CA Metz, 3e ch., 24 février 2022, n° 20/02046
METZ
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Guiot-Mlynarczyk
Conseillers :
Mme Gizard, M. Michel
EXPOSE DU LITIGE':
Le 18 mai 2017, M. Nicolas D. a confié à la SAS N. Joailler Créateur (SAS N.) la mise à taille d'une bague en or blanc et diamants noirs et blancs. Étant insatisfait de la prestation, il a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Metz, qui par ordonnance du 8 décembre 2017, a ordonné une expertise judiciaire du bijou. Le rapport a été déposé le 7 novembre 2018.
Par acte d'huissier du 7 mai 2019, M. D. et Mme Claire K. ont fait citer devant le tribunal d'instance de Metz la SAS N. aux fins d'ordonner la restitution de la bague actuellement sous séquestre chez Maître P., huissier de justice à Metz, condamner la SAS N. à remplacer intégralement la monture de la bague ainsi que les deux diamants brisés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai d'un mois à compter de la signification du jugement, la condamner à leur verser les sommes de 1.500 euros au titre de leur préjudice moral, de 2.500 euros au titre de la résistance abusive, de 7.040,06 euros TTC au titre des frais qu'ils ont été contraints d'exposer, de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la SAS N. aux entiers dépens y compris ceux de la procédure de référé.
La SAS N. a demandé au tribunal de déclarer l'action irrecevable en raison de l'incompétence de la juridiction, prononcer la nullité du rapport d'expertise du 7 novembre 2018, subsidiairement débouter les consorts D.-K. de l'intégralité de leurs demandes et les condamner à lui payer la somme de 300 euros au titre de la facture de mise à taille impayée, la somme de 4.000 euros pour procédure abusive et celle de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par jugement du 2 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Metz a :
- rejeté l'exception d'incompétence
- débouté la SAS N. de sa demande de nullité du rapport d'expertise
- ordonné la restitution de la bague actuellement sous séquestre chez Maître P.
- condamné la SAS N. à remplacer intégralement la monture de la bague ainsi que les deux diamants brisés et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir
- débouté la SAS N. de sa demande de paiement de la somme de 300 euros au titre de la facture de mise à taille impayée
- débouté M. D. et Mme K. de leur demande de dommages et intérêts au titre de leur préjudice moral
- condamné la SAS N. à payer à M. D. et à Mme K. la somme de 2.500 euros au titre de la résistance abusive avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation
- débouté la SAS N. de sa demande au titre de la procédure abusive
- condamné la SAS N. à payer à M. D. et à Mme K. la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté la SAS N. de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée en tous les frais et dépens, en ce y compris les frais d'expertise judiciaire et d'huissier de justice.
Par déclaration d'appel déposée au greffe de la cour en date du 9 novembre 2020, la SAS N. a interjeté appel de cette décision en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de nullité du rapport d'expertise, ordonné la restitution de la bague, l'a condamnée à remplacer intégralement la monture de la bague et les deux diamants brisés sous astreinte, l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 300 euros au titre de la facture de mise à taille impayée, l'a condamnée à payer à M. D. et Mme K. une somme de 2.500 euros au titre de la résistance abusive, l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, l'a condamnée aux dépens y compris les frais d'expertise judiciaire et d'huissier de justice et à payer à M. D. et Mme K. une somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'a déboutée de sa demande au même titre.
Par ordonnance du 7 janvier 2021, le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Metz a ordonné l'arrêt de l'exécution provisoire du jugement.
Aux termes de ses dernières écritures du 6 octobre 2021, dont le dispositif doit être expurgé de toutes mentions qui ne constituent pas des demandes mais reprennent les moyens soutenus dans les motifs, la SAS N. demande à la cour d'infirmer le jugement et de :
- prononcer la nullité du rapport d'expertise du 7 novembre 2018
- débouter M. D. et Mme K. de l'intégralité de leurs demandes
- les condamner à lui verser la somme de 300 euros au titre de la facture de mise à taille avec intérêts au taux légal à compter de la demande, la somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner aux entiers frais et dépens d'instance et d'appel, y compris les frais d'expertise et ceux de la procédure de référé-sursis
- rejeter l'appel incident de M. D. et Mme K.
- au besoin ordonner une nouvelle expertise avec la même mission
- subsidiairement lui donner acte qu'elle propose un échange à neuf auprès du fournisseur, selon la taille voulue par les demandeurs et contre remise de l'ancienne bague
- très subsidiairement dire que l'astreinte éventuelle débutera après un délai suffisant postérieurement à l'arrêt à intervenir.
Sur le rapport d'expertise, l'appelante soutient qu'il présente des contradictions et n'est pas objectif et impartial, que l'expert a failli à sa mission en concluant à sa responsabilité sans preuve ni investigation complémentaire, que ses réponses aux dires sont insuffisantes, qu'il a pris uniquement en compte la photographie prise par M. D. dont la date n'est pas certaine, alors que sur les photographies prises par Maître P. aucun diamant n'apparaît cassé et que le procès-verbal de constat atteste du parfait état de la bague. Elle conclut en conséquence à la nullité du rapport d'expertise judiciaire et au rejet des demandes des intimés.
Sur le manquement à son devoir d'information, la SAS N. soutient que l'article L. 111-1 du code de la consommation est sans emport sur le litige, qu'une mise à taille implique nécessairement une transformation du bijou et qu'elle a informé M. D. de l'usure des diamants par mail, usure normale compte tenu de l'ancienneté de la bague et de la fragilité naturelle des diamants noirs. Sur le manquement à son obligation de résultat, elle prétend avoir réalisé les prestations conformément aux règles de l'art, qu'aucune preuve n'est rapportée du parfait état de la bague au jour de son dépôt, que la date figurant sur les photographies est manifestement celle de l'importation du fichier sur l'ordinateur et non celle de la prise de vue, que le fabricant n'a décelé l'usure des diamants qu'à l'aide d'une loupe sans confirmer que cette usure était la conséquence des prestations de mise à taille, que l'expert a relevé que cette usure n'était pas anormale, de sorte que la casse des diamants ne peut lui être imputée. Elle souligne que les intimés ont refusé les propositions réitérées de remplacement des diamants abîmés et sont responsables de leur propre turpitude. Enfin elle conteste tout préjudice lié à un manquement à ses obligations de dépositaire.
Sur les préjudices allégués, l'appelante rappelle qu'aucune preuve de l'imputabilité des détériorations n'est rapportée à son égard, que les diamants noirs sont naturellement plus fragiles, que l'agrandissement a été réalisé conformément aux règles de l'art, qu'il n'y a pas lieu de procéder au remplacement de la monture, que la preuve du préjudice moral n'est pas rapportée ni celle d'une résistance abusive.
Sur les demandes reconventionnelles, elle soutient que les intimés sont de mauvaise foi, qu'ils veulent obtenir le remplacement d'une bague dont les détériorations sont imputables à l'utilisation faite, que la bague n'a pas été restituée faute de règlement de la facture de mise à taille et qu'ils ont abusé de leur droit d'ester en justice. A titre subsidiaire, elle demande que l'astreinte intervienne après l'arrêt dans l'hypothèse où des obligations resteraient à leur charge.
Sur la facture, la SAS N. soutient que sa demande n'est pas prescrite puisque le délai après la réalisation de l'opération a été interrompu par la facture puis la demande en justice. Elle s'oppose à la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive alors que le dispositif du jugement est imprécis. Elle précise que la mise à taille a été effectuée par le fabricant italien et non par elle-même, que la bague n'a fait l'objet d'aucun entretien depuis son achat, qu'aucune pierre ne manque et que les altérations dues à l'usage et la faiblesse naturelle du diamant, ne sont pas visibles à l'oeil nu, l'esthétique de la bague étant conforme à son état de dépôt.
L'appelante expose sur l'entretien de la bague, que les diamants ne peuvent être polis et nettoyés, que la prestation de 2016 portait sur le corps de bague et non l'empierrage, qu'au besoin la cour peut ordonner une nouvelle expertise, que l'expert avait proposé un échange à neuf après avoir pris attache auprès du fournisseur italien et qu'elle n'est pas opposée à cette solution alors que la décision entreprise est inexécutable puisqu'il est impossible d'agrandir une bague en conservant la même forme.
Aux termes de leurs dernières écritures du 15 novembre 2021, M. D. et Mme K. demandent à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SAS N. de sa demande de nullité du rapport d'expertise
- déclarer la SAS N. entièrement responsable des désordres causés à la bague or 750ème et diamants noirs et blancs acquise le 8 décembre 2011
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la restitution de la bague actuellement sous séquestre chez Maître P. huissier de justice et en tant que besoin, compléter le dispositif en précisant que cette restitution sera faite entre leurs mains
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS N. à remplacer intégralement la monture de la bague ainsi que les deux diamants brisés et compléter le dispositif en précisant que la monture de remplacement devra être d'une matière identique à celle de la bague d'origine, soit en or et d'un tour de doigt conforme aux stipulations contractuelles et que ces remplacements interviendront aux seuls frais de la SAS N.
- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné une astreinte mais fixer le taux de l'astreinte à 500 euros par jour de retard passé le délai de deux mois à compter de la remise de la bague
- subsidiairement leur donner acte qu'ils ne sont pas opposés à un échange à neuf de la bague étant précisé que la bague devra être de matières strictement identiques à l'ancienne bague (monture en or de qualité identique et pierres précieuses l'habillant de qualités identiques) et d'un tour de doigt conforme à ce qui avait été contractuellement convenu lors de la mise à taille
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la SAS N. à leur verser la somme de 2.500 euros au titre de la résistance abusive et débouté l'appelante de sa demande au titre de la procédure abusive
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SAS N. de sa demande de paiement de la facture de 300 euros, la déclarer irrecevable et subsidiairement confirmer le jugement ayant rejeté la demande
- infirmer le jugement en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts et condamner la SAS N. à leur verser la somme de 3.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de leur préjudice de jouissance
- en tout état de cause déclarer la SAS N. irrecevable et subsidiairement mal fondée en l'ensemble de ses demandes, confirmer le jugement sur les frais irrépétibles et dépens d'instance comprenant les frais d'expertise judiciaire et condamner l'appelante aux dépens d'appel et à leur verser la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur le rapport d'expertise judiciaire, les intimés exposent que la demande de nullité doit être rejetée, que l'expert a procédé aux constatations rapportées, répondu aux dires des parties et respecté le principe du contradictoire, que l'appelante n'a pas sollicité de contre-expertise, que l'expert n'a pas fait preuve comme allégué de manque d'objectivité ou impartialité et a mené à bien la mission qui lui a été confiée. Ils ajoutent que les photographies remises à l'expert ont date certaine, que la bague était sous séquestre d'un huissier et n'a pu être détériorée par eux, que le constat de l'huissier qui n'est pas expert en joaillerie ne remet pas en cause les constatations de l'expert judiciaire et ils concluent à la confirmation du jugement ayant rejeté la demande de nullité de l'expertise.
Sur le fond, ils soutiennent que la mise à taille constitue un contrat de prestation de service et qu'ils ont la qualité de consommateur, que l'expert a précisé que la bague n'aurait jamais dû faire l'objet d'une mise à taille en raison de sa composition et des conséquences liées à cette opération et que la SAS N. n'a pas alerté M. D. sur les risques inhérents à la prestation, alors qu'il est profane en la matière et n'a ainsi pas respecté son devoir d'information préalablement à l'exécution de la prestation.
Ils font également valoir que la société a manqué à son obligation de résultat, qu'en tant que professionnelle elle devait exécuter la prestation convenue dans les règles de l'art et que l'expert a constaté la présence de deux diamants très visiblement brisés en estimant qu'ils avaient été cassés lors de la mise à taille, ainsi qu'une fissure traversante compromettant sérieusement la solidité, la rigidité et l'avenir de la bague, qu'il a relevé qu'à la réception de la bague, la SAS N. n'avait émis aucune réserve sur l'état de la bague ni la réalisation de la prestation et en a conclu que les dégradations de la bague relevaient de sa responsabilité. Les intimés concluent à la confirmation du jugement ayant condamné la SAS N. à remplacer la monture et les diamants brisés à ses frais et à leur verser des dommages et intérêts pour résistance abusive.
Sur les demandes reconventionnelles, ils exposent que la demande en paiement de la facture est forclose, que le point de départ de la prescription est la date de la réalisation de la prestation, que M. D. s'est présenté au mois de juin 2017 pour récupérer la bague, que la SAS N. n'a présenté sa demande de paiement que par conclusions datées du 1er octobre 2019 et que subsidiairement, ils sont fondés à opposer l'exception d'inexécution. Ils s'opposent en outre à la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Les intimés ajoutent avoir entretenu la bague en 2016 sans qu'aucun défaut ne soit signalé, qu'il leur avait été indiqué que l'entretien devait être fait tous les deux ans, que l'intervention de mise à taille n'a pas pour nature d'altérer une bague existante, que l'allégation selon laquelle la mise à taille aurait été réalisée par le fabricant ne repose sur aucune preuve, et que si un arrangement a pu être évoqué lors des opérations d'expertise, la proposition oralement présentée n'a jamais été confirmée par écrit.
Sur l'appel incident, ils soutiennent avoir subi un préjudice découlant du comportement de la SAS N. et de la valeur sentimentale du bijou qui a été endommagé, outre les tracas et pertes de temps et un préjudice de jouissance puisque la bague aurait dû leur être restituée en état à la fin du mois de juin 2017, sollicitant des dommages et intérêts à hauteur de 3.000 euros. Ils demandent également à la cour de maintenir l'astreinte prononcée au vu de la mauvaise foi de l'appelante et d'augmenter son montant à 500 euros par jour de retard.
Enfin, ils indiquent ne pas s'opposer à la solution proposée par la SAS N., à savoir un échange à neuf de la bague contre remise de l'ancienne bague, tout en précisant que la nouvelle bague devra être identique à celle litigieuse quant à la monture et aux pierres l'habillant et avoir un tour de doigt conforme à celui convenu lors de la mise à taille.
MOTIFS DE LA DECISION :
Vu les écritures déposées le 15 novembre 2021 par M. D. et Mme K. et le 6 octobre 2021 par la SAS N., auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens ;
Vu l'ordonnance de clôture en date du 18 novembre 2021 ;
Sur la recevabilité des demandes
Selon les dispositions de l'article 954 du code de procédure civile, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation, ainsi qu'un bordereau récapitulatif des pièces annexé. La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
En l'espèce, il est constaté que si aux termes du dispositif de leurs conclusions, M. D. et Mme K. demandent à la cour de déclarer la SAS N. irrecevable en ses demandes, ils ne font valoir aucun moyen au soutien de cette fin de non-recevoir qui sera rejetée.
Sur la nullité de l'expertise
C'est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte, que le premier juge a rejeté la demande de la SAS N. tendant à voir déclarer nul le rapport d'expertise judiciaire du 7 novembre 2018. En effet il a été justement relevé que les constatations de l'expert qui relève d'une part que la prestation de mise à taille de la bague a été bien exécutée et d'autre part que la réalisation de cette prestation a causé des dommages à la bague, ne sont pas contradictoires entre elles puisqu'il retient notamment un défaut de conseil du professionnel qui n'aurait pas dû réaliser la mise à taille au regard des risques encourus ou aurait dû en aviser son client. Pour le reste, le rapport d'expertise n'est empreint ni de partialité ni d'un manque d'objectivité comme allégué par l'appelante, alors que l'expert a réalisé sa mission au vu des pièces communiquées de part et d'autre, étant observé que la photographie en noir et blanc produite par la SAS N. a pu être jugée inexploitable par l'expert. Il a été tout aussi justement dit par le premier juge que l'expert a répondu à tous les dires des parties et a respecté le principe du contradictoire au cours de sa mission, le fait que l'appelante conteste ses conclusions étant inopérant pour démontrer une partialité de l'expert, étant en outre observé qu'elle n'a pas jugé utile de solliciter une contre-expertise.
En conséquence le jugement ayant rejeté la demande de nullité de l'expertise judiciaire est confirmé.
Sur la responsabilité du bijoutier
Il résulte de la facture du 8 décembre 2011 (pièce n°1 de l'appelante) que M. D. a acquis auprès de la SAS N. pour un prix de 4.600 euros une bague joaillerie or blanc 750/1000ème, deux joncs polis et deux joncs en biais, un demi-tour diamants blancs et un demi-tour diamants noirs (poids diamants blancs : 0.79 carat ; poids diamants noirs : 0.88 carat ; poids or : 9.80 grammes) et de l'impression d'écran (pièce n°2) qu'il a confié cette bague (taille 53) à la SAS N. aux fins de la faire agrandir à une taille supérieure (taille 55) le 18 mai 2017.
Le contrat liant les parties est donc un contrat d'entreprise au sens de l'article 1787 du code civil.
La SAS N. a accepté de réaliser la prestation de mise à taille sans qu'il soit rapporté la preuve de réserves ou mise en garde de sa part quant au succès de l'opération et aux éventuels risques encourus, tels que la modification de l'aspect esthétique de bague ou la détérioration des pierres. Le professionnel s'est ainsi engagé à exécuter la prestation commandée, soit la mise à taille de la bague et devait pour se faire, respecter les règles de l'art spécifiques à la prestation mais également restituer le bijou dans le même aspect esthétique que lors de son dépôt, s'agissant d'un article de joaillerie de valeur pour lequel l'esthétique faisait partie du respect des règles de l'art qui constitue le savoir habituel que le maître de l'ouvrage peut attendre du professionnel auquel il s'adresse. Il ressort en effet du mail adressé par M. D. le 29 juin 2017 que lorsqu'il a voulu récupérer la bague, il a constaté une modification de son aspect (plus fine, perte de l'harmonie du bijou, diamants cassés) alors qu'il souhaitait avoir une bague au visuel exactement identique avec une taille augmentée.
Il est constant que la bague a été remise le 9 janvier 2018 par le conseil de la SAS N. à l'huissier chargé de la récupérer suite à une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Metz du 8 décembre 2017, qu'elle n'a jamais été récupérée par M. D. et qu'elle est toujours actuellement entre les mains de l'huissier. Les photographies prises par celui-ci qui ne sont pas grossissantes et ne permettent pas de déceler les défauts constatés par l'expert judiciaire, sont insuffisantes à établir que la bague qui lui a été remise était exempte de désordres.
Dans son rapport du 7 novembre 2018, l'expert judiciaire a constaté les éléments suivants :
- présence visible à la loupe grossissement x 3 de la brasure effectuée pour l'agrandissement de la bague ; microfissure visible
- présence de deux diamants noirs brisés, visibles à l'oeil nu : un diamant fêlé présentant une longue fissure, un second diamant présentant un orifice vide dans son logement de sertissage.
Il a considéré que la mise à taille avec introduction d'un pont en or dans le corps de la bague avait été très bien réalisé, que la légère déformation de la circonférence de la bague est normale pour ne pas dégrader le sertissage des diamants et que le polissage indispensable après les travaux de soudure ont nécessairement et normalement eu un incidence sur le poids de la bague (de 9,80 g à 8,66 g), aucune faute n'étant retenue sur cet aspect de la prestation. L'expert a cependant relevé la présence d'un diamant noir fêlé sur sa couronne, cette fêlure étant une cassure dans la matière et non une simple égrisure due à l'usure, et d'un diamant très visiblement cassé, auquel il manque une portion sur sa circonférence laissant apparaître un trou béant sur son bord, avec un risque que le diamant quitte son logement. L'expert a précisé que les diamants noirs étaient plus fragiles que les blancs et a distingué les deux diamants fêlés et brisés de ceux abrasés (égrisés) par l'usure due au temps. Il a estimé, en considération du sertissage de 130 pierres qui englobent la moitié de la circonférence de la bague et du choc thermique nécessaire pour réaliser l'agrandissement, que la SAS N. aurait dû s'abstenir de proposer la mise à taille de la bague afin de ne pas modifier le visuel de sa circonférence ni risquer de briser des diamants, mais aurait dû proposer au client une transformation complète de la bague impliquant une nouvelle fabrication et un coût supérieur. Enfin, en réponse à un dire du conseil des intimés, l'expert a précisé que la bague était affectée suite à la réparation d'une microfissure traversante compromettant très sérieusement sa solidité et son avenir.
Il est relevé que l'expert a examiné tant les photographies de la bague faites par M. D. le 18 mai 2017 (les pièces n°16 et 24 étant suffisamment probantes pour dater avec précision les photographies) que celles faites par la SAS N. le jour de la remise et annexées au bon de dépôt et qu'il ne ressort d'aucune de ces pièces ou de tout autre, que la bague présentait des diamants fêlés ou brisés avant l'intervention du bijoutier. Il résulte des constatations de l'expert et des photographies grossissantes annexées au rapport, que la microfissure compromettant la solidité du bijou et la détérioration de deux diamants sont nécessairement survenues lors des travaux opérés sur la bague, étant précisé que la SAS N. ne les a pas elle-même réalisés mais a adressé la bague à son fournisseur italien, lequel fait d'ailleurs état dans un mail du 8 juin 2017 annexé au rapport d'expertise, que deux brillants noirs ne sont pas en bon état. Enfin, l'appelante échoue à démontrer que ces détériorations seraient imputables aux propriétaires de la bague en raison notamment d'un défaut d'entretien, alors qu'ils justifient par une facture de la SAS N. qu'elle a elle-même procédé à cet entretien le 28 janvier 2016 en préconisant une vérification tous les deux ans.
Il découle de l'ensemble de ces éléments que la SAS N. a failli à son obligation de résultat et doit être déclarée responsable des dommages affectant la bague qui lui a été confiée.
Sur la réparation des préjudices
Eu égard à ce qui précède, la SAS N. doit être condamnée à restituer à M. D. et Mme K. une bague exempte de défauts. Compte tenu de la difficulté de reprendre les malfaçons affectant le bijou litigieux déjà fragilisé en sa solidité, il convient de constater l'accord des parties quant à la remise par la SAS N. à M. D. et Mme K. d'une bague identique à celle confiée pour travaux, soit une bague joaillerie or blanc 750/1000ème, deux joncs polis et deux joncs en biais, un demi-tour diamants blancs et un demi-tour diamants noirs (poids diamants blancs : 0.79 carat ; poids diamants noirs : 0.88 carat ; poids or : 9.80 grammes) avec un tour de doigt T55, contre la restitution de la bague abîmée par M. D. et Mme K. à la SAS N..
Il est précisé que l'appelante devra exécuter cette obligation dans le délai d'un mois suivant la signification de l'arrêt, sous peine d'une astreinte de 150 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai et pendant une durée de 45 jours. Il convient en outre d'ordonner la restitution de la bague litigieuse actuellement sous séquestre de Me P., entre les mains de M. D. et Mme K. qui devront la remettre à la SAS N. au moment de la remise de la nouvelle bague.
Le jugement déféré est infirmé.
Sur le paiement de la facture
Selon les dispositions de l'article L. 218-2 du code de la consommation, l'action des professionnels, pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans.
En l'espèce, il n'est produit aucune facture datée concernant la prestation de mise à taille de la bague. Il ressort cependant des échanges de mail entre M. D. et le responsable de la société N. que ce dernier fait état dans son mail du 7 juillet 2017 d'une demande de règlement de la somme de 300 euros pour la prestation réalisée, de sorte que le délai de prescription a couru à compter de cette date.
Si M. D. et Mme K. ont assigné la SAS N. par acte du 7 mai 2019, cette assignation ne comprend aucune prétention relative à la demande en paiement de la somme de 300 euros et la demande en paiement n'a été formée par la SAS N. que par conclusions datées du 1er octobre 2019, signifiées aux demandeurs le 22 octobre 2019 et déposées au greffe le 24 octobre 2019. Il en découle que la demande en paiement ayant été présentée au-delà du délai de prescription de deux ans, elle est irrecevable.
Sur les dommages et intérêts pour préjudice de jouissance
Selon les dispositions de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il résulte de ce qui précède que la SAS N. est responsable des dommages causés à la bague de M. D. et Mme K., ces derniers ayant été privés depuis juillet 2017 d'un bijou acquis depuis plusieurs années et ayant une valeur sentimentale et affective indéniable. Le préjudice de jouissance ainsi subi sera justement réparé par l'allocation de la somme de 1.000 euros. Le jugement déféré est infirmé.
Sur les dommages et intérêts pour procédure et résistance abusive
Sur la demande au titre de la procédure abusive, il résulte de ce qui précède que M. D. et Mme K. sont bien fondés en leur demande principale, de sorte que le premier juge a à juste titre débouté la SAS N. de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Sur la résistance abusive, il est rappelé que la résistance à une action en justice n'est constitutive d'une faute qu'en cas d'abus caractérisé ou intention de nuire. En l'espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que la SAS N. aurait agi dans une intention de nuire ou abusé de son droit de contestation, alors que l'absence de règlement amiable du litige ne peut être imputée à une seule partie, l'ensemble des protagonistes étant fermement décidé à obtenir gain de cause ainsi qu'il ressort des échanges de mails et conclusions, que l'accord verbal de M. N. laissé sans suite ne ressort pas clairement du rapport d'expertise judiciaire et qu'il était nécessaire de préserver la bague en l'état dans l'attente de son examen par l'expert judiciaire. En conséquence, il convient d'infirmer le jugement et de débouter M. D. et Mme K. de leur demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Les dispositions du jugement sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmés.
La SAS N., partie perdante, devra supporter les dépens d'appel et il est équitable qu'elle soit condamnée à verser à M. D. et Mme K. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme déjà allouée en première instance. Il convient en outre de la débouter de sa propre demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,
DEBOUTE M. Nicolas D. et Mme Claire K. de leur demande tendant à voir déclarer la SAS N. irrecevable en ses demandes ;
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a :
- débouté la SAS N. Joaillier Créateur de sa demande de nullité du rapport d'expertise
- ordonné la restitution de la bague actuellement sous séquestre chez Maître P.
- débouté la SAS N. Joaillier Créateur de sa demande au titre de la procédure abusive
- condamné la SAS N. Joaillier Créateur à payer à M. Nicolas D. et à Mme Claire K. la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- débouté la SAS N. Joaillier Créateur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné la SAS N. Joaillier Créateur en tous les frais et dépens, en ce y compris les frais d'expertise judiciaire et d'huissier de justice ;
L'INFIRME en ce qu'il a condamné la SAS N. Joaillier Créateur à remplacer intégralement la monture de la bague ainsi que les deux diamants brisés et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard dans un délai de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir, débouté M. D. et Mme K. de leur demande de dommages et intérêts au titre de leur préjudice, condamné la SAS N. à payer à M. D. et à Mme K. la somme de 2.500 euros au titre de la résistance abusive avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et débouté la SAS N. Joaillier Créateur de sa demande de paiement de la somme de 300 euros au titre de la facture de mise à taille impayée et statuant à nouveau,
DECLARE irrecevable la demande de la SAS N. Joaillier Créateur tendant au paiement de la somme de 300 euros au titre de la facture de mise à taille impayée ;
DECLARE la SAS N. Joaillier Créateur responsable des dommages subis par la bague confiée par M. Nicolas D. et Mme Claire K. ;
CONDAMNE la SAS N. Joaillier Créateur à remettre à M. Nicolas D. et Mme Claire K. une bague identique à celle confiée pour travaux, soit une bague joaillerie or blanc 750/1000ème, deux joncs polis et deux joncs en biais, un demi-tour diamants blancs et un demi-tour diamants noirs (poids diamants blancs : 0.79 carat ; poids diamants noirs : 0.88 carat ; poids or : 9.80 grammes) avec un tour de doigt T55, dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt et sous astreinte de 150 euros par jour de retard passé ce délai et pour une durée de 45 jours ;
DIT que la restitution de la bague actuellement sous séquestre chez Maître P., huissier de justice à Metz, se fera au profit de M. Nicolas D. et Mme Claire K. ;
DIT que M. Nicolas D. et Mme Claire K. devront remettre à la SAS N. Joaillier Créateur la bague actuellement confiée à Maître P., au moment de la remise de la nouvelle bague par la SAS N. Joaillier Créateur ;
CONDAMNE la SAS N. Joaillier Créateur à verser à M. Nicolas D. et Mme Claire K. la somme de 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice de jouissance subi ;
DEBOUTE M. Nicolas D. et Mme Claire K. de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;
Y ajoutant,
CONDAMNE la SAS N. Joaillier Créateur à verser à M. Nicolas D. et Mme Claire K. la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DEBOUTE la SAS N. Joaillier Créateur de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la SAS N. Joaillier Créateur aux dépens d'appel.