CE, 6e et 1re sous-sect.. reun., 9 juillet 2007
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Rapporteur :
M. Richard Senghor
Commissaire du gouvernement :
M. Guyomar
Avocats :
SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, SCP BORE ET SALVE DE BRUNETON
Considérant que les requêtes de l'ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D'APPEL DE RENNES et de l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE BELLEY présentent à juger des questions semblables ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les interventions présentées, sous les n° 290 893 et 292 698 par la commune de Belley, la communauté de communes de Belley et l'association de défense du tribunal de Belley, les communes d'Ambérieu-en-Bugey et de Saint-Champ-Chatonod, la commune de Peyrieu et quinze autres communes du canton de Belley ainsi que la commune d'Hauteville-Lompnès et quatre autres communes :
Considérant que ces interventions ne sont pas motivées ; qu'elles ne sont, dès lors, pas recevables ;
Sur la légalité externe des décrets attaqués :
Considérant que le moyen tiré de ce que le décret du 30 décembre 2005 serait entaché d'un vice de forme à raison de ce qu'il viserait à tort la loi du 26 juillet 2006 de sauvegarde des entreprises « et notamment son article 190 » est inopérant ; que le même moyen relatif au décret du 20 février 2006 manque en fait ;
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 615-17 du code de la propriété intellectuelle : « Les tribunaux de grande instance appelés à connaître des actions en matière de brevets sont déterminés par voie réglementaire. »; qu'aux termes de l'article L. 623-31 du même code relatif aux certificats d'obtention végétale : « L'ensemble du contentieux né du présent chapitre est attribué aux tribunaux de grande instance et aux cours d'appel auxquelles ils sont rattachés (...). / Les tribunaux de grande instance compétents, dont le nombre ne pourra être inférieur à dix, et le ressort dans lequel ces juridictions exercent les attributions qui leur sont ainsi dévolues, sont déterminés par voie réglementaire. » ; qu'aux termes de l'article L. 420-7 du code de commerce : « (...) les litiges relatifs à l'application des règles contenues dans les articles L. 420-1 à L. 420-5 ainsi que dans les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne et ceux dans lesquels ces dispositions sont invoquées sont attribués, selon le cas et sous réserve des règles de partage de compétences entre les ordres de juridiction, aux tribunaux de grande instance ou aux tribunaux de commerce dont le siège et le ressort sont fixés par décret en Conseil d'Etat (...). » ;
Considérant que les décrets du 30 décembre 2005 et du 20 février 2006 ont, en application de la loi du 26 juillet 2005 relative à la sauvegarde des entreprises, modifié la liste et le ressort des juridictions spécialisées en matière de concurrence, de propriété industrielle et de difficultés des entreprises ; qu'aucune des dispositions législatives précitées, non plus que les articles R. 761-17, R. 761-20, R. 761-24, R. 761-26 et R. 761-31 du code de l'organisation judiciaire, qui fixent les attributions consultatives des assemblées des magistrats du siège et du parquet ainsi que des assemblées des fonctionnaires des secrétariats-greffes, n'imposent leur consultation préalable en cas de réforme portant modification du siège et du ressort des tribunaux de grande instance compétents dans les domaines contentieux concernés ;
Considérant qu'aucun principe général du droit n'impose au pouvoir réglementaire, en l'absence de texte, la consultation, préalable à la détermination du ressort d'un tribunal, des conseils généraux et municipaux, ni des premiers présidents de cours d'appel ou des représentants des barreaux concernés ; que le moyen tiré de la violation d'un tel principe doit donc être écarté ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de l'avis du Conseil d'Etat en date du 21 décembre 2005, qui a été communiqué par le garde des sceaux, ministre de la justice, que le texte du décret du 30 décembre 2005 ne diffère pas de celui adopté par le Conseil d'Etat ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le texte du décret attaqué ne serait pas conforme à la version transmise par le Gouvernement au Conseil d'Etat ou à celle adoptée par le Conseil d'Etat doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la procédure d'adoption des décrets attaqués serait entachée d'irrégularité ;
Sur la légalité interne des décrets attaqués :
Sur les moyens soulevés par l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE LA COUR D'APPEL DE RENNES contre le décret du 30 décembre 2005 :
Considérant que les articles 11 à 14 du décret du 30 décembre 2005 ont modifié les dispositions relatives à la spécialisation des juridictions en matière de propriété industrielle en établissant une distinction, aux articles R. 321-2 et R. 321-2-1 du code de l'organisation judiciaire, entre les juridictions exclusivement compétentes en matière de certificats d'obtention végétale, dont le nombre et le ressort ne sont pas modifiés, et celles qui exercent leur compétence dans les autres contentieux de la propriété industrielle ;
Considérant que le code de l'organisation judiciaire comporte en annexe des tableaux fixant le ressort et le siège des diverses catégories de juridictions ; que le décret attaqué complète cette annexe en créant un tableau IV sexties qui modifie le siège et le ressort des tribunaux de grande instance compétents pour connaître des actions contentieuses en matière de brevets d'invention, de certificats d'utilité, de certificats complémentaires de protection et de topographies de produits semi-conducteurs en application des articles L. 611-2, L. 615-17 et L. 622-7 du code de la propriété intellectuelle ; que cette réduction répond, par une spécialisation accrue de nature à faciliter l'exercice d'une compétence très particulière, à un objectif général de renforcement de la protection juridique des détenteurs de brevets dans un contexte de concurrence internationale élevée en matière de recherche et d'innovation ;
Considérant, en premier lieu, que la suppression de la compétence du tribunal de grande instance de Rennes au profit du tribunal de grande instance de Paris et l'éloignement qui en résulte pour les justiciables ne constituent pas, eu égard aux motifs d'intérêt général présidant à cette réorganisation, une atteinte illégale au principe d'égalité entre les usagers du service public de la justice ; que cet aménagement ne porte pas davantage atteinte aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, en deuxième lieu, que les atteintes éventuellement portées aux intérêts économiques des professionnels du droit de la région de Rennes ne sont pas, en l'espèce, excessives au regard des motifs d'intérêt général inspirant la réforme ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompatibilité du décret avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté ;
Considérant, en troisième lieu, que la liste figurant à l'annexe IV sexties du décret attaqué traduit la volonté de regrouper le traitement de ce contentieux spécialisé au sein d'un nombre plus restreint de juridictions mais disposant de moyens mieux adaptés à ses enjeux ; que le haut niveau de spécialisation en la matière du tribunal de grande instance de Paris n'est pas contesté ; qu'il résulte de ce qui précède que l'ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D'APPEL DE RENNES n'est pas fondé à soutenir que les dispositions réglementaires ayant entraîné le retrait de cette compétence au tribunal de grande instance de Rennes sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;
Sur les moyens soulevés par l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE BELLEY contre les décrets du 30 décembre 2005 et du 20 février 2006 :
Considérant que l'ORDRE DES AVOCATS DU BARREAU DE BELLEY soutient que le Gouvernement a commis une erreur manifeste d'appréciation, d'une part, en prévoyant, dans le décret du 30 décembre 2005, de retirer au tribunal de grande instance de Belley sa compétence en matière de procédures applicables, en vertu du livre VI du code de commerce relatif aux difficultés des entreprises, aux personnes qui ne sont ni commerçants, ni artisans, ainsi que de procédures applicables aux commerçants et artisans, d'autre part, en maintenant, dans le décret du 20 février 2006, le retrait de cette compétence concernant les commerçants et artisans ;
Considérant que la réforme mise en oeuvre par ces décrets résulte de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises ; que, eu égard à la complexité des procédures en cause, le pouvoir réglementaire a décidé d'en réserver la compétence contentieuse aux tribunaux ayant une activité importante dans ce domaine ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'administration a évalué l'activité des tribunaux de grande instance à compétence commerciale et des tribunaux de commerce, pour la période 2003-2004, en se fondant sur le nombre de décisions relatives à une demande d'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire ainsi que sur le nombre des affaires terminées ; que l'activité du tribunal de grande instance à compétence commerciale de Belley est relativement restreinte et qu'au surplus, les données communiquées par l'ordre requérant pour l'année 2005 montrent une tendance à la baisse ; que l'éloignement qui résultera, pour les justiciables, de la mesure prise doit être apprécié au regard des motifs d'intérêt général qui justifient la mesure ; qu'au vu des circonstances de l'espèce, le transfert d'attribution opéré par le décret du 30 décembre 2005 de cette compétence exercée jusque-là par le tribunal de grande instance de Belley n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'il résulte de ce qui précède que l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE BELLEY n'est pas davantage fondé à demander à ce titre l'annulation du décret du 20 février 2006 ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soient mises à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, les sommes que demandent l'ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D'APPEL DE RENNES et l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE BELLEY au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de la commune de Belley, de la communauté de communes de Belley et de l'association de défense du tribunal de Belley, des communes d'Ambérieu-en-Bugey et Saint-Champ-Chatonod, ainsi que de la commune de Peyrieu et de quinze autres communes du canton de Belley, de la commune d'Hauteville-Lompnès et de quatre autres communes ne sont pas admises.
Article 2 : La requête de l'ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D'APPEL DE RENNES est rejetée.
Article 3 : Les requêtes de l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE BELLEY sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'ORDRE DES AVOCATS A LA COUR D'APPEL DE RENNES, à l'ORDRE DES AVOCATS AU BARREAU DE BELLEY, à la commune de Belley, à la communauté de communes de Belley, à l'association de défense du tribunal de Belley, à la commune d'Ambérieu-en-Bugey, à la commune de Saint-Champ-Chatonod, la SCP Boré et Salve de Bruneton avocat de la commune de Peyrieu et de quinze autres communes du canton de Belley, à la même SCP avocat de la commune d'Hauteville-Lompnès et de quatre autres communes, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.