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Décisions

CA Nîmes, 4e ch. com., 21 juillet 2016, n° 16/01741

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Kurt Pijahn Handelsgesellshaft MHB (Sté.)

Défendeur :

MJ-Synergie

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Codol

Conseillers :

Mme Hairon, Mme Rochette

T. com Aubenas, du 2 févr. 2016

2 février 2016

EXPOSÉ

Vu le contredit de compétence interjeté le 7 avril 2016 par la société KURT PIJAHN HANDELSGESELLSHAFT MHB à l'encontre du jugement prononcé le 2 février 2016 par le Tribunal de Commerce d'Aubenas dans l'instance n° 2015J42.

Vu les dernières conclusions déposées le 30 juin 2016 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les dernières conclusions déposées le 29 juin 2016 par la SELARL MJ-SYNERGIE, intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

* * *

En 2009 et 2010, la S.A.R.L. P. a vendu des fraises à la société de droit allemand KURT PIJAHN HANDELSGESELLSHAFT MHB.

La société de droit français P. a fait l'objet d'un jugement de liquidation judiciaire prononcé par le tribunal de commerce d'Aubenas le 28 février 2012. La SELARL MJ-SYNERGIE a été désignée mandataire judiciaire et Me C. liquidateur.

La SELARL MJ-SYNERGIE a demandé à la société KURT PIJAHN HANDELSGESELLSHAFT MHB le paiement de diverses factures.

Par exploit du 9 juillet 2014, la SELARL MJ-SYNERGIE représentée par Me C. agissant ès qualités de liquidateur de la SARL P. a fait assigner la société KURT PIJAHN HANDELSGESELLSHAFT MHB (ci-après désignée société KURT) en paiement de la somme de 40.392 euros, outre intérêts devant le Tribunal de Commerce d'Aubenas qui, par jugement du 2 février 2016, a, au visa du règlement Bruxelles I (CE) du 22 décembre 2000 n°44/2001, 42, 46, 48 du code de procédure civile :

- déclaré valable la clause attributive de compétence du tribunal de commerce d'Aubenas,

- s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige,

- renvoyé l'instance à l'audience de contentieux général du 5 avril 2016,

- réservé les autres chefs de demandes et les dépens.

Par courrier du 7 avril 2016, la société KURT a formé contredit à l'encontre de ce jugement.

La société KURT demande à la Cour, au visa de l'article 80 du code de procédure civile, 2,5 et 23 du règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000, de :

- réformer le jugement contredit rendu le 2 février 2016 par le tribunal de commerce d'Aubenas,

' déclaré les juridictions allemandes compétentes,

' condamner la SELARL MJ'Synergie aux entiers dépens conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

' condamner la SELARL MJ'Synergie à lui verser la somme de 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La SELARL MJ'Synergie conclut au rejet de l'ensemble des demandes de la société KURT ainsi que la confirmation en toutes ses dispositions du jugement du tribunal de commerce d'Aubenas du 2 février 2016. En outre elle sollicite le paiement d'une somme de 5000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et la condamnation de la société KURT aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

La société KURT prétend qu'en application du règlement Bruxelles I 44/2001, les juridictions allemandes sont seules compétentes. En effet l'article 2 dudit règlement prévoit la compétence de principe du tribunal du siège social du défendeur. L'article 5 évoque des règles de compétence spéciale, à savoir celle du lieu de l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. Dans ces deux cas de figure les juridictions allemandes sont compétentes. Enfin la clause attributive de juridiction figurant dans les conditions générales de vente de la société P. lui sont inopposables car d'une part, elle n'y a jamais consenti et d'autre part elles viennent en contradiction avec des clauses attributives de compétence aux juridictions allemandes stipulées dans des contrats précédents.

La société P. réfute l'argumentation de la société KURT et prétend au contraire que la clause attributive de juridiction figurant au bas de sa facturation est applicable, étant très visible et lisible. Même si les factures (et donc la clause attributive de juridiction) sont rédigées en langue française, la société KURT n'en a jamais contesté ni la compréhension ni la rédaction en français et les a réglées, ce qui démontre son acceptation de la clause. À supposer enfin que des clauses attributives de juridiction contradictoires aient été stipulées, la loi du for redevient applicable, en particulier les articles 14 et 15 du code civil aux termes desquels les juridictions françaises sont compétentes. En conséquence c'est à bon droit que le tribunal de commerce d'Aubenas a retenu sa compétence.

Dans la mesure où la société allemande Bösch-Boden-Spies GMBH est l'agent commercial de la société P., la relation contractuelle n'a pas été formée entre la société Bösch-Boden-Spies GMBH et la société KURT comme cette dernière l'allègue, mais entre la société P., mandant de l'agent commercial, et la société KURT.

Cinq contrats ont été conclus entre les parties :

'un contrat numéro 20843600 en date du 24 avril 2009 exécuté sans difficulté,

'un contrat numéro 20847400 en date du 8 mai 2009 exécuté sans difficulté,

'un contrat numéro 20848800 en date du 15 mai 2009 et son avenant en date du 13 novembre 2009 qui permettait de résoudre amiablement des discussions portant sur le défaut de deux livraisons sur six,

'un contrat numéro 20857600 du 16 juin 2009 et deux avenants en date respectivement du 17 juin 2009 et 13 novembre 2009, en vertu desquels la société MJ'Synergie demande le paiement de sommes,

'un contrat numéro 20960100 en date du 19 avril 2010, en vertu desquels la société MJ-Synergie demande le paiement de sommes.

Ces contrats portaient sur la livraison de fraises dans diverses villes allemandes.

Le règlement Bruxelles I 44/2001 règle la compétence territoriale des tribunaux en matière civile et commerciale en présence de parties domiciliées dans différents pays de l'Union Européenne. C'est à juste titre que le tribunal de commerce d'Aubenas s'est prononcé au visa de ce règlement, applicable aux faits de l'espèce, compte tenu de l'époque des relations contractuelles.

L'article 2 de ce règlement édicte un principe général de compétence qui est celui du tribunal du lieu du domicile du défendeur. Il est précisé à l'article 3 que les règles de compétence nationale exorbitantes du droit commun ne peuvent être invoquées contre une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre. Dès lors il ne peut être fait application des articles 14 et 15 du Code Civil comme soutenu dans un des moyens de la société MJ'Synergie.

L'article 5 du règlement, mentionné dans le jugement critiqué, permet d'attraire une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre dans un autre État membre, à savoir 'en matière contractuelle devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée'.

Il s'ensuit qu'en vertu des articles précités, les juridictions allemandes seraient compétentes. En effet la société KURT est défenderesse et la société P. a exécuté son obligation de délivrance des fraises en Allemagne.

Mais l'article 23 du règlement de Bruxelles I dispose que « si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État membre pour connaître des différents nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal où les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties... ».

Pour être valable et opposable, la clause attributive de juridiction doit remplir certaines conditions alternatives.

En premier lieu, elle peut être conclue par écrit. La société MJ'Synergie estime que tel est le cas parce qu'il est mentionné au bas des factures de la société P., côté recto que « par application de la loi numéro 80.335 du 12 mai 1980 nous nous réservons le droit de reprise jusqu'au paiement intégral du prix convenu. En cas de litige le tribunal de commerce d'Annonay est seul compétent. » Cependant, il n'est pas établi que le cocontractant, qui n'a pas signé ces pièces, ait été en mesure d'en prendre valablement connaissance, quand bien même elles étaient visibles, dans la mesure où cette clause est rédigée en langue française et non traduite, alors que les parties échangeaient en langue anglaise sur l'exécution des contrats de vente rédigés en langue allemande et traduits en français. Il n'est pas davantage justifié de ce que les conditions générales de vente de la société P. aient été communiquées à la société KURT et il n'en est d'ailleurs fait nulle mention dans les factures. En tout état de cause, la Cour s'est trouvée dans l'impossibilité d'examiner ces conditions générales, la pièce produite étant illisible. En dernier lieu la société MJ'Synergie ne peut se prévaloir d'une acceptation de la clause attributive de compétence en raison du paiement réitéré de factures par la société KURT puisqu'il était expressément prévu la compétence des juridiction allemandes ou d'un arbitre dans les contrats précédents, effectivement réglés sans contestations.

En second lieu, il peut y avoir accord verbal sur une clause attributive de compétence, confirmé par écrit. Aucune partie n'allègue la mise en place d'une clause attributive de compétence selon cette forme.

En troisième lieu, la clause attributive de compétence mentionnée dans les factures de la société P. peut être conclue sous une forme conforme aux habitudes établies entre les parties. L'analyse des contrats passés entre les parties démontre au contraire qu'il n'y eu aucune uniformité en la matière puisque :

' le contrat numéro 20843600 en date du 24 avril 2009 stipule que le tribunal de Munich était compétent en cas de litige et qu'il aurait été fait application des règles de droit allemand,

' le contrat numéro 20847400 en date du 8 mai 2009 précise qu'il est conclu conformément aux règles et conditions de la fédération Warren-Verein der Hamburger Börse e.V dont les arbitres et experts sont compétents pour trancher définitivement tous litiges nés de ce contrat,

' le contrat numéro 20848800 en date du 15 mai 2009 et son avenant en date du 13 novembre 2009 mettaient en place la même clause d'arbitrage,

' le contrat numéro 20857600 du 16 juin 2009 et deux avenants en date respectivement du 17 juin 2009 et 13 novembre 2009, ne prévoyait aucune clause attributive de compétence, alors même que la facture de la société P. est contestée,

'un contrat numéro 20960100 en date du 19 avril 2010 ne prévoyait aucune clause attributive de compétence, alors même que la facture de la société P. est contestée.

C'est donc à tort que le tribunal de commerce a considéré que l'acceptation de la clause attributive de compétence au tribunal de commerce d'Annonay (et par conséquent d'Aubenas) se déduisait du paiement réitéré de factures émises au titre de contrats stipulant d'autres prorogations de compétence.

En dernier lieu, la clause attributive de compétence peut avoir été conclue 'sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée'. Mais l'analyse des relations d'affaire existant entre les parties démontre qu'elles ont stipulé des prorogations de compétence contradictoires, de sorte qu'il n'y a eu aucune commune intention de se référer à un usage dont elle avaient connaissance ou étaient censés avoir connaissance. De plus, la société MJ-SYNERGIE ne se prévaut pas de l'existence d'un usage régulièrement observé dans ce type de commerce par des parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.

Il s'ensuit que le jugement déféré doit être infirmé et les juridictions allemandes déclarées compétentes.

La société MJ-Synergie, qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance et payer à la société KURT une somme équitablement arbitrée, eu égard à sa situation économique, à 1000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré,

Vu les articles 2,3,5 et 23 du règlement (CE) 44/2001 du 22 décembre 2000,

Déclare les juridictions allemandes compétentes pour connaître du litige,

Dit que la SELARL MJ-SYNERGIE représentée par Me C., pris en sa qualité de liquidateur de la SARL P. supportera les dépens de première instance et d'appel et payera à la société KURT PIJAHN HANDELSGESELLSHAFT MHB une somme de 1000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.

La minute du présent arrêt a été signée par Madame CODOL, président, et par Madame Véronique VILLALBA, Greffier, VILLALBA, greffier présente lors de son prononcé.