ADLC, 17 septembre 2010, n° 10-DCC-112
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
relative à la prise de contrôle conjoint par Prédica et Altaréa de la société Alta Marigny Carré de Soie
L’Autorité de la concurrence,
Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 16 août 2010, relatif à la prise de contrôle conjoint par Prédica et Altaréa de la société Alta Marigny Carré de Soie, formalisée par un projet de contrat de cession de parts sociale et de garantie sous conditions suspensives ;
Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;
Adopte la décision suivante : W
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Prédica – Prévoyance Dialogue (ci-après « Prédica ») est une filiale du Groupe mutualiste Crédit Agricole (ci-après « GCA »). Les activités de GCA se répartissent en plusieurs pôles qui sont (i) la banque de proximité en France, (ii) les services financiers spécialisés, (iii) la banque de financement et d’investissement, (iv) la gestion d’actifs par le biais de ses services d’assurance et de banque privée, (v) la banque de détail à l’international et (iv) les services immobiliers. Prédica a pour activité la détention et la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre. S’agissant plus spécifiquement de l’activité de la détention et de la gestion de centres commerciaux concernée par la présente opération, GCA, par le biais de Prédica, exerce actuellement un contrôle conjoint sur la société Aldeta, laquelle exploite un centre commercial situé dans les Alpes Maritimes et gère une galerie commerciale dans l’Essonne. Prédica exerce également des activités de gestion de locaux commerciaux pour compte de tiers et de promotion immobilière résidentielle et de bureaux. En 2009, GCA a réalisé un chiffre d’affaire mondial hors taxe de […] milliards d’euros, dont […] milliards en France.
2. La société en commandite par actions Altaréa (ci-après « Altaréa ») est la société de tête du groupe Altaréa Cogedim. Elle est contrôlée par une personne physique ne possédant aucune
participation contrôlante dans d’autres sociétés. Le groupe Altaréa Cogedim est actif sur les marchés de services immobiliers principalement en France. Via sa filiale détenue à 100 %, la SAS Foncière Altaréa (ci-après « Foncière Altaréa »), Altaréa exerce une activité de détention et de gestion pour compte propre de centres commerciaux. A ce titre, Altaréa possède en France un portefeuille de 64 actifs commerciaux, représentant environ 625 000 m², pour une valeur de 2,3 milliards d’euros. Elle exerce notamment conjointement avec Prédica et le fonds de pension ABP un contrôle sur la société Aldeta, ayant pour objet la détention et l’exploitation d’un centre commercial dans les Alpes Maritimes1. En outre, Altaréa exerce des activités de gestion de centres commerciaux pour compte de tiers et de promotion immobilière de locaux résidentiels et à usage de bureaux. Altaréa a réalisé en 2009 un chiffre d’affaires hors taxe mondial de 940 millions d’euros, dont 912 millions en France.
3. La cible de l’opération est la société Alta Marigny Carré de Soie SNC (ci-après « Alta Marigny ») actuellement co-détenue par la société Marigny Expansion SAS (ci-après « Marigny Expansion »), filiale du groupe Casino, et Altaréa. Alta Marigny a pour objet la détention et l’exploitation du centre commercial et de loisirs « Carré de Soie » situé dans l’agglomération lyonnaise à Vaux-en-Velin. Ce centre commercial, d’une superficie de plus de 61 000 m², est composé de moyennes surfaces spécialisées dans l’habillement, le jardinage, le bricolage ou l’électroménager notamment, d’une cinquantaine de boutiques et restaurants ainsi que d’un cinéma. Le chiffre d’affaires d’Alta Marigny s’est élevé en 2009 à [<50] millions d’euros, réalisé intégralement en France.
4. Au terme de l’opération, Prédica acquerra 50 % du capital d’Alta Marigny détenu jusqu’à présent par Marigny Expansion. Par la répartition égale du capital à 50 % pour chacun des deux actionnaires, et aux termes du pacte d’associés conclu entre eux, l’opération envisagée résultera en un contrôle conjoint de Prédica et d’Altaréa sur Alta Marigny.
5. En ce qu’elle se traduit par le remplacement de l’un des actionnaires assurant le contrôle en commun d‘Alta Marigny, l’opération constitue une concentration au sens de l’article L. 430-1 du code de commerce. Compte tenu des chiffres d’affaires des parties à l’opération, les seuils prévus par l’article 1, paragraphe 2, a) et b) du Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 sont atteints. Néanmoins, GCA et Altaréa réalisant plus des deux tiers de leur chiffre d’affaires en France, l’opération n’est pas de dimension communautaire et la présente opération est soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
A. LES MARCHÉS DE SERVICES CONCERNÉS
6. Les autorités de concurrence nationale et communautaire ont envisagé, tout en laissant la question ouverte, différentes segmentations dans le secteur des services immobiliers2 selon (i)
les destinataires des services (particuliers ou entreprises), (ii) le mode de fixation des prix, (immobilier résidentiel libre et logements sociaux ou intermédiaires aidés)3, (iii) le type d’activité exercée dans les locaux (bureaux4, locaux commerciaux5 et autres locaux d’activités6), et (iv) la nature des services ou biens offerts7.
7. En ce qui concerne la segmentation selon la nature des services ou des biens offerts, la pratique décisionnelle a envisagé de distinguer :
- la promotion immobilière8 qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ;
- la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre9 ;
- la gestion d’actifs immobiliers pour compte de tiers ;
- l’administration de biens immobiliers qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ;
- l’expertise immobilière ;
- le conseil immobilier ;
- l’intermédiation dans les transactions immobilières pour laquelle l’intermédiation dans les opérations d’achat/vente est distinguée de l’intermédiation dans les opérations de location10.
8. En ce qui concerne la segmentation selon la destination des locaux, le ministre de l’économie, tout en laissant la question ouverte, a envisagé une segmentation entre centres commerciaux et locaux commerciaux en pied d’immeuble11, ainsi qu’une segmentation des centres commerciaux selon leur taille.
9. Au cas d’espèce, eu égard à la faiblesse des parts de marché des parties notifiantes, il n’est pas nécessaire de segmenter le marché en fonction de la taille des centres. L’analyse concurrentielle portera donc sur le marché de la gestion et de la détention pour compte propre d’actifs immobiliers à usage de centres commerciaux.
10. De façon plus marginale, Altaréa et Prédica sont également actives sur le marché de la gestion de locaux commerciaux pour compte de tiers et sur le marché de la promotion immobilière de bureaux et résidentielle.
B. LES MARCHÉS GEOGRAPHIQUES
11. Les autorités de concurrence française et communautaire ont considéré que les marchés relatifs au secteur immobilier sont de dimension infranationale, tout en laissant la question ouverte12.
12. Cependant, en ce qui concerne plus spécifiquement le segment de l’immobilier à usage de locaux commerciaux dans les centres commerciaux, sur lequel une partie de la demande provient de groupes d’envergure nationale, le ministre de l’économie13 a déjà relevé que la stratégie d’implantation de ces groupes dans des centres commerciaux procède d’une logique de maillage du territoire. En outre, le ministre a considéré, tout en laissant la question ouverte, que le marché des services immobiliers est de dimension nationale lorsque les investissements sont réalisés par de gros investisseurs professionnels14.
13. L’analyse concurrentielle sera donc menée au niveau national et infranational. Au niveau infranational, deux niveaux d’analyse ont jusqu’à présent été retenus : la région et l’agglomération, l’analyse étant généralement menée au niveau régional lorsque la taille de l’aire urbaine est trop réduite pour permettre une véritable analyse concurrentielle15. Au cas d’espèce, les deux niveaux seront envisagés.
14. En ce qui concerne le marché de la gestion de locaux commerciaux pour compte de tiers et le marché de la promotion immobilière de bureaux, il ressort de la pratique antérieure que les marchés des services immobiliers à destination des entreprises ont été généralement considérés comme étant de dimension nationale, notamment lorsque les opérations d’investissement sont réalisées par de gros investisseurs16. Une dimension infranationale n’a toutefois pas été exclue17. Le marché de la promotion immobilière résidentielle est en général, comme tous les services immobiliers à destination des particuliers, analysé au niveau local, voire de l’agglomération18.
15. La question de la délimitation exacte des marchés pertinents peut toutefois être laissée ouverte à l’occasion de la présente décision, car les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelles que soient les solutions retenues.
III. Analyse concurrentielle
19. Au niveau national, les parties notifiantes ont estimé à 14 millions le nombre de m² consacrés aux centres commerciaux. GCA et Altaréa détiennent et exploitent respectivement […] et
[…] m², soit [0-5] % et [0-5] % du marché. Avec 61 000 m², la part de marché de la cible représente [<1] % des surfaces au niveau national.
20. Ni GCA ni Altaréa (mise à part sa participation préalable dans Carré de Soie) ne détiennent d’autres centres commerciaux en région Rhône Alpes ou dans l’agglomération lyonnaise. Avec 61 000 m², la cible représente environ [5-10] % du marché régional et [10-20] % du marché local. Sur ces marchés, les parties seront confrontées à la présence d’opérateurs concurrents puissants, tels que Unibail-Rodamco, Klépierre et Immochan, détenant chacun, tant au niveau régional que local, 20 % ou plus de parts de marché. Enfin, le centre ville de Lyon, situé à 8 km du centre commercial cible, constitue une alternative forte pour la clientèle du centre commercial Carré de Soie.
21. Par conséquent, la présente opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d’effets horizontaux sur le marché de la gestion pour compte propre de centres commerciaux.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 10-0121 est autorisée.
NOTES :
1 Cette acquisition tripartite a fait l’objet d’une notification et d’une autorisation de la Commission européenne, voir COMP/5885 du 22 juin 2010, Altaréa/ Prédica/ ABP / Aldeta.
2 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-13 du 29 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par Icade S.A. de la Compagnie la Lucette S.A, et la lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi C2008-79 du 22 août 2008, aux conseils des sociétés CDC et Eurosic, relative à une concentration dans le secteur del’immobilier.
3 Voir la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2002-112 du 8 novembre 2002 aux conseils de la société Gecina relative à une concentration dans le secteur des actifs immobiliers.
4 Voir la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2003-66 du 17 avril 2003 aux conseils de la société CBRE Holding Inc. relative à une concentration dans le secteur des services immobiliers pour laquelle un marché du courtage en bureaux a été envisagé.
5 Voir la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2004-123 du 22 juillet 2004 aux conseils de la société Immobiliaria Colonial SA relative à une concentration dans le secteur de la location de locaux commerciaux.
6 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.2863 Morgan Stanley / Olivetti / Telecom Italia / Tiglio du 30 août 2002.
7 Décision de la Commission européenne COMP/M.3370 précitée.
8 Voir la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi C2007-166 précitée.
9Voir la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2005-126 précitée, la décision du ministre de l’économie Lehman Brothers du 10 mai 2007
10 Voir la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2005-126 précitée.
11 Voir la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi C2007-52 du 22 mai 2007, aux conseils de la société Unibail, relative à une concentration dans le secteur des services immobiliers.
12 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 précitée et la décision de la Commission européenne COMP/ M. 2825 du 9 juillet 2002, Fortis AG SA / Bernheim-Comofi SA.
13 Voir la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi C2007-52 précitée.
14 Voir par exemple la Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi C2007-85 du 16 juillet 2007, aux conseils de la société Compagnie Altarea Habitation, relative à une concentration dans le secteur de la promotion immobilière résidentielle.
15 Voir les Lettres du ministre de l’économie, des finances et de l’emploi C2007-52 et C2007-85 précitées.
16 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-16 précitée.
17 Voir la décision de la Commission européenne COMP/M.3370 du 9 mars 2004, BNP Paribas / Ari ; voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-16 précitée.
18 Voir la décision de l’Autorité de la concurrence n° 09-DCC-16 précitée.