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Décisions

CA Rennes, 4e ch., 7 juillet 2022, n° 20/05418

RENNES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Kaumfan &amp ; BROAD PROMOTION 6 (SNC)

Défendeur :

Sopra (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Rauline

Conseillers :

Mme Delapierregrosse, Mme Malardel

Avocats :

Me Peltier, Me Mercier

T. com. Rennes, du 13 octobre 2020

13 octobre 2020

FAITS ET PROCÉDURE

La société Kaufman & Broad Promotion 6 (KBP6) a fait construire un bâtiment collectif d'habitation de vingt-quatre logements situé [Adresse 2] sous la maîtrise d'oeuvre de la société A'Dao Architecture.

Selon marché du 2 octobre 2018, le lot fondations spéciales gros-oeuvre a été attribué à la société Kotan Habitat pour un montant de 984 000 euros TTC.

Le 15 novembre 2018, cette dernière a accepté les prix et modalités de transport des armatures et treillis soudés de la société Sopra.

Le 27 mai 2019, elle a été placée en redressement judiciaire.

Le 28 mai 2019, une délégation de paiement pour un montant de 45 533,19 euros a été régularisée entre la société Kaufman & Broad Promotion 6, la société Kotan Habitat et la société Sopra.

La société Sopra a présenté deux factures, les 31 mai et 20 juin 2019, pour des montants respectifs de 34 945,43 euros TTC et 10 587,76 euros TTC. Aucun règlement n'est intervenu.

Le 10 juillet 2019, la procédure de redressement judiciaire de la société Kotan Habitat a été convertie en liquidation judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Rennes.

Le 15 juillet 2019, la société Sopra a déclaré sa créance pour un montant de 45 533,19 euros au passif de la liquidation judiciaire de la société Kotan Habitat.

Le 31 juillet 2019, la KBP6 a déclaré une créance de 567 950 euros TTC.

Une mise en demeure du 26 septembre 2019 de la société Sopra à la société KBP6 de lui régler ses factures impayées étant restée vaine, par acte d'huissier en date du 10 janvier 2020, elle l'a fait assigner avec la Kaufman & Broad Bretagne devant le tribunal de commerce de Rennes.

Par un jugement en date du 13 octobre 2020, le tribunal de commerce de Rennes a :

- dit que la société Sopra a bien le statut de sous-traitant, ce qui lui permet de bénéficier des dispositions de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;

- débouté la société Sopra de toute demande faite à l'égard de la société Kaufman & Broad Bretagne et mis cette société hors de cause ;

- condamné la société Kaufman & Broad Promotion 6 à payer à la société Sopra la somme de 45 553,19 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2019, date de réception de la mise en demeure ;

- dit qu'aucune exception ne peut être opposée à la société Sopra ;

- condamné la société Kaufman & Broad Promotion 6 à payer à la société Sopra la somme de 3000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et l'a déboutée de ses prétentions à ce titre ;

- dit qu'il n'y a pas à statuer sur la demande d'exécution provisoire ;

- condamné la société Kaufman & Broad Promotion 6 aux entiers dépens de l'instance.

Les sociétés Kaufman & Broad Promotion 6 et Kaufman & Broad Bretagne ont interjeté appel de cette décision le 9 novembre 2020.

L'instruction a été clôturée le 5 avril 2022.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions en date du 2 août 2021, au visa de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance et des articles 1336 et suivants du code civil, la société Kaufman & Broad Promotion 6 demande à la cour de :

- débouter la société Sopra de toutes ses demandes fins et conclusions ;

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 13 octobre 2020 en ce qu'il a :

- reconnu la qualité de sous-traitant à la société Sopra ;

- rejeté les moyens opposés par la société KBP6 notamment celui de l'opposabilité des exceptions ;

- condamné KBP6 à régler la somme de 45 553,19 euros avec intérêts légaux ;

- condamné la société KBP6 aux frais irrépétibles et dépens ;

Statuant à nouveau de ces chefs,

- déclarer irrecevables toutes les demandes de la société Sopra présentées contre la société Kaufman & Broad Promotion 6 en ce qu'elles sont fondées sur la loi du 31 décembre 1975 ;

- débouter la société Sopra de toutes ses demandes sur quelque fondement de ce soit même celui de la délégation de paiement ;

- condamner la société Sopra à verser la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Sopra aux dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions en date du 7 mai 2021, au visa des articles 12 et 14 de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, des articles 1231-6, 1336 et suivants du code civil, la société Sopra demande à la cour de :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

- dit que la société Sopra a bien le statut de sous-traitant, ce qui lui permet de bénéficier des dispositions de la loi n°75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance ;

- débouté la société Sopra de toute demande faite à l'égard de la société Kaufman & Broad Bretagne et mis cette société hors de cause ;

- condamné la société Kaufman & Broad Promotion 6 à payer à la société Sopra la somme de 45 553,19 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2019, date de réception de la mise en demeure ;

- dit qu'aucune exception ne peut être opposée à la société Sopra ;

- condamné la société Kaufman & Broad Promotion 6 à payer à la société Sopra la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et l'a déboutée de ses prétentions à ce titre ;

- dit qu'il n'y a pas à statuer sur la demande d'exécution provisoire ;

- condamné la société Kaufman & Broad Promotion 6 aux entiers dépens de l'instance ;

Ce faisant, et que ce soit au titre de l'action directe ou de la délégation de paiement,

- condamner solidairement les sociétés Kaufman & Broad Bretagne et Kaufman & Broad Promotion 6 à verser à la société Sopra de la somme de 45 553,19 euros à la société Sopra avec intérêts au taux légal à compter du 30 septembre 2019, date de réception de la mise en demeure ;

- rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions des sociétés Kaufman & Broad Bretagne et Kaufman & Broad Promotion 6 ;

Au surplus,

- condamner solidairement les sociétés Kaufman & Broad Bretagne et Kaufman & Broad Promotion 6 à verser à la société Sopra la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner solidairement les mêmes aux dépens ;

- ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir.

MOTIFS

Les demandes de la société Sopra contre la société Kaufman et Broad Bretagne qui a formé appel mais n'a pas conclu sont irrecevables puisqu'elles ne lui ont pas été signifiées.

Sur l'action directe

L'article 12 de la loi du 31 décembre 1975 prévoit que « Le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l'ouvrage.

Toute renonciation à l'action directe est réputée non écrite.

Cette action directe subsiste même si l'entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites.

Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 1799-1 du code civil sont applicables au sous-traitant qui remplit les conditions édictées au présent article. »

L'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 dispose que « l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande».

Sur la qualité de la société Sopra

La société Kaufman & Broad Promotion 6 soutient que l'intimée n'a conclu avec la société Kotan qu'un contrat de fourniture de treillis soudés standard d'usage commun sans particularité de sorte que la qualité de sous-traitante ne peut lui être reconnue.

La société Sopra réplique que les matériaux qu'elle a fournis à la société Kotan sont spécifiques et ont été spécialement conçus pour le chantier, que sa qualité de sous-traitante doit donc être retenue.

Selon l'article 1 de la loi du 31 décembre 1975, « la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise ou d'une partie du marché public conclu avec le maître de l'ouvrage. »

Il est constant que l'existence d'un contrat de sous-traitance est reconnue en cas de fourniture d'un produit individualisé, façonné à la demande et non substituable.

Il résulte des bons de livraison des 6 mai 2019, 29 mai 2019 et 19 juin 2019 et des factures des 31 mai 2019 et du 20 juin 2019 que la commande de la société Kotan Habitat à la société Sopra portait sur des barres d'armatures, des chainages triangulaires, des armatures assemblées, des panneaux ST 20, 25, 35, 50 (treillis soudés) et des écarteurs.

Sur les nombreux plans d'armaturage diffusés par la société Kotan à la société Sopra (pièce 11), figurent des directives multiples pour le façonnage.

Il s'ensuit que si certains matériaux sont des produits standards (barres d'armatures, chainages triangulaires, treillis soudés), d'autres ont été coupés, façonnés et assemblés par la société Sopra conformément aux plans d'armaturage et aux directives qui y figurent, en amont du chantier, afin que la pose soit plus rapide. Ces armatures assemblées ne pouvaient donc pas être achetées en grandes surfaces contrairement à ce que soutient l'appelante.

C'est ainsi à juste titre que les premiers juges ont retenu que la société Sopra étant une sous-traitante de la société Kotan Habitat.

Sur les conditions de l'action du sous-traitant

Il est constant que le sous-traitant doit avoir été agréé pour exercer l'action directe (Cass., ch. mixte, 13 mars 1981).

Il ne fait pas débat que la société Sopra ne l'a pas été. Il s'ensuit que l'action directe est inopposable au maître de l'ouvrage contrairement à ce qu'a retenu le tribunal.

Sur la délégation de paiement

Par un contrat du 28 mai 2019, la société Kotan Habitat a délégué le maître d'ouvrage pour le paiement de ses fournitures d'armatures et de treillis soudés à compter du 28 mai 2019 pour un montant de 45 533,19 euros TTC. La convention prévoit expressément que les règlements ne pourront être effectués qu'à concurrence des sommes dues à l'entrepreneur, « le maître de l'ouvrage n'acceptant la délégation que sous réserve de pouvoir opposer au fournisseur les exceptions qu'il serait en droit d'opposer à l'entrepreneur. »

La mise en oeuvre de la délégation de paiement n'est pas subordonnée à l'action directe et peut donc être appliquée de manière autonome.

L'article 1338 du code civil prévoit que « Lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l'a pas déchargé de sa dette, la délégation donne au délégataire un second débiteur.

Le paiement fait par l'un des deux débiteurs libère l'autre, à due concurrence.»

L'article 1336 prévoit que « le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. »

La société KBP6 conteste devoir la somme de 45 553,19 euros à la société Sopra. Elle soutient que cette dernière et la société Kotan Habitat ont agi frauduleusement compte tenu du caractère fictif de la prestation, les matériaux facturés n'ayant pas été livrés. Elle ajoute que la délégation ne peut concerner que les livraisons postérieures à la date de la délégation du 28 mai 2018 et qu'elle est fondée à opposer au sous-traitant les exceptions qu'elle pouvait opposer à l'entrepreneur et notamment celles d'inexécution et de compensation.

Sur le premier point, la société Sopra a produit trois bons de livraison des 6 mai 2019, 29 mai 2019 et 19 juin 2019 pour respectivement 11 618 kg, 6 341 kg et 7 399 kg.

La société KBP6 communique elle-même deux factures de la Sopra des 20 juin 2019 d'un montant de 10 587, 76 euros TTC et du 31 mai 2019, d'un montant de 34 945,43 euros TTC portant la mention « bon pour paiement direct suivant délégation » avec le tampon et la signature de Kotan Habitat et qui correspondent aux matériaux figurant sur les bons de livraison.

La circonstance que la signature sur les bons de livraison est illisible est indifférente et la société KBP6 n'en tire aucune conséquence. Si elle prétend que la société Kotan a abandonné le chantier, il résulte pourtant des comptes-rendus de chantier produits qu'elle était présente à toutes les réunions jusqu'au 10 juillet 2019 de sorte qu'elle avait la capacité de recevoir les ferraillages.

Les deux constats d'huissier en date des 4 juillet 2019 et 25 juillet 2019 dressés à la demande du maître de l'ouvrage, dont l'objectif était de fixer l'état d'avancement du chantier, n'avaient pas pour objet de comptabiliser les stocks des matériaux sur place et ne sont pas de nature à démontrer l'absence des livraisons. Au contraire, ils prouvent que la plus grosse quantité des ferraillages livrés dès le 6 mai 2019 avait été intégrée à l'immeuble pour les travaux du premier étage et, ainsi que l'observe à juste titre le tribunal, que les ferraillages du R+2 étaient en place. Il ressort, en effet, des comptes-rendus de chantier que les travaux de gros oeuvre ont été interrompus du fait de l'absence de livraison de béton rendant impossible le coulage de la dalle R+2.

Par ailleurs, la société KBP6 ne peut sérieusement refuser de régler les ferraillages en soutenant qu'ils étaient inutiles, alors qu'elle a accepté par la délégation de paiement du 28 mai 2018 le paiement de ces armatures pour un montant de 45 533,19 euros.

Enfin, l'appelante est mal fondée à invoquer des faits d'escroquerie alors qu'elle ne justifie pas avoir porté plainte.

La société KBP6 ne démontre ainsi ni l'absence de livraisons ni un concert frauduleux de la société Kotan Habitat avec la société Sopra.

Sur le second point, contrairement à ce que soutient la société KBP6, il est constant que la délégation de paiement doit porter sur l'ensemble de la prestation du sous-traitant de sorte qu'elle doit inclure les livraisons déjà effectuées avant sa signature sauf au maître de l'ouvrage de démontrer que ces livraisons avaient déjà été payées, ce qu'elle ne fait pas.

Sur le dernier point, il a été vu que l'appelante ne peut invoquer l'exception d'inexécution, les livraisons étant acquises.

S'agissant de l'exception de compensation, la déclaration de créance de la société KBP6 à hauteur de 567 950 euros ne vaut pas créance certaine.

L'appelante n'invoque donc aucune créance certaine à opposer en compensation du sous-traitant.

Il résulte de ce qui précède que les premiers juges ont exactement condamné la société KBP6 à régler les factures impayées de la société Sopra. Le montant de la condamnation sera cependant réduit à 45 533,19 euros, montant total des factures ainsi que de la délégation de paiement au lieu de celle de 45 553,19 euros allouée par les premiers juges.

Sur les autres demandes

Les dispositions prononcées par le tribunal au titre des frais irrépétibles et des dépens sont confirmées. La société KBP6 sera condamnée à payer une indemnité supplémentaire à la société Sopra de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

DECLARE irrecevables les demandes de la société Sopra à l'égard de la société Kaufman et Broad Bretagne,

CONFIRME le jugement entrepris sauf en ce qu'elle a condamné la société Kaufmann et Broad Promotion 6 à payer la somme de 45 553,19 euros à la société Sopra et en ce qu'elle a dit qu'aucune exception ne peut être opposée à la société Sopra,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société Kaufmann et Broad Promotion 6 à payer à la société Sopra la somme de 45 533,19 euros avec intérêts au taux légal à compter du 28 septembre 2019,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Kaufmann et Broad Promotion 6 à payer une indemnité à la société Sopra de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société Kaufmann et Broad Promotion 6 aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.