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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 13, 19 avril 2022, n° 19/069217

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Orange Bank (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cochet

Conseillers :

Mme d'Ardailhon Miramon, Mme Moreau

Avocats :

Me Mangenot, Me Perez

TGI Paris, du 20 févr. 2019, n° 17/13071

20 février 2019

Par acte notarié du 31 janvier 1991, M. [D] [B] s'est engagé, en contrepartie de la remise d'un capital viager de 129 696,31 euros, à servir à plusieurs personnes physiques une rente viagère financière.

Mme [T] [B], sa mère, s'est constituée caution simplement hypothécaire et la société Compagnie générale de garantie s'est constituée caution solidaire de M. [B].

Ce dernier et sa mère ont consenti à la société Compagnie générale de garantie une hypothèque de premier rang sur un bien immobilier situé au Plessis Trévise.

A la suite de la défaillance de M. [B] dans le versement des rentes dont il était débiteur, la Compagnie générale de garantie a mandaté M. [H] [S], avocat à [Localité 5], afin qu'il poursuive la procédure de saisie immobilière de l'immeuble hypothéqué engagée en 1993.

Le bien immobilier des consorts [B] a été adjugé selon jugement du tribunal de grande instance de Créteil du 26 novembre 1998 au prix de 201 232,70 euros et le prix d'adjudication versé au bâtonnier du Val de Marne, en qualité de séquestre, puis transmis à la Caisse des Dépôts et Consignations.

Selon assignation délivrée le 7 août 2000 à la Compagnie générale de garantie, les adjudicataires ont engagé, sous la constitution de Me Serge Tacnet, avocat au barreau de Créteil ayant enchéri pour leur compte, une instance en attribution de prix, devant le tribunal de grande instance de Créteil.

Par jugement du 13 septembre 2002, le tribunal a rejeté la demande de collocation de la Compagnie générale de garantie, aux motifs qu'elle n'a pas justifié des modalités de mise en oeuvre de sa garantie et qu'au surplus, ses demandes n'ont pas été portées à la connaissance de M. [B], en violation des dispositions de l'article 15 du code de procédure civile.

Par acte du 12 septembre 2017, la Sa Orange bank, venant aux droits de la société Groupama banque, elle même venant aux droits de la Compagnie générale de garantie, a assigné en responsabilité M. [S] et la Selarl [S] et Associés (la Selarl [S]).

Par jugement du 20 février 2019, le tribunal de grande instance de Paris a :

- déclaré recevable la demande de la société Orange bank,

- débouté la société Orange bank de ses demandes,

- condamné la société Orange bank à payer à M. [S] et à la Selarl [S] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la société Orange bank aux dépens.

La Sa Orange Bank a formé appel de cette décision le 28 mars 2019.

La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 18 janvier 2022.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées et déposées le 24 janvier 2022, la Sa Orange Bank demande à la cour de :

- révoquer l'ordonnance de clôture du 18 janvier 2022,

- à défaut, dire irrecevables et en conséquence rejeter les conclusions et pièces de M.[S] du 12 janvier 2022,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes,

- condamner solidairement M. [S] et la Selarl [S] à lui payer la somme de 201 232,70 euros, augmentée des intérêts légaux postérieurs au 31 janvier 2001,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement M. [S] et la Selarl [S] à lui payer la somme de 10 000 euros, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement M. [S] et la Selarl [S] aux dépens dont distraction au profit de Me Valentin Mangenot avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 12 janvier 2022, M.[S] et la Selarl Lambert demandent à la cour de :

- dire la société Orange bank tant irrecevable que mal fondée en son appel,

- dire et juger que l'action de la société Orange bank à leur égard est prescrite,

- confirmer la décision dont appel en ce qu'elle a débouté la société Orange bank de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société Orange bank à leur payer la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens.

SUR CE,

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture

La société Orange Bank sollicite la révocation de l'ordonnance de clôture pour cause grave au motif que ses adversaires ont conclu le 12 janvier 2022 en communiquant des pièces pour la première fois depuis l'introduction de l'instance en 2017 sur le fondement des articles 15 et 135 du code de procédure civile. A défaut, elle sollicite le rejet des conclusions de M. [S] et des 7 pièces qui les accompagnent.

Les intimés n'ont pas conclu sur ce point mais indiqué oralement ne pas s'y opposer. En tout état de cause, il est exact que la cour est saisie depuis le 23 mars 2019, que les intimés ont conclu le 25 septembre 2019 sans communiquer aucune pièce à leur adversaire et qu'ils ont communiqué sept pièces le 12 janvier2022 soit seulement six jours avant la clôture de l'instruction de l'affaire. Ce comportement peu loyal justifie la révocation de l'ordonnance de clôture sollicitée par l'appelante afin que la cour soit saisie de ses conclusions en réponse du 24 janvier 2022.

Sur la recevabilité de l'action

Le tribunal a considéré que :

- les lettres échangées entre les parties démontrent que M. [S] exerçait un mandat d'assistance de la société Compagnie générale de garantie dans le cadre de la procédure introduite par les adjudicataires du bien immobilier le 7 août 2000, M. Tacnet étant l'avocat postulant,

- ce mandat a trouvé son terme le 4 mars 2014, date de la lettre de M. Landon avocat demandant à M. [S] de lui transférer tous les éléments de nature à prendre utilement sa succession,

- l'action de la société Orange bank ayant été introduite moins de 5 ans après cette date, sa demande est recevable, sur le fondement de l'article 2225 du code civil.

M. [S] et la société [S] font valoir que :

- la procédure judiciaire de saisie immobilière a été confiée à Me Serge Tacnet en 1992 et ce dernier a initié diverses procédures, Me Lartigue faisant le lien entre cet avocat et la Compagnie générale de garantie,

- M. [S] a lui-même succédé à Me Lartigue et accusé réception le 1er août 1997 de 39 dossiers dont le dossier [B] traité par Me Tacnet depuis 4 ans,

- la procédure de distribution de prix a été initiée par Me Tacnet lequel a informé M.[S] d'une réouverture des débats aux fins de justification de la mise en oeuvre de la garantie, demande qu'il a retransmise à la Compagnie générale de garantie, en lui demandant de lui adresser tous les éléments en sa possession à ce titre,

- celle-ci s'est exécutée et M. [S] a transmis les éléments communiqués à Me Tacnet puis l'a relancé à six reprises en vain et en a informé le bâtonnier à deux reprises sans obtenir aucune réponse,

- n'ayant obtenu aucune réponse, il a classé le dossier en 2011 et la société Groupama banque ne s'est plus manifestée auprès de lui, de sorte que cette date marque la fin de leurs relations,

- Me Landon, nouvel avocat de la société lui a demandé les pièces du dossier trois ans plus tard soit le 4 mars 2014 alors qu’ils ne les avaient plus depuis le 17 mars 2011,

- sa dernière intervention auprès de sa cliente remonte au 12 septembre 2011 et sa lettre demeurée sans réponse a mis un terme définitif à ses relations avec elle, de sorte que l'action à son encontre était prescrite à compter du 12 septembre 2016,

- en admettant qu'il ait eu une mission d’assistance, celle-ci a pris fin le jour où le jugement a été rendu le 13 septembre 2002 et la prescription ne saurait courir à compter de 2014 soit 12 ans plus tard.

La société Orange Bank soutient que :

- la Compagnie générale de garantie a donné mandat ad litem à M. [S] de la représenter dans l'instance en distribution de prix et ce dernier a demandé à Me Tacnet de constituer avocat en sa qualité de dominus litis,

- M. [S] disposait d'un mandat d'assistance et de représentation l'obligeant à rédiger et délivrer des actes de procédure y compris dans les instances où les règles de la postulation lui interdisait de se constituer personnellement,

- il a relancé à de multiples reprises son confrère pour qu'il le tienne informé de la procédure entre mars 2002 et août 2005,

- la Compagnie générale de garantie a fait de même vis à vis de son avocat M. [S] de février 2004 à avril 2010 et ce n'est que le 17 mars 2011 qu'il a répondu à la société Groupama Banque qu'aucune distribution de prix n'avait été effectuée et qu'il relançait son correspondant,

- la société Groupama Banque l'a déchargé de sa mission en 2014 au profit de Me Landon, lequel recevra une seconde copie exécutoire datée du 20 février 2017 du jugement d'attribution de prix rendu le 13 septembre 2002, celle-ci apprenant donc 15 ans plus tard que sa demande de collocation avait été rejetée,

- son action n'est pas prescrite puisque le mandat de M. [S] a pris fin en 2014, l'article 2225 du code civil ne faisant aucune distinction quant au point de départ du délai de prescription entre la mission d'assistance et la mission de représentation,

- la carence de M. [S] à communiquer le jugement du 13 septembre 2002 a pour conséquence que le délai de prescription de son action n'a pas couru et interdit à M. [S] de se prévaloir des dispositions de l'article 420 du code de procédure civile pour bénéficier d'une prescription extinctive.

L'article 2225 du code civil dispose que l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les personnes en justice se prescrit par 5 ans à compter de la fin de leur mission.

L'article 420 du code de procédure civile précise que l'avocat remplit les obligations de son mandat sans nouveau pouvoir jusqu'à l'exécution du jugement pourvu que celle-ci soit entreprise moins d'un an après que ce jugement soit passé en force de chose jugée.

Selon les articles 411 et 413 du même code, le mandat de représentation emporte pouvoir et devoir d'accomplir au nom du mandant les actes de procédure et emporte mission d'assistance sauf disposition ou convention contraire.

L'assistance en justice est définie par l'article 412 du code de procédure civile, qui précise que la mission d'assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l'obliger.

Cette mission résulte d'un contrat d'entreprise et non d'un contrat de mandat, a fortiori de représentation.

M. [S], avocat au barreau de Paris, admet avoir pris la suite de Me Lartigue en 1997 dans le suivi de nombreux dossiers confiés par la Compagnie générale de garantie dont celui l'opposant à M. [B] pour lequel une procédure de saisie immobilière avait été initiée depuis 1993 par Me Serge Tacnet, avocat au barreau du Val de Marne, représentant la société financière devant le tribunal de grande instance de Créteil et disposant donc un mandat ad litem.

En conséquence, M. [S] n'était investi que d'une mission d'assistance en justice et non d'un mandat de représentation.

Par jugement du 2 novembre 1998, l'immeuble a été adjugé pour un prix de 1 320 000 francs à Me Serge Tacnet au nom des adjudicataires.

Par actes des 10 août 2000 et 5 juillet 2001, une instance en distribution de prix a été initiée par Me Serge Tacnet agissant en qualité de représentant des adjudicataires, à l'encontre de l'administrateur provisoire de la succession d'[T] [B] décédée le [Date décès 1] 1997, la Compagnie générale de garantie et M. [D] [B].

La Compagnie générale de garantie s'est fait représenter par Me Corinne Tacnet, avocat au barreau du Val de Marne, ainsi que cela ressort expressément du jugement du 13 septembre 2002.

M. [S] a écrit à la Compagnie générale de garantie, le 17 juillet 2001 : " suivant jugement du 8 juin dernier, le tribunal a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 26 octobre prochain. Pour cette audience, nous sommes invités à justifier de la mise en oeuvre de la garantie par votre société. Je vous prie de bien vouloir m'apporter tous les éléments en votre possession."

Par la suite, interrogé par sa cliente, M. [S] a adressé de multiples demandes d'informations sur le résultat de l'audience du 4 décembre 2001 par lettre simples et recommandées de 2002 jusqu'en 2004 lesquelles ont toutes été adressées à Me Serge Tacnet, représentant des adjudicataires et non à Me Corinne Tacnet, représentant de la Compagnie générale de garantie.

La Compagnie générale de garantie lui a écrit le 4 juin 2008 pour se plaindre de ne plus avoir de ses nouvelles depuis 2004 et de nouveau le 20 avril 2010, sous menace de saisir le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Paris.

Le 17 mars 2011, M. [S] a écrit à la société Groupama Banque venant aux droits de la Compagnie générale de garantie pour l'informer que son confrère lui avait répondu (en juillet 2009) qu' "après de longues recherches, [il] avait réussi à retrouver des éléments du dossier, que rien n'avait été fait concernant la distribution et qu'[il] lui adresserait des éléments complémentaires" et il terminait sa lettre en indiquant à sa cliente qu'il "l'avait relancé encore une fois aujourd'hui et [qu'il] ne manquerait pas de revenir vers [elle] dès qu'un élément de réponse serait donné".

Le 12 septembre 2011, il a encore écrit à sa cliente qu'il allait saisir de nouveau le bâtonnier du Val de Marne afin d'obtenir le dossier d'adjudication qu'il n'avait toujours pas récupéré, ce qu'il a fait le jour même.

Plus aucune correspondance n'a été échangée entre l'avocat et sa cliente jusqu'à ce que Me Landon, nouvel avocat de la société Groupama Banque, sollicite la transmission du dossier en 2014 et à réception, l'interroge le 4 mars sur les suites qu'il a données à sa correspondance du 12 septembre 2011 et sur la reprise de la procédure de distribution de prix.

M. [S] soutient vainement que sa mission a pris fin lorsque le jugement d'attribution du prix a été rendu le 13 septembre 2002 puisqu'il ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 420 du code de procédure civile qui ne concerne que l'avocat investi d'un mandat ad litem.

En effet, il ressort des correspondances précitées qu'il était toujours investi d'une mission d'assistance et non d'un mandat de représentation vis à vis de son client auquel il a rendu compte de 2002 jusqu'au 12 septembre 2011, date à laquelle il a écrit au bâtonnier de Créteil qu'il rencontrait "une difficulté avec un de [ses] confrères, Me Tacnet, avocat à Champigny sur Marne, au sujet du dossier qu'[il] lui a confié", ce qui implique qu'il lui avait confié un mandat de représentation et demeurait pour sa part investi d'une mission d'assistance.

Il ne rapporte aucune preuve de ce qu'il aurait pris l'initiative de mettre fin à sa mission en 2011 laquelle n'a pris fin qu'en 2014 lorsque la société Groupama Banque a désigné un autre avocat pour le remplacer et que celui-ci lui a demandé la restitution du dossier en sa possession.

En conséquence, les premiers juges ont, à bon droit, jugé que l'action de la société Orange Bank, venant aux droits de la société Groupama Banque, n'était pas prescrite lorsqu'elle a été engagée le 12 septembre 2017.

Sur la faute de l'avocat

Le tribunal a retenu que :

- la désignation de M. Serge Tacnet en qualité d'avocat correspondant n'exonérait M.[S] d'aucune des obligations que lui impose sa mission d'assistance en justice,

- il résulte de la décision du tribunal de grande instance de Créteil du 13 septembre 2002 qu'il n'a pas été conclu au nom de la Compagnie générale de garantie après la décision de réouverture des débats du 8 juin 2001 et que les demandes formées par la Compagnie générale de garantie devant ce tribunal n'ont pas été portées à la connaissance de M. [B],

- M. [S] n'a pas informé sa cliente de l'issue de la procédure poursuivie devant le tribunal de grande instance de Créteil et ne lui a jamais adressé la décision du 13 septembre 2002,

- ce faisant, il a manqué à son devoir de diligence et de surveillance dans l'exercice de sa mission d'assistance.

La société Orange Bank fait valoir que :

- M. [S] qui était son seul interlocuteur est tenu de répondre de ses fautes comme de celles du postulant qu'il a choisi,

- il a eu connaissance de la demande du tribunal informant la Compagnie générale de garantie par lettre du 17 juillet 2001 de la réouverture des débats à l'audience du 26 octobre 2001 afin qu'elle justifie de la mise en oeuvre de sa garantie,

- cette dernière lui a adressé les relevés de son compte bancaire justifiant de la défaillance de M. [B] et donc de sa créance,

- il a incontestablement reçu les documents sollicités en temps et en heure et dans l'hypothèse contraire, n'a pas relancé sa cliente afin de les obtenir, pas plus qu'il ne l'a mise en garde contre une éventuelle carence à satisfaire aux demandes du tribunal,

- la carence de son avocat a conduit au rejet de sa demande de collocation au seul motif qu'elle ne faisait pas la preuve du caractère exigible de sa créance,

- M. Lambert a également failli à son devoir d'information quant au déroulement de la procédure en ce qu'il a fait preuve d'une inertie fautive et l'a tenue dans l'ignorance du jugement qui lui portait préjudice et dont elle aurait pu faire appel.

M. [S] et la société [S] répondent que :

- les griefs invoqués ne lui sont pas imputables,

- il a adressé à Me Tacnet la copie des divers relevés bancaires de la banque Axa que la Compagnie générale de garantie lui avaient transmis et il n'est pas démontré qu'il lui ait jamais été demandé de rédiger au surplus des conclusions, s'agissant d'une simple réouverture des débats,

- il a relancé son correspondant à de multiples reprises et saisi le bâtonnier de Créteil en 2006 et 2011 sans obtenir de réponse,

- il n'était pas en charge de la procédure et n'avait pas à porter à la connaissance de M.[B] les demandes de sa cliente,

- il a systématiquement fait part à sa cliente des informations qu'il obtenait de Me Tacnet mais il a été tenu dans l'ignorance de la décision du 13 septembre 2002,

- la faute incombe exclusivement à Me Tacnet.

L'assistance en justice emporte pour l'avocat qui en est chargé pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l'obliger. Cette assistance ne consiste pas en la seule mission de plaider mais implique aussi des conseils sur l'opportunité d'agir en justice, sur le choix des arguments et sur l'attitude à adopter à l'issue de l'instance, notamment sur l'opportunité d'exercer un recours ainsi qu'une information sur le déroulement du procès en général.

Il appartient également à l'avocat, au titre de l'assistance, de recueillir de sa propre initiative auprès de son client l'ensemble des éléments d'information et les documents propres à lui permettre d'assurer au mieux la défense de ses intérêts.

La présence d'un avocat postulant, mandataire ad litem, ne l'exonère pas de ses obligations.

Le 17 juillet 2001, M. [S] a sollicité sa cliente afin qu'elle lui adresse tous les éléments en sa possession aux fins de justifier de la mise en oeuvre de sa garantie comme le demandait le tribunal qui avait rouvert les débats et il reconnaît (en page 3 de ses conclusions) avoir reçu les relevés trimestriels de son compte bancaire ouvert auprès de la société Axa banque de janvier 1992 au 30 juin 2001 mentionnant les prélèvements sur le compte de M. [B] qui ont été rejetés. Cependant, il ne justifie aucunement les avoir transmis à Me Corinne Tacnet , avocat postulant, commettant en cela une première faute dans sa mission d'assistance. En tout état de cause et dans l'hypothèse où il l'aurait fait, M.[S] n'a jamais vérifié la transmission des pièces au tribunal par son correspondant, alors que le tribunal indique n'avoir statué qu'au vu d'un décompte actualisé au 31 janvier 2001.

Par ailleurs, M. [S] a failli à son devoir d'information sur le déroulement de la procédure en ne cherchant pas à pallier le défaut de réponse de son correspondant, avocat postulant, à ses lettres, en se rapprochant du greffe du tribunal afin d'avoir connaissance de l'avancement de la procédure, ce qui lui aurait permis de connaître la date de plaidoirie et de délibéré et d'obtenir une copie du jugement rendu, comme son successeur s'est empressé de le faire avec succès, ce qui lui aurait permis de conseiller à sa cliente de faire appel. Son absence totale d'initiative à ce titre pendant dix ans est constitutive d'une seconde faute.

Sur le lien de causalité et le préjudice

Le tribunal a retenu que :

- par jugement du 8 janvier 2001, le tribunal de Créteil avait rouvert les débats afin que la Compagnie générale de garantie justifie de la mise en oeuvre de sa garantie,

- les relevés arrêtés au 30 juin 2001 de son compte bancaire versés aux débats ne permettent pas d'apporter la preuve que le tribunal attendait,

- la société Orange Bank ne démontre pas qu'elle a perdu une chance certaine d'obtenir gain de cause devant le tribunal de grande instance de Créteil et n'établit pas la preuve d'un préjudice.

La société Orange bank soutient que :

- nonobstant la motivation des juges du tribunal de grande instance de Créteil en 2002, sa créance était établie au vu du décompte arrêté au 31 janvier 2001 qui avait été produit aux débats,

- afin de justifier du paiement de toutes les rentes payées en lieu et place de M. [B], la Compagnie générale de garantie a communiqué l'intégralité de ses relevés de compte bancaire du 1er janvier 1992 au 30 juin 2001, les mêmes que ceux adressés à M. [S] afin de satisfaire à la demande du tribunal de grande instance de Créteil,

- sur chacun de ces relevés trimestriels figurent au débit et au regard du nom de M. [B] autant de lignes débitrices que de rentes payées aux crédirentiers auxquelles s'ajoutent deux autres débits correspondant aux honoraires de gestion du contrat et à ceux de la caution,

- la dette étant reconnue par le débiteur et la Compagnie générale de garantie étant le seul créancier hypothécaire inscrit sur le bien immobilier saisi, il est incontestable que le prix d'adjudication, soit la somme de 201 232,70 euros, lui aurait été totalement attribué en paiement partiel de sa créance,

- l'indemnisation de son préjudice ne relève pas d'une perte de chance, sa créance étant certaine, liquide et exigible,

- son préjudice est équivalent au montant de la créance pour laquelle elle sollicitait sa collocation, à savoir la somme de 201 232,70 euros, augmentée des intérêts légaux postérieurs au 31 janvier 2001.

M. [S] et la société [S] répondent que :

- la banque ne disposait pas d'autre document pour justifier la défaillance qu'elle invoquait et la mise en oeuvre de sa garantie que les relevés trimestriels de son compte bancaire ouvert auprès d'Axa banque de janvier 1992 au 30 juin 2001 qu'il a transmis à son confrère,

- le tribunal de grande instance de Créteil a estimé cette preuve insuffisante et celle-ci n'est toujours pas rapportée à ce jour,

- la société Orange bank ne démontre pas davantage qu'elle a mis en oeuvre sa garantie à l'égard des crédirentiers et elle se contente, dans ses conclusions d'appel, d'affirmer que le décompte de la banque Axa, particulièrement obscur, ferait état non seulement des rentes impayées par M. [B], mais également des capitaux viagers substitutifs, lesquels n'apparaissent nulle part, de frais bancaires et autres intérêts de retard,

- en conséquence, la société Orange Bank n'a perdu aucune chance sérieuse d'obtenir devant la cour d'appel l'attribution de la somme qu'elle réclame, en n'étant pas informée du jugement rendu en septembre 2002 et en n'ayant pu faire appel dès lors que le décompte de la banque Axa sur lequel elle se fonde jusqu'à ce jour est manifestement insuffisant à rapporter la preuve de la mise en oeuvre de sa garantie,

- les pièces nouvelles produites et relatives à une prétendue reconnaissance de dette de M.[B] ne l'ont pas été dans le cadre de la procédure de distribution du prix,

- la banque ne peut pas réclamer au titre de la perte de chance une somme équivalente à la perte totale qu'elle prétend avoir subie d'autant qu'elle sollicite en sus des intérêts légaux depuis le 31 janvier 2001 en dépit de la prescription quinquennale qui s'y applique.

Lorsque l'avocat ne rapporte pas la preuve qu'il a rempli son devoir d'information et de conseil ou lorsque est démontré par la partie demanderesse un autre manquement dans l'accomplissement de sa mission, il doit réparer le préjudice direct, certain et actuel en relation de causalité avec le manquement commis, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la cause.

En outre, lorsque le manquement a eu pour conséquence de priver une partie d'une voie d'accès au juge, il revient à celle-ci de démontrer la réalité de la perte de chance, réelle et sérieuse, laquelle doit résulter de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable.

Il convient d'évaluer les chances de succès de la voie de droit manquée en reconstituant le procès comme il aurait dû avoir lieu, ce à l'aune des motivations de la décision qui a été rendue, des dispositions légales qui avaient vocation à s'appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.

Le tribunal de grande instance de Créteil a rejeté la demande de collocation formée par la société bénéficiaire d'une inscription d'hypothèque conventionnelle aux motifs que :

"Si la Compagnie générale de garantie verse aux débats [son] titre (inscription d'hypothèque conventionnelle) ainsi qu'un décompte portant actualisation au 31 janvier 2001 des capitaux viagers substitutifs, elle ne justifie pas et ce, malgré la demande formée par mention au dossier du 8 juin 2001, des modalités de mise en oeuvre de sa garantie. Plus précisément, elle n'établit pas la réalité de la défaillance de M. [D] [B] dans le versement des rentes dues aux crédirentiers.

Au surplus, il convient de relever que les demandes formées par la Compagnie générale de garantie n'ont pas été portées à la connaissance de M. [B] et ce, en violation des dispositions de l'article 15 du code de procédure civile".

Contrairement aux allégations des intimés, le tribunal de grande instance de Créteil n'a pas statué aux vu des relevés du compte bancaire de la Compagnie générale de garantie arrêtés au 30 juin 2001 mais seulement au vu d'un décompte actualisé au 31 janvier 2001.

Les fautes retenues à l'encontre de M. [S] ont privé sa cliente non seulement de voir le tribunal de grande instance de Créteil statuer au vu des relevés de comptes bancaires arrêtés au 30 juin 2001mais aussi d'exercer un recours à l'encontre de la décision rendue le 13 septembre 2002. Il lui appartient donc de rapporter la preuve de la réalité d'une perte de chance réelle et sérieuse de participer à la distribution du prix d'adjudication en justifiant de la réalité de sa créance.

La Compagnie générale de garantie a produit devant le tribunal de Créteil une décompte arrêté le 31 janvier 2001 à la somme de 1 593 025,19 Francs (242 855,11 euros) lequel mentionne :

- les rentes impayées par M. [B] entre le 1er janvier 1992 et le 1er janvier 2001,

- les capitaux viagers substitutifs lesquels se définissent comme étant les capitaux nécessaires pour reconstituer au profit des crédirentiers le service d'une rente strictement identique à celle servie par le débirentier défaillant, lesquels visent Mme [O], M.[M], M. [D], M. et Mme [I], M. et Mme [U] et Mme [R] et son fils,

- les frais bancaires de rejet des rentes trimestrielles et les honoraires de gestion du contrat de rentes viagères,

- les intérêts de retard,

- les frais et débours contractuels.

La convention de rentes viagères prévoit que le débirentier doit approvisionner son compte bancaire au plus tard le 1er jour de chaque trimestre civil afin de permettre à la banque Axa, organisme bancaire chargé de diverses missions tant par le débirentier que par la société française de rentes et de financements et la Compagnie générale de garantie caution, de prélever le montant de chaque rente ainsi que les honoraires de gestion du contrat par la société française de rentes et de financements et les honoraires de la caution la Compagnie générale de garantie, pour en créditer ensuite les comptes bancaires des crédirentiers et des gestionnaires du contrat de rentes viagères.

Les relevés du compte ouvert par la Compagnie générale de garantie auprès de la banque Axa du 1er janvier 1992 au 30 juin 2001, dont le tribunal n'a pas eu connaissance en 2002, mentionnent en débit les rentes et frais de gestion, dûs par le débirentier défaillant, M.[B], à chacun des crédirentiers, ayant fait l'objet de prélèvements rejetés et le solde créditeur du compte à l'issue de ces débits démontrant ainsi la défaillance du débirentier et la mise en oeuvre de la garantie dûe par la caution.

Ainsi, la société Orange bank établit le bien fondé de sa créance et son caractère exigible pour un montant de 242 855,11 euros.

Etant seule bénéficiaire d'une hypothèque conventionnelle sur le bien vendu, ainsi qu'il ressort du jugement du 13 septembre 2002, elle justifie d'une perte de chance réelle et sérieuse, fixée à 99 % d'obtenir la totalité du prix de l'adjudication soit 201 232,70 euros sous déduction des frais privilégiés d'attribution de prix mentionnés pour un montant de 67 545 francs sur le décompte produit au 30 janvier 2021 soit 10 297 euros.

En conséquence le préjudice de la société Orange Bank s'établit à la somme de 189 026 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, date d'évaluation du préjudice, et M. [S] et la Selarl [S] sont solidairement condamnés à payer cette somme, en infirmation du jugement.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile sont infirmées.

Les dépens de première instance et d'appel doivent incomber solidairement à M. [S] et à la Selarl [S], parties perdantes.

Ils sont également condamnés solidairement à payer à la société Orange bank la somme de 6 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture des débats afin de prendre en compte les conclusions de la Sa Orange Bank notifiées le 24 janvier 2022,

Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action de la Sa Orange bank,

Infirme le jugement en ses autres dispositions,

Statuant à nouveau, dans cette limite,

Condamne solidairement M. [H] [S] et la Selarl [S] & Associés à payer à la Sa Orange Bank la somme de 189 026 euros, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Condamne M. [H] [S] et la Selarl [S] & Associés solidairement aux dépens, dont distraction au profit de Me Valentin Mangenot, avocat,

Condamne solidairement M. [H] [S] et la Selarl [S] & Associés à payer à la Sa Orange Bank la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.