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Décisions

CA Riom, 1re ch. civ., 29 mars 2022, n° 20/00858

RIOM

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Valleix

Conseillers :

M. Acquarone, Mme Bedos

Avocats :

SCP C. de RCBG & Associés, Selarl Abside Avocats

TJ Clermont-Ferrand, du 16 avr. 2020, n°…

16 avril 2020

I. Procédure

M. Olivier R. et Mme Amélie L. ont fait construire une maison individuelle par la société MAISONS ELAN. Les travaux de voirie et réseaux (VRD) étant hors contrat, la société Auvergne TP a été choisie par les maîtres de l'ouvrage pour les réaliser, moyennant un devis de 20'980 EUR TTC accepté le 2 mars 2015.

Se disant sous-traitant de la société Auvergne TP, M. Olivier P. a assigné les consorts R. et L. devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand le 23 janvier 2018, afin d'obtenir à titre principal le règlement de la somme de 11'880 EUR TTC au titre du solde des travaux.

M. R. et Mme L. ont contesté devant le premier juge devoir quoi que ce soit à M. P.. Ils soutenaient n'être liés qu'avec la société Auvergne TP, et n'avoir jamais contracté avec le demandeur.

À l'issue des débats le tribunal judiciaire a statué comme suit par jugement du 16 avril 2020 :

« Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe,

DÉCLARE recevable la demande de Monsieur Olivier P.,

CONDAMNE in solidum Monsieur Olivier R. et Madame Amélie L. à verser à Monsieur Olivier P. la somme de 11 880 € TTC (onze mille huit cent quatre vingt euros),

DÉBOUTE Monsieur Olivier R. et Madame Amélie L. de l'intégralité de leurs demandes reconventionnelles,

CONDAMNE in solidum Monsieur Olivier R. et Madame Amélie L. à verser à Monsieur P. la somme de 1 500 € (mille cinq cents euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum Monsieur Olivier R. et Madame L. aux dépens de l'instance, qui pourront être recouvrés par Maître Julien P. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

ORDONNE l'exécution provisoire du présent jugement. »

Au vu des pièces produites le tribunal judiciaire a considéré que la preuve d'une relation contractuelle entre les consorts R. et L. et M. P., ayant pour objet des travaux de terrassement, était suffisamment établie.

Il ajoute que M. R. et Mme L. ne produisent aucun justificatif au soutien de leurs demandes concernant des désordres qui affecteraient les travaux réalisés par M. P..

***

M. Olivier R. et Mme Amélie L. ont fait appel de ce jugement le 15 juillet 2020, précisant :

« Objet/Portée de l'appel : le jugement est appelé en ce qu'il a : - déclaré recevable la demande de Monsieur Olivier P. - condamné in solidum Monsieur Olivier R. et Madame Amélie L. à verser à Monsieur Olivier P. la somme de 11 880 € TTC - débouté Monsieur Olivier R. et Madame Amélie L. de l'intégralité de leurs demandes reconventionnelles - condamné in solidum Monsieur Olivier R. et Madame Amélie L. à verser à Monsieur P. la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de Procédure Civile - condamné in solidum Monsieur Olivier R. et Madame Amélie L. au dépens de l'instance. »

Dans leurs dernières conclusions du 13 décembre 2021 les consorts R. et L. demandent à la cour de :

« 1 - ANNULER LE JUGEMENT pour violation du principe contradictoire qui retient d'office un moyen de droit tiré du principe de non-cumul des responsabilités contractuelles et quasi délictuelles qui n'étaient pas dans les débats et sans les ré-ouvrir.

ÉVOQUANT OU À DÉFAUT DIRE BIEN APPELÉ, MAL JUGÉ, RÉFORMANT en toutes ses dispositions la décision déférée

2 - DÉCLARER irrecevable et en tout cas non fondée l'action contractuelle P. comme celle invoquant l'enrichissement sans cause.

REJETER les demandes faute de preuve d'aucun contrat d'aucune nature entre P. et les consorts R./L. qui ne sont liés qu'avec la société AUVERGNE TP pour la somme de 20 904 € sur laquelle ils ont réglé un premier acompte de 50 % soit un 10 452 €.

L'EN DÉBOUTER comme de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

3 - FAISANT DROIT A LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE des concluants,

CONDAMNER Monsieur P. à les indemniser de leur préjudice matériel et de leur trouble de jouissance, déclaration de responsabilité préalablement retenue :

- à titre principal d'une responsabilité quasi délictuelle,

- à titre subsidiaire et sans aucun cumul, d'une responsabilité contractuelle.

En conséquence CONDAMNER quel que soit le fondement l'intimé à payer et porter aux concluants :

- au titre de la terminaison du chantier et reprise des désordres, déduction faite du montant intégral de ce qui a été contractuellement prévu d'origine avec l'entreprise AUVERGNE TP, soit la somme de 9 534,10 €

- au titre de leur trouble de jouissance la somme de 10 000 € alors que les travaux sont à inachevés depuis 3 ans et à reprendre partiellement.

4 - Dans tous les cas, CONDAMNER la société P. au paiement d'une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens. »

***

En défense, dans des conclusions nº 2 du 11 janvier 2022, M. Olivier P. demande pour sa part à la cour de :

« À titre principal :

Vu l'article 9 de l'ordonnance nº 2016-131 du 10 février 2016,

Vu les articles 1134 et 1147 du Code Civil applicables au moment de la formation du contrat,

Déclarer la demande de Monsieur P. recevable et bien fondée, et en conséquence :

Confirmer le jugement rendu le 16 avril 2020 par le Tribunal Judiciaire de CLERMONT FERRAND en toutes ses dispositions, savoir :

' En ce qu'il a déclaré recevable la demande de Monsieur P..

' En ce qu'il a condamné solidairement Monsieur R. et Madame L. à verser à Monsieur P. une somme de 11 880 € TTC.

' En ce qu'il a débouté Monsieur R. et Madame L. de l'intégralité de leurs demandes reconventionnelles,

' En ce qu'il a condamné in solidum Monsieur R. et Madame L. à verser à Monsieur P. une somme de 1500 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

' En ce qu'il a condamné in solidum Monsieur R. et Madame L. aux dépens de l'instance qui pourront être recouvrés par Me P. conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

' En ce qu'il a ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Débouter Monsieur R. et Madame L. de toutes leurs demandes, fins et conclusions.

Condamner Monsieur R. et Madame L. à porter et payer à Monsieur P. une somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel.

Condamner Monsieur R. et Madame L. aux entiers dépens.

Et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Maître Julien P. pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision. »

***

La cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des demandes et moyens des parties, fait ici expressément référence au jugement entrepris ainsi qu'aux dernières conclusions déposées, étant précisé que le litige se présente céans de la même manière qu'en première instance.

Une ordonnance du 27 janvier 2022 clôture la procédure.

II. Motifs

1. Sur la demande de nullité du jugement

M. R. et Mme L., appelants, demandent à la cour de prononcer la nullité du jugement au motif que le tribunal judiciaire a violé le principe du contradictoire en s'appuyant sur un moyen tiré du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, non invoqué par les parties, et sans recueillir préalablement leurs avis.

Devant le premier juge les consorts R. et L., ainsi que cela résulte du jugement, fondaient leur demande reconventionnelle en réparation contre M. P. uniquement sur la responsabilité délictuelle de celui-ci.

Dans la mesure où le tribunal judiciaire a jugé qu'un contrat d'entreprise avait été conclu entre les parties, il a rejeté la demande reconventionnelle des consorts R. et L. au motif du non-cumul des responsabilité contractuelle et délictuelle. Ce faisant, le tribunal judiciaire n'a fait que tirer les conclusions évidentes de sa propre décision par rapport aux demandes qui étaient portées devant lui, et n'a manifestement enfreint aucune règle essentielle de procédure. Il appartenait aux consorts R. et L. de solliciter subsidiairement des réparations contre M. P. sur le fondement de la responsabilité civile contractuelle, ce qu'ils n'ont pas fait devant le premier juge mais font maintenant devant la cour.

La demande de nullité du jugement ne peut donc prospérer.

2. Sur le fond

Les consorts R. et L. soutiennent n'avoir jamais conclu la moindre convention avec M. Olivier P., et sollicitent par conséquent le débouté des demandes de celui-ci au titre du règlement des travaux qu'il a réalisés.

Selon l'article 1710 du code civil, le louage d'ouvrage est un contrat par lequel l'une des parties s'engage à faire quelque chose pour l'autre, moyennant un prix convenu entre elles. Il est constant que le contrat d'entreprise n'est soumis à aucun formalisme (3e Civ., 18 juin 1970, nº 69-10.167 ; 17 décembre 1997, nº 94-20. 709).

Il résulte du dossier les éléments suivants.

À l'origine les consorts R. et L. ont contracté avec la SARL Auvergne TP qui avait émis à leur intention le 29 janvier 2015 un devis nº 117 pour 20'904 EUR TTC, concernant principalement : la réalisation d'un chemin d'accès de chantier et d'une bande de roulement, la mise en place des fourreaux EDF et PTT, le raccordement des eaux pluviales de l'habitation, la création d'un puits perdu, le raccordement de la construction au tout-à-l'égout avec station de relevage des eaux usées.

Manifestement la SARL Auvergne TP n'a pas réalisé la totalité de ces ouvrages, et M. P. écrit à ce propos dans ses conclusions page 7 : « Les maîtres de l'ouvrage étaient parfaitement informés de la situation, à savoir que Monsieur P. est intervenu dans un premier temps en qualité de sous-traitant de la Société AUVERGNE TP et dans un second temps directement suite à l'arrêt d'activité de cette dernière. »

Les consorts R. et L. n'ignoraient pas l'incapacité de la SARL Auvergne TP à continuer le chantier, puisque dans une lettre qu'ils adressent à M. Olivier P. le 21 juin 2016, en réponse à sa facture du 11 mai 2016 dont ils contestent le montant, ils lui écrivent notamment : « La SARL AUVERGNE TP intervenait pour le compte de MAISONS ELAN, et m'était recommandée par eux. Cette société AUVERGNE TP ne pouvant pas assurer les travaux, par l'intermédiaire de MAISONS ELAN vous êtes intervenu en sous-traitance de celle-ci et vous avez fin avril, début mai 2016 effectué une partie des travaux (travaux concernant les raccordements). »

Dans cette lettre les maîtres de l'ouvrage insistent auprès de M. P. pour qu'il intervienne « le plus rapidement possible maintenant afin de finir les travaux commandés », moyennant quoi « une fois ces travaux réalisés le solde du devis de 11'208 € restants dû (devis de 17'420 € HT + 630 € HT de plus value - 10'452 € d'acompte versé) sera réglé à réception de l'achèvement de ces travaux et remise de l'attestation d'assurance de la garantie décennale. » La missive se termine par ces termes : « Il va sans dire que, sans intervention rapide de votre part, les frais engendrés par les éventuelles pénalités de retard vous seront imputés. Sans reprise du chantier sous quinzaine, je considère que vous ne souhaitez pas terminer le chantier. En conséquence, je ferai appel à une autre entreprise et les frais engendrés vous seront imputés. »

Aucune pièce n'est produite au dossier par les parties concernant la raison pour laquelle la SARL Auvergne TP n'a pas été en mesure de continuer ses prestations sur le chantier. Sans être démenti sur ce point, M. P. note simplement dans ses conclusions page 2 qu'il a été conduit à reprendre le chantier « compte tenu de la dissolution de la société AUVERGNE TP ». Les appelants ne peuvent donc pas sérieusement soutenir qu'ils demeuraient contractuellement liés avec la SARL Auvergne TP dans le cadre du devis que celle-ci avait établi le 29 janvier 2015, alors que cette entreprise avait cessé toute activité avant de terminer le travail qu'elle leur avait promis.

C'est donc bien dans un cadre contractuel qu'une relation de louage d'ouvrage s'est nouée entre les consorts R. et L. et M. P. après la défection de la SARL Auvergne TP, dont on ne sait à quel moment elle a eu lieu, les parties ne le précisant pas et ne produisant à ce sujet aucun document.

Ceci est d'autant plus vrai qu'en réponse à une facture rectificative nº 28 que M. Olivier P. a établie le 9 septembre 2016 pour 11'880 EUR TTC, prenant en considération l'acompte déjà versé par les maîtres de l'ouvrage à la SARL Auvergne TP et une plus-value sur les travaux initialement commandés, M. Olivier R. lui écrit ceci dans une lettre du 24 janvier 2017 :

« Suite à votre courrier reçu, et notre entretien du 7 janvier dernier, je vous confirme l'accord passé, à savoir que vous prenez en charge :

- la reprise de l'état du chemin d'accès conformément aux DTU (que vous avez qualifié d'inexistant), en refaisant les 3 regards de visite du chemin (à l'identique ou tout du moins en finition comparable) - pour les rehausser et les positionner au niveau fini, soit 15 cm plus haut que l'existant actuel,

- la mise en place sur la longueur nécessaire d'un nouveau géotextile (soit environ à partir du 2e regard de visite jusqu'après le 4e regard),

- la mise en oeuvre d'au moins 15 cm de concassé type 0/31.5 (en prenant garde de ne pas faire de zone creuse par rapport à l'accès au garage)

En contrepartie je m'engage, après réception de fin de travaux, à effectuer le règlement de 11880 € TTC comme convenu.

Merci de me faire passer par fax au numéro suivant ['] la facture 0028 modifiée correspondante. »

Le 2 mai 2017 l'entreprise P. répond aux consorts R. et L. qu'elle s'engage à réaliser les travaux du chemin desservant la propriété, précisant : « Conformément à notre accord vous nous réglerez le solde de la facture nº 00028 d'un montant de 11'880 EUR TTC à la réception du chantier. »

Les termes employés dans cet échange de lettres sont parfaitement clairs et dénués de toute ambiguïté quant au contrat qui est désormais conclu entre les deux parties. Le jugement doit donc être confirmé en ce que le tribunal a reconnu l'existence d'un contrat d'entreprise conclu entre les consorts R. et L. d'une part et M. P. d'autre part.

Dans leur lettre ci-dessus reproduite du 24 janvier 2017 les consorts R. et L. reconnaissent devoir à M. P. la somme de 11'880 EUR TTC « comme convenu ». Les appelants soutiennent cependant que le travail a été mal fait, et produisent à ce sujet une note technique établie par M. Vincent C. le 10 décembre 2021.

Or il est constant que si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire des parties, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une d'elles (Ch. Mixte 28 septembre 2012, nº 11-18.710 ; 2e Civ., 7 septembre 2017, nº 16-15.531).

En l'espèce, le rapport de M. C. n'est soutenu par aucune autre pièce probante, étant considéré qu'on ne peut qualifier de telles les photographies versées au dossier, qui ne démontrent rien, ni le devis établi par la SARL BM TRAVAUX consistant ni plus ni moins à reprendre quasiment la totalité de l'ouvrage pour 16'644,10 EUR TTC.

En toute hypothèse, d'une part la note de M. C. est en date du 10 décembre 2021, soit presque cinq années après la facture définitive nº 28 établie par M. P. le 9 septembre 2016, et l'on ne sait ce qui a pu advenir sur la propriété des époux R. et L. durant cette longue période ; d'autre part les appelants ne démontrent absolument pas la réalité du dysfonctionnement de l'évacuation des eaux usées dont ils se plaignent, M. C. ne faisant que reproduire leurs propres déclarations.

En conséquence, le jugement doit être intégralement confirmé.

2500 EUR sont justes pour l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts R. et L. supporteront les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement ;

Condamne M. Olivier R. et Mme Amélie L. à payer à M. Olivier P. la somme de 2500 EUR en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne les mêmes aux dépens d'appel et dit que Maître Julien P. pourra recouvrer directement ceux dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.