CA Versailles, 12e ch., 23 mai 2017, n° 16/06926
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
GDS (Sté)
Défendeur :
KEM ONE (SAS), AJ Partenaires (Selarl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
M. Leplat, M. Ardisson
Vu l'appel interjeté le 5 mars 2015, par la société Gds d'un jugement rendu le 18 juillet 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre qui :
* a dit la société de droit italien Gds recevable mais mal fondée en son exception d'incompétence et s'est déclaré compétent,
* a dit la société de droit italien Gold Holding recevable et bien fondée en son exception d'incompétence et renvoyé le demandeur la société Kem One à mieux se pourvoir auprès des juridictions italiennes compétentes,
a condamné la société Gds à payer à la société Kem One la somme de 3.565.526,11 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 2013,
* a ordonné la capitalisation des intérêts,
* a débouté la société Kem one de sa demande en dommages et intérêts,
* a condamné la société Gds à payer à la société Kem One la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières écritures en date du 24 janvier 2017, par lesquelles la société Gds demande à la cour de :
Infirmer la décision du tribunal de commerce de Nanterre du 18 juillet 2015 en ce qu'il s'est considéré compétent,
Et par conséquent
* se déclarer incompétente en faveur des juridictions italiennes compétentes et en particulier les tribunaux de Pérouse (Perugia Italie)
* renvoyer en conséquence la société Kem One représentée par la société AJ Partenaires en la personne de Mes S. et L., administrateur judiciaire, es qualités de commissaire à l'exécution du plan, à mieux se pourvoir,
A titre subsidiaire,
* infirmer la décision du tribunal de commerce de Nanterre du 18 juillet 2015 en ce qu'il a condamné Gds au fond,
* constater le préjudice subi par Gds compte tenu de l'inexécution et de la mauvaise exécution dans la livraison des fournitures de Kem One,
* condamner la société Kem One à la relever indemne de toute condamnation qui pourrait résulter de la constatation de l'inexécution et de la mauvaise exécution dans la livraison des fournitures de Kem One,
* accorder une compensation entre les sommes susceptibles d'être dues de part et d'autre,
* accorder des délais de paiement ainsi qu'un échelonnement des paiements sur un délai de deux ans,
En tout état de cause,
* débouter la société Kem One représentée par la société AJ Partenaires en la personne de Mes S. et L., administrateur judiciaire, es qualités de commissaire à l'exécution du plan, de toutes prétentions,
* condamner la société Kem One représentée par la société AJ Partenaires en la personne de Mes S. et L., administrateur judiciaire, es qualités de commissaire à l'exécution du plan au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières écritures en date du 9 janvier 2017, aux termes desquelles la société Kem One, la Selarl AJ Partenaires représentée par maître S. ès qualités d'administrateur judiciaire, désormais ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, prient la cour de :
* se déclarer compétent,
* débouter la société Gds de ses demandes,
* condamner la société Gds au versement de la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, de celle de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la procédure ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :
* la société de droit italien Gds, dont la société mère est la société italienne Gold Holding, produit et commercialise des matériaux plastiques et de résine, dont du PVC,
* la société de droit français Kem One, bénéficiaire depuis juillet 2012 des actifs du pôle produits vinyliques de la société Arkema France, également de droit français, exerce une activité notamment de production et de transformation de vinyle et produits PVC,
* depuis 2011, une relation commerciale est née entre la société Gds et la société Arkema, puis la société Kem One, pour la fourniture de matériel en PVC commercialisé par la société Gds en Italie,
* par lettre du 8 janvier 2013, la société Gds a été mise en demeure de payer la somme de 3.565.526,11 euros,
* le 27 mars 2013, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Kem One,
* une nouvelle mise en demeure a été adressée à la société Gds par maître S. administrateur judiciaire de la société Kem One,
* la société Gds a opposé des ruptures d'approvisionnement, des réclamations de tiers,
* un plan de continuation a été arrêté le 20 décembre 2013, la Selarl AJ Partenaires prise en la personne de maître S. étant désignée comme commissaire à l'exécution du plan,
* le 7 février 2014, maître S. et la société Kem One ont assigné devant le tribunal de commerce de Nanterre la société Gds et la société Gold Holding en paiement solidaire de la somme de 3.565.526,11 euros,
* les sociétés Gds et Gold Holding ont soulevé l'incompétence du tribunal de commerce de
Nanterre au profit des juridictions italiennes, subsidiairement au fond, ont contesté les créances,
* c'est dans ces circonstances, qu'est intervenu le jugement déféré ;
Sur l'exception d'incompétence :
Considérant que la société GDS soulève l'incompétence du tribunal de commerce de Nanterre au profit des juridictions italiennes et en particulier des tribunaux de Pérouse ;
Qu'elle rappelle les dispositions des articles 42 et 46 du code de procédure civile et le Règlement 44/2001 qui prévoit en son article 5 qu'une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre: 1) a) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l'obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée; b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf disposition contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est: -pour la vente de marchandises, le lieu d'un Etat membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées;
Qu'elle fait valoir être une société italienne dont le siège est en Italie, avoir commandé du PVC auprès de la société italienne Arkema Italia, que les commandes ont été traitées en Italie, que les échanges et factures sont rédigées en italien, que les factures prévoyaient des livraisons en Italie, que la société Arkema a livré les marchandises en Italie, que les parties avaient prévu d'appliquer l'incoterm Franco-Carriage paid, codifié Delivered Duty paid, les factures d'Arkema prévoyant l'incoterm DDP Gubbio Reso France soit Delivered Duty Paid;
Mais considérant, ainsi que le relève la société Kem One, qu'au cas d'espèce, il convient d'appliquer de manière exclusive les seules dispositions du Règlement n° 44-2001 du 22 décembre 2000 dit de Bruxelles 1 lequel énonce, en son article 23 :
1. Si les parties, dont l'une au moins a son domicile sur le territoire d'un État membre, sont convenues d'un tribunal ou de tribunaux d'un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée ;
Qu'en effet, la société Kem One, partie contractante de droit français, succédant à la société Arkema France, a son siège social en France et les conditions générales de vente d'Arkema France, en leur article 9, donnent compétence aux tribunaux de Nanterre ;
Qu'il convient en conséquence, de rechercher si ont été respectées les exigences de forme énoncées à l'article 23 du Règlement visant à s'assurer que les parties ont effectivement consenti à la clause attributive de juridiction, les dispositions du code de procédure civile n'étant pas applicables, les incoterms étant sans incidence ;
Considérant que la société GDS soutient l'inopposabilité des conditions générales de vente d'Arkema, exposant que la clause attributive de juridiction contenue dans ses conditions ne répond pas aux exigences précitées de l'article 23 du Règlement pour que cette clause entre dans le champ contractuel, dès lors qu'elle est insérée au verso de la facture dont le recto ne fait pas renvoi, n'est pas soulignée et à tout le moins apparente, est rédigée en langues anglaise et française différentes de la langue italienne utilisée au recto de la facture, de celle de la relation contractuelle habituelle, n'a pu être acceptée puisque ni signée ni émise dans une langue connue ;
Considérant que la société Kem One réplique, au regard du droit communautaire, à la parfaite opposabilité de la clause attributive de compétence insérée dans les conditions générales de vente dont la société GDS a eu connaissance, faisant valoir que chaque facture d'Arkema France rappelle ces conditions figurant au verso, rédigées de telle manière qu'il est d'usage de le faire dans le commerce européen et international, en anglais, langue usuelle en cette matière et connue de la société GDS ;
Considérant que l'examen des factures d'Arkema France, produites aux débats et émises depuis août 2011, établit que celles-ci incluaient au recto une référence aux conditions générales figurant au verso, lesquelles comportaient la clause attributive litigieuse rédigée en petits caractères mais cependant lisibles, de sorte que la société GDS était censée en avoir pris connaissance ;
Que si la société GDS n'a signé aucun document comportant cette clause, il s'avère qu'elle l'a acceptée par le paiement réitéré de factures au dos desquelles elle était imprimée, alors qu'elle entretenait des relations commerciales anciennes et suivies d'abord avec la société Arkema France puis la société Kem One ;
Que la rédaction de cette clause en langues anglaise et française n'était pas un obstacle à sa compréhension par la société GDS, dès lors qu'il résulte des correspondances commerciales échangées entre les parties en 2011 et 2012 que la langue anglaise était une langue de travail couramment utilisée par les parties, de sorte qu'elle est conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ;
Que dans ces circonstances, la clause attributive de compétence est opposable à la société GDS, le jugement étant confirmé sur ce point ;
Sur la demande en paiement :
Considérant que pour s'opposer au paiement des factures, la société GDS fait valoir qu'au cours de leur relation commerciale, Arkema a, à plusieurs reprises et sur une longue période, évoqué des excuses de soit-disant force majeure qui auraient empêché les livraisons des produits pour un temps indéterminé, évitant ainsi d'effectuer les fournitures des PVC qu'elle s'était pourtant engagée à lui livrer ;
Qu'elle expose que si un échéancier a été établi lors d'une réunion le 20 février 2012, néanmoins à partir d'août 2012, Arkema a de nouveau imposé une suspension des livraisons qui l'a conduite suspendre les paiements ;
Qu'elle ajoute avoir subi des préjudices importants du fait de l'interruption des fournitures, dû s'adresser à d'autres fournisseurs, supporté des plaintes de clients qui ont donné lieu à des procédures judiciaires en Italie ;
Qu'elle demande en conséquence la compensation de ses propres dommages avec la somme susceptible d'être mise à sa charge, des délais de paiement sur deux ans ;
Or considérant, ainsi que le relèvent la société Kem One et la Selarl AJ Partenaires représentée par maître S. ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la société Kem One, que la société GDS a reconnu en mars 2012 devoir la somme de 4.693.343,80 euros qu'elle s'était engagée à rembourser en 18 mensualités ;
Que la société GDS ayant cessé après quelques mois de respecter cet échéancier, la société Kem One a arrêté de nouveau les livraisons au mois d'août 2012 ;
Que mise en demeure par courrier du 8 janvier 2013, de payer la somme de 3.565.526,11 euros, la société GDS a argué de ruptures d'approvisionnement et de réclamations de tiers ;
Que la société GDS ne peut utilement opposer les refus de livraison de la part d'Arkema France puis de la société Kem One justifiés par les retards de paiement, les réclamations de tiers dont elle n'a pas fait état avant la mise en demeure, les instances judiciaires de clients alors qu'elle n'a jamais appelé en la cause la société Arkema France ou la société Kem One devant les juridictions italiennes ;
Qu'en tout état de cause, la société GDS n'a déclaré aucune créance au passif du redressement judiciaire de la société Kem One, de sorte qu'elle ne saurait entendre compenser une prétendue créance détenue à son encontre ;
Qu'il s'ensuit que le jugement déféré, qui a condamné la société GDS au paiement de la somme de 3.565.526,11 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure, sera confirmé ;
Considérant que la société GDS a déjà bénéficié de fait de larges délais de paiement, de sorte qu'aucun délai ne saurait lui être octroyé en application de l'article 1244-1 du code civil dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Sur les autres demandes :
Considérant que la société Kem One sollicite l'octroi de la somme de 30.000 euros pour résistance abusive ;
Mais considérant qu'elle ne justifie pas subir, à raison du comportement de la société Kem One, un préjudice distinct du retard apporté au règlement de sa créance, déjà indemnisé par le cours des intérêts capitalisés, ou de la nécessité d'exposer des frais pour assurer la défense de ses intérêts ; il ne sera pas fait droit à sa demande en paiement de dommages et intérêts
Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application ;
Qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions de la société Kem One, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre la société GDS qui succombe et doit supporter la charge des dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS
statuant contradictoirement,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne la société GDS à payer à la société Kem One la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la société GDS aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.