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Décisions

CA Paris, 4e ch., 18 septembre 1996, n° D19960225

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Europe Style (SA)

Défendeur :

New Age (SARL), Mexicana (SARL)

CA Paris n° D19960225

17 septembre 1996

FAITS ET PROCEDURE

Se prétendant le concepteur, le créateur et le propriétaire d'un modèle de bottes en cuir dénommé "IROQUOIS", commercialisé par elle dès le mois de février 1992 sous la marque "GO WEST", la société EUROPE STYLE a fait procéder, le 27 octobre 1993, à la saisie contrefaçon d'un modèle de bottes diffusé par la société MEXICANA sous l'acception "MORELIA" qu'elle estimait contrefaire sa création

- dans les locaux de la société MEXICANA (importateur), sur autorisation du Président du Tribunal de Grande Instance de BORDEAUX du 20 octobre 1993,

- à l'encontre de la société NEW AGE (revendeur), sur autorisation du Président du Tribunal de Grande Instance de PARIS du 15 octobre 1993, étant précisé que si la première saisie portait sur l'intégralité du stock et des recettes, la seconde était quant à elle limitée à deux exemplaires du modèle critiqué.

Ensuite de ces opérations, la société EUROPE STYLE a, par assignation du 24 octobre 1993, exercé devant le Tribunal de Commerce de PARIS une action en contrefaçon et en concurrence déloyale à l'encontre des sociétés susvisées, sollicitant outre les mesures d'interdiction, de confiscation et de publication habituelles, paiement d'une provision de 500.000 francs à valoir sur la réparation de son préjudice, à établir à dires d'expert, et par elle provisoirement évalué à la somme de 3.500.000 francs, ainsi que de la somme de70.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement du 28 septembre 1994, le Tribunal de Commerce de Paris, après avoir reconnu que la société EUROPE STYLE était propriétaire du modèle "IROQUOIS", a :

- Dit que ce modèle n'était ni antérieur, ni original ;

- Débouté ladite société de ses demandes ;

- Débouté la société MEXICANA de sa prétention tendant à établir une antériorité de toute pièce, et reconnu que les "siantag" font partie du domaine public (sauf copie servile d'un modèle) ;

- Renvoyé la société MEXICANA à mieux se pourvoir pour la mainlevée de la saisie de son stock et le blocage de ses recettes ;

- Mit la société NEW AGE hors de cause ;

- Condamné la société EUROPE STYLE à payer :

- à la société MEXICANA la somme de 150.000francs à titre de dommages-intérêts et celle de 30.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

- à la société NEW AGE la somme de 10.000 francs à titre de dommages-intérêts et celle de 10.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile

- Autorisé la publication du dispositif du jugement dans cinq journaux au choix de la société MEXICANA pour un budget global de 30.000 francs.

- Rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties.

Appelante de cette décision, la société EUROPE STYLE en sollicite l'infirmation sauf en ce que celle-ci a reconnu ses droits de propriété sur le modèle "IROQUOIS".

Elle allègue tout d'abord que sa création est incontestablement nouvelle et originale, précisant qu'elle revendique et a toujours revendiqué les droits d'auteur, non sur un ou plusieurs éléments isolés du modèle (dont elle reconnait qu'ils peuvent effectivement relever du domaine public s'agissant d'un type de botte mexicaine de style Siantag) mais sur la combinaison qu'elle en a donnée et qui selon elle traduit son effort créatif et doit en conséquence être en tant que tel protégé.

Elle reproche ensuite au Tribunal d'avoir rejeté sa demande en contrefaçon au motif qu'il n'y avait pas "copie servile", faisant valoir qu'une telle "copie" ne constitue nullement une condition requise par la loi pour caractériser les faits de contrefaçon qui, comme elle le soutient en l'espèce, résident dans la simple imitation du modèle opposé.

Elle prétend enfin que les deux sociétés en cause en cherchant à créer volontairement une confusion entre les deux modèles, en distribuant le produit contrefaisant auprès de sa clientèle et en tirant ainsi profit, sans frais, de ses efforts publicitaires, ont commis des actes de concurrence déloyale distincts dont elle s'estime bien fondée à se plaindre par application des dispositions de l'article 1382 du Code Civil.

Soulignant que le Tribunal ne pouvait, après qu'il ait à juste titre écarté "l'abus de procédure" invoqué par ses adversaires, la condamner à des dommages et intérêts pour avoir "gelé" le stock de la société MEXICANA par des mesures de saisie contrefaçon dont il a, au demeurant, refusé d'ordonner la mainlevée, la société EUROPE STYLE, en concluant à l'infirmation de la décision entreprise, renouvelle devant la COUR les demandes formulées devant les premiers juges, portant toutefois à 700.000 francs le montant de l'indemnité provisionnelle réclamée et demandant paiement d'une somme de 70.000 francs au titre de l'article 700 du N.C.P.C.

La société MEXICANA fait valoir en réplique :

- que la société EUROPE STYLE est irrecevable en son action en contrefaçon d'une part pour n'avoir pas décrit ni revendiqué les éléments d'originalité du modèle sur lesquels elle prétend fonder cette dernière, et d'autre part pour n'être pas titulaire des droits de propriété sur le modèle invoqué.

- Qu'elle y est de surcroit mal fondée, le modèle opposé étant selon elle amplement antériorisé ;

- Qu'aucun fait distinct de concurrence déloyale ne peut lui être reproché en l'absence de tout comportement fautif.

Dénonçant le caractère abusif des saisies-contrefaçon pratiquées par la société EUROPE STYLE, elle sollicite mainlevée desdites mesures - avec toutes conséquences que de droit - et demande réparation du préjudice considérable qui selon elle en est résulté, qu'elle évalue à la somme de 1.500.000 francs de dommages-intérêts. réclament en outre 50.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société NEW AGE pour des motifs identiques conclut tant à l'irrecevabilité qu'au mal fondé de l'action en contrefaçon, et conteste les griefs de concurrence déloyale qui lui sont opposés.

Dénonçant également le caractère abusif de la procédure intentée à son encontre, elle réclame paiement de la somme de 50.000 francs de dommages-intérêts à ce titre et de la somme de 35.000 francs au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

DECISION

I - SUR LES REVENDICATIONS OPPOSEES :

Considérant que si en dépit des critiques qui lui ont été adressées la société EUROPE STYLE n'a pas cru devoir indiquer dans ses écritures ceux des éléments de son modèle qui lui semblaient dignes d'être protégés au titre de la loi sur le droit d'auteur et sur la combinaison desquels elle entendait faire porter ses revendications, la référence faite par elle au dépôt réalisé entre les mains de M LANTIER B, Huisier de Justice à CHATEAU- THIERRY le 11 juin 1992 est suffisante pour permettre aux intimés de connaître précisément l'étendue desdites revendications ;

Qu'il résulte en effet des énonciations du Procès-Verbal dressé le 11 juin 1992 et des photographies y annexées que le modèle IROQUOIS se caractérise comme une bottine à lacets, à semelle épaisse, coupée droite sur l'avant et relevée, comportant un talon biseauté sur l'arrière et portant sur le dessus du pied jusqu'au début de la voûte plantaire ainsi qu'autour du talon des surpiqûres formant une sorte de chaîne (point de croix), le haut de la bottine remontant sur l'avant et étant plus creux à l'arrière, la languette sous le laçage ressortant dans la partie supérieure et étant visible sur quelques centimètres, le laçage s'effectuant sur l'avant et commençant sur le cou de pied par 5 rivets de chaque côtés suivis de 5 crochets et se terminant à quelques centimètres du haut de la chaussure. ;

II - SUR LA TITULARITE DES DROITS DE LA SOCIETE EUROPE STYLE :

Considérant que la société EUROPE STYLE prétend que ses droitsd'auteur sur le modèle IROQUOIS procèdent non seulement de la cession qui lui en a été faite par l'atelier "CONCEPTOR DESIGN STUDIO" au sein duquel le modèle a été créé à son initiative, mais également de la présomption qui résulte à l'égard des tiers contrefacteurs de l'exploitation qu'elle en a faite sous son nom ;

Qu'elle verse à l'appui de ses dires, outre l'attestation et les notes d'honoraires du responsable de l'atelier de conception, des documents attestant de l'exploitation du modèle sous sa marque ;

Mais considérant que si les actes d'exploitation effectués sous le nom ou la marque d'une société constituent des actes de possession de nature à faire présumer, à l'égard des tiers contrefacteurs, que celle-ci est titulaire sur l'oeuvre en cause, quelle qu'en soit la qualification, du droit de propriété incorporelle, ladite présomption, comme le soutient à bon droit la société MEXICANA, n'en demeure pas moins une présomption simple susceptible de preuve contraire ;

Considérant que pour rapporter cette preuve, la société MEXICANA verse aux débats une série d'attestations émanant de la société mexicaine BOTAS FOX S.A., fabricant du modèle IROQUOIS, et du responsable de son département "Développement" d'où il résulte que ce modèle, issu de celui par elle créé et commercialisé dans le courant de l'année 1990 sous le "N 6001", a été proposé par elle à la société EUROPE STYLE qui l'a choisi aux lieu et place de son propre modèle référencé n 11, y apportant toutefois une légère modification en inversant l'effet de plongeant de la partie haute de la bottine ;

Que la société FOX S.A. y précise n'avoir jamais cédé les droits de reproduction à la société "GO WEST" ni à aucune autre compagnie ;

Considérant que ces témoignages viennent contredire l'attestation établie le 13 octobre 1993 par M. Hervé C aux termes de laquelle celui-ci affirme que "la société de fait" CONCEPTOR DESIGN STUDIO, qu'il dirige, a créé en septembre 1991 le modèle IROQUOIS dont les droits auraient été cédés à la société EUROPE STYLE qui le lui avait commandé ;

Qu'il joint à cette attestation le dessin du modèle en cause portant référence "TEJAS N 13" "IROQUOIS 203" ;

Mais considérant qu'il convient tout d'abord de noter que les déclarations de M. C ne sont confortées par aucun élément objectif du dossier ;

Que le dessin y annexé portant référence "TEJAS n 13" ne comporte aucune mention permettant de lui en attribuer la paternité ni de le dater avec certitude, les notes d'honoraires jointes, qui ne portent aucune référence précise n'étant pas de nature à pallier cette carence ;

Que ce dessin ne porte pas davantage mention du cachet "GO WEST", marque de la société EUROPE, contrairement au dessin TEJAS N 11 ;

Que la mention "IROQUOIS 203" correspond à l'inverse à la propre référence sous laquelle la société FOX a commercialisé pour la société EUROPE STYLE le modèle en cause, comme en attestent les factures établies par le fabricant mexicain ;

Que les témoignages de la société FOX, au demeurant confortés par les déclarations d'un revendeur, n'ont lieu dans ces conditions d'être écartés des débats, étant de surcroît observé qu'en indiquant dans le fax adressé le 10 octobre 1991 au fabricant : "le modèle choisi est le n 12", la société EUROPE STYLE a nécessairement reconnu l'existence de la proposition antérieurement faite sans laquelle aucun "choix" n'avait lieu de s'exercer ;

Considérant que la modification apportée en partie haute au modèle de la société FOX pour parvenir au modèle IROQUOIS n'étant pas de nature (comme la COUR a pu le constater en comparant les photographies des modèles en cause à conférer à ce dernier une impression d'ensemble lui permettant de se démarquer du modèle n 6001 dont il reproduit dans une même combinaison les éléments caractéristiques, force est de constater qu'il s'agit d'un seul et même modèle ;

Considérant qu'il s'ensuit que la société EUROPE STYLE, qui ne rapporte pas la preuve de la création par CONCEPTOR DESIGN STUDIO du modèle IROQUOIS et qui ne peut se prévaloir de la présomption précédemment évoquée en raison de la revendication de la société FOX, est irrecevable à agir en contrefaçon à défaut de justifier de ses droits de propriété incorporelle sur le modèle opposé ;

III - SUR L'ACTION EN CONCURRENCE DELOYALE

Considérant que la société EUROPE STYLE qui ne peut se prévaloir d'aucun droit privatif sur le modèle IROQUOIS et ne justifie d'aucune exclusivité qui lui aurait été consentie pour procéder à l'exploitation en FRANCE dudit modèle, ne saurait faire grief à la société MEXICANA et à la société NEW AGE de commercialiser un modèle semblable à celui-ci ;

Qu'elle ne justifie pas davantage de ce que ses adversaires auraient, comme elle le prétend, cherché à s'approprier le bénéfice de la publicité par elle réalisée alors qu'il est amplement établi que la société MEXICANA a elle-même assumé les frais d'une publicité importante pour promouvoir ses propres produits dans un style exempt de tout risque de confusion avec celui de sa concurrente ;

Que les prix pratiqués par MEXICANA supérieurs à ceux de de la société adverse ne sauraient être incriminés dans le cadre de la présente action ;

Que la société EUROPE STYLE ne saurait reprocher à la société NEW AGE, revendeur, de lui avoir préféré la société MEXICANA, ce choix, dès lors qu'il ne s'accompagne d'aucune manoeuvre fautive, n'étant que l'expression de la libre concurrence qui préside en FRANCE aux relations commerciales ;

Qu'à défaut de comportement fautif distinct de la part des intimées, les premiers juges l'ont à bon droit déboutée de son action en concurrence déloyale ;

IV - SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES

1 - Sur la demande de main levée des saisies contrefaçon :

Considérant que la société EUROPE STYLE ayant été précédemment déclarée irrecevable à agir en contrefaçon, la main levée des saisies pratiquées le 27 octobre 1993 tant à l'égard de la société MEXICANA à l'égard de la société NEW AGE s'impose, avec toutes conséquences que de droit quant aux restitutions à effectuer ;

2 - Sur la demande de dommages-intérêts :

Considérant que la société EUROPE STYLE qui ne pouvait, au vu de ce qui précède, se méprendre sur l'étendue de ses droits alors d'autant plus que la société FOX S.A. n'avait jamais donné suite à ses prétentions par laquelle elle revendiquait auprès de celle-ci l'exclusivité de "son" modèle, a commis une faute en procédant à la saisie réelle des modèles prétendument contrefaits et des recettes réalisées par la société MEXICANA, l'autorisation obtenue l'ayant été sur la foi de documents que les investigations effectuées par l'adversaire ont permis de contester comme il l'a été précédemment évoqué ;

Qu'il en est de même et pour les mêmes motifs des opérations menées à l'encontre de la société NEW AGE ;

Que les premiers juges ont à bon droit considéré que les intimées avaient de ce fait subi un préjudice qu'ils ont exactement évalué, au vu de l'étendue des saisies pratiquées, aux sommes respectives de 150.000 francs pour la société MEXICANA et 10.000 francs pour la société NEW AGE ;

Que leur décision doit être confirmée sur ce point en ce compris la mesure de publication ordonnée pour un montant global de 30.000 francs à la charge de la société EUROPE STYLE, celle-ci devant toutefois être limitée à trois revues ou journaux et devant faire mention de la présente décision ;

V - SUR L'ARTICLE 700 DU N.C.P.C :

Considérant que la société EUROPE STYLE qui succombe ne peut valablement prétendre au bénéfice de l'article 700 du NCPC ;

Qu'il serait en revanche inéquitable de laisser aux intimées la charge de leurs frais irrépétibles d'appel, les sommes allouées au titre de l'article 700 du NCPC devant être portées à 30.000 francs pour la société MEXICANE et 20.000 francs pour la société NEW AGE.

PAR CES MOTIFS

INFIRMANT partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau :

Déclare la société EUROPE STYLE irrecevable en son action en contrefaçon ;

La déboute de son action en concurrence déloyale ;

Ordonne la mainlevée des saisies contrefaçon du 27 octobre 1993 tant à l'encontre de la société MEXICANA que la société NEW AGE ;

Condamne la société EUROPE STYLE à payer à la société MEXICANA la somme de 150.000 francs, et à la société NEW AGE la somme de 30.000 francs à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

Autorise la publication de la présente décision dans trois journaux ou revues au choix de la société MEXICANA aux frais de la société EUROPE STYLE à concurrence d'une somme globale de 30.000 francs ;

Condamne la société EUROPE STYLE à payer à la société MEXICANA la somme de 50.000 francs, et à la société NEW AGE la somme de 20.000 francs au titre de l'article 700 du NCPC pour leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Rejette la demande formée à ce titre par la société EUROPE STYLE ainsi que toute autre demande des parties ;

Condamne la société EUROPE STYLE aux dépens dont distraction au profit de la S.C.P. BOMMART FOSTER et de la S.C.P. BOURDAIS VIRENQUE, Avoués, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.