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Décisions

CA Paris, 4e ch., 21 septembre 2001, n° D20010142

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Avantage Mode (SARL), SID (SARL)

Défendeur :

M (Catherine)

CA Paris n° D20010142

20 septembre 2001

FAITS ET PROCEDURE

Madame M, soutenant avoir créé, en 1997, un bijou représentant une croix incrustée de pierres, et prétendant que des bijoux qui en seraient la contrefaçon, auraient été commercialisés par AVANTAGE MODE et SID, a fait citer ces deux sociétés, par acte du 23 novembre 1998, devant le tribunal de grande instance de PARIS en contrefaçon et concurrence déloyale pour obtenir, outre des mesures de publication et d'interdiction sous astreinte, leur condamnation solidaire au paiement des sommes de 150 000 francs au titre du préjudice moral, de 300 000 francs en réparation du préjudice patrimonial et de 200 000 francs de dommages et intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale ainsi que de 30 000 francs par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

AVANTAGE MODE avait essentiellement fait valoir qu'elle était un revendeur de totale bonne foi, avait en conséquence conclu au rejet des demandes formées par Madame M et avait sollicité subsidiairement du tribunal la réduction des sommes réclamées à titre de dommages et intérêts ainsi que la garantie de SID.

SID, bien que régulièrement assignée, n'avait pas constitué avocat.

Par le jugement déféré, le tribunal a :

"- dit qu'en commercialisant des bijoux en forme de croix reproduisant les caractéristiques du modèle créé par Catherine M, AVANTAGE MODE et SID ont porté atteinte à ses droits patrimoniaux d'auteur et commis des actes de contrefaçon à son préjudice,

- dit qu'elles ont porté atteinte à son droit moral en omettant de mentionner son nom,

- interdit aux défenderesses de poursuivre ces agissements, dès la signification de la présente décision, sous peine à compter de cette date d'une astreinte de 500 francs par infraction constatée,

- dit que le présent tribunal sera compétent pour liquider l'astreinte,

- condamné in solidum AVANTAGE MODE et SID à payer à Catherine M, à titre de dommages et intérêts, la somme de 30 000 francs en réparation de l'atteinte portée à son droit moral, et celle de 40 000 francs en réparation de son préjudice patrimonial,

- déclaré la demande de garantie formée par AVANTAGE MODE à l'encontre de SID irrecevable,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum AVANTAGE MODE et SID à payer à Catherine M la somme de 12 000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes."

Par écritures du 3 avril 2000, AVANTAGE MODE, appelante, poursuit l'infirmation du jugement en ce qu'elle a été condamnée pour contrefaçon et demande à la cour de :

- "débouter Catherine M de l'intégralité de ses demandes,

- à titre subsidiaire,

- ramener ses demandes à de plus justes proportions compte tenu du caractère purement symbolique du prétendu préjudice subi par elle,

- condamner SID à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre,

- en tout état de cause,

- condamner solidairement SID et Catherine M à lui payer une somme de 20 000 francs en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile".

Dans ses dernières écritures du 13 mars 2001, Mme M demande à la Cour de :

"Vu les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle ainsi que les articles 1382 et 1383 du Code civil,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit qu'en commercialisant des bijoux en forme de croix reproduisant les caractéristiques du modèle créé par Catherine M, AVANTAGE MODE et SID avaient porté atteinte d'une part à ses droits patrimoniaux d'auteur et commis des actes de contrefaçon à son préjudice, d'autre part, à son droit moral en omettant de mentionner son nom,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a ordonné l'arrêt immédiat de toute exploitation et le retrait de la vente des modèles reproduisant la création originale de Catherine M, sous astreinte solidaire de 500 francs par infraction constatée,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il s'est déclaré compétent pour liquider cette astreinte,

- et y ajoutant,

- dire et juger que SID et AVANTAGE MODE ont commis à son préjudice des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

- dire et juger que SID et AVANTAGE MODE ont violé le droit au respect dû à l'oeuvre de Catherine M,

- condamner in solidum SID et AVANTAGE MODE à payer à Catherine M :

- la somme de 150 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral résultant de l'atteinte au droit à la paternité et au respect dû à l'oeuvre,

- la somme de 300 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial, sauf à parfaire,

- la somme de 200 000 francs à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la concurrence déloyale et parasitaire,

- ordonner, à titre de réparation complémentaire, la publication de l'arrêt à intervenir, aux frais des défenderesses, dans trois journaux ou magazines du choix de la demanderesse, sans que le coût de chaque publication puisse excéder 30000 francs HT,

- condamner in solidum SID et AVANTAGE MODE à payer à Catherine M la somme de 30 000 francs par application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile."

Vu les dernières écritures de SID en date du 15 mai 2001 aux termes desquelles, après avoir soulevé dans ses motifs l'incompétence du tribunal de commerce, elle demande dans son dispositif, exclusivement, de :

"- infirmer partiellement le jugement entrepris,

- statuant à nouveau,

- dire et juger que Catherine M et AVANTAGE MODE n'apportent nullement la preuve de ce que le modèle sur lequel elles revendiquent des droits de propriété intellectuelle aurait bien été cédé par SID à AVANTAGE MODE,

- en conséquence,

- dire et juger irrecevable Catherine M en ses demandes, fins et conclusions et AVANTAGE MODE en son appel en garantie,

- à titre subsidiaire,

- dire et juger que le modèle de "croix caillou" n'est pas susceptible de protection au titre de la propriété intellectuelle,

- dire et juger qu'il est générique,

- dire et juger qu'il ne peut être de surcroît considéré comme nouveau ou original,

- en conséquence,

- débouter Catherine M de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions et AVANTAGE MODE de son appel en garantie,

- à titre subsidiaire,

- dire et juger que Catherine M n'a apporté aucune preuve de nature à prouver le préjudice dont elle sollicite réparation,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé qu'il ne pouvait y avoir en l'espèce de concurrence déloyale,

- en conséquence,

- débouter Catherine M de ses demandes, fins et conclusions et AVANTAGE MODE de son appel en garantie,

- à titre subsidiaire,

- si par extraordinaire la Cour devait faire droit en partie aux demandes formulées,

- débouter AVANTAGE MODE de son appel en garantie,

- en tout état de cause,

- l'accueillir en son appel incident,

- en conséquence,

- condamner Catherine M et AVANTAGE MODE au paiement d'une somme de 50.000 francs à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- les condamner au paiement d'une somme de 15 000 francs chacune sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile".

DECISION

Considérant que l'exception d'incompétence du tribunal de commerce soulevée par SID, outre le fait qu'elle est mal fondée, n'étant pas démontré que Madame M aurait la qualité de commerçante, ne peut prospérer en appel, la présente Cour étant compétente pour statuer sur le litige par application des dispositions des articles 561 et suivants du Nouveau code de procédure civile ;

Considérant que contrairement à ce que prétend SID, il est suffisamment établi par la facture mise aux débats en date du 28 septembre 1998 et par les déclarations de la société AVANTAGE MODE que SID a vendu à cette société les "colliers croix" argués de contrefaçon ; qu'à l'encontre de ces pièces et déclarations, SID ne démontre pas que les objets référencés 024934Q sur la facture adressée par elle à AVANTAGE MODE correspondraient en réalité à un objet d'une autre nature ; qu'il en résulte que SID est la "venderesse initiale du produit litigieux" ;

Considérant que SID soutient en outre que Mme M ne rapporte pas la preuve de la date de sa création, qu'elle ne produit que des catalogues non datés et des attestations qui ne sont pas conformes aux dispositions des articles 202 et suivants du nouveau Code de procédure civile (telles celles de M. Z, de M. D et de M. A) ; qu'elle expose encore que la croix qui lui est opposée est dénuée de toute originalité, qu'un bijou représentant une croix incrustée de pierres est banal et a un caractère générique, comme l'a retenu, dans un litige portant sur un autre bijou et d'autres parties, un arrêt de cette Cour du 28 janvier 2000 ;

Mais considérant que Mme M qui fait valoir exactement qu'elle est, en application de l'article L. 113-1 du Code de la propriété Intellectuelle, présumée l'auteur du bijou qui a été divulgué sous son nom, justifie de cette divulgation par la production d'attestations qui pour certaines ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 202 du nouveau Code de procédure civile mais dont le contenu rapporte des faits précis de telle sorte qu'elles ne peuvent être écartées des débats ; qu'il résulte de ces pièces que dès septembre 1997, la maquette du bijou avait été créée par Mme M et qu'en janvier 1998, selon le témoignage de Mme G, Mme M a vendu à cette personne ce bijou pour un prix de 350 francs ; qu'ainsi, Mme M rapporte la preuve de ce qu'elle a créé puis divulgué le bijou en cause antérieurement aux sociétés qu'elle poursuit en contrefaçon ;

Considérant que Mme M ne prétend pas avoir des droits d'auteur sur tout bijou en forme de croix mais sur une croix qui présente les caractéristiques suivantes : - les quatre extrémités de la croix sont prolongées par un motif décoratif de trois boules disposées de façon triangulaire, - le corps de la croix comporte six incrustations de pierres de forme un peu irrégulière : une pierre centrale, à l'intersection des deux branches de la croix, disposée en losange, cinq autres pierres disposées de façon identique, une sur chaque branche de la croix, une en haut de la partie verticale de la croix et deux en bas de la partie verticale ;

Considérant qu'une telle composition, au-delà de la forme générique de la croix (une barre centrale et deux barres latérales), révèle l'empreinte de la personnalité de l'auteur par le décor de boules à la fin de chacune des extrémités des branches et par les six pierres irrégulières disposées sur chacune des branches, et confère au bijou son originalité ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que le bijou litigieux acquis chez AVANTAGE MODE et versé aux débats, reproduit les caractéristiques protégeables du bijou de Mme M : les mêmes boules aux extrémités, le même nombre de pierres placées de manière identique et présentant également des formes irrégulières ; qu'ils n'en différent que par une dimension plus réduite ; que le jugement qui a retenu les actes de contrefaçon sera donc confirmé ;

Considérant qu'en appel, AVANTAGE MODE soutient qu'elle est de bonne foi et qu'elle doit en conséquence être mise hors de cause ;

Mais considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal n'a pas fait droit à cette demande en estimant qu'en sa qualité de professionnelle avertie, elle ne pouvait manquer de s'interroger à tout le moins sur la titularité des droits ; qu'elle a ainsi eu un comportement fautif par négligence en débitant les objets contrefaisants ;

Considérant que Mme M réitère sa demande en concurrence déloyale en invoquant en outre un comportement parasitaire, ses adversaires ayant indûment profité de ses investissements ;

Considérant toutefois qu'elle n'invoque aucun acte distinct de ceux retenus au titre de la contrefaçon, et que par ailleurs le préjudice lié au profit tiré de l'exploitation indue de produits contrefaisants est apprécié au titre de l'atteinte portée au droit patrimonial de l'auteur ;

Considérant que Mme M soutient avoir subi un préjudice bien supérieur à celui retenu par les premiers juges ; qu'elle n'apporte cependant aucun élément de nature à modifier le montant des dommages et intérêts exactement fixé par le tribunal pour réparer le préjudice par elle subit tant sur le plan patrimonial que sur le plan moral qui inclut non seulement l'atteinte à son nom mais également l'atteinte portée à l'intégrité de son oeuvre ; que le jugement sera donc confirmé ;

Considérant que les mesures d'interdiction prononcées par les premiers juges seront confirmées ; que ceux-ci ont à juste titre rejeté les mesures de publication réitérées en appel, le préjudice étant suffisamment réparé par les dommages et intérêts alloués ;

Considérant que la demande en garantie, bien que recevable en appel puisque régulièrement dénoncée à SID n'est toutefois pas fondée en l'absence de clause contractuelle de garantie liant SID et AVANTAGE MODE ; que cette demande sera rejeté ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Mme M la somme complémentaire de 20 000 francs au titre des frais d'appel non compris dans les dépens qui sera à la charge in solidum d'AVANTAGE MODE et de SID ;

Considérant que les demandes de dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile formées par ces sociétés qui succombent seront rejetées ;

PAR CES MOTIFS ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés S.I.D. et AVANTAGE MODE à payer à Mme M la somme complémentaire de 20 000 francs au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande ;

Condamne in solidum les sociétés S.I.D et AVANTAGE MODE aux entiers dépens ;

Autorise la SCP FISSELIER-CHILOUX-BOULAY, avoué, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.