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Décisions

CA Chambéry, 1re ch. sect. 1, 5 juillet 2022, n° 21/02374

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SN Diffusion (SAS)

Défendeur :

Ecoway GMBH (Sté.), Alex Auto (SARL), Safir Auto (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ficagna

Conseillers :

Mme Fouchard, Mme Real Del Sarte

Avocats :

Selarl Bollonjeon, Selarl Marg Egyg & Co, SCP Visier Philippe

T. com. Chambery, du 19 nov. 2021, n° 20…

19 novembre 2021

Il a été procédé au rapport.

La société SN Diffusion est un distributeur de véhicules automobiles multimarques qui a signé un contrat de distribution exclusive de véhicules électriques Seres de la société chinoise Sokon, contrat entré en vigueur le 14 janvier 2021.

Considérant que la responsabilité de la société Alex Auto et de la société Safir auto pouvait être engagée pour des agissements illicites et des actes de concurrence déloyale, la société SN Diffusion a obtenu dans le cadre d'une ordonnance rendue le 27 avril 2021, et en l'absence du contradictoire, des mesures d'instruction consistant principalement en la saisie de documents d'achats et de ventes de véhicules de la marque chinoise Seres au siège de la société Alex Auto.

Cette ordonnance a été exécutée par Me [L], huissier de justice, le 26 mai 2021.

Par actes en date des 17 juin 2021 et 18 juin 2021, la société SN Diffusion a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Chambéry aux fins d'obtenir la communication des éléments et pièces saisis en faisant assigner les sociétés Alex Auto, Safir auto et l'huissier de justice.

Par acte en date du 10 août 2021 les sociétés Alex Auto et Safir auto ont fait assigner devant le juge des référés du tribunal de commerce de Chambéry la société SN Diffusion en sollicitant la rétractation de l'ordonnance du 27 avril 2021.

Par ordonnance en date du 19 novembre 2021, le juge des référés a :

Ordonné la rétractation de l'ordonnance rendue le 27 avril 2021 par le président du tribunal de commerce de Chambéry,

Rejeté toutes les demandes de la société SN Diffusion,

Dit que la Selarl Jonathan Deflin et [Y] [L] devra restituer dans un délai de quinze jours l'ensemble des documents saisis ou justifier de leur destruction sous la condition qu'il n'y ait pas de documents originaux,

Condamné la société SN Diffusion à payer aux sociétés Alex Auto et Safir auto chacune la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Mis les dépens à la charge de la société SN Diffusion.

Cette dernière a interjeté appel de la décision.

Aux termes de ses conclusions en date du 3 février 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'exposé des moyens, la société SN Diffusion demande à la cour de :

Vu les articles 145 et 700 du code de procédure civile,

' Recevoir la société SN Diffusion en ses écritures et ses demandes,

' Juger que le juge des référés qui a rendu l'ordonnance critiquée du 19 novembre 2021 n'est pas le juge des requêtes ayant rendu l'ordonnance d'autorisation des mesures d'investigation du 27 avril 2021, et qu'il était donc dépourvu du pouvoir juridictionnel pour ordonner la rétractation de cette dernière ordonnance,

En conséquence,

' Annuler l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Chambéry le 19 novembre 2021,

Et statuant à nouveau,

' Juger que les conditions de l'article 145 du code procédure civile sont remplies, et que la société SN Diffusion dispose d'un intérêt légitime à faire constater les faits et saisir les éléments énumérés dans sa requête sur la base de laquelle le juge des requêtes du tribunal de commerce de Chambéry a rendu son ordonnance du 27 avril 2021,

' Lever le séquestre et autoriser la communication par la société Jonathan Deflin et [Y] [L] des éléments et pièces ayant fait l'objet de son procès-verbal de constat réalisé le 26 mai 2021 à la société SN Diffusion,

' Débouter les sociétés Alex auto et Safir auto de leurs demandes, fins et prétentions,

Si par extraordinaire la cour ne devait pas annuler l'ordonnance critiquée,

' Juger que les conditions de l'article 145 du code procédure civile sont remplies, et que la société SN Diffusion dispose d'un intérêt légitime à faire constater les faits et saisir les éléments énumérés dans sa requête sur la base de laquelle le Juge des requêtes du Tribunal de commerce de Chambéry a rendu son ordonnance du 27 avril 2021,

' Infirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Chambéry le 19 novembre 2021 en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu'il a :

- ordonné la rétroaction de l'ordonnance n° 2021O00553 rendue le 27 avril 2021 par le Président du tribunal de commerce de Chambéry,

- rejeté toutes les demandes de la société SN Diffusion,

- dit que la Sarl Jonathan Deflin et [Y] [L] devra restituer dans un délai de 15 jours l'ensemble des documents saisis ou justifier de leur entière destruction, sous la condition qu'il y n'y ait pas de documents originaux,

- condamné la société SN Diffusion à payer à la société Alex Auto la somme de 800 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société SN Diffusion à payer à la société Safir auto la somme de 800 euros à titre d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- mis les dépens à la charge de la société SN Diffusion,

Et statuant à nouveau,

' Lever le séquestre et autoriser la communication par la Selarl Jonathan Deflin et [Y] [L] des éléments et pièces ayant fait l'objet de son procès-verbal de constat réalisé le 26 mai 2021 à la société SN Diffusion,

' Débouter les sociétés Alex auto et Safir auto de leurs demandes, fins et prétentions,

En tout état de cause,

' Condamner les sociétés Alex auto et Safir auto à payer chacune à la société SN Diffusion une somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, au profit de Me Audrey Bollonjeon, avocat associé de la Selurl Bollonjeon, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Les sociétés Alex auto et Safir auto n'ont pas constitué avocat devant la cour.

L'ordonnance de clôture est en date du 4 avril 2022.

Par conclusions en date du 15 avril puis du 6 mai 2022 la société Ecoway Gmbh, société de droit allemande, est intervenue à la procédure en formant les prétentions suivantes :

Vu les articles 554, 31, 3é-1 et 145 du code de procédure civile,

' Révoquer l'ordonnance de clôture,

' Dire et juger la société Ecoway recevable et bien fondée dans son intervention volontaire,

' Confirmer l'ordonnance de référé rendu par le président du tribunal de commerce de Chambéry le 19 novembre 2021,

' Condamner la société SN Diffusion à payer à la société Alex auto et la société Safir Auto la somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

En réponse, la société SN diffusion a fait notifier le 9 mai 2012, des conclusions de procédure n° 2 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- Recevoir la société SN Diffusion en ses écritures et ses demandes,

A titre principal

- Constater que la société Ecoway Gmbh a fait signifier le 16 avril 2022, des conclusions d'intervention volontaire alors que la procédure a été clôturée par ordonnance du 4 avril 2022, et que l'audience des plaidoiries a été fixée au 10 mai 2022,

En conséquence,

- Juger que cette intervention volontaire dilatoire est contraire aux principes de loyauté et de la contradiction, et qu'elle est donc irrecevable,

A titre subsidiaire,

- Constater que la société Ecoway Gmbh a fait signifier le 16 avril 2022, des conclusions d'intervention volontaire alors que la procédure a été clôturée par ordonnance du 4 avril 2022,

En conséquence,

- Juger que cette intervention volontaire est irrecevable car postérieure à la clôture de la procédure,

- Débouter la société Ecoway Gmbh de sa demande de rabat de l'ordonnance de clôture

A titre infiniment subsidiaire,

- Constater que la société Ecoway Gmbh sollicite la rétraction d'une ordonnance ayant autorisé des mesures d'instruction à l'encontre des sociétés tierces Alex Auto et Safir Auto, et qu'elle ne dispose d'aucun intérêt à agir à ce titre, et que son intervention ne présente aucun lien avec les prétentions de ces dernières qui sont défaillantes dans le cadre de la présente instance,

En conséquence,

- Juger que les demandes d'Ecoway Gmbh sont irrecevables,

En tout état de cause,

- Condamner la société Ecoway Gmbh à payer à la société SN Diffusion une somme de 3.000 euros en application de l'article 700 du Code de Procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens liés à l'incident de procédure.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'intervention volontaire de la société Ecoway

L'article 554 du code de procédure civile énonce : « Peuvent intervenir en cause d'appel, dès lors qu'elles y ont intérêt, les personnes qui n'ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité. »

Selon l'article 802 du code de procédure civile, si après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, sont cependant recevables notamment les demandes en intervention volontaire.

L'article 803, al. 2 du code de procédure civile prévoit que la demande en intervention volontaire peut justifier la révocation de l'ordonnance de clôture, à la condition néanmoins que le tribunal ne soit pas en mesure de statuer sur le tout de l'affaire, sans que cette nouvelle demande ne soit instruite.

La révocation de l'ordonnance de clôture par le juge, dans cette circonstance, n'est qu'une simple faculté.

En l'espèce, la société Ecoway intervient à l'instance pour solliciter la rétractation d'une ordonnance ayant autorisé des mesures d'instruction à l'encontre des sociétés Alex auto et Safir auto, au motif qu'elle serait indirectement visée par la société SN diffusion dans le cadre de cette procédure.

Force est de constater que s'agissant de mesures d'instruction, autorisées sur requête de la société SN diffusion, visant des sociétés tierces qui ont sollicité et obtenu du juge des requêtes, la rétractation de l'ordonnance sur requête du 27 avril 2021, qui sont intimées et défaillantes dans le cadre de la présente instance, la société de droit allemand Ecoway ne justifie d'aucun intérêt à agir, son intervention ne présentant aucun lien avec les prétentions des sociétés Alex auto et Safir auto.

Elle sera déclarée irrecevable en son intervention.

Sur la nullité de l'ordonnance déférée

Selon l'article 496, alinéa 2, du code de procédure civile, « S'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui a rendu l'ordonnance ».

L'article 497 du même code précise que : « Le juge a la faculté de modifier ou de rétracter son ordonnance, même si le juge du fond est saisi de l'affaire ».

L'instance en rétractation d'une ordonnance rendue sur requête a une nature particulière : elle n'est en effet pas une voie de recours et a pour seul objet de soumettre à l'examen d'un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées à l'initiative d'une partie en l'absence de son adversaire, la saisine du juge de la rétractation se trouve limitée à cet objet.

Il est par ailleurs constant que ;

- Le juge de la rétractation n'est pas nécessairement la même personne physique que le juge des requêtes.

- Le juge des requêtes, saisi d'une demande de rétractation ne peut statuer qu'en référé, en exerçant les pouvoirs que lui confère exclusivement l'article 496, alinéa 2, du code de procédure civile, peu important que l'assignation soit intitulée « assignation en la forme des référés » Ainsi, la forme de la saisine du juge de la rétractation est indifférente, dès lors que c'est bien le juge des requêtes qui a été saisi.

Enfin, les pouvoirs du juge de la rétractation sont limités à ceux du juge des requêtes puisque sa saisine a pour objet limité de soumettre à un débat contradictoire les mesures initialement ordonnées, sans les conditions classiques du référé que sont l'urgence, un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite ou l'absence de contestation sérieuse

En l'espèce, par assignation du 10 août 2021, les sociétés Alex auto et Safir Auto ont bien saisi, le juge de la rétractation statuant en référé sur le fondement de l'article 496 alinéa 2.

Si par ordonnance en date du 15 octobre 2021, il a été ordonné la jonction de l'instance avec celle initiée par la société SN Diffusion en vue de la communication des éléments saisis, jonction qui constitue une simple mesure d'administration judiciaire, il n'en demeure pas moins que l'ordonnance déférée statue bien dans le cadre de l'article 496 précité et non dans le cadre d'un référé classique, de sorte qu'elle est parfaitement valable.

La demande de nullité de l'ordonnance du 19 novembre 2021, sera dès lors rejetée.

Sur la demande de rétractation

Selon l'article 145 du code de procédure civile, « s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé

sur requête ou en référé ».

Selon l'article 874 et 875 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête toute mesure urgente lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

L'article 493 énonce que « l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans le cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse ».

Selon l'article 494 la requête et l'ordonnance doivent être motivées.

En application de l'article 496 alinéa 2 du même code, «'s'il est fait droit à la requête, tout intéressé peut en référer au juge qui rendu l'ordonnance ».

Le requérant doit effectuer une double démonstration, dans sa requête : l'existence d'un motif légitime et de circonstances spéciales justifiant la dérogation au principe du contradictoire.

Faute de motivation contenue dans la requête et l'ordonnance qui renvoie à la requête, l'ordonnance sur requête doit être rétractée et la restitution des documents saisis et placés sous séquestre ordonnée.

Sur le motif légitime

L'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès « en germe » possible, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui.

Ainsi que l'a rappelé à bon droit le premier juge, le motif légitime s'apprécie en fonction des critères suivants :

- du caractère plausible et suffisamment caractérisé des faits dont la preuve est recherchée et de leur pertinence pour la solution d'un litige futur,

- du caractère suffisamment déterminable de ce litige futur, son objet et sa cause devant être identifiables et cohérents,

- de la nécessité des preuves recherchées et de l'impossibilité de les obtenir autrement.

En l'absence d'élément nouveau, c'est par une motivation pertinente que la cour adopte expressément, que le premier juge a relevé que :

- L'accord de distribution des véhicules entré en vigueur le 14 janvier 2021 ne s'applique pas aux commandes antérieures et en cours à cette date.

- Le contrat de distribution exclusive dont se prévaut la société SN distribution ne comporte que l'obligation pour la société Sokon de ne livrer sur le territoire français que la société SN distribution (France, Andorre, Monaco).

Il en résulte que d'autres sociétés se trouvant en France peuvent parfaitement s'approvisionner auprès de sociétés qui importent légalement les véhicules de marque Seres sur le territoire de l'Union européenne.

La jurisprudence admet, de longue date, qu'un distributeur indépendant puisse acheter à un tiers des produits relevant d'une distribution exclusive par un approvisionnement parallèle puis les revende sans commettre un acte de concurrence déloyale.

Les sociétés Alex Auto et et Safir auto ont indiqué avoir acquis en qualité de distributeurs indépendants, les véhicules de la marque Seres auprès de la société de droit allemand Ecoway Gmbh, anciennement dénommée Nicecar driver Gmbh, ce qui n'est pas un acte de concurrence déloyale.

La société SN diffusion ne produit pas d'élément démontrant que depuis le 14 janvier 2021, elle aurait une position de distributeur exclusif à l'égard des distributeurs indépendants tels que les sociétés Alex auto et Safir Auto.

Aucune mise en demeure n'a été adressée auxdites sociétés alors que la société SN Diffusion a adressé des mises en demeures aux société Edrive, Nicecardriver et Ecoway qui semblent à l'origine du réseau de distribution contesté par elle.

Il sera ajouté que la requête présentée contre les sociétés Alex auto et Safir auto a manifestement pour but de recueillir des éléments en vue d'un futur litige à l'encontre, non pas de ces dernières mais de leur fournisseur, et de contourner la difficulté rencontrée par la société SN Diffusion résultant du fait que les sociétés Nicecardriver et Ecoway ont leur siège social en Allemagne.

C'est dès lors à juste titre que le premier juge, considérant qu'il n'y avait pas à l'encontre des sociétés Alex auto et Safir auto une manifestation de concurrence déloyale suffisamment étayée pour justifier en urgence et sans contradictoire une saisie de données telle qu'autorisée par l'ordonnance sur requête du 27 avril 2021, a rétracté cette dernière.

L'ordonnance déférée sera ainsi confirmée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par défaut,

Déclare la société de droit allemand Ecoway Gmbh irrecevable en son intervention volontaire, faute d'intérêt à agir,

Rejette la demande de nullité de l'ordonnance déférée,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société SN Diffusion aux dépens exposés en appel.