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Décisions

CA Versailles, 12e ch., 3 juin 2021, n° 19/05423

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Ineo Defense (Sté.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Thomas

Conseillers :

Mme Muller, M. Nut

T. com. Nanterre, du 29 mai 2019, n° 18/…

29 mai 2019

EXPOSE DU LITIGE

La société Thales a confié à la société lneo Défense (ci-après société lneo) la réalisation de travaux, avec maintien en conditions opérationnelles, portant sur un site de la Marine nationale.

Le 17 septembre 2013, dans le cadre des travaux de rénovation du lot fluide de ce site, la société lneo a confié à la société ATDF - aux droits de laquelle est venue la société Atelier Roche - des travaux de sous-traitance pour un montant de 405.000 €HT (ci-après : 'le contrat').

Le contrat prévoyait un début des travaux au mois de novembre 2015 pour une réception définitive en août 2016. Cependant leur démarrage s'est trouvé différé et en conséquence un avenant a été signé pour en fixer la date à juillet 2016 pour une 'mise en service fabricants' en novembre 2016.

Au terme d'un second avenant du 15 mai 2015, le prix des travaux a été porté à 420.000 euros, la date de fin de travaux, ou 'recette produit' étant fixée en mars 2017.

Le 10 avril 2017 a eu lieu la 'Mise en service fabricants', et le 19 mai 2017 la 'recette produit'. Les parties ont signé le même jour un procès-verbal de réception des travaux avec réserves, celles-ci ayant été ultérieurement levées.

Le 17 juillet 2017, la société lneo a notifié à la société Atelier Roche des pénalités de retard à hauteur de 63.840 euros HT pour 76 jours de retard, en application de la clause 10.2 du contrat.

De son côté, le 27 juillet 2017, la société Atelier Roche a mis en demeure la société lneo de lui régler la somme de 40.285 euros correspondant à deux factures restées impayées.

La société Atelier Roche a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Versailles, qui, par ordonnance du 17 octobre 2017, a condamné la société lneo à payer lesdites factures.

Par acte du 26 décembre 2017, la société Ineo a assigné la société Atelier Roche devant le tribunal de commerce de Nanterre aux fins de voir constater que le retard de 76 jours lui est exclusivement imputable, et la voir condamner au paiement de la somme correspondant aux pénalités contractuelles ainsi que des dommages et intérêts.

Par jugement du 29 mai 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Pris acte de la renonciation de la société Atelier Roche à se prévaloir des dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce ;

- Condamné la société Atelier Roche à payer à la société lneo Défense la somme de 51.240 € à titre de pénalités contractuelles ;

- Débouté la société lneo de sa demande de dommages et intérêts,

- Débouté la société Atelier Roche de ses demandes reconventionnelles ainsi que de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Atelier Roche à payer à la société lneo Défense la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamné la société Atelier Roche aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration du 22 juillet 2019, la société Atelier Roche a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 14 janvier 2021, la société Atelier Roche demande à la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Ineo,

- Réformer le jugement du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a:

- Condamné la société Atelier Roche à payer à la société Ineo la somme de 51.240 € à titre de pénalités contractuelles,

- Débouté la société Atelier Roche de ses demandes reconventionnelles,

- Condamné la société Atelier Roche à payer à la société Ineo la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de l'instance,

Et statuant à nouveau,

- Débouter la société Ineo de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- Condamner la société Ineo au paiement de la somme de 20.000 € à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat,

- Condamner la société Ineo au paiement de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Ineo aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions notifiées le 27 janvier 2020, la société Ineo demande à la cour de:

- Constater que la société Atelier Roche a procédé à la 'mise en service fabricants' le 10 avril 2017, avec 76 jours de retard sur la date contractuelle du 24 janvier 2017,

- Constater que le décalage du planning dans le commencement des travaux est sans conséquence sur la responsabilité de la société Atelier Roche dès lors que le planning contractuel de travaux a été allongé à concurrence de ce décalage,

- Dire et juger que le retard constaté est exclusivement imputable à la société Atelier Roche, qui ne rapporte la preuve d'aucun manquement imputable à la société Ineo,

En conséquence,

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- limité le montant des pénalités contractuelles imputables à la société Atelier Roche à la somme de 51 240 €,

- débouté la société Ineo de sa demande de dommages et intérêts,

Statuant à nouveau

- Condamner la société Atelier Roche à verser à la société Ineo la somme de 63.840 € HT, correspondant à la facture n°8540014175 du 04 août 2017,

- Condamner la société Atelier Roche à verser à la société Ineo la somme de 88.981,67 € HT à titre de dommages et intérêts, sur production du décompte général définitif entre la société Thales et la société Ineo ou sur production de tout document justifiant du paiement, par la société Ineo, des pénalités de retard mentionnées au courrier TCS en date du 10 juillet 2017,

- Condamner la société Atelier Roche à verser à la société Ineo la somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la société Atelier Roche aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 21 janvier 2021.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - sur la demande en paiement de pénalités contractuelles de retard

Pour s'opposer à la demande en paiement de pénalités de retard, la société Atelier Roche invoque, à titre principal, le moyen tiré de la nullité du contrat de sous-traitance, et à titre subsidiaire le mal fondé de la demande.

- sur le moyen tiré de la nullité du contrat de sous-traitance

Il résulte de l'article 14 de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance qu'à peine de nullité du sous-traité les paiements de toutes les sommes dues par l'entrepreneur au sous-traitant, en application de ce sous-traité, sont garantis par une caution personnelle et solidaire obtenue par l'entrepreneur d'un établissement qualifié, agréé dans des conditions fixées par décret. Cependant, la caution n'aura pas lieu d'être fournie si l'entrepreneur délègue le maître de l'ouvrage au sous-traitant dans les termes de l'article 1338 du code civil, à concurrence du montant des prestations exécutées par le sous-traitant.

En l'espèce, la société Atelier Roche soutient que la société Ineo n'est pas fondée en sa demande d'application de pénalités contractuelles dès lors que le contrat de sous-traitance sur lequel elle fonde sa demande est nul pour défaut de fourniture de caution, et de mise en place de délégation de paiement. Elle conclut ainsi au rejet de toutes demandes de condamnation à des pénalités contractuelles.

La société Ineo n'a pas répondu sur ce moyen tiré de la nullité du contrat de sous-traitance.

****

L'objet du contrat est défini à l'article 2 de la manière suivante : 'Ineo Défense, par le présent contrat, confie au sous-traitant, qui l'accepte la réalisation des travaux, conformément aux documents contractuels visés à l'article 3 ci-après. Le sous-traitant s'engage à exécuter les travaux en se soumettant, sans aucune exception ni restriction, à toutes les clauses stipulées dans les documents contractuels'.

Il résulte de cet article que le contrat litigieux est bien un contrat de sous-traitance auquel s'appliquent les dispositions d'ordre public de la loi du 31 décembre 1975, et notamment la nullité d'ordre public visée à l'article 14 précité.

En application de ces dispositions, la société Ineo, en sa qualité d'entrepreneur principal, avait l'obligation, à peine de nullité du contrat, de fournir une caution personnelle au sous-traitant, et à défaut de lui fournir une délégation de paiement.

La lecture du contrat de sous-traitance permet de constater qu'il n'existe aucune mention relative à une éventuelle caution de la société Ineo, ou une éventuelle délégation de paiement. La société Ineo ne conteste d'ailleurs pas l'absence de toute caution ou délégation de paiement.

Faute pour la société Ineo de justifier avoir produit une caution, ou une délégation de paiement, le contrat de sous-traitance est entaché de nullité, de sorte que ses dispositions relatives aux pénalités de retard sont inapplicables, la société Ineo ne pouvant qu'être déboutée de ses demandes uniquement fondées sur ces pénalités contractuelles. Le jugement sera infirmé de ce chef.

2 - sur la demande indemnitaire

La société Ineo sollicite paiement, outre des pénalités de retard contractuelles, de dommages et intérêts destinés à réparer le préjudice qu'elle estime subir du fait qu'elle-même va être contrainte de régler des pénalités de retard à la société Thales. Elle soutient que sa demande est bien fondée, invoquant la faute de la société Atelier Roche qui n'a pas respecté les délais, le préjudice constitué des pénalités qu'elle devra régler, et le lien de causalité dès lors que le retard trouve son origine dans la faute. Elle sollicite à ce titre paiement de la somme de 88.981,67 euros.

La société Atelier Roche sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Ineo. Elle fait valoir que le préjudice allégué est seulement potentiel, futur et incertain, dès lors que la société Ineo ne justifie d'aucun paiement de pénalités à la société Thales, alors même que plus de 3 années se sont écoulées depuis que celle-ci a formé sa demande de pénalités en juillet 2017. Elle conteste en outre tout retard qui lui soit imputable dans la mesure où la société Ineo ne justifie pas que la date retenue pour le démarrage des pénalités de retard lui soit opposable.

Le contrat de sous-traitance étant entâché de nullité, ses dispositions relatives aux délais d'exécution ne peuvent être opposées à la société Atelier Roche, de sorte qu'aucune faute ne peut lui être imputée à ce titre. Force est également d'observer que la société Ineo ne justifie pas du préjudice qu'elle invoque qui apparaît tout à fait incertain dès lors qu'il n'est justifié - plus de 3 ans après - d'aucune suite donnée par la société Thales à sa demande initiale de juillet 2017.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire à ce titre.

3 - sur la demande reconventionnelle formée par la société Atelier Roche pour exécution déloyale du contrat

La société Atelier Roche sollicite paiement d'une somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de l'exécution déloyale du contrat par la société Ineo, lui reprochant des décalages de planning l'obligeant à modifier ses interventions sur le chantier, outre son refus de payer le solde des prestations ayant nécessité l'introduction d'une instance en référé à cette fin. Elle invoque également la demande injustifiée de pénalités de retard.

Le contrat étant entaché de nullité, la société Atelier Roche n'est pas fondée à invoquer une quelconque déloyauté dans son exécution, de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

Le jugement sera infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

La société Ineo, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles qu'elle a dû avancer pour faire valoir son droit.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 29 mai 2019 en ce qu'il a :

- Débouté la société lneo de sa demande de dommages et intérêts,

- Débouté la société Atelier Roche de ses demandes reconventionnelles,

L'infirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

Déboute la société Ineo Défense de sa demande en paiement de pénalités contractuelles,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Ineo Défense aux dépens de première instance et d'appel.

prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.