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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 29 mai 2018, n° 17/00992

REIMS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

V.-Pommery Production (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Martin

Conseillers :

Mme Bousquel, Mme Lefort

Avocat :

Cabinet TGS France Avocats

T. com. Reims, du 28 mars 2017

28 mars 2017

EXPOSE DU LITIGE

Le 4 novembre 2010, la SA V. Pommery Production (ci-après VPP) a commandé auprès de la Sarl AJF une machine à enlever les sleeves (manchons thermo-rétractables) sur les bouteilles de champagne selon cahier des charges du même jour, au prix de 151.630 euros HT, soit 181.349,48 euros TTC. La machine devait être livrée le 9 mai 2011 et être mise en service le 23 mai 2011 au plus tard.

Le 1er juin 2011, la société VPP a adressé à la Sarl AJF un premier paiement de 135.860,48 euros.

La machine a été réceptionnée avec réserves selon procès-verbal du 12 mars 2012.

Se plaignant de ce que la machine ne répondait pas à toutes les conditions figurant au cahier des charges, notamment le fait qu'elle n'était pas entièrement automatisée, la SA VPP a mis en demeure la Sarl AJF de corriger les défauts et a refusé de payer le solde du marché.

Elle a ensuite saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Reims d'une demande d'expertise, laquelle a été ordonnée par ordonnance de référé du 17 octobre 2012. L'expert, M. B., a déposé son rapport le 15 avril 2014.

Par acte d'huissier du 20 novembre 2014, la Sarl AJF a fait assigner la SA VPP devant le tribunal de commerce de Reims en paiement du solde de son marché, soit la somme de 45.489 euros. La SA VPP a formé des demandes reconventionnelles pour un montant de 178.920,40 euros en principal.

Par jugement du 21 avril 2015, le tribunal de commerce de Reims a déclaré irrecevables les demandes de la Sarl AJF pour absence de qualité à agir, en ce que la société avait été liquidée à l'amiable par M. Jean-François P., et était radiée depuis le 4 mars 2013.

Par ordonnance en date du 11 août 2015, le président du tribunal de commerce de Reims a désigné la SCP T.-R., prise en la personne de Me Bruno R., en qualité de mandataire ad'hoc de la Sarl AJF.

Par acte d'huissier du 2 novembre 2015, la SA VPP a fait assigner la Sarl AJF en la personne de Me R. ès qualités de mandataire ad'hoc, ainsi que M. P. devant le tribunal de commerce de Reims en indemnisation de ses préjudices résultant des défauts de conformité, soit un total de 400.923,39 euros s'agissant de la Sarl AJF, outre des travaux à réaliser sous astreinte, M. P. devant être condamné solidairement avec cette dernière à hauteur de la somme de 139.965,30 euros correspondant au remboursement de son compte courant d'associé, outre 3.000 euros au titre des frais injustement exposés dans le cadre de l'affaire précédente.

Par jugement du 28 mars 2017, le tribunal de commerce de Reims a :

- débouté la SA VPP de ses demandes au titre des pénalités de retard et non-conformité de la machine ainsi que des dépenses salariales,

- condamné la SA VPP à payer Me R. en qualité de mandataire ad'hoc de la Sarl AJF la somme de 45.489 euros TTC,

- condamné la SCP T.-R. ès qualités à payer à la SA VPP la somme de 1.250 euros,

- ordonné la compensation entre les créances,

- débouté M. P. de sa demande d'être mis hors de cause,

- condamné M. P. à payer à la SA VPP la somme de 3.000 euros au titre des frais injustement exposés par cette dernière dans le cadre de l'affaire enrôlée sous le RG n°2014/010585,

- condamné M. P. à payer à la SA VPP la somme provisionnelle de 500 euros pour la rémunération du mandataire ad'hoc,

- dit et jugé que M. P. supportera la totalité des frais et honoraires de la SCP T.-R. que le président du tribunal sera amené à taxer,

- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeté toutes autres demandes des parties,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné la SA VPP aux entiers dépens.

Le tribunal a retenu que l'expert judiciaire n'avait pas remarqué de non-conformité particulière, que l'implantation de la machine avait fait réaliser à la société VPP une économie de 261.000 euros, que l'application des pénalités pour retard de livraison n'était pas justifiée même si la réception n'avait eu lieu que 11 mois après, et avait préconisé diverses améliorations à effectuer sur la machine, estimées à la somme de 1.250 euros. Sur la faute de M. P., il a considéré que ce dernier avait prématurément procédé à la liquidation amiable de la Sarl AJF puis à sa radiation alors qu'il savait qu'une expertise judiciaire était en cours, puis a assigné, au nom de la Sarl AJF, la société VPP en paiement, postérieurement à la liquidation, sans respecter les règles comptables et légales qui lui incombaient en qualité de liquidateur amiable et avait ainsi engagé sa propre responsabilité.

Par déclaration du 14 avril 2017, la SA VPP a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance du 21 juin 2017, le premier président de la cour d'appel de Reims a autorisé la société VPP à consigner le montant des condamnations prononcées à son encontre par le tribunal de commerce jusqu'à ce que la cour d'appel ait statué sur le fond.

Par conclusions du 4 juillet 2017, la SA V. Pommery Production demande à la cour d'appel, au visa des articles 1134, 1147, 1153 et 1382 anciens du Code civil, de' :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a' :

- condamné M. P. à lui payer une somme de 3.000 euros au titre des frais injustement exposés dans le cadre de la précédente affaire,

- condamné M. P. à lui payer la somme de 500 euros,

- condamné M. P. à supporter la totalité des frais,

Et, statuant à nouveau,

- condamner solidairement la société AJF et M. P. à lui payer une somme de 328.560 euros au titre des surcoûts, arrêtés au 23 juillet 2017, occasionnés par l'absence d'autonomie de la machine,

- condamner solidairement la société AJF et M. P. à lui payer une somme de 178.923,40 euros au titre du retard dans la livraison et la non-conformité de la machine,

- condamner la société AJF à réaliser les travaux objet des préconisations de l'expert, sous astreinte de 152,45 euros par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,

- débouter la Sarl AJF prise en la personne de son mandataire ad'hoc et M. P. de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner la société AJF prise en la personne de son mandataire ad'hoc et M. P. au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Sur la responsabilité de la société AJF, elle se fonde sur les obligations découlant du contrat d'entreprise défini à l'article 1710 du Code civil et soutient que l'entrepreneur a une obligation de résultat sur la prestation matérielle, ainsi qu'une obligation de conseil, de mise en garde et d'information. Elle estime qu'aux termes du cahier des charges, la Sarl AJF s'est engagée à un fonctionnement autonome de la machine'; que l'expert a relevé des dysfonctionnements et le fait que la machine n'est pas totalement autonome, de sorte que la société AJF n'a pas respecté son obligation de résultat'; qu'elle subit encore actuellement un préjudice puisque la machine ne sera jamais complètement automatique, ce qui entraîne un surcoût de 308.333,33 euros puisqu'elle est obligée de maintenir un équivalent temps plein à la supervision et au dépannage de la machine'; que la cadence de la machine ne respecte pas la cadence prévue, avec un rendement inférieur de 8,2'%, ce qui constitue un coût complémentaire de 20.226,66 euros, soit un total de 328.560 euros pour les surcoûts. Elle ajoute que les parties avaient convenu des pénalités contractuelles de retard, que la livraison est intervenue, avec des réserves, onze mois en retard, de sorte qu'il est dû 163.760,40 euros au titre des pénalités de retard pour 216 jours de retard, outre une pénalité contractuelle de 15.163 euros au titre de la non-conformité de la machine au regard des spécifications convenues, soit un total de 178.920,40 euros au titre des pénalités. En outre, elle rappelle que l'expert a préconisé un certain nombre de travaux pour remédier au mieux aux désordres constatés, que la société AJF n'a jamais réalisés. En réponse aux conclusions adverses, elle souligne que la machine présentait déjà, le 7 juillet 2011, six non conformités réglementaires, que le 19 avril 2012, subsistaient encore des non conformités contractuelles, que le défaut d'entretien qui lui est imputé n'expliquerait pas le retard pris par la Sarl AJF pour mettre en service la machine ni les non conformités constatées par l'expert, et que pour réaliser l'économie invoquée, elle a dû déjà débourser la somme de 135.860,48, outre le coût de l'entretien, de l'eau et de l'électricité. Elle rappelle que la machine était censée être totalement automatique, sans intervention humaine, et estime qu'il ne peut lui être reproché d'avoir exigé des spécifications que la société AJF n'était pas capable de mettre en oeuvre, et que la Sarl AJF ne peut invoquer sa propre turpitude en mettant en avant la légèreté avec laquelle elle a accepté le marché.

Sur la responsabilité du liquidateur amiable, elle se fonde sur l'article 1382 ancien du Code civil et l'article L. 237-12 du Code de commerce qui prévoit la responsabilité du liquidateur à l'égard des tiers pour les fautes qu'il a commises dans l'exercice de ses fonctions. Elle fait valoir que malgré sa mise en demeure et l'expertise en cours, M. P., liquidateur amiable de la Sarl AJF, n'a pas pris en compte ni provisionné la dette de la société vis-à-vis d'elle, s'est remboursé son compte courant d'associé à hauteur de 139.965,30 euros, et a clôturé les opérations de liquidation alors même que le rapport d'expertise n'était pas encore déposé. Elle estime que la clôture prématurée des opérations de liquidation lui a fait perdre une chance d'obtenir le paiement de sa créance à hauteur de 139.965,30 euros a minima. Elle ajoute que M. P. a, de manière totalement illégale, sans mandat, fait délivrer une assignation contre elle au nom de la Sarl AJF pourtant déjà radiée, procédure jugée irrecevable, de sorte qu'elle considère qu'il doit assumer les frais qu'elle a dû inutilement débourser pour cette précédente instance.

Elle s'oppose à la demande reconventionnelle en paiement du solde du marché en ce que la Sarl AJF n'a pas respecté son obligation de résultat. Elle souligne que le solde théorique de 45.489 euros est un montant TTC et non HT.

Par conclusions du 9 août 2017, la Sarl AJF demande à la cour d'appel de':

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- débouter la SA VPP de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la SA VPP au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

En premier lieu, elle fait valoir que la juridiction du fond ne peut pas dénaturer les termes clairs et précis du rapport d'expertise, que le tribunal de commerce a bien appliqué ce principe, contrairement à la société VPP dans ses conclusions qui dénature les conclusions de l'expert de façon grossière. Elle explique qu'il résulte clairement de l'expertise judiciaire d'une part que la spécification de l'absence totale d'opérateur sur la machine exigée au cahier des charges était totalement irréaliste en l'état des connaissances techniques, d'autre part que le fonctionnement optimal de la machine avait été compromis par le manque d'entretien flagrant de la société VPP et le déficit de formation tout autant flagrant de l'opérateur alors même que la cadence prévue au cahier des charges avait été atteinte au cours de l'expertise, mais ne pouvait être mise en place car le personnel qui récupère les bouteilles en bout de chaîne pour les mettre dans les cartons ne peut suivre le rythme, et enfin que l'installation de cette machine avait permis à la SA VPP de réaliser une économie salariale de 261.000 euros lors du dépôt du rapport d'expertise, cette économie augmentant d'année en année.

Sur les dysfonctionnements de la machine, elle réfute le manquement à l'obligation de conseil qui lui est reproché en ce que d'une part le cahier des charges a été rédigé par la société VPP qui maîtrise parfaitement l'utilisation de machines industrielles complexes, et d'autre part l'expert a souligné l'impossibilité technique de concevoir une machine totalement autonome, celle-ci étant un prototype unique, d'autant qu'il faut bien qu'une personne approvisionne la machine en bouteilles. Elle conteste en outre le manquement à son obligation de résultat, en ce que la machine a atteint les cadences prévues, et que l'expert a indiqué que si la machine ne respectait pas à la lettre les engagements contractuels, ces points n'étaient toutefois pas rédhibitoires et une implication plus grande de la société VPP dans le suivi de la machine, par la formation des opérateurs et l'entretien du prototype, permettrait d'atteindre sans mal la cadence souhaitée. Elle conclut que les dysfonctionnements sont exclusivement imputables à la société VPP.

Sur les pénalités de retard, elle soutient que le retard entre le 12 mai 2011 et le 12 mars 2012 ne lui est pas imputable, qu'elle a bien livré la machine le 12 mai 2011, mais que la société VPP n'a procédé à sa réception avec réserves que le 12 mars 2012.

Elle conteste les préjudices invoqués par la société VPP au titre des surcoûts puisque la machine lui a au contraire permis de réaliser une économie de 261.000 euros et qu'en l'état des connaissances actuelles, une autonomie totale de la machine est irréaliste.

Elle estime que sa demande en paiement du solde du marché est incontestable, sur le fondement de l'article 1134 du Code civil, au vu de l'expertise judiciaire, soit 45.489 euros HT, somme de laquelle il convient de déduire le coût des réparations préconisées par l'expert d'un montant de 1.250 euros, ce qui fait un solde de 44.239 euros HT, soit 52.909,84 euros TTC.

M. P. a constitué avocat mais n'a pas conclu.

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur les demandes de la société VPP

I.1 A l'égard de la Sarl AJF

I.1.a) Sur la responsabilité de la Sarl AJF

En application de l'article 1147 du Code civil (dans sa rédaction en vigueur à la date du contrat), la société AFJ, en sa qualité de technicien professionnel, est tenue d'une obligation de résultat à l'égard de sa cliente, la SA VPP.

Il ressort du cahier des charges signé par les deux parties que la société AJF s'est engagée à réaliser et livrer une machine pour enlever les sleeves des bouteilles de champagne Demoiselle de 75 cl en automatique, et ce à des conditions très précises, notamment':

- les sleeves ont une hauteur de 120 mm avec une tolérance de +/- 10 mm,

- la machine doit avoir une cadence nominale de 2.500 bouteilles par heure,

- des ventouses positionnées à chaque poste du tourniquet retiendront les sleeves découpées et les déposeront dans une tuyauterie aspirante,

- la Sarl AJF s'engage sur cette installation au fonctionnement autonome de la machine, car la société VPP ne prévoit pas de poste de conduite opérateur sur cette installation,

- la Sarl AJF s'engage également sur le temps de mise au point et par conséquent à fournir le personnel nécessaire jusqu'à parfait respect du cahier des charges,

- les sleeves seront transférées vers un broyeur/compacteur pour être mises dans un sac en plastique d'une centaine de litres qui pourra contenir environ 25 à 30 kg de sleeves broyées,

- un capteur placé sous le système de pesage du sac permettra de signaler le remplissage du sac, et l'information sera ramenée directement au pupitre de l'opérateur.

Il résulte des constatations de l'expert que la machine ne respecte pas à la lettre les engagements contractuels du cahier des charges': chute des bouteilles évacuées, cadence de 2.500 bouteilles par heure non tenue en allure de croisière, usure du plateau par le jet de découpe, usure prématurée des ventouses, pollution de la machine par les sleeves non évacuées, présence d'un opérateur nécessaire car lorsque les sleeves sont abîmées, les ventouses ne parviennent pas à les retirer des bouteilles.

Certes l'expert indique que l'autonomie totale de la machine est irréaliste. Il explique qu'il est impossible de découper correctement toutes les sleeves et de les séparer toutes correctement à cause des défauts inévitables qui les affectent.

Toutefois, la Sarl AJF ne saurait en déduire qu'elle n'a pas pu s'engager à une obligation impossible. Il lui appartenait, en sa qualité de professionnel, de savoir si ce qui lui était commandé était techniquement faisable ou pas en l'état des connaissances actuelles, et le cas échéant refuser de s'engager sur une prestation impossible, en informant son client, peu important que ce soit la société VPP qui ait rédigé le cahier des charges. En acceptant toutes les clauses et toutes les prescriptions convenues sans réserves, la société AJF a contracté une obligation de résultat. Ainsi, à défaut d'avoir mis en garde la SA VPP de l'impossibilité de réaliser la machine conformément aux cahiers des charges, la société AJF engage sa responsabilité pour manquement à son obligation de résultat.

La société AJF ne saurait non plus se prévaloir du fait que la cadence prévue au cahier des charges avait été atteinte et même dépassée au cours de l'expertise, alors que l'expert n'a constaté une cadence de 2.940 bouteilles/ heure sur quelques minutes qu'après nettoyage complet de la machine. Or la machine est régulièrement polluée par les engorgements de sleeves qui ne s'évacuent pas. L'expert précise que la machine fonctionne plutôt à une cadence voisine des 2.200 à 2.390 bouteilles par heure.

Le manque d'entretien de la machine reproché à la société VPP est en partie imputable à la société AJF qui avait une obligation de garantie pendant 12 mois à compter de la réception définitive du matériel prononcée sans réserves, car les défauts constatés lors de la réception (réserves) sont sensiblement identiques à ceux constatés par l'expert, ce qui montrent que les réserves n'ont pas été levées, malgré les interventions de la société AJF. La société VPP explique d'ailleurs l'absence de souscription du contrat d'entretien à compter de la réception par le fait qu'aucune réception sans réserve n'a pu avoir lieu. Il est produit néanmoins des factures d'achat de nouvelles ventouses en remplacement de celles usées prématurément. L'expert indique que l'absence d'entretien et surtout la mauvaise utilisation de la machine concourent à ce que les sleeves restent collées sur les bouteilles, entraînant la pollution de la machine et du convoyeur de sortie, ce qui constitue encore un frein au fonctionnement normal et à l'atteinte de la cadence souhaitée. Ainsi, le manque d'entretien n'est que très peu en cause dans les dysfonctionnements constatés et dans la mesure où il n'est pas imputable à la seule société VPP, il ne saurait exonérer totalement ou partiellement la société AJF de sa responsabilité.

Quant à la mauvaise utilisation de la machine, l'expert la pointe essentiellement s'agissant de l'ouverture par l'opérateur des portes de la machine qui génère un arrêt d'urgence, ce qui diminue la cadence de la machine, au lieu de procéder à un arrêt programmé. L'expert constate que l'opérateur arrête la machine en ouvrant les portes lorsque le moindre problème survient ou lorsqu'il faut changer le sac de sleeves broyées, et explique que cet arrêt d'urgence n'est pas la bonne solution car il peut endommager des composants de la machine. Si la méthode utilisée pour arrêter la machine n'est certes pas la bonne, il est pour le moins curieux que l'opérateur soit si régulièrement obligé de l'arrêter, s'agissant d'une machine qui était censée fonctionner de façon autonome. Ainsi, au regard des obligations auxquelles la Sarl AJF s'est engagée, la mauvaise utilisation de la machine par la société VPP ne saurait l'exonérer de sa responsabilité.

C'est donc à tort que la Sarl AJF soutient que les dysfonctionnements de la machine sont exclusivement imputables à la société VPP. Sa responsabilité est entièrement engagée.

I.1.b) Sur les préjudices de la société VPP

La société VPP soutient qu'auparavant, les sleeves étaient retirées manuellement, par deux opérateurs, et qu'actuellement, avec la machine, elle emploie une personne à temps plein, alors qu'elle avait souhaité ne mettre aucun opérateur sur cette machine, ce qui représente une charge de 50.000 euros par an, soit 308.333,33 euros du 23 mai 2011 au 23 juillet 2017.

L'expert a estimé qu'au contraire la société VPP avait réalisé une économie de 261.000 euros (au jour de l'expertise, donc sur 2,9 ans). Toutefois, le calcul de l'expert est critiquable car il ne prend pas en compte le coût de la machine et il part du principe contestable que la société VPP employait auparavant trois salariés pour le dé-sleevage manuel, de sorte qu'elle économiserait deux salariés. L'argumentation de l'expert pour conclure à l'emploi de ces trois salariés, voire quatre, n'est pas convaincant car il suppose que la cadence générale sans machine était de 2.500 bouteilles/ heure tout comme la cadence imposée à la nouvelle machine, ce qui est purement hypothétique.

Par ailleurs, le préjudice de la société VPP doit s'apprécier au regard de ce qu'elle était en droit d'attendre si le contrat avait été correctement exécuté.

C'est donc à juste titre qu'elle sollicite le coût de l'opérateur de la machine, dont elle justifie par une attestation du service ressources humaines. Il y a donc lieu de faire droit à sa demande à hauteur de 308.333,33 euros.

Elle sollicite en outre une somme de 3.280 euros par an, soit 20.226,66 euros arrêté au 23 juillet 2017, correspondant au fait que le rendement (cadence moyenne de 2.295 bouteilles par heure) est inférieur de 8,2'% au rendement prévu (cadence de 2.500 bouteilles par heure). Toutefois, comme l'a relevé l'expert, la somme n'est justifiée par aucune pièce. La société VPP sera donc déboutée de ce poste de demande.

I.1.c) Sur les pénalités contractuelles de retard

Le cahier des charges stipule les pénalités contractuelles de retard suivantes':

- 0,5'% de la valeur HT du matériel et des équipements par jour ouvré de retard de livraison, soit 758,15 euros par jour ouvré de retard,

- 0,5'% de la valeur HT du matériel et des équipements par jour ouvré de retard dans la mise en service inhérente à l'établissement d'un procès-verbal de réception avec réserves (sauf si le retard incombe à la société VPP), soit 758,15 euros par jour ouvré de retard,

- 10'% de la valeur achat HT de la commande en cas de non-conformité du matériel et/ou des équipements.

Il est stipulé également que la livraison devait intervenir le 9 mai 2011, pour une mise en route en production définitive au plus tard le 23 mai 2011.

Le bon de livraison, daté du 12 mai 2011 et signé par la société VPP, porte la mention manuscrite «'réceptionné le 12 mars 2012 avec réserves'». Un autre document (« Réception machine ») signé par les deux parties et daté du 12 mars 2012 également détaille les réserves. Le 19 avril 2012, les parties ont signé un nouveau document intitulé « contrôle de fonctionnement » listant les points à améliorer en vue de la réception. Puis, la société VPP a adressé à la Sarl AJF une mise en demeure datée du 27 juillet 2012 lui demandant soit d'achever la mise en route en production définitive, soit de récupérer la machine.

La Sarl AJF soutient qu'elle a livré la machine le 12 mai 2011 et que le retard entre cette date et le 12 mars 2012 ne lui est pas imputable, puisqu'elle est intervenue régulièrement pour procéder aux réglages de l'installation et que c'est en toute mauvaise foi que la société VPP a refusé de réceptionner la machine. Toutefois, elle n'apporte pas la preuve de ses allégations et le procès-verbal de réception avec réserves montre bien qu'elle n'a pas réussi à mettre en route la machine en production définitive pendant ce délai, ce que confirme d'ailleurs l'issue du présent litige sur sa responsabilité contractuelle.

Les pénalités de retard de livraison et de mise en route sont donc justifiées. Il convient donc de faire droit à la demande de la société VPP à hauteur de la somme de 163.760,40 euros pour 216 jours ouvrés de retard (entre le 9 mai 2011 et le 12 mars 2012).

L'appelante est également bien fondée en sa demande de pénalité contractuelle de 10'%, à hauteur de 15.163 euros, pour non-conformité puisque l'expert a constaté les défauts listés au procès-verbal de réception avec réserves.

Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté toutes les demandes de la société VPP dirigées contre la Sarl AJF.

I.1.d) Sur les travaux préconisés par l'expertise

La société VPP sollicite la condamnation de la Sarl AJF à réaliser les travaux préconisés par l'expert sous astreinte. Toutefois la Sarl AJF ayant été liquidée et radiée, et ne survivant par son mandataire ad'hoc que pour les besoins de la présente instance, il n'est pas justifié de la condamner à une obligation de faire. En outre, la société VPP a obtenu du tribunal une condamnation de Me R. ès qualités au paiement de la somme de 1.250 euros correspondant au coût de ces travaux, et elle n'en demande pas l'infirmation.

Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Me R. ès qualités à payer à la société VPP la somme de 1.250 euros au titre des travaux d'amélioration préconisés par l'expert et de rejeter la demande de travaux sous astreinte.

I.2 A l'égard de M. P.

C'est à juste titre que le tribunal de commerce a retenu la responsabilité de M. Jean-François P., en ce qu'il a procédé prématurément à la liquidation amiable de la Sarl AJF dont il était le gérant, puis à la radiation de celle-ci, alors que les opérations d'expertise judiciaire étaient toujours en cours, et en ce qu'il a fait assigner la société VPP au nom de la Sarl AJF en paiement du solde de la facture alors que cette dernière était radiée.

Il convient d'ajouter qu'il a omis de provisionner la dette sociale dont il avait connaissance d'avant d'apurer le passif, étant précisé que la société VPP réclamait à la Sarl AJF, dans le cadre des opérations d'expertise, la somme totale de 278.141,98 euros, et qu'il s'est remboursé son compte courant d'associé en 2012 à hauteur de 139.965,30 euros avant de clôturer les opérations de liquidation.

Du fait de la liquidation prématurée de la société AJF, celle-ci se trouve dans l'impossibilité d'honorer sa dette résultant du présent arrêt. M. P. a donc fait perdre à la société VPP la possibilité certaine d'être payée à hauteur de 139.965,30 euros. Il sera donc condamné solidairement avec la société AJF, sur le fondement de l'article 1240 du Code civil (anciennement 1382) et de l'article L. 237-12 du Code de commerce, mais dans la limite de 139.965,30 euros.

Il convient en outre de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. P. à rembourser à la société VPP la somme de 3.000 euros exposés inutilement dans l'instance précédente engagée par lui, ainsi que la somme de 500 euros pour les honoraires de la SCP T.-R. que la société VPP a dû avancer, et la totalité des frais que le président du tribunal sera amené à taxer.

II. Sur la demande reconventionnelle en paiement du solde du marché

C'est à juste titre que le tribunal a condamné la société VPP à payer le solde du prix de la machine, soit 45.489 euros HT, et a ordonné la compensation entre cette somme et la somme qui lui est due de 1.250 euros correspondant aux travaux préconisés par l'expert.

Il convient de préciser que la demande de la Sarl AJF en paiement de la somme de 52.909,84 euros TTC (comprenant donc la TVA) n'est pas formulée dans le dispositif de ses conclusions, de sorte que la cour n'a pas à statuer sur ce point. En tout état de cause, il ressort de l'expertise judiciaire que la société VPP a déjà payé la TVA sur la totalité du prix de la machine, en plus des deux acomptes hors taxes.

Il convient donc de confirmer purement et simplement le jugement sur ces points.

III. Sur les demandes accessoires

La société AJF, représentée par Me R. en qualité de mandataire ad'hoc, et M. P., parties perdantes, seront condamnés aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de l'avocat postulant de la SA VPP, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

L'équité commande en outre de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la SA VPP à hauteur de 3.000 euros. La société AJF et M. P. seront donc condamnés au paiement de cette somme.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement rendu le 28 mars 2017 par le tribunal de commerce de Reims en ce qu'il a' :

- débouté la société V. Pommery Production de ses demandes au titre des pénalités de retard et non-conformité de la machine ainsi que des dépenses salariales,

- rejeté la demande en paiement de la société V. Pommery Production dirigée contre M. P. à hauteur de la somme de 139.965,30 euros,

- condamné la société V. Pommery Production aux entiers dépens,

Statuant à nouveau sur ces seuls chefs,

CONDAMNE solidairement la société AJF, représentée par Me Bruno R. en qualité de mandataire ad'hoc, et M. Jean-François P. à payer à la société V. Pommery Production les sommes suivantes' :

- 308.333,33 euros à titre de dommages-intérêts au titre de l'emploi à plein temps d'un opérateur,

- 163.760,40 euros au titre des pénalités contractuelles de retard pour le retard de livraison et de mise en route,

- 15.163 euros au titre des pénalités contractuelles pour non conformité,

étant précisé que M. Jean-François P. ne sera tenu de cette condamnation que dans la limite de 139.965,30 euros,

REJETTE la demande indemnitaire de la société V. Pommery Production au titre du rendement inférieur,

REJETTE la demande de travaux sous astreinte formulée par la société V. Pommery Production à l'encontre de la Sarl AJF,

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société AJF, représentée par Me Bruno R. en qualité de mandataire ad'hoc, et M. Jean-François P. à payer à la société V. Pommery Production la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

CONDAMNE la société AJF, représentée par Me Bruno R. en qualité de mandataire ad'hoc, et M. Jean-François P. aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Me Thierry B., avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.