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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 6 juillet 2022, n° 21/00660

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

EMP (SARL)

Défendeur :

EG Retail France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Balay

Conseiller :

Mme Sappey-Guesdon

Avocats :

Me Pinto, Me Hatet-Sauval , Me Billiemaz

T. com. Paris, du 3 avr. 2017, n° 201306…

3 avril 2017

FAITS ET PROCÉDURE

La société BP France a conclu en novembre 2004 avec la société EMP un contrat type pour mise en location-gérance d'une station-service à Marcoussis, comprenant un mandat de distribution de carburant BP et la location-gérance des activités annexes.

Le 10 décembre 2012, la société Delek, venant aux droits de la société BP a informé la société EMP, de son intention de rompre les relations contractuelles à compter du 25 juin 2013. Cette intention était confirmée par courrier le 6 mars 2013.

La société EMP contestant les conditions financières de cette résiliation, notamment, l'absence de prise en compte des pertes d'exploitation de l'activité de vente de carburants, a assigné la société EFR France (nouvelle dénomination de la société Delek France), par acte du 6 novembre 2013.

Par jugement en date du 3 avril 2017 le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit que les renonciations aux dispositions des articles 1999 et 2000 mentionnées au contrat de location-gérance sont régulières et font la loi des parties ;

- Débouté la société EMP de ses demandes visant les pertes sur mandat ;

- Débouté la société EMP de sa demande au visa de l'article L. 442-6 1 5° du code de commerce ;

- Condamné la société EFR France à payer à la société EMP la somme de 51'372,98 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du jugement avec anatocisme, au titre de l'apurement des comptes, et ordonné à la société EFR France de donner mainlevée de la garantie à première demande du Crédit du Nord donnée en début de contrat ;

- Dit n'y avoir lieu à appliquer les dispositions de l'article 700 CPC ;

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

- Ordonné l'exécution provisoire sans caution ;

- Condamné la société EFR France aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 153,96 € dont 25,22€ de TVA.

Par déclaration en date du 24 avril 2017, la société EMP a interjeté appel de ce jugement.

Par arrêt en date du 5 décembre 2018, la cour d'appel de Paris, statuant publiquement et contradictoirement, a :

- Infirmé le jugement entrepris.

Statuant à nouveau et y ajoutant.

- Condamné la société EFR France (aujourd'hui dénommmée EG Retail France) à payer à la société EMP la somme de 12 000 € à titre de dommages intérêts pour rupture brutale de la relation contractuelle.

- Ordonné une expertise avec mission de :

- Dire si l'exploitation de la station-service donnée en location gérance était déficitaire et préciser depuis quelle date.

- Dire s'il existait dans le même temps des pertes d'exploitation sur l'activité de vente de carburants sous mandat et dans l'affirmative, les chiffrer et en déterminer dans la mesure du possible les causes et l'origine (insuffisance des commissions versées, insuffisance du montant du prix des carburants ne permettant pas de faire face à la concurrence, augmentation de la redevance ou fautes éventuelles de gestion).

- Faire le compte entre les parties.

- Sursis à statuer sur le surplus des demandes ;

- Réservé les dépens.

Sur pourvoi de la société EG Retail France la Cour de cassation, par arrêt du 14 octobre 2020, a :

- Cassé et annulé, sauf en ce qu'il condamne la société EG Retail France, anciennement dénommée EFR France, à payer à la société EMP la somme de 12 000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de la relation contractuelle, l'arrêt rendu le 5 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

- Remis, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

- Laissé à chacune des parties la charge de ses dépens ;

- En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejeté les demandes.

Selon la Cour de cassation,

11. Pour déterminer le montant des pertes financières de la société EMP liées à la seule vente de carburants et leur imputabilité, l'arrêt, après avoir relevé que les documents fournis par la société EMP établissaient la réalité de telles pertes et énoncé que seules les fautes commises dans leur gestion par les exploitants à l'origine des pertes d'exploitation dans le cadre de l'exécution du mandat sont de nature à exonérer le mandant de sa responsabilité, retient qu'il ne peut sérieusement être reproché aux gérants aucune faute de gestion et qu'il convient d'ordonner une mesure d'expertise pour permettre, notamment, de déterminer si ces pertes sont dues à la politique de prix suivie par la société pétrolière, aux conditions qu'elle lui a imposées ou à une éventuelle faute de gestion de l'exploitant.

12. En statuant ainsi, par des motifs contradictoires, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé.

L'expert judiciaire [W] [B] a déposé son rapport le 20 juillet 2020.

Par déclaration de saisine du 30 décembre 2020, la Cour a été saisie sur renvoi.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 18 mai 2022.

MOYENS ET PRÉTENTIONS

Vu les dernières conclusions déposées le 19 avril 2022, par lesquelles la Société EMP, appelante, demande à la Cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à EG Retail France de donner mainlevée de la garantie à première demande au Crédit du Nord ;

- Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné EG Retail France à payer à EMP la somme de 51'372,98 € au titre de l'apurement des comptes entre les parties avec intérêts au taux légal

Statuant à nouveau

- Juger la Société EMP recevable en ses demandes.

- Juger que la société EG Retail France ne peut pas mettre à la charge de la Société EMP les pertes du mandat dont cette dernière n'avait pas la maîtrise.

- Juger que EG Retail France ne peut pas se prévaloir de la clause de renonciation aux articles 1999 et 2000 du code civil, dans la mesure où elle conservait la maîtrise de la fixation des prix, horaires d'ouverture de la station, modalités de livraisons, quantités, stockage, moyens de paiement, modalités de reversement de la recette, etc.

En conséquence, à titre principal,

- Condamner EG Retail France à verser à la Société EMP la somme de 482 550 € au titre du cumul des pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2012, à parfaire dans l'attente des résultats de l'exercice 2013, augmentée des intérêts légaux avec capitalisation à compter du 7 juin 2013, date de la mise en demeure.

- Condamner EG Retail France à verser à la Société EMP la somme de 78'629 € au titre des pertes du mandat essuyées pour l'exercice 2013, avec intérêts légaux avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil à compter du 7 novembre 2017.

A titre subsidiaire,

- Condamner EG Retail France à verser à la société EMP la somme de 243'103 € au titre des pertes cumulées du mandat entre 2008 et 2013 (après correction des postes relatifs aux charges d'eau, grivèleries et salaires et charges qui en dépendent).

En tout état de cause,

- Débouter EG Retail France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- Condamner EG Retail France à apurer les comptes entre les parties et de confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné à EG Retail France de donner mainlevée de la caution donnée par le Crédit du Nord pour le compte de la société EMP y ajoutant une astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir et de condamner EG Retail à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts à ce titre.

- Condamner EG Retail France à verser à la société EMP la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont les frais d'expertise.

- Dire que ces sommes porteront intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code Civil à compter de la demande.

Vu les dernières conclusions déposées le 4 mai 2022, par lesquelles la S.A.S.U. EG Retail France, intimée, demande à la Cour de :

- Juger la société EG Retail France recevable et bien fondée en ses présentes écritures, fins et conclusions,

A titre d'appel incident sur le remboursement de la prime de fin de gérance du solde des recettes de carburant, infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a condamné EFR France à payer à la société EMP la somme de 51'372,98 € au titre de la prime de fin de gérance et a ordonné la mainlevée de la garantie à première demande de 50'000 € donnée par le crédit du Nord dont elle était la bénéficiaire.

- Condamner la société EMP à rembourser à EG Retail France les sommes versées en exécution dudit jugement, notamment celle versée au titre de la prime de fin de gérance, augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la décision à intervenir, et restituer à EG Retail France la somme de 51'372,98 € indûment retenue au titre des recettes de carburant encaissées au nom et pour le compte de EFR France augmentée des intérêts légaux avec anatocisme à compter de la décision à intervenir.

Sur la demande relative à la restitution de la caution,

- Débouter la société EMP de sa demande de condamnation de EG Retail France à ordonner à EG Retail France de donner mainlevée de la caution donnée par le Crédit du Nord pour le compte de la société EMP y ajoutant une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir et de condamner EG Retail France à lui payer la somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts à ce titre.

Sur la demande de remboursement des prétendues pertes au titre du mandat.

A Titre Principal,

- Juger que la société EMP a valablement renoncé aux anciens articles 1999 et 2000 du Code civil, lesquels ne sont pas d'ordre public ;

- Juger que la renonciation aux anciens articles 1999 et 2000 du Code civil n'est pas en contradiction avec les AIP ;

- Juger que la société EMP n'établit pas que les conditions dont le mandant aurait conservé la maîtrise seraient la cause exclusive des pertes dont la société EMP ès qualités de mandant demande l'indemnisation ;

- Juger que la société EMP n'oppose aucune étude des prix à la pompe au soutien de ses demandes d'indemnisation ;

- Juger que la société EMP n'affirme pas et démontre encore moins avoir été victime d'une quelconque discrimination par rapport à d'autres membres du réseau quant à la fixation du prix ;

- Juger que la société EMP n'est pas fondée à soutenir que ses pertes trouvent leur cause dans une faute qu'aurait commise la société EFR France dans la fixation du prix des carburants ;

En conséquence,

- Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a jugé que les renonciations aux dispositions des anciens articles 1999 et 2000 du Code civil mentionnées dans le Contrat de location-gérance sont régulières et font la loi des parties ; et que la société EMP n'apporte pas la preuve que ces prétendues pertes auraient été causées par des conditions dont le mandant aurait conservé la totale maîtrise dont la fixation du prix à la pompe ;

- Confirmer le jugement du Tribunal de Commerce de Paris en date du 3 avril 2017 en ce qu'il a débouté la société EMP de l'ensemble de ses demandes visant les pertes prétendument causées par EFR France ;

A Titre Subsidiaire

- Juger qu'en refusant de restituer les recettes carburant à la résiliation du contrat de location gérance, la société EMP a commis des fautes de gestion qui font obstacle à toute indemnisation ;

- Juger que la société EMP n'apporte pas la preuve certaine des prétendues pertes cumulées au titre du mandat ;

- Juger que le fonds de commerce donné en location-gérance constitue un tout indivisible ;

En conséquence,

- Débouter la société EMP de l'ensemble de ses demandes d'indemnisation des pertes subies par elle au titre de l'exécution du mandat ainsi que le paiement de la prime de fin de contrat ;

A Titre infiniment Subsidiaire

- Juger que la société EMP est mal fondée en ses griefs à l'encontre du rapport de l'Expert judiciaire du 31 juillet 2020 et notamment de son chiffrage des pertes liées au mandat à 80'023 € hors résultat financier et exceptionnel ;

- Juger que la société EMP est mal fondée en sa prétention de considérer que la réalisation de son chiffre d'affaires moyen annuel de 455'000 € hors taxes hors activité de mandat peut être réalisé avec seulement 10-20 % du personnel employé ;

En conséquence,

- Débouter la société EMP de sa demande de condamnation à l'encontre de EG Retail France, à titre principal, au paiement de la somme de 482 550 € au titre du cumul des pertes du mandat essuyées pour les exercices 2008 à 2012 et 78'629 € au titre des pertes du mandat essuyées pour l'exercice 2013, et à titre subsidiaire, au paiement de la somme de 243'103 € au titre des pertes cumulées du mandat entre 2008 et 2013 (après correction des posts relatifs aux charges d'eau, grivèleries et salaires et charges qui en dépendent).

- Arrêter les pertes au titre du mandat à 80'023 € hors résultat financier et exceptionnel ;

En tout état de cause

- Condamner la société EMP au paiement de la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer aux conclusions ci-dessus visées pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties.

La position des parties peut être résumée comme suit.

Malgré sa renonciation dans le contrat au bénéfice des articles 1999 et 2000 du code civil, la société EMP affirme que les commissions allouées par le mandant ne permettaient pas de couvrir les charges d'exploitation liées à la vente des carburants de sorte que le principe d'indemnisation des pertes des mandataires ne disposant pas de la liberté de fixer les prix à la pompe doit s'appliquer car elle n'a pas pu renoncer valablement aux pertes du mandat dont elle n'avait pas la maîtrise.

Pour fixer le montant des pertes, la société appelante affirme que l'activité de vente de carburants doit être isolée dans les comptes, des activités de vente annexes, ce qui justifiait une expertise. Le rapport d'expertise déposé avant que ne soit rendu l'arrêt de cassation partielle, a évalué les pertes du mandat de la société EMP à la somme globale de 80'023 €, ce que l'appelante conteste sur plusieurs points, notamment du fait que l'expert a retenu une clé de répartition de 50/50 % d'affectation au mandat des charges de l'ensemble comprenant la location-gérance. C'est pourquoi, elle propose de retenir la ventilation analytique de chaque exercice, certifiée par son expert-comptable, le cabinet Sellam. Très subsidiairement, elle demande à la Cour de corriger à minima les chiffres retenus par l'expert judiciaire en affectant aux mandats les charges d'eau à 75 %, les grivèleries à 100 %, les salaires et charges salariales à 75 %.

La société EMP soutient qu'il faut procéder à un apurement des comptes conformément aux accords interprofessionnels car l'intimée n'a toujours pas versé la prime de fin de contrat et n'a pas donné mainlevée de la garantie à première demande donnée en début de contrat à BP pour le compte de l'appelante.

La société EG Retail France soutient qu'il est possible de déroger aux articles 1999 et 2000 du code civil et que dans les termes du contrat, la renonciation était en l'espèce claire, précise et non équivoque, avec reproduction des articles, dans des conditions nullement contraires aux A.I.P.

L'intimée expose que la prétention de la société EMP suppose, pour être accueillie, qu'elle rapporte la preuve de la réalité des pertes, et de leur montant, et qu'elle démontre que ces pertes sont directement causées par un élément de l'exploitation dont la maîtrise a été conservée par le mandant, et que la politique des prix du mandant ou autre élément dont la maîtrise a manifestement été conservée par le mandant serait la clause exclusive de ces pertes; elle soutient que ce n'est pas le cas en l'espèce, au motif que les pertes mandat revendiquées par la société EMP ne sont pas établies en ce que l'évaluation unilatérale par son expert-comptable n'est pas recevable, et du fait que les parties ont entendu soumettre leurs relations à un contrat unique, dont l'objet concerne l'exploitation d'un fonds unique de station-service, pris dans son intégralité avec différentes activités imbriquées et interdépendantes, ce qui rend fongibles les éléments qui le composent, sans qu'il y ait lieu de faire une distinction ou séparation entre les activités exercées; elle prétend que la vente de produits dans le cadre d'un mandat ne remet pas en cause l'unité du contrat de location-gérance, n'étant qu'une simple modalité commerciale dans le but d'alléger la trésorerie de l'exploitante, conformément aux A.I.P. qui appréhendent globalement la rémunération du locataire-gérant mandataire. De surcroît, la société intimée affirme qu'il n'y a pas d'éléments de l'exploitation dont la maîtrise était exclusive au mandant, sachant que l'activité de mandat générait moins de 25 % du total du chiffres d'affaires. Elle affirme qu'il n'est pas prouvé que les commissions fixées contractuellement ne permettaient pas de dégager un résultat bénéficiaire, ni que les pertes revendiquées seraient "imputables" exclusivement au mandat et notamment à la politique de prix dont la compagnie pétrolière avait la maîtrise.

La société EG Retail France oppose aussi à la demande les fautes de gestion de la société EMP, notamment le fait d'avoir imprudemment distribué des dividendes les trois premières années d'exercice, et d'avoir refusé de restituer des recettes-carburants pourtant encaissées pour le compte de EG Retail France, procédant d'elle-même à une compensation sans droit.

Concernant l'imputation des charges, la société intimée conteste le caractère probant des comptes ventilés par la société EMP elle-même, fussent-ils certifiés a posteriori par un expert-comptable.

Subsidiairement, elle affirme que pourraient être retenus les chiffres de l'expertise judiciaire ayant arrêté les pertes d'exploitation du mandat à 80 023 €, rejetant les critiques de la société EMP, au demeurant marginales pour l'eau et les grivèleries, et avec détermination pour ce qui concerne les salaires, relevant comme l'expert que le chiffre d'affaires de la boutique ne pourrait pas être réalisé avec seulement 10 à 20 % du personnel de l'entreprise.

Concernant la restitution de la caution, la société intimée affirme avoir ordonné à l'établissement de crédit concerné de procéder à la mainlevée de cette garantie le 22 juin 2017.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la saisine de la cour de renvoi,

La disposition de l'arrêt qui n'est pas annulée par la Cour de cassation est celle relative à la condamnation de la société EG Retail France à payer à la société EMP la somme de 12000 € à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relations contractuelles ; cette disposition n'est donc plus en litige.

Ainsi, toutes les autres dispositions du jugement entrepris sont à nouveau soumises à l'appréciation de la cour d'appel de renvoi :

- Les demandes de réparation des pertes sur mandat.

- L'apurement des comptes.

- La mainlevée de la garantie à première demande.

- Les frais irrépétibles et les dépens.

La Cour est également saisie d'une demande nouvelle en dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait du retard dans la mainlevée de la garantie à première demande.

Sur la demande de réparation des pertes sur mandat.

Aux termes de l'article 1999 du Code civil, le mandant doit rembourser au mandataire les avances et frais que celui-ci a faits pour l'exécution du mandat, et lui payer ses salaires lorsqu'il en a été promis. S'il n'y a aucune faute imputable au mandataire, le mandant ne peut se dispenser de faire ces remboursements et paiements, alors même que l'affaire n'aurait pas réussi, ni faire réduire le montant des frais et avances sous le prétexte qu'ils pouvaient être moindres.

L'article 2000 du même code précise que le mandant doit aussi indemniser le mandataire des pertes que celui-ci a essuyées à l'occasion de sa gestion, sans imprudence qui lui soit imputable.

Le caractère supplétif de ces dispositions permet d'y renoncer. En l'espèce, le contrat a exclu l'application de ces textes part une clause explicite.

Cependant, les parties ne peuvent pas mettre à la charge du mandataire, par la convention, les pertes de l'exploitation dont la maîtrise a été conservée par le mandant ; or, en l'espèce, les prix des carburant étaient fixés par la société pétrolière, de même que les conditions de restitution des recettes à l'exploitant et plus généralement les amplitudes horaires du service des carburants 24 heures sur 24, fixées par le contrat mais nécessitant une procédure très contraignante pour les modifier, avec baisse des commissions.

Ainsi, en l'espèce, le mandataire doit sortir indemne de sa gestion sauf le cas où une imprudence lui serait imputable, dès lors que les pertes ont pour seule origine la politique des prix pratiqués par le mandant.

En premier lieu, le défaut de restitution de recettes liées au carburant en fin de mandat, au moment de la rupture, par l'effet d'une rétention et d'une compensation décidée unilatéralement avec la prime de fin de contrat, doit être apprécié dans le contexte tendu de la rupture des relations contractuelles et des discussions sur l'apurement des comptes ; il ne constitue pas une faute de gestion dans l'exécution du mandat, qui serait privative du droit d'être indemnisé des pertes.

En deuxième lieu, la distribution de dividendes par la société EMP, alors que ses résultats d'exploitation étaient bénéficiaires, ne constitue à l'évidence pas une faute de gestion pouvant la priver du droit d'être indemnisée de la perte objective liée à l'activité de distribution de carburant sous mandat. Cette question intéresse seulement la preuve de la réalité des pertes litigieuses et de leur montant.

Il résulte des constatations qui précèdent qu'aucune faute de gestion ne peut être imputée à la société EMP, de sorte que la société EG Retail France sera tenue de l'indemniser du montant total des pertes en lien direct et exclusif avec le mandat de distribution de carburant.

Pour apprécier le montant de ces pertes, la Cour avait ordonné une expertise. Les données du rapport d'expertise déposé par Monsieur [W] [B] seront utilisées à titre de simple renseignement, puisque l'arrêt de la cour d'appel ayant désigné cet expert a été annulé, étant observé que les parties s'y réfèrent sans réserve, sauf leurs critiques de fond.

Il n'est pas contesté que la station-service à l'enseigne BP située sur la voie expresse La francilienne à [Localité 6] est dotée d'un espace boutique, à côté de la vente de carburant. La station-service est ouverte 24 heures sur 24,7 jours sur 7, toute l'année et fonctionne comme une station autoroutière avec un effectif permanent de 7 salariés à temps plein ou partiel incluant la gérance ; elle est équipée d'une caisse dédiée aux ventes de nuit.

L'expert décrit sa méthodologie page 16 du rapport en indiquant que certains produits et charges de la comptabilité ne soulèvent pas de difficultés pour être affectés à l'une ou l'autre des activités. Pour d'autres, il a déterminé une clé de répartition variable à partir des informations communiquées par les parties sur le fonctionnement de la station-service et il propose d'affecter au mandat +- 89 % selon les exercices en fonction du montant des encaissements pour traiter les produits et charges liées aux services de caisse, 55 % pour les charges de personnel, 50 % pour la gérance et les diverses autres charges formant un tout difficile à diviser compte tenu notamment de l'interdépendance des activités, représentant la répartition par défaut, qui s'applique en outre charges communes d'un montant annuel inférieur à 500 €, sans prendre en compte les opérations exceptionnelles comme les primes de fin de gérance et les primes exceptionnelles versées aux gérants.

La méthodologie de l'expert doit être approuvée, qui a consisté à déterminer les produits et charges de chacune des deux activités, en vérifiant la cohérence des résultats.

Les critiques que les parties formulent dans leurs conclusions, après expertise, reproduisent pour l'essentiel les positions exprimées dans les dires que l'expert a analysés, et auxquels il répond formellement aux pages 30 et suivants de son rapport auquel il convient de se reporter pour une analyse complète.

L'avis de l'expert sur la répartition des charges d'eau doit être approuvé, car il est difficile d'affirmer que la boutique, son entretien, le service de la petite restauration, les services de douches et toilettes, consommerait moins d'eau que le seul nettoyage des pistes.

De même sa répartition par moitié des charges liées aux grivèleries se justifie par l'impossibilité d'affirmer que les vols ou disparitions dans la boutique n'auraient pas d'incidence sur les résultats en raison de la variation des stocks, alors que l'expert a souligné qu'il ne trouvait pas de lignes comptables dédiées à ces difficultés, permettant de vérifier.

Le taux des salaires et charges de personnel affecté au mandat de vente de carburants pour 55 % doit être approuvé car c'est bien l'obligation d'ouvrir la station 24 heures sur 24 qui justifie ces charges, et la possibilité anecdotique de vendre à cette occasion quelques produits de la boutique qui est fermée la nuit ne peut pas être prise en considération. De même faut-il approuver la répartition à 50/50 % de la rémunération de la gérance compte tenu de l'unité du fonds de commerce. Cette répartition est cohérente avec les chiffres d'affaires réalisés au titre de l'activité de diversification.

En définitive, l'avis de l'expert qui n'est pas autrement critiqué, sera entièrement adopté, en ce qu'il repose sur une motivation détaillée que la Cour adopte; il en résulte que des pertes sur l'activité de mandat de vente de carburant sont établies et s'expliquent en tout ou partie par un environnement concurrentiel marqué par la stratégie de la grande distribution en matière de ventes de carburant a bas prix, le positionnement tarifaire de BP sur le marché pouvant conduire à une limitation des ventes ou du ticket moyen par client, l'obligation d'ouverture 24 heures sur 24, coûteuse au regard des ventes réalisées durant la nuit, alors que les niveaux du commissionnement du mandataire et de la redevance locative versée au mandant ne permettent pas de couvrir les coûts engagés pour assurer la distribution du carburant, en particulier les coûts salariaux.

La perte sur mandat doit être fixée au montant de 80 023 € au cours des exercices 2008/2009 à 2012/2013, selon le détail suivant :

Affectation du résultat d'exploitation à la vente de carburant vente de carburant.

Chiffre d'affaires

848 497

Autres produits d'exploitation

22 640

Total "produits"

871 137

Achats de marchandises

0

Autres achats et charges externes

- 305 965

lmpots et taxes (32 868)

- 24 515

Charges de personnel - gérance

- 582 009

Autres charges

- 38 671

Résultat d'exploitation

- 80 023

Cette somme portera intérêts au taux légal, suivant le détail résultant du tableau figurant en page 28 du rapport d'expertise, à compter de la mise en demeure du 7 juin 2013 sur la base de 66 699 € correspondant aux pertes cumulées de 2008 à 2012 et sur la base de 13323 € correspondant aux pertes de 2013 à compter de la réclamation par conclusions du 7 novembre 2017, capitalisés annuellement suivant la demande de la société EMP.

Sur l'apurement des comptes et la mainlevée de la garantie.

Le jugement rendu le 3 avril 2017 par le tribunal de commerce de Paris a condamné la société EFR France à payer à la société EMP la somme de 51 372,98 € avec intérêts au taux légal à compter du jugement avec anatocisme, au titre de l'apurement des comptes, et lui a ordonné de prononcer la mainlevée de la garantie à première demande de 50 000 € donnée par le Crédit du Nord dont elle était la bénéficiaire.

La société EG Retail France conteste sa condamnation pécuniaire mais affirme avoir donné mainlevée de la caution bancaire, ne contestant pas la disposition du jugement qui doit être confirmée par adoption de motifs.

La somme de 51'372,98 € correspond au montant de la prime de fin de contrat instituée par l'article 5.3 du chapitre V des accords interprofessionnels. Son montant n'est pas discuté par les parties.

Le défaut de restitution de recettes liées au carburant en fin de mandat, au moment de la rupture, par l'effet d'une compensation décidée unilatéralement avec la prime de fin de contrat, et par l'exercice d'un droit de rétention des recettes jusqu'à l'apurement des comptes, ne constitue pas une faute de gestion dans l'exécution du mandat, qui serait privative du droit de percevoir la prime de fin de contrat.

La demande de dommages-intérêts pour mainlevée tardive du cautionnement doit être rejetée à défaut de preuve d'un préjudice.

Sur les dépens et frais irrépétibles

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société EG Retail France qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise judiciaire ; et par application de l'article 700 du code de procédure civile, en équité, la société EG Retail France devra indemniser la société EMP de ses frais irrépétibles en lui payant la somme de 15 000 €.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort.

Infirme partiellement le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris.

Le confirme en sa disposition par laquelle il a condamné la société EFR France à payer à la société EMP la somme de 51 372,98 €, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date du jugement avec anatocisme, au titre de l'apurement des comptes, et ordonné à la société EFR France de donner mainlevée de la garantie à première demande du Crédit du Nord dont elle était bénéficiaire.

L'infirme pour le surplus, dans les limites de la saisine sur renvoi de cassation, et statuant à nouveau, et y ajoutant,

Déboute la société EMP de sa demande de dommages-intérêts.

Condamne la société EG Retail France à payer à la société EMP au titre des pertes en lien direct et exclusif avec le mandat de distribution de carburant, la somme de 80 023 € avec intérêts au taux légal à compter du 7 juin 2013 sur la base de 66 699 € et sur la base de 13323 € à compter du 7 novembre 2017, capitalisés annuellement.

La condamne à lui payer la somme de 15 000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles.

La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et dit qu'ils comprendront les frais d'expertise judiciaire.