsabilité civile est de compenser le préjudice subi par la victime et non d'infliger une peine au responsable du dommage ; que la cour d'appel ayant constaté que le taux de redevance contractuel normal aurait été de 5 à 6 %, ne pouvait décider que le taux indemnitaire devait être de 8 % motif pris exclusivement de " l'équité ", sans priver sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel a relevé que la société Hollister, titulaire du brevet, ne fabriquait pas et ne vendait pas elle-même en France les produits protégés, qu'une filiale les fabriquait en Irlande et les vendait à un importateur néerlandais qui les distribuait en Europe par l'intermédiaire des filiales d'une société américaine, l'une d'entre elles, la société Laboratoires Abbott les commercialisant en France ; qu'elle a déduit justement de ces constatations dont il résultait que ni le titulaire du brevet ni son licencié ne faisaient sur le territoire français, par eux-mêmes, d'actes de fabrication, d'offre ou de mise dans le commerce des produits protégés, que ces derniers n'exploitaient pas le brevet en France ;
Attendu, en second lieu, que la cour d'appel a retenu que le préjudice résultant de la contrefaçon en France dans les conditions de l'espèce devait être apprécié par référence au chiffre d'affaires représenté par la masse contrefaisante ; qu'elle a procédé à la recherche prétendument omise ;
Attendu, enfin, qu'ayant retenu que la redevance de 3 %, consentie, par préférence, à la filiale du titulaire du brevet, a été rétroactivement élevée à 7 %, la cour d'appel a fixé, en appréciant le préjudice résultant des actes de contrefaçon, à 8 % le taux applicable à la masse contrefaisante, et en évaluant ainsi le montant des dommages-intérêts destinés à la réparation de ce préjudice, a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses cinq branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.