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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 8 juin 2012, n° 09/25108

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Frigorifico Visom (SA), Hemer Investment (SA)

Défendeur :

Compagnie Internationale De Produits Alimentaires (CIPA) (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bouly de Lesdain

Conseillers :

M. Schneider, Mme Chandelon

Avocats :

Me Autier, Me Hamet, Hardouin, Cabinet Béatrice Geissmann-Achille & Bertrand Achille, Me Serra, Me Bourayne

T. com. Paris, 3e ch., du 20 oct. 2009, …

20 octobre 2009

ARRET :

Contradictoire

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile

Signé par Renaud BOULY de LESDAIN, Président, et par Carole TREJAUT, Greffier, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Courant juillet et août 2008, la société Compagnie Internationale de Produits Alimentaires (CIPA) a acheté à la société de droit Urugayen Hemer Investment (Hemer)135 tonnes de paleron de boeuf congelé livrables à Koprivnica, siège de la société Danica de droit croate.

La société Hemer Investment s'est approvisionnée auprès de la société de droit argentin Frigorifico Visom (Visom).

Le 18 novembre 2008, la société Danica a refusé la livraison des trois premiers conteneurs, déchargés à Rijeka les 12 et 26 septembre, chacun transportant 27 tonnes de viande répartis dans 1151 cartons, estimant la marchandise non conforme aux prévisions contractuelles, puis des deux autres, de même contenance, déchargés le 13 novembre suivant.

Un accord est intervenu entre les sociétés CIPA et Visom pour mettre en oeuvre, concernant la première livraison, une procédure dite 'de sauvetage' consistant à céder la viande à moindre prix.

La société CIPA obtenait des juges croates l'autorisation de pratiquer une saisie conservatoire à Rijeka de la seconde livraison, dont elle n'avait pas réglé le prix, à titre de garantie des sommes réclamées dans le cadre de cette instance, engagée par exploit du 2 mars 2009, pour éviter que la société Hemer, encore propriétaire de la marchandise, en dispose librement.

Elle en donnait mainlevée amiable en Août 2010, date à laquelle la viande avait perdu toute valeur.

Par jugement du 20 octobre 2009, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de commerce de Paris :

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur la remise de documents, notamment les connaissements relatifs aux conteneurs ayant fait l'objet d'une interdiction d'aliéner à la société Hemer par un tribunal croate et au paiement d'une condamnation par journée d'immobilisation,

- a prononcé la résolution des contrats liant la société CIPA et la société Hemer,

- a condamné solidairement les sociétés Hemer et Visom à payer à la société CIPA les sommes de :

* 339.477,80 USD portant intérêts à 1,5 fois le taux d'intérêt légal à compter de l'assignation,

* 8.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclarations des 11 décembre 2009 et 22 mars 2010, les sociétés Frigorifico Visom et Hemer Investment ont interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, déposées le 23 novembre 2011, la société Frigorifico Visom demande à la Cour de :

- infirmer le jugement,

- faire droit à son exception d'incompétence,

- débouter la société CIPA de ses demandes ou condamner la société Hemer à la garantir,

- condamner la société CIPA au paiement d'indemnités de 6.000 € et 12.000 € sur le fondement des articles 32-1 et 700 du code de procédure civile.

Dans ses uniques conclusions, déposées le 13 juillet 2010, la société Hemer Investment demande principalement à la Cour de :

- infirmer le jugement,

- condamner la société CIPA à lui régler les 54 tonnes de viandes restées impayées pour un montant total de 210.600 USD € outre 30.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures, au sens de l'article 954 du code de procédure civile, déposées le 16 février 2012, la société CIPA demande principalement à la Cour de :

- confirmer partiellement le jugement,

- condamner les appelantes à lui verser,

* la somme de 225.700 USD portant intérêts à 1,5 fois le taux d'intérêt légal à compter du 2 mars 2009,

* celle de 16.207,80 USD correspondant aux frais de manutention et d'importation acquittés portant intérêts à 1,5 fois le taux d'intérêt légal,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner les sociétés appelantes au paiement d'une indemnité de 40.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

CELA ETANT EXPOSE,

LA COUR,

Sur l'exception d'incompétence

Considérant que la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur les ventes internationales de marchandises régit exclusivement, selon son article 4, '...les droits et obligations qu'un tel contrat (de vente) fait naître entre le vendeur et l'acheteur...' ;

Considérant qu'en l'absence de tout lien de droit entre les sociétés Vicom et CIPA, c'est à bon droit que la première estime que ce texte n'est pas applicable en l'espèce ;

Mais considérant qu'il n'en résulte pas pour autant une incompétence des juridictions françaises pour connaître du présent litige, la société CIPA fondant sa saisine sur les dispositions l'article 14 du code civil qui permettent à tout français de traduire un ressortissant étranger pour les obligations contractées par lui ;

Considérant que par la généralité du terme employé, le législateur a entendu ouvrir le privilège de juridiction à toute matière sans le réserver au domaine contractuel comme le soutient la société Frigorifico Vicom de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges ont rejeté l'exception soulevée ;

Sur le droit applicable

Dans les rapports CIPA/Vicom

Considérant que la société Vicom ne conteste pas l'application du droit français qui accorde au sous acquéreur une action de nature contractuelle contre le vendeur initial ;

Dans les rapports CIPA/Hemer

Considérant que les parties s'accordent sur l'application de la convention de Vienne précitée ;

Sur le fond

Sur la demande principale

Considérant qu'aux termes de l'article 25 de la convention de Vienne, une contravention au contrat est essentielle lorsqu'elle cause à l'autre partie un préjudice tel qu'elle le prive substantiellement de ce qu'elle était en droit d'attendre du contrat ;

Que son article 35 précise encore que la marchandise livrée doit avoir la qualité prévue dans le contrat et que l'inexécution de l'obligation est sanctionnée, selon l'article 49, par la résolution du contrat, sous réserve, selon l'article 84, que l'acheteur restitue au vendeur, l'équivalent qu'il a retiré des marchandises ;

Considérant qu'en droit français le vendeur doit livrer une chose conforme aux caractéristiques convenues et assume une garantie des vices cachés ;

Considérant qu'en l'espèce, la commande portait sur du 'chuck and blade' ou paleron de boeuf, défini comme une préparation à partir de l'avant-train, par retrait de la partie caudale des côtes et en suivant la côte précisée ;

Que l'avant coeur est retiré le long de la ligne du jabot de même que le jarret avec les cartilages osseux, les tendons, le ligamentum nuchae et les noeuds lymphatiques ;

Considérant qu'en l'espèce une réunion s'est tenue le 4 novembre 1998 en présence de représentants des sociétés Danica, Cipa et Visom, signataires d'un compte rendu précisant notamment que la viande comportait une forte proportion de tissus graisseux, qu'elle ne pouvait être utilisée pour la production envisagée de goulache en boîte, que les tissus graisseux étaient oxydés et que les morceaux avaient une teinte grise et un aspect médiocre ;

Que la société Danica indiquait encore que présumant que les deux derniers conteneurs restant à livrer seraient de même nature, sans contestation de la part du représentant de la société Visom, elle refusait également cette marchandise ;

Considérant que sont annexés à ce compte rendu trois rapports d'analyse microbiologique en date des 4, 18 et 19 octobre 2008 opérés par les laboratoires de la société Danica, démontrant que certains des échantillons prélevés présentaient une proportion de bactéries aérobes mésophiles supérieure à ce qui est admis par la réglementation croate sur les normes microbiologiques pour la production envisagée ;

Considérant qu'au regard de la définition précitée du paleron, connue des professionnels, la société Hemer ne peut sérieusement soutenir que la marchandise livrée était conforme à la commande alors qu'elle présentait une couverture graisseuse excessive due à l'absence de préparation de la viande qui s'imposait pour le morceau commandé, avec retrait de la graisse et des tissus en excès ;

Qu'il résulte par ailleurs du rapport non contesté du représentant de la société CIPA que chaque conteneur comportait 6 tonnes de morceaux de collier, non commandés, provenant du cou de l'animal contenant sang, noeuds, graisse et ganglions lymphatiques ;

Considérant que la société Hemer fait encore état de l'absence de toute mesure sérieuse de constatation en précisant notamment que le compte rendu contradictoire a été opéré tardivement ;

Mais considérant que la société Danica a enlevé les conteneurs du terminal portuaire les 30 septembre, 13 et 14 octobre 2008 ;

Que les contrôles qualité ne peuvent intervenir qu'après décongélation de sorte que la réunion d'expertise qui devait être organisée en présence des principaux intéressés, s'est déroulée dans un délai normal ;

Que chaque conteneur comportant 1151 cartons, le contrôle s'est déroulé par sondage sur 10 d'entre eux choisis de façon aléatoire ;

Qu'enfin les rapports microbiologiques ont été joints au compte rendu et qu'aucune des deux sociétés intimées n'a estimé devoir saisir la juridiction croate d'une demande de contre-expertise ;

Que les constatations faites ne peuvent être contestées ;

Considérant ainsi que c'est à bon droit que les premiers juges ont prononcé la résolution de la vente et condamné la société Hemer à indemniser la société CIPA de son préjudice correspondant à la différence entre le prix de vente initial et celui convenu au titre de la procédure dite de sauvetage ;

Considérant que pour contester les vices ou la non-conformité de la marchandise, la société Visom soutient que la réunion contradictoire tenue en présence de son représentant a consisté à un examen visuel et que ce n'est pas cette marchandise qui a fait l'objet des analyses microbiologiques, dont elle relève encore qu'elles sont intervenues dans les laboratoires de la société Danica ;

Considérant qu'elle ajoute que la marchandise a été contrôlée par les autorités argentines et qu'il appartenait à l'acheteur de vérifier leur état au moment du chargement ;

Qu'enfin la société Hemer ne lui aurait pas précisé que la viande était destinée à la préparation de goulache et que le prix convenu démontrait que les morceaux n'étaient pas destinés à la boucherie de détail ;

Mais considérant que si le contrôle visuel n'a pu porter sur les mêmes morceaux que ceux analysés, du fait de l'examen par sondage pratiqué dans les deux cas, ce constat est sans incidence sur le présent litige ;

Considérant qu'il est constant d'une part que 6/27 des conteneurs étaient constitués par des morceaux ne faisant pas partie de la commande, d'autre part que les parties graisseuses présentaient un aspect suspect ;

Que ces constatations contradictoires établissent suffisamment la non-conformité de la marchandise, étant encore observé qu'il appartient à la société VISOM, tenue à une obligation de résultat de livrer une marchandise en bon état de conservation, d'établir la preuve que la rupture dans la chaîne du froid, considérée par les professionnels comme la cause de l'infection de la viande, ne lui incombe pas, ce qu'elle ne fait pas ;

Considérant enfin que dans le cadre des propositions transactionnelles, la société VISOM n'a jamais contesté la non-conformité de la marchandise proposant une première réparation ou un premier dédommagement ;

Considérant qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement du chef des condamnations prononcées à son encontre ;

Considérant que la société CIPA sollicite encore la somme de 16.207,80 USD correspondant aux frais de manutention exposés pour les deux conteneurs saisis à Rijeka ;

Mais considérant que cette demande ne se rapporte pas aux contrats de vente objet du présent litige mais s'inscrit dans le cadre d'une mesure conservatoire initiée devant le juge croate de sorte que c'est à bon droit que les premiers juges se sont déclarés incompétents pour statuer sur ce chef de demande ;

Considérant que la capitalisation des intérêts sollicitée par la société CIPA est de droit et sera ordonnée ;

Sur la demande reconventionnelle de la société Hemer

Considérant que la société Hemer sollicite le paiement des deux derniers conteneurs ;

Mais considérant que dans le cadre de la procédure de saisie conservatoire diligentée devant le juge croate, la société Hemer n'a jamais contesté qu'elle était restée propriétaire de la marchandise ;

Que sa demande en paiement n'est donc pas fondée en droit et qu'elle sera rejetée ;

Sur la demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Considérant que l'équité commande, au vu des justificatifs produits, d'allouer à la société CIPA une indemnité de 20.000 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris ;

Y ajoutant,

Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités prévues par l'article 1154 du code civil ;

Condamne in solidum les sociétés Frigorifico Visom et Hemer Investment à payer à la société Compagnie Internationale de Produits Alimentaires une somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum les sociétés Frigorifico Visom et Hemer Investment aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.