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Décisions

CA Montpellier, 2e ch. A, 11 avril 2006, n° 04/06032

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Piedade (SA), Companhia De Seguros Bonanca AT (Sté)

Défendeur :

Bouchons Abel (SAS), Caisse Regionale De Reassurance Mutuelle Agricole (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schmitt

Conseillers :

M. Chassery, M. Magne

Avoués :

SCP Argellies - Travier - Watremet, SCP Capdevila - Vedel-Salles

Avocats :

Me Janbon, Me Vital-Durand, Me Thevenet

T. com. Perpignan, du 21 sept. 2004, n° …

21 septembre 2004

ARRET :

- contradictoire.

- prononcé publiquement par M. Guy SCHMITT, Président.

- signé par M. Guy SCHMITT, Président, et par Melle Colette ROBIN, Greffier présent lors du prononcé.

Vu le jugement rendu le 21 septembre 2004 par le tribunal de commerce de PERPIGNAN ;

Vu l'appel interjeté à l'encontre de ce jugement dans des conditions dont la régularité n'est pas discutée ;

Vu les conclusions de la société PIEDADE et de la COMPANHIA DE SEGUROS BONANCA (la compagnie BONANCA), appelantes, déposées le 2 mars 2006;

Vu les conclusions de la société BOUCHONS ABEL et de la CAISSE RÉGIONALE DE RÉASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE dite GROUPAMA SUD (GROUPAMA), intimées, déposées le 21 septembre 2005 ;

Sur ce,

Attendu que pour l'exposé des moyens et prétentions des parties il est renvoyé, par application des dispositions de l'article 455 du NCPC, à leurs conclusions visées ci-dessus ;

Attendu que la société PIEDADE, assurée auprès de la compagnie BONANCA, a vendu en juillet 2001 des bouchons à la société BOUCHONS ABEL assurée auprès de la compagnie GROUPAMA, dont 195.000 bouchons grand cru; que suite à des déclarations de sinistres faites par deux négociants en vin qui avaient acquis auprès de la société BOUCHONS ABEL des bouchons grand cru, la compagnie GROUPAMA a fait effectuer une expertise puis a transigé avec les négociants auxquels elle a versé les sommes de 185.000 et 133.000 €uros; que, subrogée dans les droits des victimes indemnisées, elle s'est retournée contre la société PIEDADE et son assureur;

Attendu que par le jugement attaqué le tribunal de commerce, après avoir retenu sa compétence sur le fondement de l'article 14 du code civil, a condamné la société PIEDADE et son assureur à rembourser à la compagnie GROUPAMA la somme de 318.000 €uros en considérant que les bouchons étaient atteints d'un vice caché et qu'une clause d'exclusion de garantie insérée dans les conditions de vente de la société PIEDADE était inopposables à la société BOUCHONS ABEL ;

Attendu que les appelantes entendent voir déclarer inapplicable l'article 14 du code civil et valable une clause attributive de compétence figurant dans les conditions générales de vente de la société PIEDADE; que leur argumentation mérite certes d'être retenue en ce qui concerne la non-applicabilité de l'article 14 du code civil, proclamée par l'article 3 du règlement du 22 décembre 2000; qu'en revanche la clause attributive de compétence, noyée dans la masse des conditions générales figurant au dos des seules factures émises par la société PIEDADE, est rédigée à la fois en Portugais et en Anglais, en des caractères bien trop réduits pour que, rien n'attirant l'attention sur elle, son acceptation tacite par la société BOUCHONS ABEL puisse être retenue; que, n'étant pas démontré et soutenu que le support et la présentation de cette clause sont conformes à un usage observé dans le type de commerce considéré, au sens de l'article 23 c du règlement, seul le droit commun de l'article 5 du règlement est applicable; que, l'obligation de garantie pesant sur la société PIEDADE devant s'exécuter au domicile de la société BOUCHONS ABEL en France, lieu de livraison des bouchons , le tribunal de commerce de PERPIGNAN était bien compétent pour connaître de la demande;

Attendu que les intimées fondent leur action à titre principal sur l'obligation de sécurité; qu'il résulte des articles 1386-1 et suivants du code civil qu'est tenu de plein droit d'une telle obligation tout producteur d'un produit susceptible par sa composition, ses réactions, sa diffusion ou son expansion de provoquer dans des conditions normales d'utilisation, une atteinte à la santé ou à l'intégrité physique d'une personne, ou encore une altération ou la destruction d'un autre produit; que des bouchons fabriqués en vue de sceller des bouteilles de vin impliquent une telle obligation dans la mesure où, mis en oeuvre conformément à leur destination, ils sont susceptibles d'altérer ou de détruire le vin dont ils sont censés préserver et protéger les qualités;

Attendu que l'expert d'assurance a détecté, dans les vins contaminés par les bouchons défectueux, un fort goût et un fort nez de moisi, qu'il a mis en évidence des proportions importantes ou massives de trichloroanisoles (TCA) et de trichlorophénols (TCP) et émis l'avis que les bouchons étaient, pour ces raisons, atteints de vices cachés cause de l'altération constatée; que, l'obligation de sécurité pouvant être invoquée même lorsque le défaut est susceptible de constituer un vice caché, et le défaut ayant été révélé par le rapport d'expertise déposé le 30 avril 2002, l'action introduite moins de trois ans plus tard par des assignations du 17 septembre et du 18 novembre 2003 est recevable par application des dispositions de l'article 1386-17 du code civil; qu'il appartient aux intimées de rapporter la preuve, exigée par l'article 1386-9 du même code, du dommage, du défaut, et du lien de causalité entre le défaut et le dommage;

Attendu que les appelantes soutiennent que la preuve n'est rapportée ni que les bouchons analysés ont été fournis par la société PIEDADE, ni que les défauts mis en évidence par l'expert sont d'origine; que ce moyen est fondé, aucune présomption ne pouvant être tirée de l'absence des appelantes aux opérations d'expertise malgré l'invitation de l'expert, et ce dernier ayant d'une part accordé foi aux affirmations de la société BOUCHONS ABEL et des négociants quant à l'origine des bouchons qui lui ont été présentés sans effectuer la moindre vérification ou comparaison concrète et sans fournir la moindre démonstration, d'autre part relevé que la société BOUCHONS ABEL avait, avant la vente, procédé sur les bouchons à diverses opérations, notamment de lavage et de triage, de sorte qu'il était 'difficile de démontrer la traçabilité du lot et d'écarter l'hypothèse, certes peu probable, d'une contamination des bouchons dans ses locaux;

Attendu que, le rapport d'expertise faisant ressortir que la société PIEDADE n'était pas le seul fournisseur de la société BOUCHONS ABEL, il s'ensuit que la preuve positive et suffisante d'un défaut ou d'un vice d'origine des bouchons cause du dommage invoqué n'est pas rapportée par les intimées et que le jugement attaqué ne peut qu'être infirmé ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement et contradictoirement,

Déclare l'appel recevable.

Au fond, confirme le jugement attaqué en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence.

L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,

Déclare la demande de la société BOUCHONS ABEL et de la CAISSE RÉGIONALE DE RÉASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE recevable.

Au fond, la rejette.

Condamne la société BOUCHONS ABEL et la CAISSE RÉGIONALE DE RÉASSURANCE MUTUELLE AGRICOLE in solidum aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Les condamne in solidum à payer aux appelantes une somme de 4.500 €uros par application des dispositions de l'article 700 du NCPC;

Admet l'avoué des appelantes au bénéfice des dispositions de l'article 699 du NCPC.