CA Paris, 17 janvier 1997, n° D19970017
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Valter Spa (Sté, Italie)
Défendeur :
Sudorient (SA), Carnoue Enterprise (Sté)
FAITS ET PROCEDURE
La Cour statue sur l'appel interjeté par la société de droit italien VALTER SPA à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de PARIS le 18 mai 1993 dans un litige l'opposant à la société SUDORIENT et à la société CARNOUE ENTERPRISE ayant son siège à TAIWAN.
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.
VALTER, spécialisée dans la fabrication de bijoux fantaisie qui indique avoir constaté que SUDORIENT commercialisait des modèles de bijoux similaires aux siens a fait procéder le 4 novembre 1991 au siège de cette société à une saisie contrefaçon qui a établi que le fabricant des modèles litigieux était une société CARNOUE ENTERPRISE de TAIWAN. Les modèles en cause sont des bijoux fantaisie de petite taille en plastique métallisé ou en métal ayant l'apparence du cuivre ou de l'étain, destinés pour la plupart à être enfilés en collier ou portés en pendentifs.
Par actes des 19 novembre 1991 et 10 avril 1992, VALTER a fait assigner en contrefaçon et concurrence déloyale SUDORIENT et CARNOUE, sollicitant, outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, l'allocation d'une indemnité provisionnelle de 200.000 F dans l'attente des résultats d'une expertise également sollicitée.
SUDORIENT, qui a seule comparu, a conclu au débouté et réclamé reconventionnellement des dommages-intérêts pour procédure abusive en faisant valoir essentiellement qu'elle n'avait pas fabriqué les objets litigieux et que ceux-ci ne présentaient aucun caractère de nouveauté ou d'originalité.
C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement entrepris qui a débouté VALTER de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens. Le Tribunal a estimé que les modèles invoqués par VALTER, d'une grande banalité, n'étaient pas susceptibles de bénéficier de la protection des oeuvres de l'esprit, et que la demanderesse ne rapportait pas la preuve de faits distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon de nature à fonder son action en concurrence déloyale.
Ayant interjeté appel, VALTER, qui réitère devant la Cour ses demandes initiales, fait grief aux premiers juges d'avoir rejeté son action en contrefaçon en l'absence d'antériorité reproduisant les caractéristiques des modèles par elle invoqués. Sur la concurrence déloyale, elle fait valoir que son action serait justifiée par le caractère servile de la reproduction de ses modèles.
SUDORIENT conclut à la confirmation du jugement en son principe et forme appel incident du chef de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts pour procédure abusive. Elle réclame à ce titre une indemnité de 30.000 F.
Ces deux parties sollicitent l'application à leur profit des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
CARNOUE ENTERPRISE assignée à parquet, et à qui a été adressée la lettre recommandée prévue à l'article 699 du nouveau Code de procédure civile, dont l'accusé de réception figure au dossier, ne comparait pas. Elle n'a pas été réassignée, le Parquet ayant fait savoir que l'absence de relations diplomatiques avec TAIWAN ne permettait pas la transmission de l'assignation. Le présent arrêt sera en conséquence rendu par défaut.
DECISION
Sur la contrefaçon
Considérant que VALTER, indiquant fonder son action en contrefaçon sur la Loi des 11 mars 1957, 14 juillet 1909 et 12 mars 1952", n'avait pas énuméré dans son assignation les modèles par elle invoqués ; qu'elle a précisé devant la Cour agir en contrefaçon des modèles "ci-dessous référencés :
. P.507 29 mm FONDON PIATTO
. P.616 37x43 PENDENTE 1 OCCHIELLO : ce modèle fait partie d'un dépôt multiple à l'OMPI, en date du 19 avril 1989, sous le n 013398
. P.161 18x13
. P.168 GOCCIA SFACCETATA
. P.163 19mm (PERLE INCISE)
. P.179 29x24 (PERLE INCISE)
. P.131 PERLA TONDA B (3 tailles : 10mm, 14 mm, 16mm)
. P.180 11x4
. P.264 16mm COPETTA INCISA
. P.272 13x3O OVALE INCISA FORO 2mm" ;
Considérant qu'elle reproche au Tribunal de l'avoir déboutée de son action en contrefaçon au motif que ses modèles avaient un caractère banal, alors qu'en l'absence "d'antériorité reproduisant les caractéristiques de ces modèles... il devait en toute logique admettre le caractère nouveau et original de ces modèles et donc, leur reconnaître la protection au titre de la loi sur la propriété littéraire et artistique" ;
Mais considérant que l'appelante qui se borne à verser aux débats un catalogue de ses fabrications, d'ailleurs non daté, et la photocopie d'un certificat de dépôt multiple à l'OMPI n 13398 du 19 avril 1989 où figure le modèle "P.616 37x43 PENDENTE 1 OCCHIELLO", ne procède pas à la moindre description des douze modèles de bijoux fantaisie qu'elle revendique et ne caractérise en rien la nouveauté ou l'originalité qui les rendraient protégeables au regard des dispositions aujourd'hui codifiées des lois de 1957 et 1909 ;
Considérant qu'étant observé que l'article 9 du nouveau Code de procédure civile impose "à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention", il est constant que l'originalité ou la nouveauté requises pour bénéficier de la protection du droit d'auteur ou du droit des dessins et modèles ne se réduisent pas à la simple preuve de l'absence d'antériorités ; que leur originalité ou leur nouveauté qui n'est en rien démontrée n'apparaissant pas établie, la Cour confirmera le jugement entrepris en ce qu'il a décidé que la banalité des modèles invoqués excluait leur protection au titre de la propriété intellectuelle et commandait le rejet de l'action en contrefaçon ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que poursuivant la réformation du jugement en ce qu'il l'a déboutée de son action en concurrence déloyale au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve de faits distincts de ceux invoqués à l'appui de son action en contrefaçon, VALTER fait valoir exactement que le caractère servile, confinant au surmoulage, de la reproduction qu'elle incrimine, constitue un fait distinct de la contrefaçon de nature à constituer un acte de concurrence déloyale ;
Considérant qu'ainsi que le Tribunal (dont la Cour fait siens les motifs à cet égard) l'a relevé, les bijoux fantaisie incriminés par VALTER sont identiques aux modèles qu'elle revendique et auxquels ne sont pas opposées d'antériorités sérieuses, tout au moins de toutes pièces ; que CARNOUE a commis en les commercialisant des actes de concurrence déloyale ; que SUDORIENT, importateur, qui avait en outre été mis en demeure par VALTER de cesser la commercialisation de ces modèles, a également commis en persistant à les distribuer en France des agissements constitutifs de concurrence déloyale qui engagent sa responsabilité ;
Considérant que VALTER sollicite l'institution d'une expertise sur le préjudice, mais ne fournit aucune indication sur les quantités qu'elle vendait avant les faits incriminés, sur ses prix ou sur ses marges ; que, néanmoins, sans qu'il soit besoin de recourir à l'expertise sollicitée, la Cour dispose d'éléments suffisants, compte tenu des informations recueillies par l'huissier à l'occasion de la saisie contrefaçon sur les quantités importées, et de la valeur unitaire très modeste des objets litigieux telle qu'elle ressort des factures versées aux débats et émanant des fournisseurs de SUDORIENT, pour fixer à 10.000 F le montant des dommages-intérêts qui seront mis à la charge in solidum de SUDORIENT et CARNOUE ; que les mesures d'interdiction sous astreinte précisées au dispositif ci-après seront prononcées à l'encontre de ces sociétés ;
Considérant que les circonstances de l'affaire ne justifient pas que soient ordonnées les mesures de confiscation et de publication sollicitées ; que l'équité ne commande pas qu'il soit fait droit aux demandes formées par l'une ou l'autre des parties au titre des dispositions de l'article 700 du nouveau Code procédure civile ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement entrepris sauf sur la concurrence déloyale, les mesures d'interdiction et les dépens ;
Réformant de ces chefs, statuant à nouveau et ajoutant :
Dit qu'en commercialisant des produits reproduisant servilement les bijoux référencés P.507, P.616, P.161, P.168, P.163, P.179, P.131, P.180, P.264, et P.272 au catalogue de la société VALTER, les sociétés CARNOUE ENTREPRISE et SUDORIENT ont commis à son préjudice des actes constitutifs de concurrence déloyale ;
Condamne en conséquence in solidum les sociétés SUDORIENT et CARNOUE ENTERPRISE à payer à la société VALTER la somme de 10.000 F à titre de dommages- intérêts ;
Fait interdiction à ces deux sociétés de poursuivre la commercialisation des produits ci- dessus désignés, sous peine d'une astreinte de 200 F par infraction constatée passé le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne in solidum, les sociétés SUDORIENT et CARNOUE ENTERPRISE aux dépens de première instance et d'appel ;
Admet la SCP BOLLET BASKAL au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.