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Décisions

CA Grenoble, ch. com., 8 juillet 2021, n° 18/01044

GRENOBLE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Eiffage Construction Alpes Dauphine (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Gonzalez

Conseillers :

Mme Blanchard, M. Bruno

Avocat :

Selarl CDMF Avocats

T. com. Grenoble, du 2 févr. 2018, n° 20…

2 février 2018

EXPOSE DU LITIGE :

Le 13 février 2013, la Sa Top Loisirs-Guy M. (Top Loisirs) a confié à M Gilles O. une mission complète d'architecte pour la réalisation d'une opération de promotion immobilière sur la commune de Mont de Lans (station des 2 Alpes).

Dans le cadre de la consultation des entreprises, la Sas Eiffage Construction Rhône Alpes, aux droits de laquelle vient la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné (Eiffage), a répondu le 3 octobre 2013 par une proposition de prestations d'entreprise générale au prix de 6.792.000 euros ht ramenée, après discussions et propositions de variantes, à la somme de 6.267.000 euros ht le 14 octobre suivant, puis de 6.000.000 euros ht.

Le 15 octobre 2013, la société Top Loisirs a adressé à la société Eiffage une commande valant ordre de service portant sur des travaux préliminaires pour un montant de 250.000 euros ht « à valoir sur le montant du marché de travaux, en entreprise générale de l'opération "Crystal Chalet", d'une valeur de 6.000.000 ' ht, prix ferme, définitif et non révisable».

La déclaration réglementaire d'ouverture du chantier est intervenue le 16 octobre 2013.

Le 18 octobre, le cabinet O. a adressé le CCAP et l'acte d'engagement à la société Eiffage.

Dans le courant du mois de novembre 2013, le bureau de contrôle Socotec a émis des réserves sur l'utilisation d'un matériau prévu par la société Eiffage en assise du bâtiment sous-radier, ainsi que sur l'étude thermique et le dimensionnement des installations.

Les parties ne sont pas parvenues à se mettre d'accord sur l'établissement des documents contractuels ainsi que sur la prise en charge des prestations nécessaires à la levée des avis suspensifs du bureau de contrôle et à la gestion des déblais.

Par courrier du 3 décembre 2013, M O. a informé la société Top Loisirs qu'il mettait un terme à leur collaboration.

Les 26 novembre et 17 décembre 2013, la société Eiffage a fait parvenir deux situations au titre des travaux préliminaires commandés pour paiement des sommes de 55.000 et 162.000 euros ht .

Par courrier du 7 mai 2014, la société Top Loisirs imputait à la société Eiffage l'absence de signature du marché, l'informait avoir contracté avec un tiers et contestait la facturation des travaux préparatoires.

Se prévalant de la résiliation abusive du marché par le maître de l'ouvrage, la société Eiffage a fait assigner la société Top Loisirs en indemnisation et par jugement du 2 février 2018, le tribunal de commerce de Grenoble a :

- dit et jugé que le contrat de marché global n'avait pas été accepté par les parties,

- dit et jugé que les deux parties étaient responsables de la rupture des négociations concernant ce marché global,

- dit et jugé qu'il existait un contrat d'un montant de 250.000 ' ht permettant de commencer les travaux de terrassement et de continuer les études et négociations,

- débouté la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné de sa demande concernant la réparation du préjudice subi correspondant à la non-couverture de ses frais généraux sur l'ensemble du marché,

- condamné la société Top Loisirs Guy M. à payer à la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné la somme de 62.192 ' ttc au titre du contrat de 250.000 ', outre intérêts au taux légal capitalisé à compter du 18 mars 2014, date de la mise en demeure,

- débouté la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné de sa demande d'indemnité pour résistance abusive,

- débouté la société Top Loisirs-Guy M. de sa demande reconventionnelle,

- condamné la société Top Loisirs Guy M. à payer à la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné la somme de 2.000 ' au titre de l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- condamné la Société Top Loisirs-Guy M. aux entiers dépens.

Suivant déclarations au greffe des 2 mars et 4 avril 2018, les sociétés Eiffage et Top Loisirs ont successivement relevé appel de cette décision.

Ces deux instances ont été jointes.

Au terme de ses dernières écritures notifiées le 3 octobre 2018, la société Eiffage demande à la cour, au visa des articles 1134 ancien du code civil, 1103, 1104, 1193 nouveaux du code civil et 1231-2 nouveau du code civil, subsidiairement 1382 ancien du code civil et 1240 nouveau du code civil, de :

- réformer le jugement sauf en ce qu'il a :

. débouté la Sa Top Loisirs de ses demandes reconventionnelles notamment indemnitaires,

. condamné la Sa Top Loisirs à régler à la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné une somme de 2 000 ' au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- dire et juger en conséquence qu'un marché a été confié le 14 octobre 2013 en Entreprise Générale à la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné par la Sa Top Loisirs Guy M. pour la réalisation du programme " Crystal Chalet" aux Deux Alpes pour un montant HT de 6.000.000 ',

- dire et juger que ce marché a été abusivement rompu par le maître de l'ouvrage qui engage en conséquence à titre principal sa responsabilité contractuelle,

- dire et juger que la Sa Top Loisirs a engagé à titre subsidiaire sa responsabilité délictuelle pour une rupture abusive de pourparlers considérablement avancés,

- condamner la Sa Top Loisirs à régler à la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné venant aux droits de la Sas Eiffage Construction Rhône Alpes, les sommes de:

. 554 610 ' correspondant à la non couverture des frais généraux à laquelle la concluante pouvait légitimement s'attendre, outre intérêts au taux légal capitalisé à partir du 3 juillet 2014, date de la mise en demeure,

. 62.192 ' ttc au titre du solde dû sur les travaux réalisés et non payés à valoir sur le marché global et le préjudice total, outre intérêts au taux légal capitalisé à compter du 18 mars 2014, date de la mise en demeure,

. 5.000 ' pour résistance abusive,

- débouter en toute hypothèse la société Top Loisirs Guy M. de ses prétentions, fins et conclusions et la débouter intégralement de son appel,

- condamner la Sa Top Loisirs au paiement d'une indemnité de 4.000 ' en application de l'article 700 du code de procédure ainsi aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl D. & M., avocats.

La société Eiffage soutient qu'un marché global d'un montant de 6.000.000 euros hors taxes a été conclu aux motifs que :

- l'acceptation de son offre de marché résulte de l'ordre de service n°1 transmis par la société Top Loisirs Guy M. le 15 octobre 2013 et visant des travaux préliminaires d'un montant de 250.000 euros ht « à valoir sur le montant du marché de travaux en entreprise générale de l'opération " Crystal Chalet " d'une valeur de 6.000.000 euros ht , prix ferme, définitif et non révisable »,

- le marché a reçu un commencement d'exécution, la société Top Loisirs Guy M. s'étant acquittée sans réserve du paiement de la première situation de travaux,

- l'accord de la société Top Loisirs Guy M. ne s'est ainsi pas limité aux travaux préliminaires de clôture du chantier et de pré-terrassement,

- l'absence de signature du marché est inopérante, la conclusion d'un contrat d'entreprise ne requérant aucun formalisme,

- l'accord des parties portait non seulement sur le prix, mais également sur le contenu technique du marché tel que défini par le Dossier de Consultation des Entreprises (DCE) transmis par le maître d'oeuvre pour lui permettre d'établir son offre,

- les modifications techniques ou financières intervenues postérieurement à l'acceptation de son offre ne peuvent remettre en cause le contrat.

Elle considère que le marché n'était pas forfaitaire puisque son offre était expressément formulée " sous réserve des éventuelles incidences à prendre en compte après réception du R.I.C.T. et du P.G.C.S.P. restant à établir " et que le CCAP, le rapport initial de contrôle technique (RICT) et le cahier des charges imposé par la commune ont entraîné des surcoûts liés à des prestations supplémentaires.

Elle conteste être à l'origine de la rupture des relations contractuelles dès lors que :

- les réserves émises postérieurement par la société Socotec sur la qualité des matériaux proposés n'étaient ni redhibitoires, ni définitives,

- les modifications proposées du CCAP ne visaient qu'à revenir à celui initialement remis par le maître d'oeuvre dans sa consultation,

- son offre de marché acceptée, élaborée sur la foi de la mise à disposition par la commune d'un lieu de décharge des déblais, ne prévoyait pas de prestations liées au stockage de ces derniers.

Subsidiairement, elle relève que la société Top Loisirs Guy M. a admis le bien fondé de son action indemnitaire sur un fondement délictuel, en faisant l'aveu judiciaire de la rupture de pourparlers sur un marché global et de ses éventuelles conséquences financières.

Elle considère que son préjudice correspond à la non couverture de ses frais généraux résultant de la rupture du contrat alors qu'elle a élaboré une offre, qu'elle l'a optimisée afin de réduire le coût des travaux et réalisé des études d'exécution ainsi que des prestations préalables aux travaux, dont la société Top Loisirs Guy M. a tiré profit en contractant un marché à moindre coût avec un tiers.

Concernant les sommes allouées par le tribunal de commerce, elle fait valoir qu'il ne s'agit pas d'une créance au titre d'un marché de 250.000 euros mais de sommes à valoir sur le marché global et réfute toute accusation de surfacturation des travaux de terrassement.

Par conclusions notifiées le 30 octobre 2018, la société Top Loisirs entend voir:

- recevoir la société Top Loisirs-Guy M. en son appel après déclaration de l'appel de la société Eiffage et l'y déclarer bien fondée,

- débouter la société Eiffage de l'intégralité de ses demandes d'indemnisation pour rupture d'un marché privé de travaux, ce marché n'ayant jamais pu être concrétisé et n'ayant donc jamais pu être rompu,

- dire et juger que la rupture des pourparlers pour la concrétisation de ce marché est entièrement imputable à la société Eiffage qui est revenue sur les conditions qu'elle avait proposées pour la signature du marché et qui a tenté de faire pression sur la société Top Loisirs afin de lui imposer toutes ses conditions, que ce soit au niveau de la fixation du prix que de la rédaction des documents constituant le marché,

- dire et juger que sur le seul marché spécifique de travaux préliminaires qui a été signé, la société Eiffage a reçu paiement de l'intégralité des prestations qu'elle a effectuées, après avoir tenté dans un premier temps de surfacturer grossièrement ses prestations,

- dire et juger qu'il conviendra sur ce point de réformer la décision en ce qu'elle a condamné la société Top Loisirs-Guy M. à lui verser au titre du solde de ce marché une somme de 62.192 ' ttc,

- condamner la société Eiffage Construction Alpes Dauphiné au versement d'une somme de 50.000 ' à titre de dommages et intérêts pour le préjudice qu'elle a causé à la société Top Loisirs Guy M. en tentant de faire pression sur elle pour imposer unilatéralement ses conditions alors qu'en définitive il s'est avéré que le prix proposé par la société Top Loisirs pour la construction de sa résidence était parfaitement raisonnable,

- condamner la société Eiffage Construction Alpes Dauphiné à verser à la société Top Loisirs Guy M. les sommes suivantes :

. 10.000 ' à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

. 5.000 ' sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Eiffage en tous les dépens qui comprendront les frais d'exécution de la décision à intervenir.

La société Top Loisirs considère qu'aucun marché global de travaux n'a été signé entre les parties et que la société Eiffage est seule responsable de la rupture des pourparlers.

Elle fait valoir que :

- la commande spécifique de travaux préparatoires n'emporte pas acceptation de l'ensemble du marché proposé par la société Eiffage et la référence qui y est faite au marché global ne vise qu'à indiquer qu'il en sera tenu compte si ce dernier est conclu,

- la société Eiffage n'a pas accepté les conditions administratives du marché proposé par le maître d'oeuvre,

- elle-même n'a pas accepté les coûts supplémentaires revendiqués par la société Eiffage au titre des réserves du bureau de contrôle et de la gestion des déblais,

- il n'y a pas eu d'accord finalisé sur la chose, le prix et les conditions du marché,

- la commande de travaux préliminaires avait un caractère autonome que la société Eiffage a reconnu dans leurs échanges.

Elle reproche à la société Eiffage une surfacturation de ses travaux préliminaires de terrassement en se prévalant du relevé topographique de contrôle réalisé à la demande de son nouveau maître d'oeuvre et soutient avoir réglé l'intégralité des travaux réellement effectués.

Enfin, elle considère que l'attitude de la société Eiffage lui a été préjudiciable en provoquant la rupture de ses relations avec son maître d'oeuvre habituel et le retard dans la réalisation de l'immeuble, source de frais financiers.

La procédure a été clôturée le 18 juin 2020.

MOTIFS DE LA DECISION :

1°) sur l'existence d'un contrat :

Le contrat d'entreprise est un contrat par lequel une personne charge un entrepreneur d'exécuter, en toute indépendance, un ouvrage, moyennant un prix convenu entre elles.

Il résulte de l'article 1779 du code civil qu'il s'agit d'un contrat dont la formation n'obéit à aucun formalisme et procède d'un simple accord des volontés du maître de l'ouvrage et de l'entrepreneur, indépendamment de la signature d'un marché.

Suivant un courriel du maître d'oeuvre du 6 septembre 2013, la société Eiffage a été consultée pour la construction d'un bâtiment collectif de 59 logements suivant permis de construire délivré le 29 juillet 2011.

Il n'est pas contesté qu'elle a répondu à cette consultation le 3 octobre par une offre de prix à hauteur de 6.792.000 euros ht, détaillant les différents lots de travaux, puis une offre modifiée du 14 octobre suivant, à un prix de 6.267.000 euros ht.

Par ordre de service n°1 signé le 15 octobre 2013, la société Top Loisirs a passé commande à la société Eiffage des travaux préliminaires de clôture et panneautage du chantier, de dévoiement des réseaux et de pré-terrassement en pleine masse pour un montant hors taxes de 250.000 euros : " à valoir sur le montant du marché de travaux, en Entreprise Générale de l'opération Crystal Chalet, d'une valeur de 6.000.000 euros ht, prix ferme, définitif et non révisable".

Dans leurs échanges de courriers des 17, 18, 21 et 24 mars 2014, les sociétés Top Loisirs et Eiffage ont toutes deux fait état de leur accord pour la réalisation de l'opération de construction, moyennant un prix de 6.000.000 euros ht.

Par courrier du 7 mai 2014, la société Top Loisirs a confirmé qu'elle avait choisi de confier le marché de travaux à la société Eiffage pour le montant forfaitaire de 6.000.000 euros ht.

Ces éléments caractérisent bien la volonté clairement exprimée par la société Top Loisirs de confier la réalisation des travaux du programme Crystal Chalet à la société Eiffage et la formation d'un contrat d'entreprise entre les deux parties, l'accord préalable sur le montant exact de la rémunération du locateur d'ouvrage n'étant pas nécessaire.

La cour infirmera le jugement en ce qu'il a jugé que le contrat de marché global n'avait pas été accepté par les parties.

2°) sur la rupture du contrat :

L'imputabilité de la rupture des relations contractuelles suppose de déterminer préalablement la nature du marché conclu.

Les offres de prix successives de la société Eiffage ont été établies sur la base du dossier transmis par le maître d'oeuvre et comprenant les plans d'exécution de l'architecte, le cahier des conditions techniques particulières et de la décomposition du prix global et forfaitaire (DPGF) des lots.

Chacune de ces offres détaille par postes les montants de chaque lot chiffrés par multiplication des quantités par un prix de base.

L'offre de la société Eiffage, acceptée par la société Top Loisirs, portait sur des travaux dont la nature et la consistance étaient clairement définies et un prix précisément, globalement et définitivement fixé d'avance.

De plus, la commande de travaux valant ordre de service n°1 que la société Eiffage a signé le 15 octobre 2013, indique que leur montant est à valoir sur le prix du marché stipulé ferme, définitif et non révisable.

Si la société Eiffage se prévaut de réserves qui auraient assorti sa dernière proposition de prix, l'offre du 14 octobre 2013 formalisée à hauteur de 6.000.000 euros ht qu'elle produit aux débats n'en comporte aucune, contrairement aux deux précédentes.

Ces éléments caractérisent la nature de marché à forfait du contrat d'entreprise que les parties ont régularisé entre elles.

Les correspondances échangées font apparaître que les parties se sont opposées d'une part sur la prise en charge de surcoûts apparus postérieurement à leur accord du 14 octobre 2013, d'autre part sur la rédaction du CCAP et de l'acte d'engagement.

En effet par courriel du 5 novembre 2013, la société Eiffage a chiffré les surcoûts relatifs à la levée des réserves du bureau d'études à 34.102 euros ht et ceux des travaux d'aménagement exigés par la commune pour le dépôt des déblais de terrassement à 42. 932 euros ht.

De son côté, la société Top Loisirs a indiqué à sa cocontractante dans un courrier du 17 mars 2014 qu'elle n'envisageait aucune modification des documents contractuels, ni du prix convenu considérant qu'il englobait les modifications aux observations du bureau de contrôle comme l'aménagement du site de dépôt des déblais.

Par courrier du 21 mars 2014, la société Top Loisirs a demandé à sa cocontractante de lui indiquer si elle entendait poursuivre la réalisation du chantier au prix de 6.000.000 euros ht ferme, définitif et non révisable et par réponse du 24 mars, bien que faisant état de son intention de réaliser le chantier la société Eiffage a expressément refusé cette exécution aux conditions financières, résultant des évolutions du contrat après le 14 octobre 2013, et administratives figurant dans le CCAP remis postérieurement à cette date.

Au terme de ces échanges, et alors que sous l'empire d'un marché à forfait, les travaux supplémentaires sont soumis à l'accord préalable du maître de l'ouvrage, il apparaît que la rupture est consécutive au refus par la société Eiffage d'exécuter le marché aux conditions initialement fixées.

Il doit être relevé d'une part que sur un marché hors taxes de 6.000.000 euros, un surcoût de 77.034 euros ht ne constitue pas un bouleversement de l'économie du contrat, d'autre part que les prestations pour lesquelles la société Eiffage entendait obtenir un supplément de prix ne constituent pas des prestations nouvelles, mais résultent d'une part d'un changement des matériaux proposés par elle dans son offre, d'autre part d'une modification dans le mode de gestion des déblais de terrassement, tel qu'initialement prévu.

A ce dernier titre, il appartenait à la société Eiffage, professionnel de la construction, de vérifier les conditions du stockage de ces déblais proposé par la commune, avant d'établir le chiffrage de ce poste de travaux.

De la même manière, elle a accepté de régulariser un accord sans avoir préalablement pris connaissance des dispositions du CCAP et des conclusions du rapport initial de contrôle technique dont elle ne pouvait ignorer l'existence en sa qualité de professionnel.

Dans ces conditions, il lui appartenait d'honorer le contrat sans subordonner son exécution à des suppléments de prix, ni exiger la réécriture des conditions administratives.

En conséquence, la cour considère que la rupture des relations contractuelles est imputable à la société Eiffage qui est mal fondée à poursuivre l'indemnisation du préjudice qui en résulte.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a jugé que les deux parties étaient responsables de la rupture des négociations concernant ce marché global, mais confirmé en ce qu'il a débouté la société Eiffage de sa demande d'indemnisation.

3°) sur les soldes des travaux préparatoires :

La commande de travaux du 15 octobre 2013 vise les travaux préliminaires suivants :

- clôture du chantier,

- panneau de chantier,

- dévoiement des réseaux,

- pré-terrassement en pleine masse,

pour un prix hors taxes de 250.000 euros.

Il est constant entre les parties que la société Top Loisirs a procédé au règlement de la situation de travaux n°1 du 25 novembre 2013 à hauteur de 55.000 euros ht, soit 65.780 euros ttc.

Sur la contestation de sa situation n°2 du 21 décembre 2013 d'un montant de 162.000 euros ht, la société Eiffage a, selon les termes de ses courriers des 30 avril et 25 mai 2014, reconnu ne pas avoir accompli l'intégralité des prestations prévues et notamment que les volumes facturés au titre du pré-terrassement ne correspondaient pas à ceux réalisés.

La société Eiffage a proposé de ramener sa situation n°2 à un montant cumulé de 118.740, 42 euros ht, que la société Top Loisirs a accepté de retenir comme base d'évaluation ainsi que le démontre son courrier du 10 juillet 2014, mais en a déduit une somme de 14.511, 80 euros ht au titre des frais d'installation du chantier, au motif d'une évaluation faite par son architecte.

Elle ne fournit aucune justification à cette déduction sur un marché à forfait dont le solde de facturation hors taxe doit être fixé à 63.740,42 euros ht.

Le compte entre les parties sera en conséquence déterminé ainsi qu'il suit :

- travaux réalisés ht : 118.740, 42

- règlement du 19 décembre 2013 -55.000

- solde ht : 63.740, 42

- tva 20 % : 12.748, 08

- règlement du 10 juillet 2014 -59.074, 34

- solde restant du ttc : 17.414, 16

La société Top Loisirs doit être condamnée à payer un solde de 17.414, 16 euros ttc, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 22 juillet 2015 et le jugement de première instance sera infirmé en ce sens.

4°) sur la demande de dommages-intérêts de la société Top Loisirs :

Pour la réalisation de son programme, la société Top Loisirs a finalement contracté avec une autre entreprise pour un prix de 5.800.000 euros ht, et ne démontre pas que la rupture de la relation contractuelle avec la société Eiffage lui a causé un préjudice indemnisable.

Le jugement qui a rejeté ses prétentions indemnitaires sera confirmé.

Il est de principe que l'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue un droit fondamental qui ne peut dégénérer en abus sanctionné par l'octroi de dommages et intérêts que par l'effet d'une faute.

Au cas particulier, une telle faute n'est pas caractérisée à l'encontre de la société Eiffage et la décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté les prétentions indemnitaires de la société Top Loisirs.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,

INFIRME le jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 2 février 2018 en ce qu'il a :

- jugé que le contrat de marché global n'avait pas été accepté par les parties,

- jugé que les deux parties étaient responsables de la rupture des négociations concernant ce marché global,

- condamné la société Top Loisirs Guy M. à payer à la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné la somme de 62.192 ' ttc au titre du contrat de 250.000 ', outre intérêts au taux légal capitalisé à compter du 18 mars 2014, date de la mise en demeure,

statuant à nouveau,

DIT que la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné et la Sa Top Loisirs ont conclu un marché global à forfait dont la rupture est imputable à la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné,

CONDAMNE la Sa Top Loisirs à payer à la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné la somme de 17.414,16 euros ttc, outre intérêts au taux légal à compter du 22 juillet 2015,

CONFIRME le jugement pour le surplus de ses dispositions,

y ajoutant,

REJETTE les demandes réciproques de condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,

CONDAMNE la Sas Eiffage Construction Alpes Dauphiné aux dépens de son appel.