CA Nîmes, 4e ch. com., 15 juin 2022, n° 21/03505
NÎMES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Prodifruits (SARL)
Défendeur :
Constructions Metalliques Bouisse Et Compagnie (CMBC) (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Strunk, Mme Ougier
Avocats :
Selas Fidal & Associes, Selarl Manenti & Co, Me Roussel
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 22 septembre 2021 par la SARL Prodifruits à l'encontre du jugement prononcé le 10 septembre 2021 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n° RG 2020 003938 ;
Vu l'avis du 12 octobre 2021 de fixation de l'affaire à bref délai ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 30 novembre 2021, par l'appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions de la SAS Constructions Métalliques Bouisse et Compagnie (CMBC), intimée, remises par la voie électronique le 23 novembre 2021, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l'ordonnance du 12 octobre 2021 de clôture de la procédure à effet différé au 10 mars 2022.
Vu les conclusions du ministère public déposées et notifiées le 17 mars 2022 aux termes desquelles il est demandé confirmation du jugement déféré au vu des motifs pertinents des premiers juges.
Vu l'arrêt n°157 de réouverture des débats, sans révocation de l'ordonnance de clôture, prononcé par la cour le 13 avril 2022.
Vu les conclusions après réouverture des débats déposées le 20 avril 2022 par la SAS Constructions Métalliques Bouisse et Compagnie (CMBC) et la SELARL DE SAINT RAPT et [Y], commissaire à l'exécution du plan, intimée.
Vu l'appel interjeté le 23 mars 2022 par la SARL Prodifruits à l'encontre du jugement prononcé le 10 septembre 2021 par le tribunal de commerce d'Avignon dans l'instance n° RG 2020 003938, intimant la SCP De Saint Rapt et [Y] es qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société CMBC ;
Vu l'ordonnance n°62 du 3 mai 2022 de jonction de la procédure 22/01140 sous le n° RG 21/03505.
Vu l'ordonnance du 5 mai 2022 révoquant la clôture et fixant une nouvelle clôture au 5 mai 2022.
Vu les conclusions après réouverture des débats déposées le 3 mai 2022 par la société Prodifruits, appelante, ainsi que le bordereau de pièces qui y est annexé.
* * *
Suivant un marché de travaux du 7 février 2011, la société Prodifruits (ci-après la créancière) a confié à la société CBCM (ci-après la débitrice) la réalisation des lots charpente métallique, couverture, bardage et fermetures métalliques d'un bâtiment d'activité.
Par exploit du 10 août 2011, la créancière a saisi le président du tribunal de commerce d'Avignon afin que soit ordonnée une expertise judiciaire, soutenant avoir constaté des retards, malfaçons et non-conformités.
Par ordonnance du 25 octobre 2011, une expertise judiciaire a été ordonnée et le rapport a été déposé le 28 juin 2013.
Par jugement du 29 décembre 2011, le tribunal de commerce d'Avignon a ouvert une procédure de sauvegarde à l'encontre de la débitrice et un mandataire judiciaire a été désigné. Un plan a été arrêté le 12 septembre 2012
La créancière avait déclaré une créance de 736 400 euros au passif de la procédure collective et par jugement du 11 janvier 2019 et par une ordonnance rendue par le juge commissaire du 31 octobre 2019, la créance a été fixée à la somme de 48 816 euros, outre 2500 euros à titre de dommages-intérêts.
Le 26 septembre 2019, le commissaire à l'exécution du plan, a adressé à la créancière un chèque de 10 263,20€ correspondant à 20 % du montant de la créance.
Par courriers du 8 octobre 2019, puis du 3 février 2020, la créancière a demandé, en vain, des explications sur le montant du dividende versé le 26 septembre 2019 auprès du commissaire à l'exécution du plan.
Par exploit du 26 mai 2020, la créancière a fait assigner la débitrice et le commissaire à l'exécution du plan devant le tribunal de commerce d'Avignon afin de voir juger que le dividende qu'elle est en droit de percevoir doit correspondre à 100% de sa créance dans le cadre du plan et par conséquent voir condamner la débitrice à lui payer la somme de 23 947,46 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 février 2020.
Par jugement du 10 septembre 2021, le tribunal de commerce d'Avignon a :
déclaré la créancière irrecevable en ses demandes,
condamné la créancière à verser à la débitrice la somme de 2.000 € à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
laissé à la créancière la charge des dépens, dont ceux de greffe, liquidés à la somme de 94,346 TTC,
Le 22 septembre 2021, la créancière a relevé appel de ce jugement en toutes ses dispositions en intimant seulement la débitrice.
En cours de délibéré, la créancière a intimé le 23 mars 2022 le commissaire à l'exécution du plan de la société CMBC. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 22/01114.
* * *
Sur la recevabilité de son appel, la créancière indique avoir intimé le commissaire à l'exécution du plan et demande la jonction des deux instances. Elle conclut dès lors à la recevabilité de son appel.
Sur le fond, la créancière, fait tout d'abord valoir qu'elle ne critique pas le plan arrêté par le jugement du 12 septembre 2012 mais la mise en oeuvre de ce plan par le commissaire à l'exécution du plan. Elle relève que le jugement arrêtant le plan n'a pas statué sur l'option choisie par chacun des créanciers, et n'a donc pas autorité de chose jugée sur ce point précis. Elle soutient avoir appris, seulement en 2019 à l'occasion de la procédure en fixation de sa créance, qu'elle était placée parmi les créanciers ayant opté pour l'option 1, qu'elle n'a perçu son premier dividende qu'en 2019 et que sa demande est par conséquent recevable.
Sur les modalités de l'information individuelle des créanciers, réglementées par les articles R.626-7 et L.626-5 du Code de commerce, elle indique que la lettre du mandataire judiciaire du 16 juillet 2012 ne comportait pas en pièce jointe son avis, ce qui implique que le délai d'option n'a pas commencé à courir et que la créancière pouvait valablement le remettre en cause le 3 février 2020. Elle préconise une application stricte de l'article R.626-7 du code de commerce, ce qui implique une information donnée dans la lettre recommandée avec avis de réception adressée aux divers créanciers.
Elle précise que sa créance a été admise le 31 octobre 2019 par le juge-commissaire du tribunal de commerce d'Avignon pour un montant de 48 816 euros, outre 2 500 euros à titre de dommages intérêts.
Elle estime par conséquent que la débitrice doit lui payer la somme de 35 351,02 euros à compter de la mise en demeure du 3 février 2020 et le solde de sa créance, soit la somme de 5 701,78 euros au titre de la 9ème échéance de septembre 2022.
Elle expose, en tant que de besoin, que son action n'est pas prescrite, au sens de l'article 2224 du code civil, le point de départ du délai devant être fixé au jour de la perception du premier dividende.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 3 mai 2022, la créancière, demande donc à la cour, au visa de l'article 122, 367, 552 du code de procédure civile, des articles 1355 du code civil et des articles L.626-5 et R.626-7 du Code de commerce, de :
Joindre la présente instance avec l'affaire enrôlée sous le n°22/01140,
Juger ses appels recevables,
Tenant l'ordonnance du juge commissaire du 31 octobre 2019 fixant la créance de la l'appelante à la somme de 51.316,00 €
infirmer le jugement du Tribunal de commerce d'Avignon du 10 septembre 2021 ;
recevoir la créancière en son appel et déboutant la débitrice de son appel incident ;
juger que l'action de la créancière tendant à remettre en cause la répartition des dividendes opérée par la débitrice le 26 septembre 2019 n'est pas prescrite ;
juger qu'en ne contenant pas l'avis du mandataire judiciaire, la lettre de Maître [D] du 16 juillet 2012 n'a pas fait partir le délai d'option de la créancière et que cette dernière a pu valablement opter pour l'option 2 dans son courrier du 03 février 2020 ;
juger en tout état de cause que la créancière n'a pas été mise en mesure d'opter entre les options 1 ou 2 du projet de plan et que le délai prévu par les textes ci-dessus n'ont pas couru à son égard ;
juger en conséquence que la créancière doit percevoir 100 % de sa créance dans le cadre du plan de la débitrice.
En conséquence :
condamner la débitrice à verser à la créancière, le solde des 6 premières échéances du plan soit 35.351,02 €, portant intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 février 2020 ;
condamner la débitrice à verser à la créancière le solde de sa créance soit 5.701,78 € dans le cadre de la distribution des dividendes prévus pour les créanciers soumis à l'option 2 - 9ème échéance en septembre 2022 ;
sur le fondement de l'article 696 du code de procédure civile, condamner la débitrice aux entiers dépens ;
sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, condamner la débitrice à payer à la créancière la somme de 5000 € ;
juger que l'exécution provisoire est compatible avec la nature de l'affaire.
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La débitrice et le commissaire à l'exécution du plan dans leurs conclusions déposées après réouverture des débats, s'en rapportent à la sagesse de la cour sur l'irrecevabilité de l'appel, compte tenu de la déclaration d'appel formée le 23 mars 2022 par la créancière qui a intimé le commissaire à l'exécution du plan.
Sur le fond, la débitrice sollicite, dans ses dernières conclusions déposées le 20 avril 2022, la confirmation de la décision déférée et fait tout d'abord valoir, qu'en application de l'article 1355 du Code civil, le jugement du 12 septembre 2012, arrêtant le plan de sauvegarde, dispose de l'autorité de la chose jugée à l'égard de toutes les parties mais également à l'égard des tiers dont les créanciers. En effet, la débitrice n'a pas formé de tierce opposition à ce jugement dans un délai de 10 jours à compter de sa publication au Bodacc, soit à compter du 5 octobre 2012.
Elle indique que le mandataire judiciaire a respecté les dispositions de l'article R.626-7 II du Code de commerce en dépit de l'omission de la première phrase de l'article L.626-5, mais reproduit par contre l'information essentielle selon laquelle le défaut de réponse dans le délai de 30 jours à compter de la réception de la lettre du mandataire vaut acceptation. Dès lors, la tierce opposition de la créancière ne peut prospérer du seul fait qu'il manque une phrase dans la lettre du mandataire judiciaire.
Elle rappelle que la demande de la créancière, tendant à faire valoir sa créance intégralement dans le cadre du plan de sauvegarde, contrevient à l'intérêt collectif des créanciers et au principe d'égalité entre eux, fondement essentiel des procédures collectives.
Enfin, elle soutient que l'action de la créancière, soumise au délai de prescription quinquennale, est prescrite, quand bien même le point de départ de la prescription serait fixé à la date du courrier du mandataire judiciaire du 16 juillet 2012, ou de la publication au Bodacc le 5 octobre 2012 car l'assignation introductive d'instance date du 26 mai 2020 et a donc été délivrée 9 années plus tard.
La débitrice demande à la cour, au visa des articles 122 et suivants du Code de procédure civile, de l'article 1355 du Code de procédure civile, de l'article 2224 du Code civil, des articles L.626-26 et R.626-45 du Code de commerce, de :
confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :
- déclaré la créancière irrecevable en ses demandes,
- condamné la créancière à verser à l'intimée la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé à la créancière la charge des dépens.
Y ajoutant en cause d'appel :
condamner la créancière à la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 en cause d'appel et aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur la procédure :
Ainsi que le fait justement valoir la débitrice, la demande de la créancière, tendant à faire valoir sa créance intégralement dans le cadre du plan de sauvegarde, concerne l'intérêt collectif des créanciers, de sorte que le commissaire à l'exécution du plan, partie défenderesse en première instance, aurait dû être intimé par l'appelant.
Cette fin de non-recevoir a été soulevée d'office par la cour qui, afin de respecter le principe du contradictoire, a ordonné la réouverture des débats, sans révocation de l'ordonnance de clôture, afin que les parties puissent s'expliquer contradictoirement sur l'irrecevabilité de l'appel, le litige étant indivisible.
La réouverture des débats ayant été prononcée sans révocation de l'ordonnance de clôture, seule la question de la recevabilité de l'appel devait être examinée par les parties, la discussion sur le fond étant close.
Aux termes de l'article 552 du code de procédure civile, en cas de solidarité ou d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel formé par l'une conserve le droit d'appel des autres, sauf à ces dernières à se joindre à l'instance.
L'article 553 du code de procédure civile dispose qu'en cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres, même si elles ne se sont pas jointes ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance.
Eu égard à l'intervention volontaire du commissaire à l'exécution du plan dans les conclusions sur réouverture déposées par la société débitrice le 20 avril 2022, toutes les parties ont été appelées dans l'instance en cours, de sorte que l'appel de la créancière est recevable, sans qu'il ne soit besoin de se fonder sur la jonction ordonnée le 3 mai 2022.
Des conclusions au fond ont été prises après clôture de l'affaire mais elles sont recevables du fait de la révocation de cette ordonnance de clôture avant l'audience par ordonnance du 5 mai 2022 fixant la clôture au même jour.
Sur le fond :
La forme de la consultation des créanciers sur les propositions de règlement du passif est réglementée par les articles L.626-5 alinéa 2 du code de commerce auquel renvoie l'article L.627-3 alinéa 2. Les articles R.626-7 et R.626-8 du code de commerce complètent le dispositif.
La consultation individuelle des créanciers doit contenir la reproduction des dispositions de la 2ème phrase de l'article L.626-5 alinéa 2 du code de commerce, à savoir la sanction du défaut de réponse à contestation. En outre, il convient de joindre à la lettre de consultation un état de la situation active et passive avec ventilation du passif privilégié et chirographaire, les propositions du débiteur et l'indication des garanties offertes, l'avis du mandataire judiciaire.
La cour de cassation énonce que la lettre de consultation doit être régulière et doit être impérativement accompagnée des documents exigés par l'article R.626-7 du code de commerce. A défaut de jonction de ces documents, le délai de 30 jours ne court pas.
Com. 14 décembre 2019 n°18-20.408
Ceci étant, le jugement arrêtant le plan de sauvegarde n'a pas fait l'objet d'une tierce opposition de la part de la créancière, qui d'ailleurs ne remet pas en cause son autorité de chose jugée erga omnès. Sa demande porte sur sa situation dans le cadre de ce plan de sauvegarde, à savoir créancier de la classe 1 ou 2. Elle est donc recevable.
Par contre, l'absence de point de départ du délai de contestation est indifférent à la solution du litige. Soit la créancière a été irrégulièrement consultée, et alors son sort est calqué sur celui des créanciers non consultés (régis par l'article L.626-18 du code de commerce). Soit elle a été régulièrement consultée et elle est réputée avoir souscrit à l'option 1 à défaut de réponse.
La pièce 13 de la créancière démontre que :
le mandataire a reproduit la 2ème phrase de l'article L.626-5 alinéa 2 du code de commerce,
renvoie aux annexes pour l'état de la situation active,
opère une ventilation entre le passif privilégié et chirographaire,
contient l'avis favorable du mandataire ;
Les annexes jointes au courrier dont il n'est pas contesté qu'il ait été transmis par lettre recommandée avec avis de réception comprennent un énoncé de la situation de l'entreprise pendant la période d'observation, les fondements du plan de sauvegarde et le projet de plan. Le projet indique en sa page 13 que « la société entend bénéficier des dispositions des articles L.626-18 et L.626-19 du code de commerce et demande « qu'à défaut de réponse des créanciers consultés individuellement, ces derniers soient réputés avoir acceptés l'option décrite aux présentes, en application de l'article L.626-5 du code de commerce. » (NB : police en gras et mention soulignée). Les deux options sont ensuite décrites.
La créancière, si elle avait voulu répondre à la consultation individuelle, était donc tout à fait à même de faire un choix entre l'option 1 et l'option 2 et était informée que le défaut de réponse la plaçait dans l'option 1.
Son moyen tendant à faire prononcer l'irrégularité de sa consultation individuelle entre ainsi en voie de rejet.
Le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société Prodifruits mais cette dernière est déboutée de l'ensemble de ses demandes.
La créancière qui succombe en ses demandes sera condamnée aux dépens d'appel et devra en outre, en équité, payer à la débitrice la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant contradictoirement, en dernier ressort,
Vu les articles 552 et 553 du code de procédure civile,
Prend acte de l'intervention volontaire du commissaire à l'exécution du plan de la SAS CMBC,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la SARL Prodifruits irrecevable en ses demandes mais le confirme en ses autres dispositions,
Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées,
Déclare les appels de la SARL Prodifruits recevables,
Dit que sa consultation individuelle en tant que créancière est régulière,
La déboute de l'ensemble de ses demandes,
Y ajoutant,
Condamne la SARL Prodifruits à payer à la SAS Constructions Métalliques Bouisse et Compagnie (CMBC) une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SARL Prodifruits aux entiers dépens d'appel.