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Décisions

CA Toulouse, 1re ch. sect. 1, 23 juin 2008, n° 07/02817

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Sagena (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Milhet

Conseillers :

M. Coleno, M. Fourniel

Avoués :

SCP Dessart-Sorel-Dessart, SCP B. Chateau, SCP Cantaloube-Ferrieu Cerri

Avocats :

SCP Jeay Faivre-Martin De La Moutte-Jeay, Me Azam, Me Carcy

TGI Toulouse, du 26 févr. 2007, n° 05/01…

26 février 2007

Exposé des faits

FAITS ET PROCÉDURE :

Après avoir fait établir un devis de travaux par Pierre G., entrepreneur de maçonnerie, charpente et couverture, les consorts G. ont fait l'acquisition le 9 décembre 1999 d'une ancienne métairie sur un terrain de 1ha 52a 55ca à Verfeil, et ont confié l'exécution des travaux à l'entrepreneur pour le prix de 39.973,88 €.

Un document intitulé réception des travaux a été établi avant leur achèvement complet le 20 octobre 2000, qui a mis un terme au contrat dont les consorts G. n'étaient pas satisfaits des conditions d'exécution.

Le 6 août 2001, le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse saisi d'une demande en paiement provisionnel d'un solde de travaux par Pierre G. a ordonné une expertise sur la demande reconventionnelle des consorts G., dont le rapport a été déposé le 18 avril 2003.

Par actes d'huissier des 18 et 25 mai 2005, les consorts G. ont assigné Pierre G. et la compagnie SAGENA devant le tribunal de grande instance de Toulouse en responsabilité et réparation.

Par le jugement déféré du 26 février 2007 assorti de l'exécution provisoire à hauteur des deux tiers des sommes allouées, le tribunal a condamné Pierre G. à payer aux consorts G. la somme de 78.644 € à titre de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1147 du code civil et mis hors de cause la SAGENA, assureur décennal, considérant que les travaux n'avaient pas fait l'objet d'une réception au sens de l'article 1792-6 du code civil mais d'un simple arrêté de compte, que l'entrepreneur qui se présentait comme concepteur maître d'oeuvre en rénovation avait manqué à son devoir de conseil en fournissant un devis de travaux de rénovation inadapté à l'état de délabrement de l'immeuble qui avait déterminé les consorts G. dans leur projet, allouant à ces derniers la restitution de la moitié du prix d'achat considérée comme représentative de la valeur de la bâtisse, soit 36.600 € , le remboursement des travaux inutilement financés soit 27.044,67 € et 15.000 € à titre de préjudice de jouissance et en dédommagement des tracas subis et intérêts d'emprunts payés inutilement.

Ce jugement a été frappé d'appel principal par les consorts G. et par Pierre G..

Vu les dernières conclusions déposées le 25 avril 2008 par Pierre G., tendant à l'infirmation du jugement déféré, au rejet des demandes des époux G. et à leur condamnation au paiement de la somme de 7.358,81 € au titre du solde des travaux effectués, subsidiairement à l'institution d'une nouvelle expertise et plus subsidiairement à la garantie de la SAGENA en l'état de la réception des travaux, aux motifs qu'aucune responsabilité ne saurait lui être imputée alors qu'il n'est intervenu qu'en qualité d'entrepreneur et non de maître d'oeuvre, au surplus pour des professionnels avertis, pour établir un devis de travaux dont l'exécution ne suscite pas en soi de critique de la part de l'expert, que l'avis de l'expert sur l'impropriété de l'ouvrage à recevoir des travaux n'est pas techniquement fondé, que les préjudices allégués ne sont pas justifiés,

Vu les dernières conclusions déposées le 11 avril 2008 par les consorts G. tendant à l'infirmation partielle du jugement dont appel et à l'allocation d'une somme de 221.402,25 € à titre de dommages et intérêts, soutenant que les évaluations retenues par le premier juge sur des bases dépourvues d'objectivité sont insuffisantes à assurer la réparation du préjudice réellement subi,

Motifs

Vu les dernières conclusions déposées le 24 avril 2008 par la société SAGENA tendant à la confirmation pure et simple de la décision déférée, soutenant ne pas assurer Pierre G. pour une activité de maître d'oeuvre, que l'expert n'a pas mis en évidence de désordres à proprement parler des travaux réalisés ni chiffré de coût de reprise, qu'aucune réception des travaux n'a eu lieu et que les malfaçons étaient alors apparentes,

MOTIFS DE LA DÉCISION :

#1 Attendu que c'est par une exacte application de la loi en ce qui concerne la notion de réception des travaux, reposant sur une juste appréciation des faits et documents de la cause et par des motifs pertinents qui ne sont pas utilement critiqués devant la Cour que le premier juge a refusé au document intitulé réception des travaux établi par les deux parties le 20 octobre 2000 la nature d’une réception des travaux au sens de l'article 1792-6 du code civil, ce document ne contenant qu'une énumération contradictoire des travaux partiels exécutés à ce jour et des paiements effectués, d'où ne résulte aucune manifestation de la part des maîtres de l'ouvrage d'accepter les travaux réalisés mais ne manifeste que l'intention des parties de dresser une base matérielle des comptes à faire entre eux à l'occasion de la rupture de leurs relations;

qu'il s'ensuit de ce seul fait que le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a prononcé la mise hors de cause de la SAGENA dont la garantie n'est recherchée par les appelants que sur le fondement des dispositions des articles 1792 et suivants du code civil;

#2 Attendu que Pierre G. ne discute pas utilement l'existence de malfaçons dans les travaux qu'il a exécutés en l'état des énonciations du rapport critique établi par un expert qu'il produit d'où il résulte, pour la toiture un défaut de prise en compte des contraintes de poussées des arbalétriers, des appuis défectueux de certaines pannes, un défaut de fixation de certaines pièces de bois, des défauts de mise en oeuvre des fenêtres de toit, une absence de finition, et pour les modifications d'ouvertures des appuis insuffisants de certains linteaux;

#3 Attendu qu'il est exact que l'expert n'a procédé à aucun chiffrage des malfaçons constatées sur les travaux exécutés ;

que le chiffrage proposé par le cabinet ACE mis en mouvement par les consorts G. après délivrance de l'assignation en paiement délivrée par Pierre G. fait apparaître pour le défaut d'étanchéité des velux en partie basse un coût de travaux de 1.500 à 2.000 Francs, pour le défaut d'appui d'une panne pouvant provoquer sa chute à terme un coût de 3.000 Francs environ, le remplacement d'une poutre en peuplier atteinte de pourrissement n'ayant seul pas été chiffré faute de production de devis par les assurés ;

#4 mais attendu que le principal vice des travaux selon l'expert, c'est d'avoir été exécutés alors que le bâti en présence ne justifiait pas, compte tenu de son très mauvais état et sauf à très gros frais qui n'étaient pas envisagés, l'engagement des moindres travaux,

que si donc les travaux exécutés présentent certes en soi des malfaçons, celles-ci sont finalement relativement mineures, ce que confirme le fait que l'expert lui-même considère que moyennant des renforcements de structure efficaces, les travaux de charpente exécutés seraient récupérés pour leur valeur ;

Attendu que ce qui est donc réellement en cause dans le dommage dont les consorts G. demandent réparation, c'est le bâti lui-même de l'immeuble, qui exige de très importants travaux, et sur lequel Pierre G. n'est pas intervenu ;

que pour lui en imputer néanmoins la charge, la thèse des maîtres de l'ouvrage revient à soutenir qu'il a été le maître d'oeuvre de l'opération de rénovation et que son devis était l'expression des travaux que justifiait le gros-oeuvre de l'immeuble existant, ce dont il résulte ainsi que le retient l'expert une grossière erreur d'appréciation du maître d'oeuvre qui devrait par conséquent supporter le coût des travaux qu'il a omis mais qui étaient nécessaires à leur correcte exécution ;

que Pierre G., s'en défend, soutenant n'être intervenu que comme entrepreneur et pour des prestations précisément définies par des maîtres de l'ouvrage qualifiés ;

#5 Attendu, sur les rôles respectifs des parties, que Frédéric G. ne peut pas contester sérieusement la qualité de professionnel que lui impute Pierre G. en l'état des mentions de l'extrait du registre du commerce de la S.A.R.L. CGB CONCEPT versé aux débats par ce dernier d'où il résulte qu'il est gérant, et Brigitte S. associée, d'une société dont l'activité principale est décrite comme s'appliquant à tous travaux d’études et d’ingénierie, de maîtrise d’oeuvre et de maîtrise d’ouvrage, la profession d'ingénieur-conseil dans toutes les techniques' ;

qu'il ne discute pas non plus l'extrait de page internet qui lui est opposé d'où il ressort que le 4 décembre 2006, Frédéric G., identifié par référence à C., était intervenant sur le thème des matériaux de demain dans une semaine architecture et bâtiment économe organisée à l'ENSAT de Toulouse abordant les thèmes des nouvelles technologies de l’habitat, énergies renouvelables et matériaux de demain' ;

Attendu que pour sa part, le dépliant maisons à l’ancienne et autres constructions au nom de Pierre G. contient une description de principes de construction pour l'édification de maisons neuves ayant le charme des maisons anciennes, axés sur la conception des espaces et l'utilisation des matériaux naturels et locaux pour leurs qualités propres, et se prévalant de 20 années d’expérience dans la rénovation des vieilles maisons de toutes les provinces du Sud de la France', attribuant enfin à son auteur les qualités de concepteur et maître d'oeuvre en relation avec une S.A.R.L. CRÉNEAU dont il a été le gérant entre 1994 et 1998 qui avait pour activité principale la définition, conception et étude de tous immeubles à construire ou rénover, exécution de travaux de décoration (peinture), définition, conception et étude de tous équipements liés à l'environnement' ;

que si l'activité de cette dernière société n'existe plus au jour où les parties ont contracté en 1999, le dépliant en question qui est en possession des consorts G. décrit bien les capacités que s'attribue Pierre G. ;

#6 que néanmoins, le devis sur la base duquel les parties ont noué leurs relations est établi au nom de Pierre G. entreprise de maçonnerie générale, charpente et couverture, et non maître d oeuvre ou concepteur ;

#7 Attendu que d'après les témoignages produits par ce dernier, dont le contenu n'est pas contesté, non seulement la consistance concrète du rôle assumé par les maîtres de l'ouvrage constamment présents sur le chantier à la réalisation duquel ils ont activement participé en recrutant du personnel et en participant aux travaux eux-mêmes est conforme à un aspect de la spécialisation qui leur est imputée ;

qu'il en ressort en outre un principe de récupération systématique et soigné des matériaux anciens avec nettoyage dont ils sont les initiateurs, mais qui est de nature à rendre compte au moins pour partie de la longueur du déroulement du chantier dont ils ont fait grief à l'entrepreneur ;

#8 Attendu que du tout, il ressort de façon précise et cohérente une convergence de domaines d'intérêts des qualifications respectives induisant une répartition des positions et rôles qui est toute autre que celle que décrivent les consorts G. et dans laquelle ils s'assignent la position de profanes en présence d'un professionnel dont le rôle et les responsabilités seraient assimilables à celles d'un architecte ;

Attendu qu'en cet état suffisamment caractérisé des qualités et compétences que s'attribuent les parties dans leurs professions respectives, la totale confusion des projets de départ relevée par l'expert, en tout état de cause voulus incomplets par les maîtres de l'ouvrage qui s'étaient réservés l'organisation voire même l'exécution personnelle des autres travaux nécessaires pour rendre l'immeuble habitable, met en cause au moins autant le maître de l'ouvrage que l'entrepreneur dans le dommage constaté qui trouve sa source dans une absence de diagnostic technique de l'état de l'ouvrage existant et ne permet pas d'imputer au premier l'exercice d'une mission de maîtrise d'oeuvre centrale ou originaire et déterminante qui ne correspond pas à la réalité de la situation ;

que Pierre G., qui n'a chiffré que des travaux limités ne comportant pour la maçonnerie que des modifications d'ouverture et auquel il n'est pas démontré qu'une mission plus ample de diagnostic aurait été confiée, conteste utilement l'appréciation du premier juge en ce qu'il a considéré qu'il portait la responsabilité de l'engagement par les maîtres de l'ouvrage de la totalité d'un projet irréalisable ;

qu'une restitution du prix d'achat de l'immeuble, même partielle, ne pouvait du reste et en toute hypothèse lui être imputée là où rien ne fait apparaître qu'il en aurait été le vendeur;

Attendu que Pierre G., qui est intervenu en qualité d'entrepreneur, ne discute pas avoir manqué au devoir de conseil dont il demeure tenu en cette qualité à l'égard du maître de l'ouvrage, obligation qui persiste alors même que celui-ci se présente comme un professionnel du même domaine, dès lors que ce n'est pas de la même spécialité, n'étant pas lui-même entrepreneur en maçonnerie, charpente et couverture ;

qu'ainsi, il se devait d'interpeller le maître de l'ouvrage sur les risques et inconvénients des travaux envisagés voire même de refuser de les exécuter dès lors qu'en sa qualité de professionnel de la spécialité il était en mesure d'apprécier que ceux-ci ne pouvaient apporter le résultat final escompté en l'absence de prévision des travaux de confortement que justifiait l'état du bâti ;

Attendu qu'en l'état du diagnostic de l'expert qui n'est pas sérieusement contesté, le dommage occasionné est de l'inutilité des travaux exécutés, et non pas un dommage évolutif grave spécifiquement imputable aux travaux de Pierre G. qui n'est pas démontré contrairement à ce que soutiennent les consorts G. ;

qu'il en résulte au premier chef que Pierre G. n'est pas fondé à prétendre en obtenir un complément de paiement de ses travaux, lequel n'est pas justifié au regard du devis qui est à la base de la convention des parties et du caractère incomplet des travaux exécutés;

qu'il en résulte ensuite que la responsabilité doit être partagée entre les maîtres de l'ouvrage et l'entrepreneur pour supporter l'inutilité de la dépense, ce qui, compte tenu des qualités et rôles respectifs des parties, ne peut conduire qu'à un partage par moitiés ;

Attendu que selon les écritures sur ce point convergentes des parties, les consorts G. ont payé une somme totale de 32.827,66 €, que Pierre G. devra donc restituer à concurrence de 16.423,83 € ;

Attendu que les préjudices invoqués pour le surplus par les consorts G. ne sont pas fondés, pour l'essentiel à défaut de relation de causalité avec la faute :

- que d'après les témoignages produits, les mobile-homes avaient été installés par les consorts G. pour leur permettre de vivre à côté de leur chantier dès son ouverture ce que tend à confirmer très précisément le courrier de la Mairie de Verfeil versé aux débats dont il résulte que les consorts G. avaient déposé une demande d'installation d'un mobile-home sur leur terrain dès le 23 décembre 1999 qui a donné lieu à une décision de refus le 21 janvier 2000; qu'ils produisent du reste eux-mêmes une facture d'achat d'un mobile-home d'occasion du 23 novembre 1999 ;

- que le principe de la location d'un garage à compter du mois de janvier 2001 n'est pas justifié en relation de causalité avec la faute,

- que le lien de causalité avec des frais d'internat à Bagnères-de-Bigorre (65) n'est pas démontré,

- que l'absence dommageable de contrepartie des intérêts d'emprunt n'est pas démontrée là où selon l'expert, et contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, la bâtisse n'a pas d'autre valeur que de démolition -dont l'expert a chiffré le coût à 3.500 € -, ce qui est étranger à Pierre G. et à son

intervention, de sorte que les consorts G. ne démontrent pas qu'avec le terrain ils ne seraient pas en possession de la contrepartie des coûts financiers exposés;

Attendu qu'en l'état des responsabilités partagées et des succombances respectives des parties, les dépens seront partagés, mais de façon prépondérante à la charge de l'entrepreneur;

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme la décision déférée mais seulement en ce qu'elle a rejeté les demandes formées contre la compagnie SAGENA ;

L'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,

Juge que Pierre G. a manqué au devoir de conseil dont il était tenu comme entrepreneur à l'égard des maîtres de l'ouvrage ;

Juge que le dommage subi par les consorts G. et S. en relation de causalité avec la faute contractuelle de Pierre G. se limite à l'inutilité des travaux exécutés par Pierre G. ;

Juge que les parties ont engagé leur responsabilité à concurrence de moitié dans la production du dommage ;

En réparation, condamne Pierre G. à payer au consorts G. et S. la somme de 16.423,83 € à titre de dommages et intérêts ;

Déclare Pierre G. mal fondé en sa demande en paiement d'un solde de travaux et l'en déboute ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette les demandes ;

Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples ;

Fait masse des dépens de première instance et d'appel, en ce compris les honoraires de l'expert, dit qu'ils seront supportés par les consorts G. et S. à concurrence des deux cinquièmes et par Pierre G. à concurrence des trois cinquièmes, et reconnaît pour ceux d'appel à la SCP CANTALOUBE-FERRIEU CERRI, la SCP B.CHATEAU et la SCP DESSART SOREL DESSART, avoués qui en ont fait la demande, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du code de procédure civile.