Cass. com., 24 octobre 2000, n° 98-11.580
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. DUMAS
Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué, que M. Jacques Y..., titulaire du brevet d'invention n 81 17.272 déposé le 11 septembre 1981, intitulé "installation pour assemblage et/ou usinage de pièces portées par des palettes circulantes et immobilisables", a, après saisie-contrefaçon, assigné la société SEIV Automation, devenue la société Renault Automation (société RA), en contrefaçon de certaines revendications de son brevet ; que la société des établissement Y... et compagnie (société Y...), titulaire de la licence exclusive d'exploitation de ce titre est intervenue à l'instance ; que par arrêt devenu irrévocable, la cour d'appel a déclaré que la société RA avait commis des actes de contrefaçon de certaines revendications de ce brevet, et a ordonné une expertise ; que statuant après dépôt du rapport, elle a rejeté la demande en concurrence déloyale et condamné la société RA à payer certaines sommes à M. Y... et à la société Y... ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que la société Y... fait grief à l'arrêt d'avoir évalué le chiffre d'affaires résultant de la masse contrefaisante à 8 960 000 francs, alors, selon le pourvoi, 1 ), que dans ses conclusions d'appel, la société Y... faisait valoir qu'elle devait être indemnisée de son entier préjudice ; que la masse contrefaisante, au seul titre des modules et des palettes de support, devait s'apprécier sur la base du prix de vente Y..., qu'elle avait certifié, et non pas sur la base des prix anormalement bas pratiqués par le contrefacteur ; qu'ainsi la masse contrefaisante devait s'apprécier à la somme de 15 103 735 francs ; qu'en outre, le coût des mécanismes incorporés et les commandes nécessaires vendues avec les modules, l'ensemble étant constitutif du "tout commercial", devait être aussi intégré dans le préjudice à réparer ;
qu'ainsi la cour d'appel qui n'a pas répondu à ses conclusions, n'a pas motivé sa décision et a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, 2 ), qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, les éléments constitutifs du préjudice réel subi par la société, la cour d'appel a méconnu les règles de la réparation, et a, de ce fait, violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient au vu des constatations et évaluations de l'expert, une masse contrefaisante comportant les modules, les mécanismes qu'ils incorporent, les commandes nécessaires au fonctionnement de l'ensemble et les palettes automatiquement vendues avec les modules, comme ne pouvant être dissociés de leur vente et formant un tout commercial et a chiffré le montant de la masse contrefaisante en fonction du chiffre d'affaire réalisé par la société RA ; qu'ainsi la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument délaissées ;
Attendu, d'autre part, que le moyen ne précisant pas quels éléments allégués du préjudice auraient été négligés, il ne saurait être reçu en sa seconde branche ;
D'où il suit que le moyen mal fondé en sa première branche, n'est pas recevable en sa seconde branche ;
Sur le deuxième moyen, pris en ses cinq branches :
Attendu que M. Y... et la société Y... reprochent à l'arrêt d'avoir limité à 500 000 francs, l'indemnité à accorder à la société Y... pour perte de chance d'obtenir certains marchés, alors, selon le pourvoi, 1 ), que la seule citation des observations de I'expert, dont il n'est même pas indiqué qu'elles sont homologuées par les juges, ne constitue par une motivation ; qu'en se bornant à reproduire les observations de l'expert, la cour d'appel a violé l'article 755 du nouveau Code de procédure civile ; alors, 2 ), qu'à la faveur de conclusions extrêmement circonstanciées, la société Y... avait démontré que la prétendue compétence, en matière de robotique de Renault Automation n'avait aucune incidence sur ie dommage causé par la contrefason de 300 modules brevetés, destinés à la fourniture des sept installations litigieuses ; qu'ii était démontré que la robotique était parfaitement secondaire dans les options d'achats des clients, I'invention du brevet Y... relatif à l'optimatisation de la circulation du produit en cours de fabrication étant l'élément attractif essentiel pour les acheteurs ; qu'en se bornant à citer les conclusions péremptoires de l'expert, sans rechercher elle-même si, au vu des conclusions précises de la Société Y..., cette dernière, par la seule mise en oeuvre des dispositions brevetées de son invention, n'aurait pas pu et dû fournir aux clients de la société Renault Automation les modules litigieux, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision et n'a, en toute hypothèse, pas répondu aux conclusions déterminantes de l'exposant ; alors, 3 ), que si la cour d'appel a entendu s'approprier les conclusions de l'expert, elle ne pouvait, à travers ces conclusions, dénaturer la portée du brevet en considérant que la disposition selon laquelle s'exerce le monopole d'exclusivité du brevet, n'est pas l'atelier flexible en lui-même mais un atelier de ce genre, en soi connu, assurant l'interchangeabilité des postes, en sorte que de telles dispositions ne pourraient, selon la cour, constituer l'élément déterminant du choix des acheteurs et utilisateurs ; qu'en réalité, I'objet du brevet lui-même révèlait l'originalité de l'invention dont l'expert ne pouvait réduire la portée sans le dénaturer ; que la cour d'appel a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ; alors, 4 ), que les installations litigieuses ayant été considérées par un arrêt ayant l'autorité de la chose jugée comme procédant d'une contrefaçon du Brevet Y..., ni l'expert ni la cour d'appel ne pouvait, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, considérer que la société Renault Automation avait mis au point des installations différentes, qui avaient une incidence notable sur la décision de l'acheteur ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé I'article 1351 du Code civil ; alors, 5 ), qu'est inopérante la circonstance que certains acheteurs du système Y... n'aient pas utilisé toutes les potentialités de modifications quasi-immédiates de l'ensemble modulaire, dès l'instant que Renault Automation, abandonnant sa technologie actuelle, a préféré utiliser par contrefaçon les modules brevetés pour réaliser ses installations ;
Mais attendu, en premier lieu, que la cour d'appel, qui s'est fondée sur les constatations de l'expert dont elle a expressément entériné le rapport, a motivé sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, qu'après avoir énoncé que si la société Y... pouvait fournir et installer avec l'atelier modulaire flexible qu'elle livrait les robots et postes de travail nécessaires à chaque réalisation, la société RA possédait quant à elle une notoriété plus affirmée et priviligiait au demeurant cet aspect de son savoir-faire, à l'inverse de la société Y... qui apparaîssait avoir mis en évidence non seulement la modularité de son atelier flexible, mais plus encore la faculté d'interchangeabilité qu'il procure des divers postes ou stations successives, pour adapter l'ensemble aux modifications des tâches effectuées dans celui-ci ; que la cour d'appel, qui n'avait pas à suivre la société Y... dans le détail de son argumentation, a, répondant aux conclusions prétendument éludées, pu statuer comme elle l'a fait ;
Attendu, en troisième lieu, que l'arrêt retient que certains éléments étrangers au brevet déposé par M. Y... et propres au système RA ont pu avoir une incidence notable sur la décision de l'acheteur qui a examiné les installations effectivement fournies dans leur ensemble et les caractéristiques spécifiques de tous les éléments entrant dans la réalisation de ces installations ; que la cour d'appel, hors dénaturation de la portée du brevet, a pu, sans méconnaître l'autorité de la chose jugée, statuer comme elle l'a fait ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le troisième moyen, pris en ses quatre branches :
Attendu que M. Y... et la société Y... font encore grief à l'arrêt d'avoir rejeté leur demande en paiement d'indemnité au titre du trouble dans l'exploitation du brevet, alors, selon le pourvoi, 1 ), que la seule citation des observations de l'expert, dont il n'est pas même indiqué qu'elles sont homologués par les juges, ne constitue pas une motivation;
qu'en se bornant à reproduire les observations de l'expert, la cour d'appel a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, 2 ), que même en admettant que les observations de l'expert constituent les motifs de l'arrêt, I'expert s'est contenté d'émettre un doute sur la possibilité qu'aurait eu la société Y..., en l'absence de contrefaçon, à élever sa marge bénéficiaire ; de sorte qu'en se prononçant par des motifs dubitatifs, la cour d'appel a encore violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;alors, 3 ), que la société Y..., faisait valoir, pour prouver que les agissements de Renault l'avait contraint à diminuer ses marges bénéficiaires, que, dès que les actes de contrefaçon ont cessé à la suite du jugement du 21 avril 1988, ses prix de vente moyens avaient pu fortement progresser, passant de 48 137 francs, 51 571 francs et 47 074 francs en 1985, 1986 et 1987 à 60 252 francs en 1989, 65 059 francs en 1990 et 73 627 francs en 1991 qu'elle en déduisait que le chiffre d'affaires manqué devait être réactualisé, en fonction de ces prix, à 19 436 116 francs au lieu de 15 103 735 francs ; qu'en affirmant cependant que la société Y... ne chiffre pas la perte subie du fait des prix bas pratiqués par la société Renault, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions et violé l'article 4 du nouveau Code de procédure civile ;
qu'en ne répondant pas en outre, à ces conclusions et en n'expliquant pas en quoi les éléments précités, ne seraient pas de nature à démontrer que la contrefaçon pratiquée par Renault avait obligé la société Y... à maintenir sa marge bénéficiaire en dessous d'un certain niveau, niveau qu'elle a pu atteindre une fois qu'il a été mis fin à la contrefaçon, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et encore violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ; alors, 4 ), que M. Y... et la société Y... avaient produit à I'appui de leur démonstration une lettre d'un industriel, M. X..., en date du 26 mai 1989, révélant le trouble apporté par l'exposition d'un assemblage contrefait par Renault Automation dans les locaux de la société IBM, et l'atteinte au crédit commercial de la société Y... ; qu'en présence de ces conclusions déterminantes et de ces productions, la cour d'appel se devait de s'expliquer ; qu'en demeurant muette sur ces offres de preuve, la cour d'appel n'a pas motivé sa décision et a, de ce fait, violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu, qu'ayant constaté le caractère non fondé des prétentions de M. Y... et de la société Y..., la cour d'appel, qui n'était pas tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle écartait, a, par une décision motivée, exclusive de tout caractère dubitatif, retenu que les demandeurs ne justifiaient pas du préjudice commercial allégué ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le quatrième moyen, pris en ses deux branches :
Attendu que M. Y... fait grief à l'arrêt d'avoir limité la redevance à 980 000 francs, alors, selon le pourvoi, 1 ), que la "redevance indemnitaire" était, au terme du contrat de licence conclue entre la société Y... et M. Y... le 28 février 1980, "calculée sur le montant total du prix de vente des machines, comportant dans leur ensemble l'application des dispositifs ou procédés objets des brevets ou demandes de brevets, que la licenciée aura fabriqués ou fait fabriquer et vendu ou fait vendre..." ; que le chiffre d'affaires relatif aux sept installations contrefaisantes réalisé par Renault Automation, réévalué en fonction des prix pratiqués par le licencié à la somme de 40 000 000 francs, incluant le montant de la masse contrefaisante et le montant du tout commercial (SIC) ; qu'ainsi la cour d'appel a tout d'abord maconnu le contrat de licence qui fixait l'assiette de la redevance, non seulement à la masse contrefaisante mais aussi au tout commercial ;
qu'elle a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ; alors, 2 ), que la cour d'appel a méconnu les règles de détermination du préjudice, en se refusant implicitement mais nécessairement à tenir compte des prix anormalement bas pratiqués par le contrefacteur ; qu'elle a, ce faisant, violé l'article 1382 du Code civil ;
Mais attendu que l'arrêt, retenant l'évaluation de la masse contrefaisante faite par l'expert, fixe à 10% de cette masse le montant de la "redevance indemnitaire" due à M. Y... ; que par cette estimation souveraine, la cour d'appel n'a méconnu ni les stipulations du contrat de licence inapplicable en l'espèce, ni les dispositions de l'article 1382 du Code civil ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;
Mais sur le cinquième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du Code civil, ensemble l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter la demande en concurrence déloyale, la cour d'appel retient par motifs propres et adoptés que M. Y... et la société Y... ne justifient d'aucun faits distincts de la contrefaçon ;
Attendu qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme le demandaient M. Y... et la société Y..., si la société RA n'avait pas délibérément créé un risque de confusion entre ses produits et ceux de la société Y... en reproduisant dans ses brochures publicitaires les dessins et illustrations techniques de cette société, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ses seules dispositions ayant rejeté la demande fondée sur la concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 19 novembre 1997, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy ;
Condamne la société Renault Automation aux dépens ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de Cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre octobre deux mille.