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Décisions

CA Paris, 4e ch., 15 mars 2000, n° D20000027

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Beauté Prestige International (SA)

Défendeur :

Prestige (SA)

CA Paris n° D20000027

14 mars 2000

FAITS ET PROCEDURE

Vu l'arrêt de cette cour du 17 septembre 1997, auquel il est fait expressément référence pour l'exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, qui a :

- confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a dit la société BPI recevable et bien fondée à faire valoir ses droits de propriété sur ses modèles de flacon constituant des créations originales,

- réformé pour le surplus cette décision et statuant à nouveau,

- dit les demandes en contrefaçon de modèle et concurrence déloyale de la société BPI recevables et bien fondées,

- ordonné la confiscation aux fins de destruction de tous produits contrefaisants,

- fait interdiction à la société PRESTIGE d'offrir à la vente ou de vendre lesdits produits, sous astreinte de 1.000 F par infraction constatée pendant un délai de trois mois à compter de la signification de l'arrêt, passé lequel il sera fait droit à nouveau par la cour qui se réserve la liquidation de ladite astreinte,

- autorisé la publication de l'arrêt dans trois périodiques au choix de la société BPI et aux frais de la société PRESTIGE dans la limite de 15.000 F par insertion,

- avant dire droit sur le préjudice, commis M. Philippe G en qualité d'expert afin de donner son avis sur le préjudice qui est résulté pour la société BPI des faits de contrefaçon de modèle et de concurrence déloyale retenus à l'encontre de la société PRESTIGE,

* condamné la société PRESTIGE à payer à la société BPI la somme de 150.000 F à titre de provision et celle de 40.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Vu le rapport d'expertise déposé le 23 juillet 1998 ;

Vu les conditions signifiées le 21 janvier 2000 par lesquelles la société BPI demande à la cour de condamner la société PRESTIGE à lui payer :

- à titre principal, la somme de 10.000.000 F à titre de dommages-intérêts du fait de la contrefaçon et celle de 5.000.000 F de dommages-intérêts du fait de la concurrence déloyale,

- à titre subsidiaire, la somme de 4.257.391 F au titre de la contrefaçon et celle de 2.000.000 F au titre de la concurrence déloyale,

- en tout état de cause, la somme de 100.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Vu les écritures signifiées le 20 janvier 2000 aux termes desquelles la société PRESTIGE sollicite la fixation du préjudice de la société BPI à la somme de 74.132, 60 F et, faisant valoir que seul peut être pris en compte le préjudice subi à raison des faits de concurrence déloyale sur le territoire français, conclut au rejet de la demande de la société BPI de ce chef et demande de la condamner à lui rembourser la différence entre le montant des condamnations qui pourraient être mises à sa charge et la somme de 150.000 F versée à titre de provision et à lui payer la somme de 30.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

DECISION

I - SUR LE PREJUDICE DE LA SOCIETE BPI RESULTANT DES ACTES DE CONTREFAÇON

Considérant que pour déterminer le préjudice de la société BPI, il convient de rechercher les gains manqués par celle-ci sur la masse de produits contrefaisants ;

Considérant que l'expert, APRES avoir procédé à l'examen de la comptabilité de la société PRESTIGE, estime que la masse contrefaisante se limite aux ventes du produits litigieux commercialisé sous la dénomination "1994", qui se sont effectuées au cours de la seule année 1994 et retient que ces ventes ont représenté en France, 5.208 flacons et à l'export, 51.047 flacons ce qui correspond à un chiffre d'affaires de 53.136 F pour la France et de 688.169 F pour l'étranger ;

Qu'il relève, que le produit diffusé par la société BPI étant 17 à 20 fois supérieur à celui du produit de la société PRESTIGE, il est exclu de considérer qu'en l'absence de mise sur le marché du second, les deux sociétés qui ont distribué celui-ci sur le territoire français, les sociétés MAXI'S et PARIS ELITE se seraient fournies auprès de la société BPI ; qu'il conclut que la société BPI ne peut prétendre à des ventes réellement manquées en France ; que s'agissant des ventes à l'étranger, il souligne que la différente de prix rend improbable que les ventes contrefaisantes puissent représenter autant de ventes réellement perdues par la société BPI ;

Considérant qu'il propose trois hypothèses d'évaluation du préjudice direct subi par la société BPI :

- 1ère hypothèse, correspondant à la demande de la société BPI selon laquelle toutes les ventes contrefaisantes représentent des ventes manquées, le préjudice est chiffré, après actualisation à 4.257.391 F,

- 2ème hypothèse, correspondant à la demande de la société PRESTIGE qui estime que la société BPI n'ayant manqué aucune vente de son fait, son préjudice ne peut être apprécié que sous la forme d'une redevance indemnitaire au taux de 3 %, et chiffré après réactualisation à la somme de 23.213 F ;

- 3ème hypothèse, retenant une approche intermédiaire selon laquelle les ventes manquées à l'étranger sont estimées à 10 % des ventes contrefaisantes et la redevance indemnitaire est fixée à 10 %, le préjudice s'élèverait à 354.480 F ;

Considérant que la société BPI conteste la masse contrefaisante admise par l'expert invoquant, outre le fait que trois factures manquantes n'ont pu être prises en compte, des ventes en dehors de la période retenue, en France dans la région de Lorient, en Pologne à Varsovie et en Estonie ;

Mais considérant que les recherches diligentées par l'expert ont révélé que deux des factures manquantes correspondaient pour l'une à un avoir, pour l'autre à des ventes de produits non concernés par le présent litige ; que l'expert, après avoir constaté que la troisième facture était émise à l'attention de la société PARIS ELITE dont les achats précédents portaient sur 528 flacons litigieux, en a justement déduit que la livraison correspondant à cette facture ne représenterait que 10 % au plus des ventes en France ;

Que les ventes de produits invoquées par la société BPI ne concernant qu'une quantité résiduelle de flacons, la masse contrefaisante mise en évidence par l'expert sera retenue ;

Considérant que dans on précédent arrêt, la cour a relevé que l'on ne saurait retenir comme le tribunal que les produits en cause s'adresseraient à des clientèles très différentes dans la mesure où la société BPI rappelle que "L'eau d'ISSEY" fait partie des parfums féminins les plus vendus dans des chaînes de parfumerie sélective s'adressant à une clientèle jeune et pratiquant de ce fait une politique commerciale basée sur des prix très accessibles ;

Considérant que la société BPI n'aurait pas nécessairement, en raison de la différence des prix pratiqués, bénéficié de la totalité des ventes réalisées par la société PRESTIGE en France et à l'étranger ; que néanmoins, eu égard au succès rencontré auprès du public par "L'eau d'ISSEY" et à la politique commerciale pratiquée par la société BPI pour offrir ce produit à des prix plus accessibles que la majorité des autres parfums de luxe, le pourcentage de ventes manquées par la société BPI doit être estimé à 50 % des ventes de produits contrefaisants ;

Considérant que la marge bénéficiaire retenue par l'expert de 131 F, pour les ventes en France et de 66.54 F pour les ventes à l'étranger n'est pas contestée ; que les ventes manquées en France doivent être fixées à 5208 flacons : 2 = 2604 et les ventes à l'étranger à 51047 : 2 = 25524 ;

Que le montant des ventes manquées en France sera donc évalué à 2604 x 131 = 341.124 F et celui des ventes manquées à l'étranger à 25524 x 66.54 = 1.698.366 F ;

Que la redevance indemnitaire qui s'applique sur le surplus des ventes réalisées en France et à l'étranger, estimée par l'expert à 10 %, doit être retenue ;

Que la redevance indemnitaire s'élève donc pour les ventes en France à 26568 (53.136 F : 2) x 10 % = 2656 F et pour les ventes à l'étranger à 344094 (688 189 F : 2) x 10 % = 34409 F, soit au total 37 065 F ;

Considérant que le préjudice subi par la société BPI du fait des actes de contrefaçon doit donc être évalué à la somme globale de 2.0760.555 F (341.124 + 1.698.366 + 37.065) ;

II - SUR LE PREJUDICE DE LA SOCIETE BPI RESULTANT DES ACTES DE CONCURRENCE DELOYALE

Considérant que, contrairement à ce que soutient la société PRESTIGE, le juge français est compétent pour indemniser le préjudice subi par la société BPI du fait des actes de concurrence déloyale même si la quasi-totalité des ventes incriminées ont eu lieu en dehors de France, dès lors que le dommage résulte des ventes réalisées à partir du territoire français et que le préjudice en résultant a été subi en France ;

Considérant que si la société BPI ne démontre pas avoir subi une baisse du chiffre d'affaires généré par le parfum "L'eau d'ISSEY" à la suite de la mise sur le marché du produit litigieux, elle justifie d'une diminution des ventes de ce produit en Arabie Saoudite entre 1993 et 1994, pays dans lequel la société PRESTIGE a réalisé une part importante de ses ventes ; qu'il convient, en outre, de relever que "L'eau d'ISSEY" n'était présent sur ce territoire que depuis deux années lorsque les faits incriminés ont eu lieu et qu'une progression des ventes était vraisemblable ;

Considérant que la mise sur le marché du produit "1994" qui présente, comme la cour l'a relevé, dans son précédent arrêt, un jus et en emballage très proches de "L'eau d'ISSEY", traduit la volonté délibérée de la société PRESTIGE de s'inscrire dans le sillage de la société BPI et de s'approprier sa réputation et son travail ; qu'en vendant ce produit à un prix 20 fois inférieur, la société PRESTIGE a contribué à banaliser le produit de son concurrent et le dévalorisant, à en détourner la clientèle ;

Que le préjudice subi par la société BPI qui justifie avoir investi des frais de publicité importants pour promouvoir ce parfum, sera réparé par l'allocation d'une indemnité de 1.000.000 F ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile doivent bénéficier à la société BPI ; qu'il lui sera accordé à ce titre la somme de 50.000 F ;

Que la solution du litige commande de rejeter la demande formée de ce chef par la société PRESTIGE ;

PAR CES MOTIFS

Vu l'arrêt de cette cour du 17 septembre 1997,

Condamne la société PRESTIGE à payer à la société BPI les sommes suivantes :

- 2.076.555 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant des actes de contrefaçon,

- 1.000.000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des faits de concurrence déloyale,

- 50.000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Rejette le surplus des demandes,

Condamne la société PRESTIGE aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.