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Décisions

CA Nîmes, 1re ch. civ., 16 juillet 2020, n° 20/00639

NÎMES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Monsieur (M) D.

Défendeur :

Monsieur (P) B.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jean-Christophe BRUYERE

Conseillers :

Mme Elisabeth TOULOUSE, Mme Séverine LEGER

Avocats :

SCP B.C.E.P., SCP RD AVOCATS & ASSOCIES

Nîmes, du 17 janv. 2020

17 janvier 2020

Par acte d'huissier du 14 mars 2019, M. Patrick B. a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Nîmes M. Michel D. et la société Yoan Ltd aux fins de voir, à titre principal :

·  constater que le navire dénommé Lady Rose, de type Hatteras, d'une longueur de 19,70 m et d'une largeur de 5,31 m mentionné comme immatriculé aux Iles vierges britanniques qui lui a été vendu par M. D., selon contrat de vente sous seing privé du 29 janvier 2018, moyennant un prix de 340 000 €, appartient en réalité à une société Yoan Limited de droit anglais,

·  dire et juger que M. D. ne pouvait vendre en son nom la chose d'autrui,

·  dire et juger que la vente intervenue est nulle et de nul effet,

·  condamner en conséquence M. D. à lui restituer la somme de 340 000 € et à lui verser une somme complémentaire de 19 443 € à titre de dommages-intérêts.

Par conclusions du 17 décembre 2019, M. Michel D. et la société Yoan Limited ont soulevé l'incompétence de la juridiction française au profit du juge de la commune de Martigny en Suisse.

Par ordonnance contradictoire du 17 janvier 2020, le juge de la mise en état a :

·  rejeté l'exception d'incompétence,

·  condamné in solidum M. Michel D. et la société Yoan Limited à verser à M. Patrick B. la somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles,

·  condamné in solidum M. Michel D. et la société Yoan Limited aux entiers dépens relatifs à l'incident,

·  ordonné l'exécution provisoire,

·  renvoyé l'affaire à une audience de mise en état.

M. Michel D. et la société Yoan Limited ont interjeté appel de cette ordonnance suivant déclaration du 19 février 2020.

Sur autorisation donnée par ordonnance du délégué du premier président du 4 mars 2020, ils ont fait assigner M. Patrick B. à jour fixe devant la cour d'appel de Nîmes pour l'audience du 2 juin 2020.

L'assignation a été délivrée le 14 avril 2020, M. Patrick B. a constitué avocat et, en l'absence d'opposition des parties, l'affaire a été traitée suivant la procédure sans audience en raison de l'état d'urgence sanitaire.

Aux termes de son assignation, reprise dans ses conclusions déposées le 13 mars 2020, M. Michel D. et la société Yoan Limited demandent à la cour de :

vu la Convention de Lugano du 30 octobre 2007,

vu l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme,

vu l'article 55 de la Constitution,

·  prononcer la réforme totale de l'ordonnance dont il est fait appel,

·  prononcer l'incompétence du tribunal judiciaire de Nîmes pour connaître du litige faisant l'objet de la procédure RG 19/01300 entre les parties,

·  ordonner le renvoi du litige au profit du juge de commune de Martigny (Suisse),

·  condamner M. Patrick B. à verser la somme de 1 500 € à M. Michel D. et la somme de 1 500 € à la société Yoan Limited au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

·  condamner M. Patrick B. aux entiers dépens.

M. Patrick B. a déposé et notifié ses conclusions le 2020. Il demande à la cour de :

par application des articles 42 et suivants, 74 et 75 du code de procédure civile,

des articles 14 et 15 du code civil,

·  confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nîmes en date du 17 janvier 2020 en toutes ses dispositions,

·  débouter en tant que de besoin M. Michel D. et la société Yoan Limited de leur demande d'incompétence formées à titre incident,

·  les condamner à lui verser in solidum une somme de 2 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

·  les condamner au paiement des entiers dépens d'appel.

MOTIFS

Le litige a trait à la formation et à l'exécution d'un contrat de vente d'un navire conclu le 29 janvier 2018 en Espagne :

- M. B., demandeur au procès, y a la qualité d'acheteur ; de nationalité française, il est domicilié à Carnas (France) ;

- M. D., défendeur au procès, y a la qualité de vendeur ; également de nationalité française, il justifie au moyen d'une attestation de domicile de la ville de Martigny (Suisse), être domicilié sur le territoire de cet Etat ;

- la société Yoan Ltd, co-défenderesse, est désignée comme propriétaire du navire sur le passeport de celui-ci ; il n'est pas contesté qu'il s'agit d'une personne morale de droit britannique dont le siège social est situé sur l'île de Tortola, faisant partie des Iles Vierges britanniques.

En présence d'un élément d'extranéité, il doit être fait application des traités internationaux et subsidiairement des règles du droit international privé français pour déterminer l'Etat dont les juridictions sont compétentes pour connaître du litige.

La Convention de Lugano concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale a été signée le 30 octobre 2007 entre notamment la Communauté européenne et la Suisse ; elle est applicable en Suisse, en France mais pas aux Iles Vierges britanniques, qui figurent parmi les pays et territoires d'outre-mer dépendant du Royaume-Uni.

En vertu des articles 2§1 et 3 §1 de cette convention, une personne domiciliée sur le territoire d'un Etat lié par elle sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet Etat, sauf compétences spéciales ; l'article 3§2 et l'annexe I excluent, en France, le recours au privilège de juridiction des articles 14 et 15 du code civil. En l'espèce, les parties ne se prévalent pas du lieu d'exécution du contrat, de sorte que M. D., domicilié en Suisse, doit normalement être attrait devant une juridiction suisse.

A l'égard de la société Yoan Ltd, qui ne relève d'aucune norme internationale, il peut au contraire, suivant l'article 4§1 de la convention, être fait application de l'article 14 du code civil qui permet de traduire un étranger devant les tribunaux français pour les obligations contractées par lui en pays étranger envers des Français.

Lu avec la première phrase de l'article 5, l'article 6§1 de la convention permet quant à lui de saisir une seule juridiction d'un Etat contractant, s'il y a plusieurs défendeurs, et que les demandes sont liées entre elles par un rapport si étroit qu'il y a intérêt à les instruire et à les juger ensemble en même temps afin d'éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément, mais sous réserve que tous les défendeurs soient domiciliés sur le territoire d'un Etat contractant, et que la juridiction saisie soit celle d'un Etat où est domicilié l'un des défendeurs.

Il n'est en l'occurrence satisfait à aucune de ces deux conditions puisque M. D. est domicilié en Suisse et la société Yoan Ltd sur le territoire d'un Etat non contractant.

Il ne peut dès lors en aucune façon, même en raison de l'indivisibilité du litige, être dérogé à la règle de principe de la convention donnant compétence au juge suisse pour connaître des demandes formées contre M. D. et à laquelle l'article 42 alinéa 2 du code de procédure civile étendu à l'ordre international ne peut faire échec. Le litige ne peut donc être jugé en son entier devant les juridictions françaises.

L'article 6§1 ne peut pas davantage servir à étendre la compétence du juge suisse pour les demandes concernant la société Yoan Ltd. Seule l'exception de connexité internationale est susceptible de jouer en sa faveur puisque l'article 14 du code civil n'a qu'un caractère subsidiaire et que l'ordre de saisine des juridictions est en un tel cas indifférent ; elle suppose néanmoins préalablement à tout renvoi, sauf risque de déni de justice, que le juge suisse, saisi à son tour des mêmes demandes dirigées contre la société Yoan Ltd, se reconnaisse lui-aussi compétent pour en connaître en application de son droit national conformément à la recommandation de l'article 4 de la convention.

Par suite, seule les juridictions suisses peuvent connaître des demandes dirigées à l'encontre de M. D. tandis que la compétence des juridictions françaises doit, au moins provisoirement, être retenue.

Il convient en conséquence d'infirmer partiellement l'ordonnance déférée, de faire droit uniquement à l'exception soulevée par M. D., et, le concernant, de renvoyer les parties à mieux se pourvoir en application de l'article 81 alinéa 1er du code de procédure civile puisque la juridiction compétente est étrangère.

La société Yoan Ltd supportera les dépens de première instance et d'appel mais aucune considération d'équité ne commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ;

Infirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par M. Michel D. et en ce qu'elle a statué sur les frais irrépétibles et les dépens ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Dit que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour connaître des demandes de M. Patrick B. à l'encontre de M. Michel D. ;

Renvoie M. Patrick B. et M. Michel D. à mieux se pourvoir ;

Dit que le tribunal judiciaire de Nîmes reste compétent pour connaître des demandes de M. Patrick B. contre la société Yoan Ltd ;

Condamne la société Yoan Ltd aux dépens de première instance et d'appel ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.