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Décisions

CA Paris, 3e ch., 15 octobre 2005, n° 2004038076

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

AIG Europe (SA), Entreabx Logistics France (SA)

Défendeur :

Societe Gulf Agency Company (Sté), Societe ABX Logistics International France (Sté), Mediterranean Shipping Company Geneva (MSC) (SA)

CA Paris n° 2004038076

14 octobre 2005

1. LES FAITS ET LA PROCEDURE

SEB a vendu à Gulf Agency Co un ensemble de 1379 friteuses pour un montant de 74 328, l’euros. Les conteneurs sont parvenus à destination le 7 mai 2003 ; toutefois 565 colis contenant 1131 articles manquaient, AIG assureur facultés de SEB a réglé à celle-ci selon quittance subrogatoire du 11 août 2003 le préjudice évalué à 60 960, 90euros. Les manquements étant survenus au cours du transport, AIG a assigné ABX en tant que commissionnaire, et Gulf Agency, en tant que destinataire qui n'a exprimé aucune réserve. Par actes des 5 mai 2004 pour ABX Logistics International France, et du 6 mai 2004 pour Gulf Agency Company, société des Emirats Arabes Unis, les sociétés AIG Europe et SEB ont assigné les deux défenderesses devant le présent tribunal pour, au visa des articles L 122.2 du Code des Assurances, L.132.4, 132.6 et 132.8, 147 et ss. du Code de Commerce: condamner Gulf Agency et ABX solidairement ou celle qui d'entre elles mieux plaira à régler à AIG Europe et à SEB ou à celle qui d'entre elles mieux plairait la somme principal de: 60 960,90euros, outre intérêts à compter du 7 mai 2004 outre capitalisation des intérêts par année entière ; 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ; 5 000 euros en application de 1'article 7 00 du NCPC ainsi qu'aux entiers dépens ; ordonner l'exécution provisoire.

Le 3 juin 2004, ABX Logistics France assigne en garantie devant le tribunal de céans la société Mediterranean Shipping Co, société de droit suisse, domiciliée chez Mediterranean Shipping Co France.

Le 9 février 2005, Gulf Agency Company, contre AIG Europe, SEB, ABX Logistics, et Mediterranean Shipping Co, conclut :

- se déclarer incompétent pour statuer sur l'action de SEB et AIG Europe à son encontre ;

- lui donner acte de ce qu'elle demande que l'affaire soit portée devant le tribunal de Dubaï (Dubai Courts-Dept of Justice)

- vu l'art 96 du NCPC, renvoyer les parties à mieux se pourvoir ; condamner les demanderesses aux dépens ainsi qu'à 4 000 euros en application de l'art. 700 du NCPC ;

- subsidiairement, au cas où le tribunal estimerait devoir retenir sa compétence :

dire mal fondée l'action des demanderesses à son encontre ;

- en conséquence, les en débouter ;

- condamner les demanderesses en tous dépens ainsi qu'au paiement de 4 000e. au titre de l'article 700 du NCPC.

Le 25 mars 2005, le tribunal renvoie l'affaire, à la demande de l'un des défendeurs, avec l'accord des autres parties,

Le 8 septembre 2004, Mediterranean Shipping Co France conclut, contre ABX Logistics France, en présence de AIG Europe et SEB et de Gulf Agency Co : au visa de 1 ' article 3-6 de la Convention de Bruxelles modifiée: constater que MSC bénéficie d'une présomption de livraison conforme qui n'est pas contestée ; débouter ABX de son appel en garantie contre MSC ; condamner ABX à payer à MSC la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du NCPC et aux dépens.

Lors de l'audience du juge rapporteur du 22 juin 2005, sur la seule exception d'incompétence, sont régularisés:

- deux jeux de conclusions d'AIG Europe et SEB, demandant au visa de l'art. 42 al. 2 du NCPC, des art 14 et 15 du Code Civil ; au tribunal de se déclarer compétent pour le tout sans égard pour les moyens, fins et conclusions de ABX et Gulf Agency ; de condamner celles-ci solidairement ou celle qui d'entre elles mieux plairait à verser à AIG Europe et à SEB ou à celle qui d'entre elles mieux plairait la somme de 2 000 euros en application de l'art. 700 du NCPC et aux entiers dépens et d'ordonner l'exécution provisoire ;

- deux jeux de conclusions de Gulf Agency demandant de lui adjuger de plus fort le bénéfice de ses précédentes écritures.

ABX Logistics informe le tribunal que, n'étant pas concernée par l'exception d'incompétence, elle ne se présenterait pas et elle ne conclut pas.

La compagnie Mediterranean Shipping ne conclut pas ni ne se présente.

LES MOYENS DES PARTIES

Gulf Agency soulève l'incompétence du tribunal aux motifs suivants :

- la détermination de la compétence relève de la Convention de Paris du 9 septembre 1991, et aucun des critères de la convention ne fonde la compétence du présent tribunal : son siège est à Dubaï, le fait qui lui est reproché par les demanderesses, 1'absence de réserves, se situe à Dubaï, ainsi c'est la juridiction de cette ville qui est compétente ;

- en réponse aux observations des demanderesses, elle précise que c'est en vain qu'est invoqué l'art. 13 de cette convention pour voir appliquer 1'art 42-2 du NCPC : en effet cet article se réfère aux règles de compétences admises sur le territoire de l'état « requis », qui est en l'occurrence les Emirats Arabes Unis ;

- que la Convention a été publiée au Journal Officiel du 24 mars 1993 et est entrée en vigueur le 1er mai 1993

- que c'est également en vain que sont invoqués les art. 14 et 15 du Code Civil au motif qu'ils ne seraient pas expressément exclus par la Convention de Paris : l'art. 14 rendrait de nul effet les art. 13 et 14 de la Convention et sans objet celle-ci même ;

qu'il est faux de prétendre que le privilège de juridiction s'impose au juge et ne peut être écarté que par un traité international: les parties à un contrat peuvent prévoir une clause attributive de juridiction qui vaut renonciation implicite au privilège posé par l'art 14, d'autant plus s'agissant d'une convention entre états; que la jurisprudence citée n'est pas applicable en l'espèce ; qu'il appartient au juge d'interpréter les sens des dispositions d'une convention internationale ;

- qu'en vertu du principe constitutionnel suivant lequel les traités ont une valeur supérieure à la loi, il conviendra d'appliquer la Convention ;

- quand bien même l'art 42-2 serait applicable, les demanderesses ne seraient pas fondées à s'en prévaloir, car il n'y a pas en l'occurrence la connexité dont elles se prévalent, les bases juridiques des actions contre ABX et Gulf Agency sont en effet distinctes, reposant sur des bases juridiques et sur des faits dommageables distincts ; les actions ne sont ni connexes ni a fortiori indivisibles ;

- le tribunal peut donc statuer sur l'action à 1'égard de ABX sans connaître de l'action engagée contre Gulf Agency « à titre subsidiaire, si la chaîne de transport ne s'appliquait pas » ;

AIG Europe et SEB déclarent :

- que Gulf Agency ne prouve pas l'applicabilité de la Convention ;

- que l'art 14 de la Convention publiée par décret du 15 mars 1993 ne s'applique pas : l'art 42 al 2 du NCPC prévoit la possibilité, en cas de pluralité de défendeurs, de les attraire au choix du demandeur devant la juridiction du domicile de l'un d'eux ;

qu'il s'applique au domaine international à condition qu'il existe entre les demandes contre les défendeurs un lien étroit de connexité: il s'agit du même transport, des mêmes titres, du même sinistre et les défendeurs sont garants les uns des autres.

que la théorie de Gulf Agency suivant laquelle l'art 422 du NCPC ne s ' appliquerait pas dès lors qu' il y a une convention internationale, est contredite par l'art 13 de cette convention ;

- que, de plus, les principes de l'art. 14 sont subsidiaires et non d'application stricte ;

- que la Convention n’a pas renoncé pour les Français au bénéfice des art 14 et 15 du Code Civil ; la Cour de Cassation a jugé que s'il existe une règle interne de compétence à une juridiction française, il faut l'appliquer ;

- que ceci est d'ailleurs conforme à l'esprit de la Convention dont l'art 14 se réfère au cas d'un défendeur unique ;

- que le principe d'indivisibilité permet de faire échec aux règles ordinaires de compétence et c'est le sens de la jurisprudence française en cas de pluralité de défendeurs : le demandeur a le choix à condition que ce choix satisfasse aux exigences d'une bonne administration de la justice ; le destinataire est tenu comme la chaîne de transport et Gulf Agency n'est pas seulement actionnée à titre subsidiaire ;

- qu'il n1 appartient pas au tribunal d'interpréter la volonté de diplomaties étrangères : il lui suffit de constater qu'il n'a pas été renoncé au privilège de juridiction par les art 13 et 14 de la Convention ; or lorsque le demandeur se prévaut d'un privilège de juridiction, celui-ci ne peut être écarté que par un traité international ;

SUR CE, LE TRIBUNAL Attendu que :

- les développements par lesquels Gulf Agency demande au tribunal de se déclarer incompétent au profit du tribunal de Dubaï, parfaitement acceptables si elle était seule défenderesse/ se heurtent à la pluralité des défendeurs à la présente instance ;

- il appartient dès lors au juge de déterminer s'il y a entre les demandes faites à l'encontre de Gulf Agency et ABX Logistics un lien de connexité suffisant ou même d'indivisibilité, comme le soutiennent les demandeurs ; la défenderesse conteste ce lien de connexité du fait des « bases juridiques différentes » au soutien des demandes faites à l'encontre des deux défendeurs ; que le tribunal notera tout d'abord que la jurisprudence cotée par Gulf Agency confirme le principe de l'appréciation par le juge des circonstances qui établissent la connexité ; que, par ailleurs, les circonstances de la cause objet de l'arrêt sont très différentes de celles la cause dont s'agit ici ;

- en 1'occurrence, même s'il s'agit d'une part d'un contrat de transport et d'autre part d'un contrat de vente, ces deux contrats concernent deux étapes de la même opération portant sur les mêmes marchandises et les mêmes manquants ;

- le tribunal doit rechercher la solution la plus favorable à une bonne administration de la justice ; qu'en 1'occurrence il n'apparaît pas que la solution de prononcer jugement à l'encontre de l'un des défendeurs et de laisser une autre juridiction se prononcer sur l'autre partie de la demande, soit la plus favorable à une bonne administration de la justice

- ainsi rien ne s'oppose à l'application des articles 42-2 du NCPC, dès lors que se trouvent remplies les stipulations de l'art 14 du Code Civil, qui prévoit que l'étranger pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français ;

- pour ces raisons le tribunal déboutera la société Gulf Agency de son exception d'incompétence et se déclarera compétent ;

- il enjoindra aux parties de conclure au fond ;

- il dira n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 7G0 du NCPC ;

- il dira que le jugement sera signifié aux sociétés ABX Logistics International FCE, ABX Logistics France et Mediterrean Shipping ; et réservera les dépens.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, sur la seule exception d'incompétence :

- déboute la SOCIETE GULF AGENCY COMPANY de son exception d'incompétence, retient sa compétence ;

- enjoint aux parties de conclure ati fond, et renvoie an 02.11.2005 pour conclusions ;

- déboute les parties de leurs demandes plus amples ;

- dit que le présent jugement sera signifié aux SOCIETE ABX LOGISTICS INTERNATIONAL FRANCE, SA ABX LOGISTICS FRANCE et SA MEDITERRANEAN SHIPPING COMPANY.