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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 21 juin 2011, n° 10/02945

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Interior's (SAS), M. le Broussois

Défendeur :

Antic Line Creations (SARL), Le grenier de julie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bachasson

Conseillers :

M. Chassery, M. Prouzat

Avoués :

SCP Jean-Louis Salvignol - Chantal Salvignol Guilhem , SCP Gilles Argellies et Fabien Watremet

Avocats :

Me Gabriel, Me Devernay

TGI Perpignan, du 26 févr. 2010, n° 07/2…

26 février 2010

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

La société Interior's commercialise divers objets de décoration intérieure parmi lesquels un modèle d'ardoise orné de coeurs, une gamme de modèles intitulés « Bistrot de Paris », comprenant notamment une patère, une étagère et un range couverts, ainsi qu'une gamme de modèles intitulés « Grocery », comprenant notamment une boîte à oeufs et un lot de trois boîtes vitrées.

Reprochant à la société Antic Line Créations de proposer à la vente des objets reproduisant les motifs décoratifs de ses modèles, en fraude de ses droits de propriété intellectuelle, la société Interior's a été autorisée, par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Perpignan en date du 30 avril 2007, à faire procéder à une saisie contrefaçon au siège de cette société ; les opérations de saisie ont été effectuées le 9 mai suivant.

Elle a ensuite fait assigner en contrefaçon, par acte du 26 juin 2007, aux côtés de Jean-Michel Le Broussois, présenté comme le créateur des modèles prétendument contrefaits, la société Antic Line Créations devant le tribunal de grande instance de Perpignan.

En cours d'instance, la société Interior's a fait pratiquer, le 11 septembre 2007, une seconde saisie contrefaçon au salon « maison et objet » de Villepinte (93) en vertu d'une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Bobigny du 10 septembre 2007.

Par acte du 9 octobre 2007, la société Interior's et M. Le Broussois ont fait assigner à nouveau en contrefaçon la société Antic Line Créations.

Celle-ci a alors invoqué la nullité des opérations de saisie contrefaçon au motif qu'elles avaient été diligentées à l'encontre d'une société tierce, la société Le grenier de Julie.

Par acte du 10 juillet 2008, la société Interior's et M. Le Broussois ont donc fait assigner cette société aux mêmes fins.

Après jonction des instances connexes, le tribunal, par jugement du 26 février 2010, a notamment :

-rejeté les demandes d'annulation des saisies contrefaçons effectuées le 9 mai 2007 à Perpignan et le 10 septembre 2007 à Villepinte,

-mis hors de cause la société Antic Line Créations

-déclaré irrecevable les demandes de M. Le Broussois pour défaut de qualité à agir,

-dit que la société Le Grenier de Julie a contrefait une ardoise et une étagère,

-fait interdiction à la société Le Grenier de Julie de commercialiser ces articles répertoriés DEC 2798 ardoise « coeur » accroche photo et DEC 2797 étagère wagon-lit « gourmet bistrot » du catalogue collection « objet déco 2007 » d'Antic Line Créations,

-ordonné la confiscation aux fins de destruction, par voie d’huissier et aux frais avancés de la société Le Grenier de Julie, de ces objets détenus directement ou indirectement par cette société et ses revendeurs, sous astreinte de 50 € par jour de retard passé le délai de huit jours à compter de la signification de la décision,

-débouté la société Interior's de ses demandes relatives à la concurrence déloyale et au parasitisme,

-condamné la société Le Grenier de Julie à verser à la société Interior's la somme de 3624 €,

-rejeté les autres demandes,

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

-condamné la société Le Grenier de Julie à verser à la société Interior's une somme de 2500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration reçue le 13 avril 2010 au greffe de la cour, la société Interior's et M. Le Broussois ont régulièrement relevé appel de ce jugement.

Ils demandent à la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation des saisies contrefaçons et jugé que la société Le Grenier de Julie avait contrefait les modèles d'ardoise et d'étagère, commercialisés par elle ; ils demandent en revanche que les sociétés Antic Line Créations et Le Grenier de Julie soient déclarées coupables d'actes de contrefaçon sur les autres objets et condamnées à payer in solidum à M. Le Broussois la somme de 45 000 € à titre de dommages et intérêts du fait de l'atteinte portée à son droit moral et à la société Interior's les sommes de 240 000 € à titre de dommages et intérêts du fait des actes de contrefaçon et 150 000 € en réparation de son préjudice consécutif aux actes de concurrence déloyale et de parasitisme ; ils sollicitent en outre qu'il soit fait interdiction aux deux sociétés de présenter, commercialiser ou exploiter les modèles incriminés et que soit ordonnée la confiscation aux fins de destruction des produits par elles détenus, sous astreinte de 3 000 € par infraction constatée et par jour de retard ; enfin, ils demandent que soit ordonnée la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues de leur choix aux frais avancés des intimés, outre la condamnation de celles-ci à leur payer la somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, ils font essentiellement valoir que :

-les procès-verbaux de saisie contrefaçon sont valables, dès lors que la signification a été faite à la société Antic Line Créations, commercialisant et détenant les objets saisis, cette société tentant de tirer avantage de la confusion organisée à dessein avec la société Le Grenier de Julie,

-la preuve des actes de contrefaçon est valablement apportée par les procès-verbaux de saisie contrefaçon, le catalogue dénommé « Antic Line Créations » et le procès-verbal de constat dressé sur le site Internet de la société Antic Line Créations, lequel démontre que les produits contrefaisants étaient toujours proposés à la vente,

-il est établi que la société Antic Line Créations a commercialisé les articles contrefaisants en parfaite connaissance de cause avec la société Le Grenier de Julie et qu'elle n'exerce donc pas seulement une activité de holding,

-elle ne saurait échapper à sa responsabilité en se retranchant derrière l'une de ses filiales récemment créées, d'autant que les objets contrefaisants ont été retrouvés dans ses locaux,

-M. Le Broussois a personnellement créé des modèles en cause et est donc titulaire des droits d'auteur, ce dont il résulte qu'il est recevable à agir,

-l'originalité des modèles revendiqués est également incontestable, les deux sociétés, qui en ont effectué des reproductions serviles, n'ayant pas pu démontrer la moindre antériorité susceptible de remettre en cause leur caractère original,

-ces agissements portent atteinte au droit moral de M. Le Broussois, tandis que la société Interior's subit un préjudice d'ordre patrimonial résultant de l'atteinte portée à l'ensemble de ses modèles, qui se trouvent banalisés par la présence de copies sur le marché vendues à bas prix,

-elle subit également un préjudice d'ordre commercial résultant d'une perte de marché et donc, d'un manque à gagner du fait que ses modèles se trouvent en concurrence directe avec les articles contrefaisants, commercialisés à des prix dérisoires,

-en reproduisant les gammes de produits « Bistrot de Paris » et « Grocery » et en imitant leur nom pour les vendre à bas prix, les sociétés Antic Line Créations et Le Grenier de Julie ont tenté de créer une confusion dans l'esprit du public et de tirer profit de l'effort de création, des investissements et du savoir-faire, mis en oeuvre, ce qui caractérise l'existence d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme.

Les sociétés Antic Line Créations et Le Grenier de Julie concluent à la confirmation du jugement ayant prononcé la mise hors de cause de la société Antic Line Créations et déclaré M. Le Broussois irrecevable à agir en contrefaçon de droit d'auteur ; formant appel incident, elles demandent à la cour de déclarer également la société Interior's irrecevable à agir.

Subsidiairement, elles demandent que soit confirmé le jugement ayant débouté la société Interior's et M. Le Broussois d'une partie de leurs demandes en contrefaçon de droit d'auteur et de leur action en concurrence déloyale, mais concluent à sa réformation en ce qu'il a considéré comme valables les opérations de saisie contrefaçon et retenu que deux des modèles, commercialisés par la société Le Grenier de Julie, constituaient des contrefaçons ; elles sollicitent à cet égard le rejet de l'ensemble des prétentions émises par la société Interior's et M. Le Broussois et leur condamnation à leur payer la somme de 15 000 €, chacune, au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Elles exposent en substance que :

-la première saisie contrefaçon du 9 mai 2007 est entachée de nullité, puisque l'autorisation portait sur une saisie à l'encontre de la société Antic Line Créations et qu'elle a, en réalité, été effectuée au sein de la société Le Grenier de Julie à l'égard laquelle aucune opération n'avait été autorisée,

-quant à la seconde saisie contrefaçon, elle est également nulle puisqu'elle visait, elle aussi, la société Antic Line Créations et qu'elle a été diligentée sur le stand d'une société distincte, la société La Mine du Pin,

-les objets saisis appartenaient et étaient commercialisés par la société Le Grenier de Julie, qui est une personne morale distincte de la société Antic Line Créations, laquelle est une société holding dont l'objet social est l'administration d'entreprises,

-ni M. Le Broussois, ni la société Interior's ne rapportent pas la preuve de leur qualité à agir en contrefaçon de droits d'auteur, dès lors qu'ils ne démontrent pas être titulaires des droits sur les modèles revendiqués,

-le droit d'auteur ne saurait protéger une oeuvre qui n'est pas précisément définie et il est tout à fait naturel que des concurrents, spécialisés dans la réédition de modèles et meubles anciens, proposent à la vente des produits assez semblables, de tels faits ne pouvant constituer des actes de contrefaçon lorsqu'il ne s'agit pas de reproductions identiques,

-le fait de commercialiser moins cher des objets similaires relève de la liberté du commerce et de l'industrie et ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale, la liberté de la concurrence permettant, en effet, à tout professionnel de pratiquer les prix qu'il souhaite au regard de la qualité de ses produits et de sa politique commerciale,

-en toute hypothèse, il ne peut être englobé dans la masse contrefaisante à la fois les produits vendus par la société Le Grenier de Julie et ceux achetés à son fournisseur, cette masse devant être limitée aux produits réellement vendus au jour de l'assignation, ce qui la diminue de 1420 produits,

-de plus, il doit être tenu compte de la faible « distinctivité » des modèles litigieux et du nombre important de concurrents sur le marché, afin de corriger les chiffres avancés par la société Interior's et le préjudice, qui en découle.

MOTIFS de la DECISION :

1- la contrefaçon de droit d'auteur :

a) la recevabilité de l'action :

C'est à juste titre que le premier juge a estimé que M. Le Broussois ne rapportait pas la preuve de sa qualité à agir en contrefaçon de droit d'auteur, aux côtés de la société Interior's, dont il est le président directeur général, pour atteinte à son droit moral.

En effet, si M. Le Broussois est présenté comme le fondateur de la société, constituée en 1977, à l'origine de la création d'un atelier de reproduction de meubles campagnards anglais en bois massif ciré, l'attestation communiquée, dans laquelle il affirme avoir personnellement créé les modèles argués de contrefaçon, ne permet pas d'apporter la preuve de sa qualité d'auteur, sauf à admettre qu'une partie puisse se constituer une preuve à soi même ; l'intéressé, qui n'a pas commercialisé lui-même ces modèles, ne produit ni croquis, dessins, plans ou schémas, établissant sa création, et ne justifie ni d'un dépôt à l'Inpi sous son nom, ni d'une parution dans le catalogue de la société Interior's, le désignant comme en étant le créateur.

La société Antic Line Créations et la société Le Grenier de Julie invoquent, pour la première fois devant la cour, l'irrecevabilité à agir de la société Interior's.

A cet égard, il résulte de l'article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle que la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée ; il est de principe qu'en l'absence de revendication du ou des auteurs, l'exploitation de l'œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer, à l'égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'œuvre du droit de propriété incorporelle de l'auteur ; pour bénéficier de cette présomption, la personne morale, qui s'en prévaut, doit ainsi identifier précisément le ou les objets, argués de contrefaçon, qu'elle commercialise et établir l'existence d'actes d'exploitation et leur date.

En l'occurrence, la société Interior's justifie, par la production de ses catalogues « Country Corner » et de diverses factures à ses clients, que :

-le modèle d'ardoise orné de c'urs, référencé PHDW, et les trois modèles de la gamme « Bistrot de Paris », comprenant une patère, une étagère et un range couverts, référencés PHHA, PHGY et PHHB, qui font partie de sa collection automne hiver 2005, ont été commercialisés par elle à compter du mois de septembre 2005,

-les modèles de la gamme « Grocery » correspondant au lot de trois boites vitrées, référencé PJHJ, et à la boite à oeufs, référencée PJHO, qui figurent sur le catalogue automne hiver 2006, ont été commercialisés par elle à compter du mois de septembre 2006.

La société Interior's est donc en droit se prévaloir de la présomption instaurée à l'article L.113-1 susvisé, alors que les sociétés Antic Line Créations et Le Grenier de Julie n'établissent pas l'existence d'actes d'exploitation antérieurs sur les six modèles litigieux et n'opposent aucun droit privatif sur ces modèles ; il importe peu que la preuve de la qualité de créateur de M. Le Broussois, affirmant avoir cédé ses droits d'exploitation à la société Interior's, ne soit pas rapportée, cette circonstance n'étant pas de nature à combattre utilement la présomption de titularité des droits d'exploitation dont bénéficie celle-ci ; de même, le fait que la société Interior's achète certains de ses modèles à des fournisseurs chinois et a déjà été elle-même condamnée pour contrefaçon, ne suffit pas à écarter le jeu de la présomption.

Il convient en conséquence de déclarer la société Interior's recevable à agir relativement aux six modèles argués de contrefaçon, qui se trouvent identifiés avec précision et dont il est établi qu'ils ont été commercialisés sous son nom, antérieurement à l'exploitation des modèles contrefaisants.

b) la nullité des procès-verbaux de saisie contrefaçon :

- la saisie contrefaçon du 9 mai 2007 :

Une ordonnance du président du tribunal de grande instance de Perpignan en date du 30 avril 2007 a autorisé la société Interior's à faire pratiquer une saisie contrefaçon dans les locaux de la société Antic Line Créations, dont le siège social est situé [...], ainsi qu'en tous autres lieux et dépendances sis dans le ressort du tribunal ; l'ordonnance a été signifiée, le 9 mai 2007, par l'huissier instrumentaire à la personne de Laurent Briessel, comptable, affirmant être habilité à recevoir l'acte pour le compte de la société Antic Line Créations, et les opérations de saisie subséquentes ont été effectuées, en la présence constante de cette personne, au siège de cette société.

Il ne peut être soutenu que la saisie est nulle au motif qu'elle a été pratiquée au préjudice d'un tiers, la société Le Grenier de Julie, alors qu'elle a bien été faite au siège de la société Antic Line Créations, désignée dans l'ordonnance, où se trouvaient les objets saisis et les documents remis à l'huissier par M. Briessel, auquel l'ordonnance avait été signifiée pour le compte de la personne morale et qui avait assisté aux opérations au nom de celle-ci, sans émettre la moindre réserve ; le fait qu'ont été remis à l'huissier les coordonnées d'un fournisseur chinois sur un document mentionnant « SARL Le Grenier de Julie », les états statistiques des ventes portant comme libellé « Le Grenier de Julie » ou la facture d'achat des objets saisis à l'en-tête de la « SARL Le Grenier de Julie », ne permet pas d'affirmer que la saisie a été opérée à l'encontre d'une personne non désignée dans l'ordonnance, dans les locaux de laquelle l'huissier aurait mené ses opérations.

Par ailleurs, force est de constater qu'une certaine confusion est entretenue par la société Antic Line Créations, qui, si elle se présente comme une société holding ayant pour objet l'administration d'entreprises, n'en partage pas moins des locaux avec la société Le Grenier de Julie, laquelle commercialise les objets de décoration issus d'un catalogue dénommé « Antic Line Créations », sous la marque « Antic Line », apposée sur ses factures, marque appartenant à la société Antic Line Créations, également titulaire du nom de domaine correspondant au site Internet www.anticline.fr.

Ainsi que l'a retenu le premier juge, la saisie contrefaçon du 9 mai 2007 ne se trouve affecté d'aucune irrégularité, conduisant à en prononcer l'annulation.

-la saisie contrefaçon du 10 septembre 2007 :

L'autorisation donnée à la société Interior's aux termes de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance de Bobigny en date du 10 septembre 2007, désigne, comme lieu d'exécution de la saisie, le stand F 148 / G 147 de la société Antic Line Créations, au salon « Maison et Objet » de Villepinte ; les opérations de saisie ont été effectuées le jour même, après que l'huissier eut signifié l'ordonnance au même M. Briessel, qui a déclaré être habilité à recevoir l'acte pour le compte de la société Antic Line Créations, et n'a manifesté aucune opposition aux opérations proprement dites, qui se sont traduites par la saisie de deux exemplaires du catalogue « Antic Line Créations » de janvier 2007 et d'une caisse à oeufs, référencée DEC 3822 audit catalogue, page 99.

Le catalogue du salon « Maison et Objet », qui s'est tenu à Villepinte du 7 au 11 septembre 2007, désigne « Antic Line Créations » comme le titulaire du stand F 148 / G 147, dans le hall 5 A, avec l'indication d'une adresse ([...]), d'une adresse email ([email protected]) et d'un site web (www.anticline.fr.).

C'est vainement que les intimées soutiennent que la saisie a été réalisée au préjudice d'un tiers, la SARL La Mine du Pin, dont le siège est également situé [...], alors que la facture, produite aux débats, éditée le 26 juin 2007 à l'ordre de cette société, ne désigne pas le stand concerné et que le catalogue du salon mentionne, au contraire, « Antic Line Créations » comme étant l'exposant.

Le fait qu'a été remis à l'huissier, en règlement des objets saisis, une facture à l'en-tête d'« Antic Line Créations », mais à laquelle a été rajoutée à la main « SARL Le Grenier de Julie », ne permet pas de caractériser l'irrégularité alléguée, d'autant que n'est pas vraiment explicitée la raison pour laquelle une caisse à oeufs, commercialisée par la société Le Grenier de Julie, se trouve sur un stand appartenant, soit disant, à une autre société, spécialisée dans le commerce de détail de meubles en pin ; dès lors que la société Le Grenier de Julie n'était pas officiellement présente au salon « Maison et Objet », il ne peut être reproché à la société Interior's d'avoir diligenté une saisie contrefaçon sur le stand de la société Antic Line Créations, sur lequel était exposé le modèle de caisse à oeufs litigieux, en dépit de la connaissance, qu'elle avait, depuis la précédente saisie, de ce que cet objet était, en réalité, commercialisé par cette société.

Le jugement, qui a rejeté la demande d'annulation de la saisie du 10 septembre 2007, doit donc être confirmé de ce chef.

c) la mise hors de cause de la société Antic Line Créations :

Sur ce point, la cour estime que le premier juge, par des motifs pertinents qu'elle approuve, a fait une exacte application des faits de la cause et du droit des parties en considérant que la participation de la société Antic Line Créations à la commercialisation des modèles litigieux n'était pas démontrée et qu'elle devait ainsi être mise hors de cause.

d) les actes de contrefaçon :

Les deux procès-verbaux de saisie contrefaçon des 9 mai et 10 septembre 2007, le catalogue dénommé « Antic Line Créations » visé dans la requête aux fins de saisie contrefaçon du 25 avril 2007 et le procès-verbal de constat dressé par acte d'huissier de justice du 16 novembre 2007 sur le site Internet www.anticline.fr, établissent que les six modèles argués de contrefaçon ont été commercialisés sous la marque « Antic Line » par la société Le Grenier de Julie ; aucun élément n'est fourni par cette société de nature à établir que ces modèles ont été exploités antérieurement à ceux de la société Interior's, qui justifie, quant à elle, avoir mis sur le marché le modèle d'ardoise orné de c'urs et les trois modèles de la gamme « Bistrot de Paris », en septembre 2005, et les trois modèles de la gamme « Grocery », en septembre 2006 ; il est juste communiqué le catalogue « Antic Line Créations », correspondant à la collection printemps été 2006, dont il résulte que l'ardoise « c'ur », ainsi que le range couverts, la patère et l'étagère de la gamme « Le Gourmet Bistrot », ont été commercialisés à ce moment-là, soit postérieurement aux modèles de la société Interior's.

Une œuvre de l'esprit est protégeable au titre du livre I du code de la propriété intellectuelle si elle présente un caractère original, portant l'empreinte de la personnalité de son auteur ; s'agissant, comme en l'espèce, de la reproduction d'objets décoratifs anciens, il convient de rechercher si l'apport d'éléments décoratifs nouveaux ou la combinaison d'éléments connus, même tombés dans le domaine public, font des modèles de la société Interior's des œuvres originales et de vérifier ensuite l'existence de ressemblances avec les modèles commercialisés par la société Le Grenier de Julie, caractérisant l'existence d'une contrefaçon.

-le modèle d'ardoise référencé PHDW :

Ce modèle se caractérise par un cadre rectangulaire en bois massif ciré sur lequel est fixée une ardoise avec, sur la partie gauche, un pan vertical en bois où apparaissent quatre c'urs en relief, deux vides, deux pleins, sur ou au-dessus duquel sont accrochées et nouées des cordelettes ; l'originalité du modèle d'ardoise de la société Interior's consiste dans l'adjonction à l'ardoise de l'élément décoratif, que constitue le pan vertical en bois orné de quatre coeurs en relief, pleins ou évidés, de couleur blanche ou de couleur bois, agrémentés de cordelettes, éléments qui se retrouvent, de façon quasi identique, dans le modèle DEC 2798 commercialisé par la société Le Grenier de Julie.

Celle-ci ne saurait contester l'originalité ou le défaut d'antériorité du modèle litigieux en se fondant sur un autre modèle d'ardoise encadrée divulguée dans la revue « Art & Décoration » d'avril 2002, qui n'a rien de comparable.

L'existence d'une contrefaçon se trouve donc établie, ainsi que l'a justement retenue le premier juge.

-les modèles de la gamme « Le Bistrot de Paris » PHGY (étagère), PHHA (patère) et PHHB (range couverts) :

Ils consistent en :

' une étagère constituée, d'une part, d'un fond de trois lattes en bois vieilli bordé d'une frise en bois clair et rectangulaire, sur lequel sont imprimés les mots « Bistrot de Paris » en lettres majuscules et, au- dessous, les mots « brasserie ' restaurant ' salon de thé » en lettres de plus petite taille, et, d'autre part, d'une grille métallique composé de barres horizontales, reliée à la partie supérieure du cadre en bois par deux chaînettes ;

' une patère constituée du même cadre en bois, revêtu des mêmes inscriptions que l'étagère, mais sur lequel sont fixées cinq patères comportant à chaque extrémité des boules de couleur blanche ;

' un range couverts constitué d'une caisse en bois clair dans lequel ont été aménagés quatre compartiments délimités par des pans de bois découpés de façon incurvée, étant précisé que la partie avant de la caisse est faite d'un panneau en bois découpé en quatre arrondis, sur lequel sont imprimés les mots « brasserie ' restaurant ' salon de thé » et que la partie supérieure est faite d'un panneau en bois rectangulaire aux contours duquel est dessinée une frise de couleur noire et où sont imprimés, en lettres majuscules et en arc de cercle, les mots « Bistrot de Paris ».

Ces trois modèles, appartenant au style dit « Bistrot », sont d'une grande banalité, puisqu'ils ne sont que la reproduction d'objets usuels connus, patère, étagère ou range couverts, dont les formes, les dimensions et les matériaux utilisés ou leur assemblage ne présentent aucun caractère de nouveauté ; le modèle de range couverts « Antic Line », référencé DEC 2783, prétendument contrefaisant, n'est d'ailleurs que la déclinaison de la partie centrale d'un vaisselier « Antic Line », comportant six compartiments au lieu de quatre, commercialisé depuis 2003 sous la référence CD 08, ainsi qu'il en est justifié.

La particularité de ces objets tient à l'adjonction des mots « Bistrot de Paris » et « brasserie ' restaurant ' salon de thé », qui y sont imprimés, empruntés au langage de la restauration ; la seule ressemblance avec les modèles « Antic Line » commercialisés par la société Le Grenier de Julie procède de l'emploi du mot « Bistrot », dans l'expression « Le Gourmet Bistrot », imprimée sur ses modèles, suivie des mots « bar - pâtisserie ' maison du café » ; or, l'emploi d'un terme ou d'une expression du langage courant, renvoyant à l'exercice d'une profession, et qui, comme en l'espèce, évoque également le style d'un objet ou d'une gamme d'objets, ne présente aucune originalité de nature à faire bénéficier les modèles de la société Interior's de la protection du droit d'auteur.

Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, la présence, sur le modèle d'étagère, d'une grille métallique reliée à la partie supérieure du cadre en bois par deux chaînettes, participe d'une conception d'ensemble classique de ce type d'étagère, rappelant le style « Wagon-lit ».

-les modèles de la gamme « Grocery » PJHO (boîte à oeufs) et PJHJ (lot de trois boites vitrées) :

La boîte à oeufs est une caisse en bois rectangulaire, de couleur vert foncé, ouverte en sa partie supérieure, formée de deux étages, dont celui du bas, le plus grand, dans lequel ont été aménagés des trous, est destiné à recueillir des oeufs ; la caisse, dont les anges inférieurs sont biseautés et les clous d'assemblage, apparents, comporte des inscriptions « Eggs » sur la partie haute, « Grocery since 1887 ' Galway » sur la partie basse.

L'aspect général de cette boîte à oeufs est différent du modèle « Antic Line » référencé DEC 3822, notamment par la taille, la couleur, le graphisme des inscriptions et la nature des éléments décoratifs ; les inscriptions, qui y sont apposées « National grocers ' Fany spice - Stephen F. Whitman & son Inc » n'ont de commun que l'utilisation du mot « grocers », de la même famille que le mot « grocery » (l'épicerie) imprimé sur la boîte à oeufs de la société Interior's.

Cette boîte n'est que la reproduction d'un modèle en osier ou en bois autrefois utilisé pour le rangement et le transport des oeufs de la ferme ; d'autres négociants en objets décoratifs s'en sont inspirés, puisqu'une boîte à oeufs, identique par sa forme et sa conception en deux parties, a été divulguée, sous la marque « La Carpe » dans la revue « Art & Décoration » de janvier ' février 2003 ; le terme « grocers », s'il rappelle le terme « Grocery » imprimé en lettre majuscules sur la boîte de la société Interior's, n'est pas en lui-même la marque d'une création originale, dont celle-ci pourrait se prévaloir.

Quant à la boîte vitrée, présentée en lot de trois sur le catalogue « Country corner » de la société Interior's, elle revêt l'aspect d'une caisse en bois s'ouvrant et se fermant, en sa partie supérieure, au moyen d'un panneau en bois comportant une vitre, actionné par deux charnières ; sur la vitre, se trouvent imprimés les mots « O'Reilley & son Ldt ' Grocery since 1887 ' Galway » et sur la partie inférieure de chacune des trois boîtes, un mot différent, « lolly pops », « toffes » ou « candy sticks » ; indépendamment de la forme générale de la boite, rappelant un pupitre, et de l'emploi du terme « grocers », rappelant le terme « Grocery », la boite vitrée commercialisée par la société Le Grenier de Julie, référencée DEC 3824, diffère de celle de la société Interior's par sa teinte, la nature des inscriptions et les motifs de décoration.

Elle constitue la reproduction d'un modèle ancien de boîte ou cave à cigares vitrée, également en forme de pupitre, et le simple fait qu'elle soit présentée avec une fonction différente 'comme présentoir d'articles de confiserie dans une épicerie ' ne lui confère aucune originalité, alors que les inscriptions et autres éléments décoratifs, qui la caractérisent, sont assez communs.

Le premier juge a ainsi estimé, à juste raison, que ces objets n'étaient pas protégeables par le droit d'auteur.

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La société Interior's a perdu une chance de gain du fait de la mise en vente par la société Le Grenier de Julie des articles contrefaisants, que constituent les ardoises « c'ur » référencées DEC 2798 sur le catalogue « Antic Line », et qui, dans une certaine mesure, a contribué à détourner une partie de sa clientèle ; il n'est pas justifié, en revanche, que la qualité des articles contrefaisants ou les conditions de leur commercialisation, lui a causé un préjudice complémentaire, résultant de la dépréciation apportée aux articles originaux.

Le nombre d'articles contrefaisants, tel qu'il apparaît au vu des énonciations du procès-verbal de saisie contrefaçon du 9 mai 2007, s'établit à 1150 (et non 1762) et la société Interior's communique, en piècen°37, un état récapitulatif de son préjudice, dont il résulte qu'elle avait réalisé, en mai 2008, sur la vente des ardoises, un chiffre d'affaires de 45 303,94 €, soit un prix de vente moyen de 29,28 €, correspondant à une marge de 40 888,43 €, soit un taux de marge de 90% ; il n'est cependant fourni aucun document comptable propre à justifier le prix de vente de ces articles, leur prix de revient et le taux de marge pratiqué, hormis deux factures à des clients, datant d'octobre 2005, faisant apparaître un prix de vente HT du modèle d'ardoise à 26 € ; si l'on se réfère à ce prix de vente de 26 € (et non 45,15 € comme indiqué dans les conclusions d'appel de la société Interior's) et à un taux de marge moyen de 30%, le préjudice commercial subi, du fait de la contrefaçon, doit être chiffré à la somme de 8 970,00 €, arrondi à 9 000 €, qu'il y a lieu d'allouer à la société Interior's à titre de dommages et intérêts.

Il convient, par ailleurs, selon des modalités, qui seront précisées ci-après, de faire défense à la société Le Grenier de Julie de commercialiser le modèle d'ardoise « coeur », référencé DEC 2798, sur le catalogue « Antic Line » et d'ordonner la confiscation, aux fins de destruction, de tous articles contrefaisants, détenus par cette société ou pour son compte.

La mesure de publicité sollicitée n'apparaît pas, en revanche, nécessaire à la réparation du préjudice consécutif à la contrefaçon.

2- la concurrence déloyale et parasitaire :

Le fait de commercialiser une gamme de produits, se rapprochant de la gamme des produits d'un concurrent, afin de créer une confusion et de détourner la clientèle, constitue un agissement de concurrence déloyale, même si les produits concernés ne bénéficient pas de la protection du droit d'auteur.

Au cas d'espèce, la société Interior's a créé une gamme de produits « Bistrot de Paris », se composant d'une vingtaine de modèles, parmi lesquels une patère, une étagère et un range couverts, ainsi qu'une gamme « Grocery » d'une dizaine de modèles, dont une boîte à oeufs et une boîte vitrée ; la mise sur le marché, effectuée postérieurement, par la société Le Grenier de Julie de deux gammes de produits similaires, l'une clairement intitulée « Gourmet Bistrot » englobant un range couverts, une étagère et une patère, l'autre se composant d'une caisse à oeufs et d'une boîte vitrée revêtues du même terme « National Grocers » en lettres majuscules, tend, de toute évidence, grâce à l'effet de gamme ainsi créé du fait de l'emploi de termes distinctifs approchants (« Le Gourmet Bistrot » pour « Bistrot de Paris » et « Grocery » pour « National grocers »), appliqués à des produits ayant la même fonction, à se situer dans le sillage d'une société avec laquelle elle est en concurrence directe, dans le domaine de la commercialisation d'objet de décoration et d'ameublement intérieurs.

S'il est vrai que les prix des produits et services sont, d'une manière générale, déterminés par le libre jeu de la concurrence, il n'en demeure pas moins qu'en l'occurrence, le détournement de clientèle, résultant de la confusion créée dans l'esprit du public par l'effet de gamme, voulue par la société Le Grenier de Julie, est accentué par la pratique de prix bas ; il ressort, en effet, des éléments recueillis par l'huissier lors de la saisie contrefaçon du 9 mai 2007 et des factures adressées par la société Interior's à ses clients, que les produits de la société Le Grenier de Julie sont globalement plus bas que ceux de son concurrent, qu'il s'agisse du range couverts (49,33 € ' 11,81 €), de l'étagère (87,79 € ' 8,32 €), de la patère (112,88 € ' 5,41 €) ou de la boîte à oeufs (10 € ' 5,73 €).

Les faits de concurrence déloyale ainsi commis par la société Le Grenier de Julie, générateurs d'un trouble commercial, implique nécessairement l'existence d'un préjudice, qu'à défaut d'autres éléments, la cour est en mesure de chiffrer à la somme de 5 000 €.

Le jugement entrepris doit en conséquence être réformé en ce qu'il a débouté la société Interior's de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale.

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Au regard de la solution apportée au règlement du présent litige, la société Le Grenier de Julie doit être condamnée aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Interior's la somme de 3 000 € au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Perpignan en date du 26 février 2010 en ce qu'il a :

-rejeté les demandes d'annulation des saisies contrefaçons effectuées le 9 mai 2007 à Perpignan et le 10 septembre 2007 à Villepinte,

-mis hors de cause la société Antic Line Créations

-déclaré irrecevable les demandes de M. Le Broussois pour défaut de qualité à agir,

-condamné la société Le Grenier de Julie aux dépens de l'instance, ainsi qu'à verser à la société Interior's une somme de 2500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Le réforme pour le surplus et statuant à nouveau,

Dit qu'en commercialisant le modèle d'ardoise « coeur », référencé DEC 2798 sur le catalogue « Antic Line », la société Le Grenier de Julie s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon,

Fait interdiction à la société Le Grenier de Julie de commercialiser, directement ou indirectement, ce modèle d'ardoise et ce, sous astreinte de 150 € par infraction constatée,

Ordonne la confiscation de tous articles contrefaisants, en possession de la société Le Grenier de Julie ou détenus pour son compte, et leur remise à la société Interior's ou à tout huissier de justice par elle mandaté, aux fins de destruction à ses frais,

Condamne la société Le Grenier de Julie à payer à la société Interior's les sommes de :

-9 000 € à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice commercial subi du fait de la contrefaçon,

-5 000 € de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société Le Grenier de Julie aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à la société Interior's la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.