Cass. 3e civ., 30 juin 2022, n° 21-20.127
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteurs :
Mme Andrich, M. David
Avocat général :
M. Sturlèse
Avocats :
SCP Piwnica et Molinié, SCP Foussard et Froger
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 1er juillet 2021), rendu en référé, M. [Z], aux droits duquel se trouvent M. et Mme [I] (les bailleurs), a donné à bail commercial à la société Odalys résidences (la locataire) deux lots d'une résidence de tourisme.
2. En raison des mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, la locataire a, du 14 mars au 2 juin 2020, cessé son activité dans la résidence.
3. Le 26 mars 2020, elle a informé les bailleurs de sa décision d'interrompre le paiement du loyer et des charges à compter du 14 mars 2020.
4. Les bailleurs ont assigné la locataire en paiement d'une provision correspondant à l'arriéré locatif.
Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexés
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le second moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
6. La locataire fait grief à l'arrêt de la condamner à payer une certaine somme au titre des loyers impayés, alors « que le juge des référés peut accorder une provision dans les cas où l'obligation n'est pas sérieusement contestable ; que tranche une contestation sérieuse le juge des référés qui apprécie si les circonstances ayant entraîné l'indisponibilité des lieux loués, qui ne pouvaient plus être utilisés conformément à leur destination contractuelle, justifient ou non la suspension du paiement des loyers ; que la société [Adresse 6] soutenait que son obligation au paiement du loyer était contestable, sur le fondement de l'exception d'inexécution, dès lors que les bailleurs avaient été dans l'impossibilité, pendant toute la période considérée, d'exécuter leur obligation de délivrance et d'assurer la jouissance paisible des lieux loués conformément à la destination prévue au bail ; qu'ils ajoutaient que l'impropriété des lieux à l'objet prévu au bail s'analysait en outre en perte partielle de la chose louée, et que les bailleurs avaient manqué à leur obligation de bonne foi en réclamant le paiement de loyers afférents à des périodes durant lesquelles les lieux loués ne pouvaient être utilisés conformément à leur destination contractuelle ; qu'en énonçant, pour dire que l'obligation au paiement des loyers n'était pas sérieusement contestable, qu'il ne pouvait être reproché aux bailleurs un manquement à leur obligation de délivrance, que les restrictions résultaient de mesures législatives et réglementaires concernant tous les bailleurs se trouvant dans la même situation, tandis qu'aucun texte ne dispensait les locataires du règlement des loyers, et que les locaux n'avaient subi aucune perte, le juge des référés, qui a apprécié la nature et l'étendue des obligations contractuelles et la gravité du manquement du preneur au regard des circonstances pouvant justifier qu'il cesse le règlement des loyers en l'état de l'indisponibilité avérée des lieux loués, a tranché des contestations sérieuses et violé l'article 835 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
7. Par application de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, l'état d'urgence sanitaire a été déclaré sur l'ensemble du territoire national.
8. En application de l'article 3, I, 2°, du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 et du décret n° 2020-423 du 14 avril 2020 le complétant, jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile a été interdit à l'exception des déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité.
9. Edictée pour limiter la propagation du virus par une restriction des rapports interpersonnels, l'interdiction de recevoir du public, sur la période du 17 mars au 10 mai 2020, prévue par les arrêtés des 14 et 16 mars 2020 du ministre des solidarités et de la santé, ainsi que par les décrets précités, résulte du caractère non indispensable à la vie de la Nation et à l'absence de première nécessité des biens ou des services fournis.
10. Par suite, cette interdiction a été décidée, selon les catégories d'établissement recevant du public, aux seules fins de garantir la santé publique.
11. L'effet de cette mesure générale et temporaire, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être, d'une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu'il ne peut leur être reproché un manquement à leur obligation de délivrance, d'autre part, assimilé à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.
12. Ayant relevé que les restrictions résultant des mesures législatives et réglementaires prises dans le cadre de la crise sanitaire n'étaient pas imputables au bailleur et n'emportaient pas perte de la chose, la cour d'appel, saisie en référé d'une demande en paiement d'une provision, n'a pu qu'en déduire que l'obligation de payer le loyer n'était pas sérieusement contestable.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi.